Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 27 octobre 2005 à 11h00
Coopération décentralisée en matiere de solidarite internationale — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'objet de ma démarche, comme celle des Verts, est de contribuer à la transformation radicale de la politique de coopération décentralisée en France.

Cette contribution, dans le cadre de cette discussion générale, se traduit par l'élargissement de la réflexion sur la transformation de la coopération décentralisée à deux autres points essentiels : d'une part, la question de la compétence des collectivités territoriales et de leurs groupements à conclure des conventions avec des organisations internationales ; d'autre part, la question de la transformation de la politique de coopération de l'Etat français lui-même.

Cette contribution se traduit également par le dépôt d'un amendement visant à introduire la notion de durabilité dans l'intégralité du processus de coopération décentralisée.

La mondialisation nous a forcés à nous rendre compte de l'interdépendance des populations de la planète. Que les Etats le veuillent ou non, ce qui se passe dans les rues de Bogota, de Dakar ou de Pékin a des conséquences directes dans les rues de New York, de Rome ou de Paris.

A ce constat s'ajoute celui de l'émergence de systèmes de gouvernance locale légitime, presque partout dans le monde, mais surtout en Europe.

Les collectivités locales sont, aujourd'hui, des acteurs éminents dans les efforts réalisés en vue de réduire les déséquilibres et les inégalités écologiques, socioéconomiques, qui persistent et, parfois, augmentent, tant à l'échelon national que dans les rapports Nord-Sud, Sud-Est et Est-Ouest, ainsi qu'à l'échelon local dans les rapports entre le centre et la périphérie.

Le rôle des collectivité locales, en raison de leurs pouvoirs, de leurs compétences, de leurs moyens et de leur proximité avec les citoyens, est désormais reconnu par de nombreux textes et engagements internationaux : l'Agenda 21, adopté lors du sommet de la Terre de 1992, les assemblées mondiales des villes et autorités locales de 1996 et de 2001, la conférence de l'ONU et son programme « Habitat II+5 » en 2001, ainsi que le sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002.

Tous ces textes - c'est aussi le souhait des organisations internationales qui les soutiennent -, confrontés aux effets contrastés des politiques de coopération décentralisée menées jusqu'à présent par les collectivités territoriales, appellent aujourd'hui à engager ces actions dans le cadre du développement durable.

Introduire la notion de développement durable dans le régime juridique des collectivités territoriales et de leurs groupements suppose un basculement vers une autre manière d'appréhender, de mettre en oeuvre ou de contrôler la coopération.

La durabilité suppose d'assurer à tous la reconnaissance et le respect des libertés et droits fondamentaux, le respect de la dignité et de la valeur de la personne humaine ainsi que le respect de l'égalité entre hommes et femmes.

Une coopération décentralisée durable impose la construction et la promotion d'une citoyenneté à l'échelle locale, régionale, nationale et mondiale, avec des personnes devenant les acteurs directs des politiques publiques et de la solidarité.

L'objectif est de rendre reproductibles des systèmes de gouvernance locale participative, autonome et démocratique. Les fondements supplémentaires en sont la solidarité mondiale et transgénérationnelle, la justice, l'équité sociale, la viabilité économique, la responsabilité environnementale et le respect de la diversité culturelle.

Dans cette logique de durabilité, le développement s'inscrit sur le long terme. Il convient d'agir avant les catastrophes humaines et naturelles. La coopération est orientée sur ce qui permet de prévenir les effets des tsunamis, des tremblements de terre, des conflits ou, parfois, des famines provoquées.

Il faut, dans la mesure du possible, laisser l'humanitaire aux ONG et aux organisations internationales. L'envoi par avions d'eau, de tentes, de nourriture, l'envoi de médecins, elles le font depuis maintenant longtemps et elles le font le mieux possible.

Les collectivités territoriales doivent intervenir avant ou après les destructions pour construire et reconstruire. Il faut agir mieux en amont pour moins réagir en aval.

La durabilité dans la coopération décentralisée induit de facto à conditionner l'aide. Ce conditionnement dépasse le choix du partenaire et s'applique préalablement aux modalités de la conception et de la mise en oeuvre de chaque partenariat.

Les notions d'égalité, de solidarité, de précaution, de prévention, de réversibilité, de subsidiarité, de transparence ainsi que de transversalité, d'évaluation et de capitalisation doivent être présentes dans chaque projet de coopération.

Des collectivités, tel le conseil régional d'Ile-de-France, appliquent déjà ces principes de façon concrète.

A la conception de tout projet, c'est l'ensemble des enjeux du développement - en termes d'environnement, d'économie, de social, de cultures, de territoires, notamment - qui est appréhendé.

Tous les élus et services sont ainsi impliqués dans une recherche de cohérence des initiatives.

La responsabilité de chaque partenaire est clairement définie, la totalité de l'information est accessible à tous, l'évaluation est permanente et concertée.

Alors, la capitalisation permet de valoriser et de diffuser les succès du projet, qui peut ainsi être reproduit ailleurs et par d'autres.

Il convient toutefois de dire que cela ne suffit pas.

Pour des raisons évidentes, l'ONU - notamment à travers les objectifs du Millénaire - ainsi que des organisations représentant les collectivités territoriales, telle Cités et gouvernements locaux unis, demandent l'implication des collectivités dans les relations avec les organisations internationales.

Les organisations internationales sont aujourd'hui des acteurs incontournables du développement durable. Dans le monde entier, elles préparent, conseillent, financent ou réalisent des projets pensés et élaborés dans la durabilité.

La viabilité même du développement des actions de ces deux types d'entités non étatiques - organisations internationales d'un côté, collectivités territoriales de l'autre - est en danger si elles ne trouvent pas de moyens de convergence.

Pour le bien de tous, et surtout de tous ceux qui ont très peu sinon rien, ces deux sphères de la coopération ne peuvent continuer à coexister sans se rencontrer.

Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples concrets.

En 1999, une grande inondation a frappé le centre du Vietnam. Comme je l'ai dit, l'humanitaire doit demeurer de la responsabilité des organisations internationales et des ONG. Une grande région française, qui désirait précisément offrir des fonds à la Croix-Rouge Internationale, implantée sur place et immédiatement opérationnelle, n'a pu le faire parce que l'état actuel de notre droit ne le lui permettait pas.

Cette année, après la délibération de deux conseils municipaux d'une ville du centre de la France, un prisonnier politique tibétain a été parrainé. Sûrement soucieux de préserver nos rapports économiques et politiques avec la Chine, le préfet a rejeté cette décision, contestant sa légalité bien qu'aucune dépense n'ait été engagée ! L'état actuel de notre droit ne le permettait toujours pas.

Certains citoyens contestant l'intérêt local de telles actions, l'urgence d'une loi est apparue. Ainsi l'actuelle proposition de loi est-elle fondée sur l'idée de sécuriser les actions de coopération des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Enfin, c'est toute la politique de coopération de la France qu'il convient de transformer. Que se passerait-il si, par parallélisme des formes, une telle obligation était imposée à l'Etat ? Que se passerait-il si l'on étendait cette question au choix de zones de coopération prioritaire, au choix d'actions comme le développement de la francophonie, à la légitimité globale des actions financées par la COFACE, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, organisme dont, je le rappelle, les comptes ont été refusés par la Cour des comptes pour la troisième année consécutive et qui présente la particularité de gérer simultanément, pour le compte de l'Etat, l'ensemble des garanties publiques de contrats civils et militaires et d'être l'outil privilégié de la politique publique de soutien aux exportations ?

On ne peut se limiter à opposer aux collectivités locales engagées dans la solidarité internationale des critères qui sont inexistants à l'échelon de la coopération intergouvernementale. Les citoyens, attentifs à l'usage des fonds publics, verraient d'un bon oeil une plus grande transparence et une éthique soutenue au plus haut niveau des décisions.

L'action des collectivités locales françaises répare très souvent les injustices causées par l'Etat français lui-même. Mais elle ne peut se substituer indéfiniment à des politiques internationales fondées sur la promotion de technologies coûteuses et inadaptées. En outre, elle se refuse à contribuer au soutien des dictatures en place et, par là, à légitimer leurs exactions.

En l'espèce, nous considérons ce texte comme la première pierre à la préparation d'une loi sur la coopération internationale française ambitieuse et humaniste, c'est-à-dire centrée sur l'autonomie des peuples, le respect des droits humains et des droits fondamentaux.

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