Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'excellent rapport de notre collègue Charles Guené présente l'historique de la coopération décentralisée, analyse finement le risque juridique auquel les collectivités territoriales sont confrontées et prévoit finalement de réécrire, en s'inspirant des travaux du Conseil d'Etat, la proposition de loi de notre collègue Michel Thiollière, laquelle a le grand mérite d'avoir posé le problème, sans cependant le résoudre complètement.
Je me félicite de l'analyse approfondie que vous avez faite de la proposition de loi, madame la ministre, et qui sera utile pour la compréhension de notre débat.
Je ne reviendrai pas sur l'historique de la coopération décentralisée, dont la forme la plus reconnue remonte à une petite trentaine d'années, si l'on excepte la période antérieure des jumelages, et dont le développement très rapide à la fin des années quatre-vingt a abouti à sa formalisation législative avec la loi du 6 février 1992.
Cette loi reconnaît le droit pour les collectivités françaises à coopérer avec leurs homologues étrangères et, pour avoir vécu cette période, je puis vous assurer que, dix ans après la décentralisation, il n'était pas facile de faire accepter ces principes au ministère des affaires étrangères notamment.
Désormais, cette action est devenue indispensable aux relations étrangères de la France et, en particulier, au dialogue Nord-Sud. On peut même affirmer, sans crainte d'être démenti, que c'est grâce à elle que le Président de la République peut afficher, pour les années à venir, un objectif de 0, 7 % du produit intérieur brut, au titre de l'aide au développement.
A ce propos, permettez-moi de dire que, si nous en restons au budget médiocre qui nous est proposé cette année, il me semble peu probable que cet objectif soit atteint, et il ne faudrait d'ailleurs pas que, dans ce domaine, l'Etat se décharge de ses devoirs et de ses promesses sur les collectivités territoriales, transformant ainsi une oeuvre généreuse, mais volontaire, en une sorte de contrainte de fait. Tel n'est pas encore le cas, mais il vaut mieux prévenir que guérir.
Quoi qu'il en soit, chemin faisant, et après bien des tâtonnements, la coopération décentralisée s'est en quelque sorte professionnalisée, fixant méthodes et règles, trouvant ses opérateurs notamment. Elle est de plus en plus fondée sur la recherche d'objectifs définis en commun, sur le choix d'opérateurs, sur le respect de la culture de l'autre, sur l'acceptation d'une évaluation objective des résultats, qui peut et doit, si nécessaire, aboutir à une remise en cause de tout ou partie de l'intervention du financeur.
La contribution financière de l'Etat développé ne doit jamais être considérée comme une rente acquise, elle doit être perçue comme un moyen d'atteindre des objectifs et de réaliser effectivement des projets au profit des populations.
Tout cela - on ne le dira jamais assez - doit se faire nécessairement dans le cadre des engagements internationaux de la France et, sans parler de tutelle, avec le souci de ne mettre en porte-à-faux, ni nos ministres, quelle que soit leur appartenance politique, ni nos représentants, car il s'agit de l'étranger.
On note donc bien l'importance de cette action pour la France et, par là même, on voit combien il est indispensable de sécuriser ceux qui pratiquent cette coopération, ce que ne font pas complètement la loi de 1992, ni les textes réglementaires qui ont suivi, les notions de respect des compétences et d'intérêt local pouvant à tout moment être mises en avant par un contribuable pour dénoncer telle ou telle action d'une collectivité à l'étranger.
Cette sécurisation sera chose faite dans peu de temps - en espérant que l'Assemblée nationale ne tardera pas à examiner ce texte -, car il y a une réelle attente des élus de toutes tendances et une réelle inquiétude des services du ministère des affaires étrangères et, je le suppose, du ministre lui-même.
Le texte de notre collègue Michel Thiollière a été fortement complété. Il présentait des lacunes, mais je ne m'y attarderai pas, car elles ont déjà été évoquées.
Le texte initial ne concernait que les communes. Il limitait le niveau d'intervention à une somme certes élevée, mais dont on ne comprend pas la justification, ce qui ne semble pas nécessaire, et surtout la référence à l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, et donc aux compétences des collectivités territoriales, ne mettait pas celles-ci à l'abri du risque juridique. En effet, si un conseil général aide, par exemple, à la construction d'une salle d'accouchement au Burkina Faso - ce qui représente une somme de 3 000 euros environ -, il est condamnable parce que le sanitaire n'entre pas dans le champ de ses compétences.
Enfin, un sort particulier est clairement réservé, dans le deuxième alinéa de l'article unique, aux aides d'urgence qui peuvent être dispensées de la signature d'une convention, ce qui paraît logique, voire nécessaire.
C'est sur cette obligation de signer une convention fixant les actions envisagées et le montant prévisionnel des engagements financiers que je voudrais insister et conclure, car cette question a suscité un débat.
Il s'agit là, bien entendu, d'une contrainte, mais qui s'avère indispensable. Les raisons en sont multiples.
A l'heure où le code des marchés publics nous impose certaines obligations pour des sommes relativement modestes, on voit mal pourquoi les collectivités territoriales pourraient engager à l'étranger des sommes élevées sans avoir signé une convention, c'est-à-dire d'une façon tellement souple que pourrait être engagée n'importe quelle action de n'importe quel montant.
Mais l'essentiel est ailleurs. La coopération décentralisée, je vous l'ai dit, ce n'est pas pratiquer la charité ; ce n'est pas donner une somme d'argent pendant plusieurs années sans avoir défini au préalable le cadre de l'action à conduire avec les partenaires. Il importe d'informer la collectivité sur le montant des sommes allouées, sur le contrôle des dépenses annuelles effectives et sur les avenants éventuels selon l'avancement, l'accélération ou les retards du programme. Sinon, toutes les dérives sont possibles.
La coopération, c'est la concertation, l'analyse, la mise en oeuvre conjointe et suivie, ainsi que l'évaluation. Voilà pourquoi il me semble indispensable de signer une convention.
Je sais bien que de grandes collectivités sont gênées parce qu'elles disposent de beaucoup d'argent, qu'elles ont par ailleurs de nombreux partenaires et ont un rang international à tenir. Mais on ne peut pas faire n'importe quoi, et ce par respect non seulement pour sa propre assemblée, à laquelle on doit rendre compte minutieusement des sommes consacrées aux différents programmes, comme à l'évaluation de ceux-ci, mais également pour nos partenaires.
Le développement durable, c'est aussi définir ensemble les actions à engager et assurer un suivi. En effet, il ne faut jamais laisser sur le terrain les sommes votées se diluer dans un autre budget, qui peut alimenter n'importe quoi dans des pays souvent gangrenés par la corruption.
Telle est, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la position du groupe socialiste. Je me félicite de ce texte, qui, très attendu, recueille un large consensus.