Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les mobilisations populaires qui ont lieu depuis des mois des salariés du privé et du public, des chercheurs, des lycéens, des urgentistes aujourd'hui, portent une aspiration à sortir du carcan libéral. Or, le traité veut les y enfermer encore davantage.
Si les premiers articles du traité annoncent des valeurs d'égalité, de démocratie, de liberté, seul, en fait, l'article I-3, qui prône que « L'Union offre à ses citoyens [...] un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », sera développé et assorti d'obligations largement détaillées dans les trois cent vingt et un articles de la partie III, dont vous ne parlez guère !
Au moins à trois reprises, le titre III du traité affirme que la politique économique - donc, ce texte traite de politique économique ! - est conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux. Ainsi, l'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul sur ce droit.
De même, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements de capitaux, de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les mesures sociales, sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Ainsi, toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont interdites par le traité constitutionnel, sauf à ce qu'il soit révisé !
Par ailleurs, le traité ne connaît ni les services publics ni les services d'intérêt général ; il ne traite que des services d'intérêt économique général. Ce n'est pas un hasard sémantique : ces services sont concurrentiels.
Une constitution, disent les partisans du oui, n'empêche pas de mener la politique économique et sociale de son choix. Mes chers collègues, cette Constitution, unique en son genre, fixe justement dans le détail une politique ultralibérale pour l'Union et les pays membres.
Comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses et ambitieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat, de santé publique ou d'éducation ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.
Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction signifiée à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes. L'indépendance de cette dernière et sa toute puissance interdisent aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison.
Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité qui est requise pour modifier les règles fiscales.
C'est l'expérience que font nos concitoyens et les peuples européens depuis des années et que l'agenda de Lisbonne prévoit de poursuivre, sans se soucier du traité dont l'adoption est donc considérée comme acquise, ce qui n'est pas démocratique ! En revanche, cela signifie bien que le traité ne sera d'aucune gêne pour les projets de libéralisation en cours.
Aussi, comment croire ceux qui nous expliquent que la directive Bolkestein n'a rien à voir avec le traité ?
L'article III-144, inclus dans la sous-section 3 « Liberté des prestations de services », est éclairant : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. »
Les articles III-145, III-147 et III-148 précisent la libéralisation de la prestation de service, sans jamais donner une quelconque garantie en matière de salaires ou de conditions de travail.
Par ailleurs, reste à venir le projet de directive sur l'aménagement du temps de travail, au titre particulièrement évocateur : la durée du temps de travail ne doit pas excéder 48 heures en Europe, cette durée pouvant être calculée sur sept jours ou sur quatre mois. C'est ce que l'on appelle pudiquement l'annualisation et, plus franchement, la flexibilité. La directive propose de porter la période de calcul à douze mois pour amadouer les dirigeants anglais qui ne respectent même pas les 48 heures.
Le rapporteur du texte au Sénat rappelle que la Commission a fixé la durée maximale de travail sur une semaine à 65 heures. C'est ce que l'on appelle un garde-fou souple ! Même si cette disposition repose sur la base du volontariat, le rapporteur souligne qu'il s'agit d' « une régression sociale dommageable ».