La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du Sénat tout entier, je voudrais rendre hommage à la mémoire de Son Altesse Sérénissime le Prince Rainier III, qui s'est éteint ce matin après plus de cinquante-cinq ans de règne sur le « Rocher » de Monaco. (M. le président, M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Figure emblématique de la Principauté, héritier de la grande famille des Grimaldi, le Prince Rainier a beaucoup contribué au développement du rayonnement international de Monaco et à son ancrage européen, notamment grâce à sa récente adhésion au Conseil de l'Europe.
En même temps, il a toujours veillé à préserver l'autonomie d'un État si original.
Dans ce contexte, ce grand ami et voisin de la France s'est tout particulièrement attaché à l'amélioration des relations de coopération avec notre pays, lesquelles, autrefois marquées par quelques vicissitudes, sont désormais devenues excellentes.
En notre nom à tous, je veux présenter nos condoléances attristées à la population monégasque et à la famille princière, notamment à ses deux filles, Caroline et Stéphanie, ainsi qu'au prince Albert, à qui revient désormais la lourde responsabilité d'assurer la continuité de l'oeuvre entreprise par son père.
M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.
I. - Il est ajouté, après la section 4 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code de l'environnement, une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« Obligations relatives aux ouvrages
« Art. L. 214-17. I. - Aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages constituant un obstacle à la continuité écologique des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux qui sont en très bon état écologique ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire. La continuité écologique est caractérisée par un transport suffisant des sédiments et par la circulation des espèces vivantes.
« Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux est subordonné à des prescriptions permettant d'assurer le très bon état écologique des eaux ou la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée.
« II. - Les ouvrages situés sur des cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs sont gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés selon des règles définies avec l'autorité administrative.
« III. - Les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux visés aux I et II ci-dessus sont énumérés sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.
« IV. - Les obligations résultant des dispositions de cet article entrent en vigueur à la date de publication des listes prévues au III. Toutefois, l'obligation instituée au II n'est faite aux ouvrages existants régulièrement installés qu'à l'issue d'un délai de cinq ans à compter de la publication de la liste.
« Ces obligations sont alors substituées à celles résultant des classements de cours d'eau prononcés en application de l'article 2 de la loi du 16 octobre 1919 et de l'article L. 432-6 qui demeurent applicables jusqu'à cette date. Elles n'ouvrent pas droit à indemnité, à moins qu'elles ne fassent peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par ces obligations.
« Art. L. 214-18. - I. - Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite.
« Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage si celui-ci est inférieur. Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure.
« II. - Les actes d'autorisation ou de concession peuvent fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année, sous réserve que la valeur du débit minimal délivré en moyenne annuelle ne soit pas inférieure aux débits minimaux fixés en application du I.
« Lorsqu'un cours d'eau ou une section de cours d'eau est soumis à des étiages naturels exceptionnels, l'autorité administrative peut fixer, pour ces périodes d'étiage, des débits minimaux temporaires inférieurs au débit minimal prévu au I.
« III. - L'exploitant de l'ouvrage est tenu d'assurer le fonctionnement et l'entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d'eau le débit minimal défini aux alinéas précédents.
« IV. - Pour les ouvrages existants à la date de promulgation du présent article, les obligations qu'il institue sont substituées, dès le renouvellement de leur concession ou autorisation et au plus tard le 22 décembre 2013, aux obligations qui leur étaient précédemment faites. Cette substitution ne donne lieu à indemnité que dans les conditions prévues au IV de l'article L. 214-17.
« V. - Les dispositions du présent article ne sont applicables ni au Rhin ni aux parties internationales des cours d'eau partagés.
« Art. L. 214-19. - Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application de la présente section. »
II. - L'intitulé de la section 3 du chapitre II du titre III du livre IV est remplacé par l'intitulé suivant : « Obligations relatives aux plans d'eau ».
Au sein de cet article, nous en sommes parvenus à l'amendement n° 644.
L'amendement n° 644, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :
I. Dans le premier alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, avant les mots :
la vie, la circulation et la reproduction des espèces
insérer les mots :
, outre un bon état chimique et écologique des eaux,
II. Compléter le premier et le second alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du même code par les mots :
sans que ce débit puisse être inférieur au débit d'étiage de référence, ou le débit naturel si celui-ci est inférieur.
III. Compléter le III du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du même code par les mots :
, ainsi que d'adapter ces dispositifs à toutes les espèces susceptibles de fréquenter ces cours d'eau.
La parole est à M. Jean Desessard.
Cet amendement, qui s'articule en trois parties, vise à renforcer la loi afin de la mettre en conformité avec les objectifs ambitieux de bon état écologique des eaux en 2015.
Il tend, dans le paragraphe I, à ajouter une condition générale de bon état chimique et écologique des eaux pour pouvoir réaliser un barrage.
Il vise, dans le paragraphe II, à garantir la pérennité de la vie aquatique en cas d'étiage exceptionnel et à éviter que ne devienne légale la mise à sec d'un tronçon de rivière.
Enfin, dans le paragraphe III, il prévoit que les dispositifs de maintien du débit réservé devront, le cas échéant, pouvoir être adaptés durant la vie de l'ouvrage si des opérations de restauration écologique de cours d'eau permettent le retour d'espèces qui ont aujourd'hui disparu de nos cours d'eau.
Les obligations qui résulteraient de l'adoption de cet amendement seraient à l'évidence disproportionnées pour les exploitants des ouvrages hydrauliques et se traduiraient par des surcoûts importants.
En outre, elles provoqueraient des pertes de production hydraulique importantes. Contrairement à ce que vous proposez, nous sommes favorables à ce que les politiques environnementales et énergétiques se concilient au mieux.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Le paragraphe II de l'amendement n° 644 est satisfait par l'amendement n° 678 que je présenterai tout à l'heure, au nom du Gouvernement.
Par ailleurs, les autres dispositions prévues dans cet amendement sont de portée réglementaire.
Le Gouvernement souhaite donc le retrait de cet amendement. A défaut, il y sera défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 537 rectifié, présenté par Mme Durrieu, MM. Courteau et Collombat, Mmes M. André et Alquier, est ainsi libellé :
I - Dans la première phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer le mot :
dixième
par le mot :
vingtième
II - En conséquence, supprimer la deuxième phrase du même texte.
La parole est à Mme Josette Durrieu.
La fixation des débits réservés à un dixième du débit moyen annuel a déjà fait l'objet d'un débat hier. Il s'agit d'un vrai problème, monsieur le ministre, qui est d'ailleurs repris dans plusieurs amendements déposés à l'article 4 ; je pense notamment aux amendements n° 333, présenté par M. Jean-François Le Grand, n° 540, déposé par plusieurs sénateurs socialistes, et n° 197 rectifié, présenté par MM. Biwer et Béteille.
Depuis la loi pêche de 1984 et le décret correspondant du code rural, le débit réservé est fixé à un dixième du débit moyen annuel. On conserve une tolérance à un quarantième pour les ouvrages existant à la date de la parution de la loi, avec l'obligation de passer à un dixième lors du renouvellement du titre administratif.
Passer de un quarantième à un dixième, c'est sévère, monsieur le ministre ! C'est pourquoi nous proposons, dans cet amendement, de retenir le chiffre de un vingtième. Ce faisant, nous reprenons une demande largement répandue, car la fixation du débit réservé à un dixième du débit moyen provoquera - et provoque d'ailleurs déjà - des pertes de production hydroélectrique importantes qui sont d'ores et déjà estimées à plus de 4 % de la production hydraulique potentielle du pays.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire hier, mais je le répète, car c'est important, ces pertes représentent 3 milliards de kilowattheures, soit l'équivalent de la production d'hydroélectricité d'un département comme les Hautes-Pyrénées.
Ainsi que nombre de nos collègues l'ont rappelé après vous, monsieur le ministre, et après M. le rapporteur, l'énergie hydroélectrique est probablement la source d'énergie la plus propre, celle qui mérite sans doute le plus d'être valorisée. Il reste encore des sites à équiper. En tout état de cause, il faut continuer à développer cette source d'énergie plutôt que d'essayer de la limiter.
Dès lors, pourquoi s'acharner sur les microcentrales qui ont leur rôle, leur place, et qui sont rentables, à condition toutefois de prendre des mesures empreintes de prudence.
Monsieur le ministre, s'il convient en effet de réglementer la notion de débit réservé - tout en réfléchissant bien avant d'arrêter un chiffre -, il convient également d'assouplir le dispositif. D'ailleurs, vous avez vous-même évoqué la nécessité d'adapter les dispositions actuelles dans votre intervention liminaire. En revanche, dans votre réponse, votre propos était beaucoup plus lointain et moins précis.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt, lorsque vous prendrez les décrets d'application de la future loi sur l'eau et les milieux aquatiques, à distinguer les différents cours d'eau et à les classer à l'échelle des bassins et des régimes ? En outre, les actes - autorisations ou concessions - devront prendre en compte toutes ces spécificités et prévoir les adaptations nécessaires. Je ne suis pas la seule à formuler ce souhait, tout le monde pose la même question, monsieur le ministre, et nous espérons que vous nous aurez entendus.
L'amendement n° 522, présenté par M. Trémel, est ainsi libellé :
I. - Dans les deux premières phrases du second alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :
du module du cours d'eau
insérer deux fois les mots :
en aval immédiat
II. - Dans le premier alinéa du II du même texte, après les mots :
les périodes de l'année
insérer les mots :
pour satisfaire à la fois la valorisation de l'eau comme ressource économique et les besoins spécifiques des milieux aquatiques et des espèces qui peuplent le cours d'eau
III. - Dans le second alinéa du II du même texte, après le mot :
naturels
insérer le mot :
sévères
La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.
Cet amendement tire son objet des difficultés constatées, ces dernières années, dans l'application du régime réservé au dixième du module interannuel dans certains cours d'eau.
Ces difficultés font naître des conflits permanents entre les administrations et certains usagers économiques de l'eau ; je pense en particulier aux pisciculteurs en Bretagne.
L'article 4 du projet de loi ouvre des perspectives nouvelles. L'objet de cet amendement est de l'améliorer sur trois points.
La première amélioration porte sur la possibilité de restitution de l'eau en aval immédiat de l'ouvrage de prise d'eau. Cette technique, dont l'application est déjà prévue par certains arrêtés préfectoraux, serait de nature à contribuer au respect du débit réservé en période d'étiage.
La deuxième amélioration réside dans la réintégration dans le projet de loi de la notion d'eau considérée comme une ressource économique, notion d'ailleurs présente dans la version du projet de loi qui a été transmise au Conseil d'Etat.
Enfin, la troisième amélioration possible consiste à abandonner la notion d'étiage exceptionnel, qui commence à poser problème : nous risquons malheureusement de connaître d'autres étiages comparables à celui de 2003. L'amendement tend donc à préférer l'expression d'étiages « sévères ».
L'amendement n° 362 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :
au dixième du module du cours d'eau
insérer les mots :
en aval immédiat ou
La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
Le pompage ou la restitution de l'eau en aval immédiat de l'ouvrage de prise d'eau peut être considéré comme une des solutions pour respecter le débit réservé en période d'étiage, visé au second alinéa du I du texte proposé pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement. Certains préfets ont déjà adopté cette modalité technique, que l'on trouve clairement exprimée dans des arrêtés préfectoraux, notamment en Bretagne et dans les Landes.
Cependant, bien sûr, ce pompage ne devrait pas être obligatoire. En particulier, les zones de montagne, pour des raisons techniques, ne pourront y avoir recours, car la topographie des sites implique une prise d'eau assez éloignée des bassins de pisciculture, avec un dénivelé qui demanderait une forte puissance de pompage, donc un coût énergétique important, pour restituer l'eau au niveau de la prise.
Cet amendement a donc pour objet d'offrir la possibilité de remonter l'eau au pied du barrage en appliquant le débit réservé en aval immédiat de l'ouvrage et non pas au droit de celui-ci.
L'amendement n° 361 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :
selon les périodes de l'année,
insérer les mots :
pour satisfaire à la fois la valorisation de l'eau comme ressource économique et les besoins spécifiques des milieux aquatiques et des espèces qui peuplent le cours d'eau,
La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
La notion d'eau considérée comme une ressource économique apparaît comme essentielle. L'eau est d'ailleurs la première richesse pour les piscicultures, qui ne la consomment pas mais la restituent intégralement au cours d'eau. Au demeurant, cette notion figurait dans la rédaction du projet de loi soumise au Conseil d'Etat.
L'amendement n° 361 rectifié vise donc à la réintégrer dans le texte qui nous est proposé.
L'amendement n° 300 rectifié bis, présenté par MM. Vasselle, César, Texier, Mortemousque et Murat, est ainsi libellé :
Dans le second alinéa du II du texte proposé par cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, remplacer le mot :
exceptionnels
par le mot :
sévères
La parole est à M. Alain Vasselle.
Cet amendement est très proche de celui que va défendre notre collègue M. Poniatowski dans un instant.
Il faut en effet tenir compte de la situation que vit notre pays depuis quelques années, liée notamment aux changements climatiques. Nous devons être réalistes et ne pas en rester aux dispositions actuelles, que permettait le caractère exceptionnel des étiages : ceux que nous avons connus lors de l'été 2003 risquent malheureusement de se répéter et de perdre ce caractère exceptionnel.
C'est pourquoi l'amendement n° 300 rectifié bis vise à remplacer le terme « exceptionnels » par le terme « sévères ». Cette proposition me paraît de si grand bon sens que je ne vois pas en quoi la commission et le Gouvernement pourraient s'y opposer.
L'amendement n° 367 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :
Dans le second alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement :
I. - remplacer les mots :
des étiages naturels exceptionnels
par les mots :
un étiage naturel sévère
II. - remplacer les mots :
ces périodes d'étiage
par les mots :
cette période d'étiage
La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
Je soutiens d'autant plus l'amendement de mon collègue Alain Vasselle qu'il est compris dans l'amendement n° 367 rectifié, lequel cependant va plus loin.
La possibilité donnée à l'autorité administrative de diminuer la valeur des débits minimaux autorisés doit relever d'une situation véritablement exceptionnelle et être destinée à faire face à une crise. Cette mesure a donc pour vocation de ne pas être mise en oeuvre de manière chronique et programmée, comme le laisserait supposer la rédaction actuelle, qui comporte un pluriel. En effet, la réitération systématique, chaque année, d'une telle dérogation aurait sur la faune piscicole des conséquences graves, de nature à menacer durablement la vie, la circulation et la reproduction des poissons obtenues par l'application de la valeur réglementaire du débit réservé le reste de l'année.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 12 est présenté par M. Sido, au nom de la commission des affaires économiques.
L'amendement n° 321 est présenté par MM. Revol et Le Grand.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Dans la deuxième phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement, après les mots :
dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde
insérer les mots :
ou équipés d'ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d'électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie
La parole est à M. le rapporteur.
L'article L. 214-18 tend à réaffirmer que, à compter de la fin de 2013, les exploitants hydroélectriques devront laisser passer dans les cours d'eau sur lesquels se trouvent des barrages un débit minimal équivalent au dixième du module pour les rivières et au vingtième pour les cours d'eau les plus importants.
D'après les producteurs d'hydroélectricité, cette disposition pourrait avoir pour conséquence de faire perdre une production électrique, évaluée à trois milliards de kilowattheures, particulièrement utilisée pendant les périodes de pointe de consommation, sans que l'intérêt écologique d'une telle mesure soit démontré.
Au surplus, ces pertes de production devront être compensées par la création de moyens thermiques, fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Or, faut-il le rappeler, la France est en Europe le pays qui émet le moins de CO2 du fait de la production énergétique.
Il convient donc, pour assurer la sécurité du système électrique français et pour maintenir ses points forts actuels, d'atténuer le dispositif contenu dans le projet de loi, afin de garantir les capacités de production françaises.
L'amendement n° 12 tend donc à instaurer une dérogation supplémentaire aux règles de débit réservé pour les ouvrages hydroélectriques qui jouent un rôle éminent en matière de production d'énergie de pointe. Il y est prévu que soit fixé au vingtième du module le débit réservé des ouvrages qui, par leur capacité de modulation, contribuent à fournir de l'énergie pendant les pics de consommation, ouvrages dont la liste est fixée par décret pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie.
La parole est à M. Jean-François Le Grand, pour présenter l'amendement n° 321.
Je n'ai pas besoin de faire de long discours, car je rejoins totalement les propos que vient de tenir M. le rapporteur. Il est toujours agréable de constater que nous sommes « en phase » et c'est le cas, au moins, sur ce point-là !
Au demeurant, dans la mesure où cet amendement est identique à celui de la commission, je le retire au profit de ce dernier.
L'amendement n° 321 est retiré.
L'amendement n° 332, présenté par M. Le Grand, est ainsi libellé :
Compléter la deuxième phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement par les mots :
sous réserve que ces mesures ne fassent pas obstacle au développement de l'hydroélectricité comme énergie renouvelable, en application des dispositions de la directive sur les énergies renouvelables du 27 septembre 2001.
La parole est à M. Jean-François Le Grand.
Je ne répéterai pas l'exposé que j'ai déjà présenté la nuit dernière sur les raisons d'être de cette série d'amendements, qui relèvent tous de la même philosophie et participent de la réflexion qui a été menée au sein du Cercle français de l'eau, aux destinées duquel j'ai l'honneur de présider.
Nous regrettons que ne soit pas mieux défini le « bon état écologique des eaux ». Mais nous aurons l'occasion d'y revenir dans d'autres circonstances.
Madame Durrieu, comme la commission, vous souhaitez que le potentiel de production hydroélectrique français ne soit pas trop affecté par les dispositions du projet de loi. Nous partageons les mêmes intentions ; toutefois, votre proposition est peut-être un peu radicale, car vous souhaitez fixer le débit réservé au vingtième du module pour tous les ouvrages. Or vous n'avez certainement pas oublié que nous avons également l'obligation d'atteindre le bon état écologique des eaux en 2015.
Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer l'amendement n° 537 rectifié, étant entendu que l'amendement n° 12 de la commission vous apporte partiellement satisfaction, car y est prévu l'établissement d'une liste d'ouvrages qui ne passeront qu'au vingtième de module.
La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 522, car elle préfère la rédaction proposée dans les amendements n° 362 rectifié et 361 rectifié de M. Poniatowski, qui, en outre, lui paraissent devoir apporter satisfaction à M. Trémel.
La commission est favorable à l'amendement n° 362 rectifié de M. Poniatowski, car il apporte une précision qui peut s'avérer utile, même si elle souhaite obtenir quelques éclaircissements et quelques éclairages de la part du Gouvernement sur ce sujet.
Les critères que vise à introduire l'amendement n° 361 rectifié paraissent tout à fait pertinents et permettront d'établir un cadre général pour faciliter l'application de cette disposition relative à la fixation de valeurs de débit réservé différentes selon les années. La commission a donc émis un avis favorable.
Il me semble que poser dans la loi un critère d'exception pour la fixation de valeurs de débit réservé inférieures au dixième ou au vingtième de module garde toute sa pertinence et que le terme retenu dans le projet de loi est suffisamment général en même temps que précis pour être applicable.
En effet, si les étiages importants devaient devenir monnaie courante, le mot « exceptionnels » conserverait tout son sens puisqu'il caractériserait une situation différente de la normale : il y aurait translation, et le terme s'adapterait tout naturellement aux évolutions environnementales. Il me semble donc important de le conserver dans le texte de la loi.
Pour ces raisons, la commission souhaiterait le retrait de l'amendement n° 300 rectifié bis.
Elle a adopté la même position sur l'amendement n° 367 rectifié, qui est très proche du précédent.
Monsieur Le Grand, par définition, la fixation d'une valeur de débit réservé s'appliquant à une installation hydroélectrique a pour conséquence de réduire le potentiel énergétique de la centrale concernée. Ces obligations sont en effet fixées pour permettre de concilier développement de la vie aquatique et préservation du potentiel hydroélectrique français.
Même limitée aux plus gros cours d'eau, la précision que votre amendement n° 332 tend à apporter à l'article 4 du projet de loi risquerait de vider de leur sens les obligations relatives au débit réservé. Aussi vous demanderai-je, mon cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement.
L'amendement n° 537 rectifié a pour objet de fixer le débit minimal, ou débit réservé, au vingtième du module pour tous les cours d'eau, alors que le projet de loi propose de retenir le dixième. Or, en vertu de la loi de 1984, cette règle du dixième figure déjà à l'article L. 432-5 du code de l'environnement : le projet de loi qui vous est soumis ne fait que la reprendre en l'assortissant d'une date limite, qui jusqu'à présent n'était pas prévue, et ne procède nullement à un renforcement de l'objectif fixé pour les producteurs d'hydroélectricité, objectif connu depuis 1984.
Je tiens à souligner que de très nombreux ouvrages respectent déjà la valeur du dixième du module du cours d'eau. D'après toutes les études scientifiques dont nous disposons - et je réponds là également, au moins partiellement, aux arguments que M. le rapporteur a avancés à propos de l'amendement n° 12 -, ce débit réservé est à tout le moins essentiel pour assurer la vie biologique dans les cours d'eau en aval des barrages. L'objet du projet de loi étant d'atteindre et de respecter le bon état écologique des eaux, nous touchons là un aspect tout à fait fondamental.
C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 537 rectifié.
L'amendement n° 522 comporte plusieurs éléments.
La question de l'aval immédiat est également traitée par l'amendement de M. Poniatowski. J'y reviendrai donc ultérieurement.
S'agissant de l'insertion du mot « sévères », je ferai remarquer que, s'il peut y avoir des étiages sévères chaque année, auquel cas, évidemment, nous réduirons le débit réservé de façon systématique, il faut néanmoins conserver à cette mesure son caractère exceptionnel. C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 522.
J'attire votre attention sur le fait que des situations tout à fait atypiques pouvant correspondre à des étiages sévères systématiques sont prévues dans la rédaction actuelle du projet de loi, au dernier alinéa du texte proposé pour le I de l'article L. 214-18 : « Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure. » Il me semble donc inopportun de risquer d'affaiblir l'ensemble du projet de loi en insérant dans le texte le mot « sévères ». Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
L'amendement n° 362 rectifié vise à insérer les mots « en aval immédiat ». Il est vrai que la topographie, dans certains cas, permet de ramener l'eau directement au pied du barrage, le Gouvernement émet donc un avis favorable.
L'amendement n° 361 rectifié tend à préciser les conditions dans lesquelles le régime réservé peut être mis en oeuvre. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
L'amendement n° 300 rectifié bis vise à remplacer le mot « exceptionnels » par le mot « sévères ». Le Gouvernement émet un avis défavorable pour les raisons explicitées ci-dessus.
Sur l'amendement n° 367 rectifié, qui tend également entre autres à remplacer le mot « exceptionnel » par le mot « sévère », le Gouvernement émet le même avis défavorable.
J'en viens à l'amendement n° 12. Je comprends bien qu'il ne vise pas à généraliser la fixation du débit minimal au vingtième, il n'en demeure pas moins qu'il élargirait l'application de ce taux concernant certains cours d'eau ou tronçons de cours d'eau.
En tant que ministre de l'écologie et du développement durable, je suis bien évidemment chargé de la lutte contre l'effet de serre et je suis donc particulièrement sensible à la préservation du potentiel de production de pointe. Certes, les solutions de substitution sont souvent émettrices de gaz carbonique et certains ouvrages présentent un intérêt particulier de ce point de vue, mais ils sont en nombre limité.
Or l'amendement n'est pas suffisamment précis, dans la mesure où il ne vise pas certains ouvrages bien spécifiques mais des tronçons de cours d'eau. En procédant de la sorte, il sera difficile de refuser la même possibilité à l'ensemble des ouvrages situés sur lesdits tronçons.
Par ailleurs, si l'enjeu de l'effet de serre est important, il ne faut pas l'opposer à l'enjeu de la qualité écologique des cours d'eau. Il me semble que toute décision dérogatoire en la matière devrait s'appuyer sur un bilan écologique global. En passant progressivement d'un débit au dixième du module à un débit au vingtième du module, ce qui risque de se passer si cet amendement est adopté, le bon état écologique des eaux, qui est l'objectif central de ce projet de loi, s'en ressentira considérablement.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, je suis au regret d'émettre un avis défavorable.
S'agissant de l'amendement n° 332, je ferai d'abord une réflexion sur la forme. En effet, cet amendement fait référence à la directive sur les énergies renouvelables. Or, monsieur le sénateur, il n'est pas d'usage de citer une directive dans une loi, on parle plutôt de sa transposition en droit français. Vous y serez certainement sensible en tant que membre du Parlement français.
Sur le fond, cette directive évoque toutes les énergies renouvelables et pas spécifiquement les problèmes d'énergie. Il y a lieu de satisfaire également aux exigences de la directive cadre sur l'eau.
S'il me semble important de tenir compte du potentiel hydroélectrique, cette analyse doit plutôt se faire sur l'ensemble des activités existantes et cette évaluation sera plus pertinente si elle est réalisée à une échelle plus globale, dans le cadre des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, les SDAGE, et des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE. C'est notamment la raison pour laquelle il sera prévu par voie réglementaire que les SDAGE seront soumis pour avis au Conseil supérieur de l'énergie. Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.
Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé de retirer mon amendement. Je vais le faire parce que vous comprenez le sens de la démarche que je ne suis pas la seule à engager. Il convient de différencier les débits moyens annuels, parce que les régimes des cours d'eau sont différents, et fixer des débits minimaux diversifiés au cours des différentes périodes de l'année.
Les textes doivent être précis : il faut que les préfets sachent que, dans les actes administratifs qui vont être élaborés, ils sont autorisés à apporter ces correctifs.
Monsieur le rapporteur, vous avez laissé penser que cette proposition pourrait être reprise ultérieurement. Je vous transfère donc la responsabilité de la faire aboutir. Mais j'ai l'impression que vous allez avoir du mal car M. le ministre n'est pas dans les mêmes dispositions que vous et il ne répond jamais de façon précise.
L'amendement n° 537 rectifié est retiré.
Monsieur Trémel, l'amendement n° 522 est-il maintenu ?
M. Pierre-Yvon Trémel. Le fait majoritaire étant un élément essentiel en démocratie, je me rallie à l'amendement de M. Poniatowski et je retire mon amendement.
Sourires
L'amendement est adopté.
L'amendement est adopté.
J'ai dit tout à l'heure que cet amendement était un amendement de bon sens. J'ai été surpris d'entendre la commission et le Gouvernement émettre un avis défavorable. En effet, j'aurais préféré qu'ils me disent que cet amendement était satisfait dans la mesure où une phrase figurant dans le projet de loi, phrase qu'a citée M. le ministre, répond à la situation que nous voulions régler. Au demeurant, n'ayant aucune raison de le maintenir, je retire l'amendement.
L'amendement n° 300 rectifié bis est retiré.
Monsieur Poniatowski, l'amendement n° 367 rectifié est-il maintenu ?
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je me rallie à vos explications sur un point : il vaut mieux en effet garder le mot « exceptionnel ». Mais mon amendement prévoyait aussi le passage du pluriel au singulier qui accentue ce caractère exceptionnel.
Aussi, je souhaite rectifier mon amendement en ne conservant que le passage du pluriel au singulier.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 367 rectifié bis, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, et ainsi libellé :
Dans le second alinéa du II du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement :
I- remplacer les mots :
des étiages naturels exceptionnels
par les mots :
un étiage naturel exceptionnel
II- remplacer les mots :
ces périodes d'étiage
par les mots :
cette période d'étiage
Quel est l'avis de la commission ?
L'amendement est adopté.
La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote sur l'amendement n° 12.
Je suis surpris de l'avis défavorable du Gouvernement sur l'amendement n° 12.
M. le ministre essaie de se plier à un exercice difficile qui consiste à concilier la garantie d'un bon niveau de protection des eaux et la limitation des émissions de CO2 pour lutter contre l'effet de serre. Or, justement, l'amendement me semble équilibré dès lors qu'il permet au Gouvernement de garder l'initiative sur les mesures à prendre dans ce domaine puisqu'il y est précisé que la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie.
Pour ma part, je serais plutôt favorable à l'adoption de cet amendement quitte à ce que, entre les deux lectures, le Gouvernement et la commission trouvent une rédaction qui serait de nature à leur donner satisfaction
Mes chers collègues, au cours d'un déplacement que je viens de faire en Europe du Nord, j'ai rencontré un des grands spécialistes des questions climatiques qui a laissé entendre que, dans un avenir qui n'est pas si lointain, à savoir 2045, il y aurait un réchauffement climatique lié à l'émission de CO2 qui entraînerait des conséquences majeures.
Il faut donc absolument prendre les mesures adaptées à une telle évolution, pour éviter des conséquences qui s'avéreraient beaucoup plus graves que celles que nous évoquons aujourd'hui à propos de la protection de l'eau.
Nous devrons naturellement nous préoccuper de cet enjeu majeur du début du xxie siècle.
Prenons garde cependant à ne pas mettre en concurrence la lutte contre le changement climatique et la sauvegarde du bon état écologique des eaux, laquelle ne peut être sacrifiée. Il nous faut donc trouver le juste équilibre en la matière.
En définitive, la question de l'eau potable et celle du réchauffement climatique ne peuvent être mises en jeu l'une par rapport à l'autre. Certes, la France bénéficie d'un avantage considérable puisque 13 % de son électricité est d'origine hydroélectrique, ce qui constitue un niveau extrêmement élevé. Pour autant, cela ne doit pas nous conduire à remettre en cause d'autres domaines d'action.
Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que l'Etat doit tout de même garder la maîtrise de cette affaire et parvenir à un équilibre. Or l'adoption de l'amendement n° 12 constituerait à mon avis un mauvais signal adressé par le législateur : le seuil fixé dans la règle générale risquerait ainsi d'être ramené au vingtième du module plutôt qu'au dixième, alors que toutes les études scientifiques montrent justement la nécessité de fixer, a minima, le seuil au dixième du module.
Je voudrais, à mon tour, rappeler à notre collègue Alain Vasselle que les dégâts sur l'environnement ne se compensent pas : au contraire, ils se cumulent.
J'espère donc de tout coeur que notre collègue sera présent, à nos côtés, dans quelques semaines, pour éviter que le Sénat ne reproduise l'erreur qui vient d'être commise à l'Assemblée nationale. Cette dernière a en effet adopté un amendement qui aura pour effet de freiner singulièrement l'installation d'éoliennes dans notre pays.
Au moment où nous devons « muscler » l'arsenal des outils à notre disposition pour faire face au changement climatique et à l'accumulation des gaz à effet de serre, nous avons besoin de développer toutes les sources alternatives d'énergie, dont l'hydroélectricité et l'éolien. Or cela doit se faire, non pas au détriment de l'eau potable, mais en conciliant un haut niveau d'exigence et de protection des milieux, et ce dans tous les domaines.
Comme ma collègue Dominique Voynet l'a très bien dit, si les élus Verts ont choisi de défendre l'hydroélectricité, qui est à leurs yeux extrêmement importante, il est tout aussi important de préserver la vie aquatique.
Par conséquent, en l'espèce, nous soutenons la position de M. le ministre et nous voterons contre l'amendement de la commission.
Je souhaite rappeler un élément du débat qui est passé, me semble-t-il, totalement inaperçu. Personne n'a pu oublier pourtant ce qui s'est passé tout récemment, à la fin du mois de mars : la situation se serait détériorée sans nos capacités hydrauliques, qui sont mobilisables dans la seconde. En effet, c'est en secondes que les choses se passent en matière d'hydraulique : en appuyant sur un bouton, on met en marche la turbine, ce qui permet d'éviter l'effondrement du réseau.
Mes chers collègues, arrêtons de rêver ! Bien sûr, il faut protéger l'environnement. Bien sûr, il faut préserver nos rivières et leur vie aquatique. Pour autant, il faut aussi éviter les conséquences majeures que pourrait causer l'effondrement de notre réseau électrique.
Par cet amendement, nous souhaitons simplement pouvoir utiliser notre système hydraulique plus intensément dans les périodes de pointe et en cas d'urgence absolue.
Nous ne demandons pas la permission de construire de nouveaux barrages en France, ce qui serait d'ailleurs impossible, ou celle d'« inonder » notre pays de nouveaux équipements.
Notre pays est le premier producteur d'énergies renouvelables hydrauliques en Europe. Il doit pouvoir intervenir efficacement, lorsque les réseaux français et européen risquent de s'effondrer, ce qui n'arrive, heureusement, que deux ou trois fois par an. C'est tout ce que nous demandons.
M. Michel Doublet applaudit.
Monsieur Revol, le souci que vous venez d'exprimer a bien été pris en compte dans le projet de loi, plus précisément au II de l'article L. 214-18 du code de l'environnement, dont je vous donne lecture : « Les actes d'autorisations ou de concession peuvent fixer des valeurs de débit minimal différentes selon les périodes de l'année, sous réserve que la valeur du débit minimal délivré en moyenne annuelle ne soit pas inférieure aux débits minimaux », c'est-à-dire au dixième.
Ainsi, conformément à votre préoccupation, deux ou trois fois dans l'année, il sera tout à fait possible de moduler ce seuil minimum en fonction de ce qui est nécessaire, notamment en période de pointe. Ce point est très clairement inscrit dans le projet de loi.
L'amendement n° 12 a pour objet, lui, d'établir un seuil moyen fixé au vingtième du module sur l'année entière. S'il est légitime de satisfaire les besoins en période de pointe, il faut garantir un seuil minimal satisfaisant : s'il n'y avait plus d'eau, il n'y aurait plus de poissons !
L'amendement est adopté.
La parole est à M. Jean-François Le Grand, pour explication de vote sur l'amendement n° 332.
Si j'accepte de retirer mon amendement - encore que j'aurais pu le modifier ! -, je souhaite tout de même formuler une réflexion d'ordre général.
Nous avons le souci, honorable d'ailleurs, de privilégier une écriture législative qui soit élégante et conforme à nos traditions.
Cela étant, hier soir, j'ai décidé de m'abstenir sur un amendement défendu par M. Raoult pour une raison très simple : s'il est vrai que beaucoup de choses vont sans dire, bien souvent, lorsqu'on ne les dit pas, cela ouvre un champ très large à des recours judiciaires devant les tribunaux administratifs, qui viennent compliquer terriblement la vie des élus. Finalement, ces derniers sont quelque peu tétanisés devant les décisions à prendre, sous la menace constante de cette épée de Damoclès qu'est le recours devant le tribunal administratif.
Par conséquent, si les choses vont sans dire, je préfère, même si ce n'est pas très élégant, qu'elles soient spécifiées dans la loi. Cela étant, monsieur le président, je retire mon amendement.
L'amendement n° 332 est retiré.
L'amendement n° 368 rectifié, présenté par MM. Poniatowski, Beaumont, Carle, César, Doublet, Ginoux, Mortemousque et Trucy, est ainsi libellé :
Supprimer la dernière phrase du second alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 214-18 du code de l'environnement.
La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
La phrase que nous proposons de supprimer est la suivante : « Toutefois pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure. »
Mes chers collègues, la notion de « cours d'eau présentant un fonctionnement atypique » n'est pas clairement établie. Il est à craindre que cette imprécision soit à l'origine d'une remise en cause de la règle générale pour des ouvrages construits sur des cours d'eau présentant plus ou moins des caractéristiques atypiques. Ces singularités pourraient être abusivement évoquées pour justifier la non-pertinence de la fixation d'un débit minimal suivant les modalités prévues, au détriment de la faune piscicole. Vous l'aurez tous compris, cela risque en outre de se traduire par un certain nombre de contentieux délicats.
Mon cher collègue, vous craignez, légitimement d'ailleurs, que, à la suite de l'introduction, dans les dispositions relatives au débit réservé, d'une possibilité de dérogation à ces règles pour les cours d'eau atypiques, certains exploitants n'utilisent ce dispositif pour se soustraire à leurs obligations environnementales. Toutefois, je souhaite vous rassurer à cet égard.
En premier lieu, les décrets d'application devraient vraisemblablement définir de manière très précise les cours d'eau qui bénéficieront de cette dérogation. La loi doit rester suffisamment générale et ne pas caractériser l'ensemble des cours d'eau qui pourront entrer dans ce champ. M. le ministre pourra sans doute nous apporter des assurances sur ce point.
En second lieu, cette possibilité de dérogation me semble particulièrement intéressante et recouvre, en fait, des enjeux énergétiques très importants.
En effet, dans la pratique, cette disposition permettra de viser notamment le cas des cours d'eau très pentus, dans lesquels la vie aquatique ne peut se développer quel que soit le niveau du débit réservé. Je pense notamment aux pierriers sous les lacs de montagne.
Il serait absurde, pour ce genre de cours d'eau - si l'on peut d'ailleurs parler de cours d'eau - que la loi impose un débit réservé important sans qu'il y ait un effet réel sur la qualité écologique du cours d'eau. En fait, ce serait de l'eau perdue gratuitement.
Au total, si les débits réservés élevés étaient fixés sans justification environnementale, cela conduirait à des pertes de production hydroélectrique qui devraient être remplacées par des moyens de production thermiques émetteurs de gaz à effet de serre, ce qui est contradiction avec les dispositions des accords de Kyoto.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement. A défaut, elle ne pourrait émettre qu'un avis défavorable.
En fait, monsieur Poniatowski, vous êtes en train de nous demander de retirer du texte la phrase qui permet justement, comme vous l'avez admis, de répondre à la préoccupation qui a été soulevée tout à l'heure, par M. Vasselle notamment.
Vous souhaitez supprimer la notion de cours d'eau atypique, au motif qu'elle n'est pas bien définie. Or cette notion a été introduite pour les cours d'eau qui ont un fonctionnement hydraulique tout à fait particulier. Je pense par exemple aux cours d'eau karstiques, qui, situés dans des zones calcaires où il peut y avoir des failles, sont susceptibles, d'un seul coup, de perdre tout leur débit. Je pense aussi aux cours d'eau qui ne sont en fait qu'une succession de retenues se jetant les unes dans les autres.
Dans de tels cas, il faut bien comprendre que la notion même de débit minimal ne peut pas suivre les mêmes règles que celles qui sont applicables aux cours d'eau en fonctionnement hydrologique normal. Nous devons prendre en compte de telles éventualités.
C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement n° 368 rectifié est retiré.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.
L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le référendum relatif au projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat constitue une première. En effet, c'est la première fois que nous mettons en oeuvre le deuxième alinéa de l'article 11 de la Constitution, aux termes duquel le Gouvernement fait, devant chaque assemblée, une déclaration suivie d'un débat préalablement à tout référendum organisé sur sa proposition.
Permettez-moi, en cet instant, de rappeler que cette disposition constitutionnelle résulte d'un amendement d'initiative sénatoriale adopté lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995. La commission des lois du Sénat avait alors souhaité que le Parlement soit associé à la procédure référendaire, afin de permettre à chaque assemblée d'éclairer, en quelque sorte, le choix des Françaises et des Français.
Je forme le voeu que le débat qui s'ouvre au Sénat, succédant à celui qui s'est tenu hier à l'Assemblée nationale, permette de prendre pleinement la mesure des enjeux d'un référendum qui apparaît à bien des égards fondamental pour l'avenir de la France et de l'Europe.
La parole est à M. le Premier ministre, qui a tenu à être présent pour ouvrir ce débat, ce dont je le remercie.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, je suis en effet très honoré d'ouvrir un tel débat qui, ayant été prévu lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995 voulue par le Président de la République, comme vous l'avez souligné, est organisé pour la première fois aujourd'hui au Sénat, conformément aux nouvelles règles définies à l'article 11 de la Constitution pour les projets de loi faisant l'objet d'un référendum.
Alors que les Français commencent à s'investir dans la campagne référendaire, en témoignant de leur intérêt et de leur sens des responsabilités, il est normal, naturel et essentiel que la représentation nationale ait son mot à dire pour éclairer leur choix.
En participant au nécessaire travail d'explication du traité constitutionnel pour l'Europe, je constate chaque jour que les Français ont besoin de connaître l'opinion de leurs élus, notamment de leurs sénateurs et sénatrices, pour prendre possession de ce texte fondamental.
Evidemment, le référendum ne remplace pas le Parlement. Au contraire, il fait des parlementaires les missionnaires du débat démocratique permettant aux Français de s'exprimer librement.
Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, votre responsabilité est grande, car la décision qui sortira des urnes le 29 mai prochain engagera non seulement la France, mais aussi les autres pays d'Europe, dont le destin est lié au choix de la France.
Si le oui l'emporte, la France aura, une fois de plus, apporté sa contribution à la construction européenne. Si c'est le non, notre génération devra assumer devant l'Histoire une rupture avec cinquante ans d'efforts pour construire un monde plus juste et plus sûr pour chaque européen.
C'est donc une épreuve de vérité qui est proposée aux Françaises et aux Français le 29 mai prochain.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Ce référendum est le dixième référendum national de la Ve République, depuis que le général de Gaulle a tenu à faire participer les Français à la décision nationale. Il sera le troisième référendum consacré à une question européenne.
En effet, le référendum du 23 avril 1972 avait permis à nos compatriotes de se prononcer à une large majorité en faveur du passage de l'Europe des six à l'Europe des neuf. Vingt ans plus tard, le 20 septembre 1992, le référendum avait permis d'approuver le traité établissant l'Union européenne et prévoyant la mise en place de la monnaie unique, qui ne s'appelait pas encore l'euro. Cette décision est entrée dans la vie quotidienne des Français non seulement par la présence d'une monnaie nouvelle, mais aussi par l'existence d'une zone économique nouvelle.
Aujourd'hui, il ne faut pas mésestimer l'intérêt de la zone euro. Nous sommes très préoccupés par la parité euro-dollar alors que nous réalisons les deux tiers de notre commerce extérieur dans la zone euro. La parité euro-dollar ne concerne donc qu'un tiers de notre commerce extérieur. En outre, la zone euro nous protège des dévaluations compétitives, toujours très tentantes pour un certain nombre de gouvernements.
De ces deux référendums, je retiens trois leçons : il faut s'opposer à l'abstention ; il faut combattre la confusion ; enfin, il faut faire preuve de conviction.
Il faut d'abord s'opposer à l'abstention.
Le référendum est une expression directe et élevée de la souveraineté populaire. Pour cette raison, il vous incombe en tant qu'élus de la nation, il incombe aux élus locaux, il incombe aux membres du Gouvernement de rappeler aux Françaises et aux Français que leur liberté doit s'exprimer dans le vote et qu'ils doivent participer à ce référendum.
On ne peut pas à la fois dénoncer le déficit démocratique de l'Europe et se dérober au référendum sur une question qui met en jeu l'organisation démocratique de l'Europe et l'engagement européen de la France.
Il faut ensuite combattre la confusion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le redis devant vous aujourd'hui : un référendum sur l'Europe n'est pas un plébiscite, le Président de la République lui-même l'a affirmé à plusieurs reprises. Ce référendum n'est pas non plus une motion de confiance ou une motion de censure.
La réponse que nous demandons à chaque Français est une réponse libre, indépendante des considérations partisanes et des échéances électorales.
La réponse que nous demandons à chaque Française et à chaque Français s'attache à la question posée, à toute la question.
La réponse que nous demandons aux Françaises et aux Français ne vaut pas seulement pour aujourd'hui : elle engage aussi l'avenir.
Les jeunes qui sont aujourd'hui âgés de dix ou douze ans connaîtront à leur majorité la plénitude de ce traité. Il nous faudra penser à eux quand nous exprimerons notre choix le 29 mai.
Nous avons besoin d'un vrai débat.
Ce référendum est l'occasion de parler partout en France, y compris au sein de la Haute Assemblée, de l'Europe et de la France. Mais il est aussi l'occasion, pour toute une génération, d'approuver solennellement cinquante ans de construction européenne et d'ouvrir, avec ce traité, une nouvelle perspective européenne.
Pour les élus que vous êtes, ce référendum constitue un moment rare, de ceux qui donnent tout son sens à l'engagement d'une vie au service des Français et de la démocratie européenne.
Avec ce référendum, les Français vont décider de l'avenir de notre pays en Europe. Ils vont pouvoir se prononcer sur la grandeur de la France. Voulons-nous encore que notre voix porte au XXIe siècle ? Ou bien sommes-nous résignés à abdiquer petit à petit notre souveraineté économique et politique au profit de grandes puissances, anciennes ou nouvelles, qui aspirent à diriger le monde ?
A l'heure où chacun d'entre nous doit justifier de ses choix, je vous invite à porter ce débat à sa juste hauteur, celui des principes. Je vous propose de parler simplement de l'essentiel : l'avenir de la France.
Pour permettre à nos concitoyens de se prononcer en toute liberté, la campagne est organisée sur deux plans : celui de l'explication, celui de la conviction.
L'organisation de la campagne d'explication relève de la responsabilité du Gouvernement, sous l'autorité du Président de la République.
Chaque Française, chaque Français va recevoir le texte du traité établissant une Constitution pour l'Europe, ...
... ainsi que le texte du projet de loi référendaire autorisant le Président de la République à ratifier ce traité.
Ce projet est précédé, comme tout projet de loi qui vous est soumis, d'un exposé des motifs qui explique l'objet et la portée du texte sur lequel les Français sont appelés à se prononcer.
L'envoi de ces documents à chaque Française et à chaque Français se fait sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
La campagne de conviction est déjà engagée : chacun doit pouvoir librement et équitablement défendre ses convictions.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, pour la première fois, de garantir un financement public de la campagne référendaire, dont la répartition obéit à des critères objectifs.
Pour ma part, personne n'en doutera, je n'économiserai pas mes efforts pour promouvoir le oui. Le Gouvernement que j'ai l'honneur de conduire a été l'un des plus européens par ses réalisations, je suis fier de le souligner.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Ce référendum nous donne la chance de parler ouvertement de notre ambition pour l'Europe, sans tabou ni mensonge.
Je le dis devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis aussi aux Français par votre intermédiaire : c'est à nous de décider, par ce référendum, si nous voulons approfondir notre vie commune et lui donner un nouveau sens.
Il nous faudra expliquer aux Françaises et aux Français le contenu de cette Constitution européenne et les changements qu'elle prévoit.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Ainsi, ceux qui refusent ce projet de Constitution européenne votent en fait pour une organisation européenne régie selon le traité de Nice, texte dont ils sont mécontents.
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Voter non aujourd'hui, c'est voter pour conserver l'imparfait !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je vais vous exposer rapidement, mais avec conviction, les dix articles fondamentaux de ce texte, qui sont déterminants pour l'avenir des Françaises et des Français en Europe. §
L'article I-22 promeut une Europe plus politique. Depuis longtemps, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à nous battre pour l'idéal européen, pour une Europe politique capable d'assumer ses décisions.
Mais où est l'Europe politique quand l'instance politique, le Conseil européen, change de président tous les six mois ? C'est l'instabilité de la présidence qui donne de la puissance à l'administration ; c'est sa stabilité qui permettra au pouvoir politique de faire respecter ses décisions par l'administration.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
L'article I-22 dispose : « Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois. » Le président du Conseil européen, qui pourra être élu cinq ans durant, sera responsable devant les peuples d'Europe des décisions politiques. Ainsi, nous aurons, les uns et les autres, un interlocuteur pour la démocratie européenne.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
L'article I-3 construit une Europe plus sociale : l'Union oeuvre pour une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ; elle combat l'exclusion sociale et les discriminations et prône la justice et la protection sociale, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. L'Europe affiche son ambition sociale.
Pour la première fois également, l'Europe consacre le rôle des partenaires sociaux, et ce dans l'article I-48 du projet de Constitution.
Vous le savez, le Conseil européen se réunit chaque année au mois de mars. Dorénavant, le Conseil européen du printemps sera précédé par un sommet social tripartite entre le Conseil, la Commission et les partenaires sociaux. Cet article I-48 participe donc aux progrès de l'Europe sociale.
Nous souhaitons tous que l'Europe soit ouverte à la société civile, qu'elle soit « branchée » sur la vie des associations, de toutes les forces vives du pays. C'est précisément l'objet de l'article I-47, qui dispose notamment : « Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile. » Voilà une Europe qui s'ouvre enfin aux forces vives des peuples européens ! Nous en sommes satisfaits.
L'article I-43 est également très important, car il prône une Europe solidaire pour sa sécurité : « L'Union et ses Etats membres agissent conjointement dans un esprit de solidarité si un Etat membre est l'objet d'une attaque terroriste ou la victime d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine. » En d'autres termes, chacun des Etats est concerné par les malheurs qui peuvent survenir de manière naturelle ou par la faute de l'homme à l'un des Etats constituant l'Union.
Il s'agit là d'une vraie solidarité en faveur de la sécurité commune dans l'Union, élément qui, à mes yeux, est très important.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je suis tout à fait prêt à commenter les articles que je mentionne. Or ce que vous dites-là est inexact, monsieur Bret !
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe CRC.
J'en viens à l'Europe des Etats et à l'Europe des peuples, enfin réconciliées.
Depuis que nous nous intéressons, les uns et les autres, à la question européenne, nous avons pris conscience du débat qui existait entre ceux qui souhaitaient une Europe fédérale, une Europe intégrée, et les partisans d'une Europe des Etats, qui serait simplement une coordination d'Etats. Or ce débat est aujourd'hui obsolète, et il l'est précisément de par la règle de la décision à la majorité qualifiée.
En effet, pour pouvoir prendre une décision - c'est l'objet de l'article I-25 - « la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union. » Autrement dit, petits et grands Etats auront droit à la parole.
Par conséquent, nous avons bien ici affaire à la réconciliation de l'Europe des Etats avec l'Europe fédérale, c'est-à-dire, en définitive, à l'Europe des nations.
C'est là l'un des éléments essentiels du processus de décision.
...certains semblent craindre une perte de souveraineté.
Mais la souveraineté, mesdames, messieurs les sénateurs, nous pourrions la perdre si un pays, en vertu de la règle de l'unanimité, s'opposait à telle ou telle décision ! On pourrait ainsi se retrouver un jour face à un pays très respectable, tel que la Lituanie ou l'Estonie, par exemple, qui refuserait d'appliquer le taux de la TVA à 5, 5 % pour la restauration.
En d'autres termes, nous pourrions avoir à faire face à une décision concrète entraînant une perte de souveraineté si tel ou tel Etat décidait de bloquer le processus.
Désormais, on ne pourra bloquer la décision si on ne s'appuie pas non seulement sur des alliances politiques, mais aussi sur la représentation des peuples. Telle est cette nouvelle Europe, au sein de laquelle la France pourra faire valoir ses idées.
S'agissant de l'élargissement, je voudrais attirer votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'article I-57.
Le voisinage ne signifie pas automatiquement l'adhésion. A cet égard, l'article I-57 est clair : « L'Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d'établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l'Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération. »
Cela veut dire que l'Europe a les moyens de construire, avec ses voisins, des relations de coopération privilégiées, ce qui constitue, de mon point de vue, une opportunité importante. L'Europe est libre de sa décision, c'est-à-dire que le peuple français pourra choisir le moment venu, à condition que tel pays parvienne au bout des négociations, entre la relation d'adhésion et la relation de voisinage. Quoi qu'il en soit, grâce à la révision de la Constitution que vous avez votée, c'est le peuple français qui aura le dernier mot !
Je voudrais citer encore trois articles qui sont importants, car il me semble que les Françaises et les Français attendent qu'on leur parle du contenu de la Constitution européenne.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Le débat ne saurait se limiter à des slogans ou à des prises de position désinvoltes.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
L'article I-12 relatif à l'équilibre du monde prévoit que « l'Union dispose d'une compétence pour définir et mettre en oeuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune. » Il s'agit là, selon moi, d'un élément très important.
La génération de nos parents a construit l'Europe pour que la paix s'installe à l'intérieur de nos frontières, pour que l'Europe soit un espace de paix.
Notre génération doit, aujourd'hui, conforter cette Europe afin que celle-ci porte ces valeurs universelles partout sur la planète. En effet, il n'y aura de paix ni au Proche-Orient ni ailleurs si l'Europe n'est pas présente, avec ses valeurs.
Nous savons qu'un monde où ne s'exprimerait qu'une seule force, une seule puissance serait un monde de domination. Or nous avons besoin d'un monde multilatéral, d'un monde dans lequel l'Europe se donne les moyens, par la voie de la diplomatie et par une politique de défense commune, d'agir pour promouvoir ses valeurs dans l'ensemble du monde.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je voudrais maintenant insister sur le paragraphe 4 de l'article I-44, qui prévoit que « les actes adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée ne lient que les Etats membres participants ». Cet article est très important pour ceux qui sont attachés à l'existence, au sein de la grande Europe, de « petites Europes » qui veulent aller plus vite et être plus fortes dans le cadre de coopérations renforcées.
Il faut donner à la France et aux pays que préoccupent les mêmes sujets, à l'intérieur de la grande Europe, les moyens de mener la construction européenne à leur propre rythme.
Je voudrais, enfin, vous faire part, mesdames, messieurs les sénateurs, de deux idées.
En ce qui concerne les services publics, qui font débat, j'entends ici ou là, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, se manifester l'inquiétude de nombreux maires ruraux.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je vous suggère de leur lire l'article II-96 de la nouvelle Constitution européenne qui est proposée au choix des Français : « L'Union reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales »
Protestations sur les travées du groupe CRC.
, - par conséquent, tel qu'il est prévu par la législation française - « conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union. » J'insiste bien sur le mot « territoriale ». C'est une avancée très importante pour les services publics en milieu rural.
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
On oublie souvent de citer cet article II-96, qui, pourtant, est significatif des progrès accomplis par l'Union européenne !
Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. L'on ne peut pas passer son temps à applaudir !
Rires et applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'
Il s'agit d'expliquer aux Français ce que contient la Constitution et non pas de mener des combats partisans qui, souvent, sont des combats d'arrière-garde.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à affirmer avec force que cette Europe qui vous est aujourd'hui proposée à travers le traité constitutionnel est fidèle à l'humanisme français.
En effet, non seulement, dans son article I-9, « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux qui constitue la partie II », mais elle respecte également la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'humanisme français, fondé sur la grande déclaration, est donc aujourd'hui au coeur du texte européen.
Aussi les idées qui sont les nôtres, ...
...ces valeurs qui sont celles de la France d'aujourd'hui sont proposées pour devenir les valeurs de l'Europe.
Il s'agit là d'un enjeu considérable, d'un progrès inestimable. En effet, pendant des années et des années, des Françaises et des Français se sont battus pour que notre société reconnaisse des valeurs qui sont maintenant inscrites dans le projet européen, si toutefois nous décidons qu'il en soit ainsi, si nous sommes suffisamment attachés à la défense de ce patrimoine intellectuel, culturel et moral de la France. C'est la raison pour laquelle, je vous le dis comme je le pense profondément : certes, la France a besoin de l'Europe, mais, plus encore, l'Europe a besoin d'un oui de la France !
Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'on ne peut que se féliciter de la tenue de ce débat aujourd'hui. Comme cela a été dit, le mérite en revient à notre commission des lois, qui, lors de la réforme constitutionnelle de 1995, avait pris l'initiative d'inscrire le principe d'un débat parlementaire préalable à une consultation référendaire.
Dix ans plus tard, c'est sur un sujet européen majeur, et qui va engager notre avenir collectif, que cette disposition est mise en oeuvre pour la première fois.
Si, sur un tel sujet, le choix du référendum est, en effet, parfaitement légitime, le débat parlementaire n'en est pas moins nécessaire.
Le référendum proposé par M. le Président de la République est légitime en ce que son résultat engagera la France et les Français sur une nouvelle étape de leur destin européen. C'est donc à chacun de nos compatriotes, à chacun d'entre nous, qu'il revient de se prononcer en connaissance de cause.
Cela étant, le débat n'en est pas moins nécessaire pour au moins deux raisons : tout d'abord, parce que c'est au Parlement que la plupart des traités européens - que le traité constitutionnel rassemble et clarifie - ont été débattus et votés ; ensuite, parce que l'un des aspects majeurs de ce traité est précisément l'influence accrue des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union, il est donc naturel que celui de la France en débatte.
On a coutume de dire que l'Europe relève de moins en moins des affaires étrangères. Son fonctionnement et sa législation concernent en effet de plus en plus chacune de nos commissions permanentes, ainsi, bien évidemment, que notre délégation pour l'Union européenne, qui en rassemble les représentants.
Mais si l'Europe relève de moins en moins des seules relations internationales, ces dernières ont, quant à elles, de plus en plus besoin de l'Europe, d'une Europe forte, cohérente, crédible et efficace.
En quoi le traité constitutionnel donne-t-il à l'Union européenne les moyens de mieux s'affirmer sur la scène internationale ?
J'évoquerai donc les principales avancées que permet la Constitution pour ce qui relève de la politique étrangère et de sécurité commune et, en particulier, la politique de sécurité et de défense communes.
Dans ces deux domaines, le traité propose des progrès importants, dont certains traduisent d'ailleurs, en droit, la dynamique remarquable qu'a connue dans les faits la défense européenne depuis cinq ans.
En matière de politique étrangère, tout d'abord, de quoi avons-nous besoin, sinon d'une Europe politiquement active et opérationnelle sur les grands dossiers internationaux ?
A cet égard, la création d'une présidence stable de l'Union et celle d'un ministre européen des affaires étrangères représentent deux innovations capitales.
Président du conseil Affaires étrangères et vice-président de la Commission, assisté d'un service diplomatique étoffé rassemblant des fonctionnaires du conseil, de la Commission et des Etats membres, ce ministre aura la responsabilité de coordonner et de mettre en oeuvre l'ensemble des relations internationales de l'Union, qu'elles relèvent de la diplomatie, du développement, de l'action humanitaire ou de la défense.
Le traité apporte donc une réponse sérieuse à la question du « qui fait quoi pour mieux affirmer l'Europe dans le monde ? ».
Certes, la règle de l'unanimité continuera de régir, pour l'essentiel, les orientations et les actions diplomatiques de l'Union.
Cette règle est souvent perçue comme un facteur de blocage, mais j'ai la conviction que, dans le domaine diplomatique, elle ne sera pas forcément un frein à une politique étrangère européenne efficace. J'en veux pour preuve les consensus auxquels les Européens ont abouti sur bien des sujets majeurs ; je pense à la question iranienne, à la lutte contre les armes de destruction massive et le terrorisme, à l'approche, commune depuis déjà longtemps, du dossier israélo-palestinien, ou encore à l'unité d'action maintenue lors de la crise politique ukrainienne de l'automne dernier.
Tout est affaire de volonté politique. Il est vrai que celle-ci ne se décrète pas, mais, pour peu que cette volonté continue de s'affirmer, la Constitution lui permettra demain de se traduire beaucoup plus efficacement sur les grands dossiers internationaux.
Comme la diplomatie, la défense commune est un enjeu central sur lequel le traité innove en plusieurs points.
Tout d'abord, tous les états membres sont concernés par l'introduction de deux clauses nouvelles : la clause de solidarité, en cas notamment d'attaque terroriste, et la clause de défense mutuelle, en cas d'agression armée sur le territoire d'un pays membre.
Sur ce point, les partisans du non font souvent un mauvais procès. Ils arguent du rôle prétendument exorbitant et prééminent que le traité reconnaîtrait à l'OTAN, ...
...vous venez d'en parler, monsieur le Premier ministre.
Or avec un minimum de bonne foi on voit que, sur ce point précis, le texte n'ajoute ni n'enlève rien par rapport à ce qui existe. Le paragraphe 7 de l'article 41 du traité constitutionnel ne porte rien d'autre, dans une rédaction différente, que ce qui figure déjà au deuxième alinéa de l'article 17 du traité sur l'Union européenne.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la « défense collective » des Etats membres de l'Union et de l'OTAN, c'est-à-dire de la solidarité des alliés en cas d'agression militaire classique sur le territoire de l'un d'entre eux. Ce principe de solidarité est prévu à l'article 5 du traité de Washington du 4 avril 1949 portant création de l'Alliance atlantique, traité que la France a signé en 1949 et qu'elle n'a jamais remis en cause. L'article 41 du traité constitutionnel n'évoque que cela et rien d'autre.
L'action de l'OTAN s'exerce bien plus aujourd'hui dans la gestion des crises, en Europe et ailleurs, que dans la défense collective. On le voit bien à travers les opérations auxquelles la France participe activement, comme en Afghanistan et au Kosovo, où elle va d'ailleurs jusqu'à prendre le commandement de ces opérations internationales extérieures.
Enfin, innovation majeure dans le domaine de la défense, le traité ouvre la possibilité pour un groupe d'états d'établir entre eux une coopération structurée permanente pour atteindre des objectifs ambitieux de capacités militaires.
Cette nouvelle forme de coopération renforcée permettra de combler les lacunes constatées. Elle donnera à l'Union la possibilité de répondre en tant que telle, de façon réactive et efficace, aux besoins de gestion des crises exprimés, par exemple, par le Conseil de sécurité des Nations unies.
La coopération, dans le cadre de la nouvelle agence européenne de défense, permettra d'aller plus loin dans la voie de l'harmonisation des besoins opérationnels, de poursuivre le lancement de programmes de recherche et d'acquisition communs et de mettre en place un marché européen des équipements militaires pour une réelle autonomie industrielle.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle serait l'image de la France dans le monde si le traité venait à être rejeté ? Qu'adviendrait-il de la volonté de la France de faire de l'Europe un acteur crédible sur la scène internationale ?
Que pourrions-nous dire à tous ceux qui, en Europe et au-delà, ont toujours soutenu la France dans son ambition de mettre l'Europe en situation d'établir un dialogue plus équilibré avec les Etats-Unis sur les relations internationales ?
Quelle victoire ce serait pour ceux qui, depuis toujours, contestent à l'Europe le rôle qu'elle entend tenir dans la solution des problèmes du monde si notre pays, qui a toujours été le moteur de cette ambition pour l'Europe, venait à se marginaliser de lui-même !
Plus généralement, ce qui sera fondamentalement en cause le 29 mai, c'est notre avenir collectif dans l'Europe.
Oui, ce texte met un terme de la meilleure manière possible à la dialectique élargissement-approfondissement, qui n'a cessé d'alimenter le débat européen depuis le traité d'Amsterdam.
L'élection d'une présidence stable, la simplification législative, l'amélioration du processus de décision, le renforcement du contrôle des élus nationaux et européens, la garantie des droits fondamentaux partagés sont autant d'innovations du traité qui composent une réforme de bon sens et de progrès, pour donner sa chance à l'Europe et pour donner leur chance à la France et aux Français dans l'Europe.
C'est sur cet enjeu, non sur les rancoeurs d'un jour ou les rancunes passées, qu'il nous faut convaincre les Français de se prononcer favorablement, en votant « oui » à ce traité constitutionnel.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, il faut toujours revenir à l'essentiel, à la question précise, à la question à laquelle, le 29 mai, les Françaises et les Français devront répondre par oui ou par non : « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe ? ».
C'est à cette question et à elle seule qu'il faut répondre. Il n'y aura qu'un seul tour, sans « session de rattrapage ».
Il faut dire aux Français que le traité constitutionnel a ceci de nouveau et d'original qu'il n'a pas été préparé par des gouvernements. Il a été élaboré dans une enceinte, la Convention, où les représentants des gouvernements étaient certes présents et actifs, mais très minoritaires. La grande majorité de la Convention était composée de représentants des parlements - parlements nationaux et Parlement européen - et ces représentants ont joué un rôle décisif au moment du compromis final.
La Conférence intergouvernementale qui a suivi a repris pour l'essentiel les résultats des travaux de la Convention. Elle ne les a pas « détricotés ».
La Constitution européenne n'est donc pas issue de tractations à huis clos entre gouvernements : c'est d'abord l'expression de la démocratie parlementaire européenne.
La Constitution - faut-il le répéter ? - n'est ni de droite, ni de gauche. M. Michel Barnier le sait bien, la Convention, qui statuait par consensus, était partagée à peu près pour moitié entre gauche et droite. La Conférence intergouvernementale, qui s'est prononcée à l'unanimité, comprenait des gouvernements de gauche comme des gouvernements de droite. Le nouveau traité, en réalité, traduit la communauté de vues de vingt-cinq pays.
C'est pourquoi la position de ceux qui se réclament d'un non qui serait pro-européen me laisse perplexe. Etre pour le non quand on est souverainiste est une attitude cohérente et naturelle. Etre pour le non tout en se réclamant de la construction européenne me paraît une fuite hors de la réalité.
L'Europe, ce n'est pas la France en plus grand. C'est un ensemble de vingt-cinq pays, bientôt davantage, qui ont chacun leur histoire, leur vie politique, leur situation économique, leurs problèmes prioritaires. Etre européen, c'est accepter que la France soit une des composantes de cet ensemble dans lequel, autant que nous, les autres ont le droit de défendre leurs intérêts et leurs visions des choses.
La Constitution européenne, résultat d'un patient travail d'élaboration de plus de deux ans, est l'expression de la volonté partagée des vingt-cinq pays membres.
Voudrait-on repartir de zéro que l'on arriverait, au mieux, à un résultat inférieur, sinon à un échec. Croire que dire non permettrait l'adoption d'un texte allant plus loin dans la voie de l'intégration, c'est tout simplement une vue de l'esprit.
Soyons clair : si le non l'emporte, nous en resterons pour longtemps au traité de Nice. Tout le reste n'est qu'un rideau de fumée.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Or la Constitution est un vrai progrès par rapport au traité de Nice, M. le Premier ministre en a fait la démonstration.
Il faut rappeler que, si l'Europe s'est engagée dans un processus constitutionnel, c'est justement parce que le traité de Nice avait laissé un sentiment d'insatisfaction et de malaise. C'est même à Nice que l'on a décidé d'instituer la Convention.
Le traité de Nice a certes été une grande étape de la construction européenne,
Approbation sur les travées du groupe socialiste.
parce qu'il a permis l'élargissement de l'Union à dix nouveaux membres. C'était la division de l'Europe enfin surmontée. C'était la réparation de Yalta.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
On sentait bien, cependant, que les changements limités qu'apportait le traité de Nice n'étaient pas à la hauteur d'une telle évolution. La construction européenne avait besoin d'un acte refondateur ; c'est pourquoi le processus constitutionnel a été lancé.
La Convention a commencé ses travaux. Pendant plus de deux mois, un grand débat s'est tenu sur le sens du projet européen, sur ce que les citoyens attendaient de l'Europe. Quelle Europe voulons-nous ? Quelle Europe ne voulons-nous pas ?
Des lignes de force sont apparues.
La première était un refus : le refus d'une Europe centralisée et uniformisatrice. La devise qui a été retenue, « Unie dans la diversité », exprime bien ce choix : les Européens ne suppriment pas leur diversité, ils la considèrent au contraire comme un patrimoine commun.
C'est pourquoi l'article 5 garantit le respect des identités nationales de manière beaucoup plus précise et complète que ne le faisaient jusqu'à présent les traités.
C'est pourquoi, de plus, l'article 11 met en place un nouveau mécanisme de garantie du principe de subsidiarité, mécanisme qui donne pour la première fois un rôle aux parlements nationaux dans le processus de décision européen.
Une deuxième ligne de force était le refus de toute régression sociale. Contrairement à ce qu'on entend dire ici et là, le traité constitutionnel contient dans ce domaine plus de garanties qu'aucun des textes qui l'ont précédé.
Les objectifs de l'Union comprennent désormais la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, la justice sociale, la solidarité entre les générations, la protection des droits de l'enfant. Pour la première fois, une clause sociale générale est applicable à toutes les politiques de l'Union.
Pour la première fois, le rôle des partenaires sociaux est reconnu à l'échelon européen.
Enfin, je rappelle que les droits sociaux reconnus par la Charte des droits fondamentaux reçoivent désormais une garantie constitutionnelle. Or les partisans du non ne parlent jamais de la Charte, ou très rarement.
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Les droits sociaux qui se trouvent ainsi garantis sont nombreux et importants. Je ne citerai pas les dix articles qui concernent ces droits sociaux, mais sont affirmés : le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise, la protection en cas de licenciement injustifié, le droit de négociations et d'actions collectives, le droit à des conditions de travail justes et équitables ou encore le droit à la sécurité sociale et à l'aide sociale.
On entend dire parfois qu'il faudrait un « traité social » pour l'Europe. En réalité, ce traité social existe déjà : c'est le traité constitutionnel.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.
A côté de ces deux refus - refus de la centralisation et refus de la régression sociale -, les débats de la Convention ont fait ressortir des attentes positives, une demande d'Europe dans certains domaines et le souhait d'un meilleur fonctionnement de l'Union.
Ces attentes concernaient d'abord l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale, l'idée d'une « Europe- puissance », autrement dit, selon le mot du général de Gaulle, une Europe qui « ait sa propre politique ».
Pour répondre à cette attente, la Constitution prévoit, répétons-le, des changements de grande ampleur, tels qu'une présidence stable pour le Conseil européen, un ministre des affaires étrangères pour l'Union, doté de son propre service diplomatique, l'attribution à l'Union de la personnalité juridique, une clause de défense mutuelle, comme l'a rappelé M. Vinçon, une clause de solidarité antiterroriste entre Etats membres, le lancement d'une « coopération structurée » en matière de défense, afin d'améliorer les capacités militaires pouvant être mises en commun.
Les débats ont également fait apparaître une autre attente forte : il faut se donner les moyens de lutter contre la délinquance transnationale.
Là encore, la Constitution permet des avancées significatives : le conseil des ministres, actuellement paralysé par la règle de l'unanimité, statuera désormais presque toujours à la majorité qualifiée ; les pouvoirs d'Europol et d'Eurojust seront renforcés ; un système commun de gestion des frontières extérieures sera mis en place.
Mais une des demandes les plus insistantes au sein de la Convention était celle d'institutions à la fois plus légitimes et plus efficaces, qui permettraient d'éviter que l'élargissement n'affaiblisse la capacité de décision de l'Union.
La Constitution nous apporte enfin des réponses à la mesure du problème : une Commission européenne resserrée, un nouveau système de vote au sein du Conseil, fondé sur une double majorité des Etats et des populations, un pouvoir de codécision pratiquement généralisé pour le Parlement européen.
On voit bien, dans ces différents exemples, comment la Convention, puis la Conférence intergouvernementale ont travaillé. Elles ont pris pour point de départ les attentes communes des citoyens européens, les demandes qu'ils exprimaient, et elles ont construit des réponses, sans hésiter à bousculer les habitudes diplomatiques de l'Europe.
Les citoyens français peuvent, je crois, pleinement se reconnaître dans ces réponses. Ils peuvent s'y reconnaître comme citoyens européens, partageant de nombreuses préoccupations avec les citoyens des autres pays membres. Mais ils peuvent aussi s'y reconnaître comme citoyens français, car le traité constitutionnel fait une grande place aux thèses françaises, bien plus que les traités d'Amsterdam ou de Nice, par exemple.
Nos gouvernements successifs n'ont cessé de dire que l'élargissement appelait l'approfondissement ; c'est précisément cet équilibre que rétablit la Constitution. Ils n'ont cessé de militer pour une Europe politique et sociale ; avec la Constitution, nous en jetons les bases. Nos gouvernements successifs ont plaidé pour une gouvernance économique propre à la zone euro, pour une meilleure garantie des services publics, pour la reconnaissance de la notion de cohésion territoriale, pour le maintien de l'exception culturelle ; tout cela figure en bonne et due forme dans le traité constitutionnel.
Nous sommes face à un véritable paradoxe : voilà un traité qui, indiscutablement, fait progresser l'Europe et, en même temps, fait droit aux demandes françaises dans une proportion inespérée. Et pourtant, les sondages nous montrent que nos concitoyens sont sur la réserve, inquiets, tentés par un vote négatif, alors que, dans leur immense majorité, les Françaises et les Français sont attachés à la construction européenne.
D'où vient ce paradoxe ? Pourquoi les citoyens ont-ils du mal à se projeter dans les enjeux européens ?
Au risque de me répéter, je dirai que nous n'avons pas su adapter notre vie politique française à l'Europe.
L'Europe, ce n'est pas seulement notre avenir, c'est déjà notre présent, lequel est en réalité pétri d'Europe. Toutefois, nos discours et notre vie politique n'ont cessé de maintenir les questions européennes à la marge, et cela depuis des dizaines d'années ! Jamais la portée de nos engagements européens n'a été vraiment expliquée. Si l'on se met à l'écoute des électeurs, on constate que les passages de la Constitution qui les inquiètent sont souvent la reprise de dispositions en vigueur depuis bien longtemps.
La primauté du droit communautaire, les principes de libre concurrence ou de libre prestation de services ne sont pas des nouveautés ; ce sont des réalités européennes, et cela depuis, parfois, des décennies ! Au lieu d'y voir des données de base et d'essayer d'en tirer le meilleur profit, il est vrai que nous avons, tous ensemble, préféré en minimiser la portée.
Les doutes de l'opinion publique sont finalement un révélateur des carences de notre vie politique, carences dans lesquelles nous avons tous une part de responsabilité. C'est pourquoi il ne faudrait surtout pas que, au soir du 29 mai, après le « oui », que je souhaite de tout mon coeur, le grand « ouf ! » de soulagement suivi de « on a eu chaud ! », nous en revenions à nos vieilles habitudes et qu'il ne se passe plus rien.
Au contraire, nous devrons tirer toutes les leçons de ces difficultés, de ces avertissements, et cela à l'échelon du Gouvernement, du Parlement. Monsieur le Premier ministre, c'est un aspect central de la réforme de l'Etat.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat référendaire est l'occasion d'engager ce changement, de parler pour une fois de l'Europe et seulement de l'Europe. Car c'est bien de l'Europe qu'il s'agit, de la France en Europe, c'est-à-dire de notre avenir !
Permettez-moi simplement d'ajouter ceci : à l'avenir, ne remisons pas l'Europe au vestiaire de nos débats, de nos ambitions, de nos politiques, de l'organisation de l'Etat. Faisons en sorte que l'Europe soit, enfin, au coeur de la France, des Françaises et des Français ! C'est, je crois, l'un des grands engagements que nous devons prendre.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 61 minutes ;
Groupe socialiste, 40 minutes ;
Groupe UC-UDF, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes ;
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Bel.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, chers collègues, après le Congrès de Versailles, nous voici à nouveau réunis pour débattre du traité constitutionnel et, par conséquent, de l'avenir de l'Europe.
J'ai, moi aussi, le sentiment qu'à cette occasion la France va engager une part de son destin. J'ai ce sentiment, car j'ai à l'esprit ce que disait François Mitterrand : « Depuis la fin de la guerre, j'ai adopté tous les textes européens. Je me serais renié si j'avais abandonné en cours de route ». Dans le même temps, comment ne pas comprendre l'exigence absolue des Français dans cette période : ils veulent être respectés, ils veulent donc être consultés et savoir de quoi on leur parle.
Le parti socialiste est le seul parti en France à avoir questionné tous ses adhérents. Le 1er décembre 2004, avec une participation très importante - de 83 % -, 60 % des militants ont dit qu'ils approuvaient le traité constitutionnel. Ce choix, mûrement réfléchi, a conduit les socialistes à s'inscrire dans la tradition historique du socialisme européen. Comme le disait Léon Blum : « L'instauration d'une Europe unie - unie économiquement, politiquement, socialement - est dans la tradition du socialisme international ».
Pour ceux qui sont attachés à cette histoire, on peut souhaiter que les Français parviennent à répondre à la seule question qui leur est posée et qui porte sur la ratification du traité constitutionnel.
On le sent bien, l'erreur historique consisterait à jeter le bébé avec l'eau du bain, ...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. En gardant le bain !
Sourires
... à rejeter en bloc le gouvernement Raffarin avec la question posée.
Le contexte français actuel, marqué par la gestion politique que l'on connaît des enjeux économiques et sociaux de notre pays, n'est pas favorable à l'approbation de ce traité. Mais, c'est dans ma nature, je veux rester optimiste, ...
... car je sais que, spontanément, les Français sont portés, en grande majorité, par l'espérance européenne et par l'idéal de réconciliation entre tous les peuples d'Europe. A deux mois du référendum, j'ai tendance à penser que la nature passionnée des débats est, dans le fond, de bon augure.
En effet, paradoxalement, en organisant ce référendum, qui réveille toutes les passions, et parfois les plus improbables, on aura au moins contribué à rapprocher les Français de l'Europe : c'est déjà ça.
Alors que nous débattons à la télévision, dans la presse, à la radio, des avancées de ce traité, l'espace public européen est en train de naître sous nos yeux ; c'est déjà une première victoire.
Nous qui sommes les représentants du peuple français, nous savons que la construction de l'Europe ne sera possible que par l'adhésion réelle des citoyens eux-mêmes. Mais, à l'heure où nous parlons, tous les Français ne connaissent pas le traité constitutionnel, loin s'en faut.
Lorsque les Français auront le traité constitutionnel en main, ils pourront sans doute faire la part des vérités, des approximations et des caricatures.
C'est pourquoi il nous appartient, à nous les responsables politiques, d'en expliquer le sens, afin de conduire un débat citoyen qui soit digne et à la hauteur des enjeux.
J'ai entendu dire, comme vous : « Il est urgent de faire de l'Europe une affaire populaire, pas seulement réservée aux politiques et aux techniciens. L'épreuve montre que c'est difficile si l'on ne s'explique pas suffisamment ». Je lance donc un appel à la pédagogie.
Je lance un appel à la pédagogie, car j'ai l'intime conviction qu'une lecture attentive de ce texte nous épargnera les amalgames et les contrevérités. Je veux tenter ici de vous expliquer pourquoi.
Les Français s'interrogent sur ce qui fait l'essentiel de l'Europe, c'est-à-dire sur l'apport de la construction européenne pour notre pays. Au fond, cette question fondamentale revient à s'interroger sur la raison d'être de l'Europe ; elle est légitime. Pourquoi cette grande et belle bataille politique sur un sujet majeur ne mériterait-elle pas que l'on s'engage, et même que l'on se batte pour elle ? Cette bataille est cruciale, car elle relève de l'idée que l'on se fait de la France et de la place de la France dans l'Europe.
S'exprimant récemment, François Hollande - pardonnez-moi de le citer - revenait sur notre histoire : « Cette construction européenne, Jaurès l'avait rêvée, avant de tomber sous les balles de ceux qui voulaient l'empêcher de prévenir la Première Guerre mondiale. Léon Blum en avait eu l'intuition au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, parce qu'il savait bien que, pour préserver la paix, il fallait changer les règles du droit national et faire enfin l'Europe. Et François Mitterrand, enfin, en a eu la volonté. Le rêve, l'intuition et la volonté... »
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Léon Blum évoquait déjà la nécessité pour la France de participer à la construction de l'Europe pour l'édification d'une communauté universelle. A cette époque, les chefs d'Etat qui s'étaient réunis au Congrès de La Haye, sous la présidence de Churchill, n'avaient en tête qu'un seul objectif : déclencher le processus de construction européenne pour que s'ouvre enfin une ère de paix, de stabilité et de prospérité dans une Europe meurtrie par deux guerres mondiales en l'espace de quelques décennies.
Ce qui est remarquable depuis ce temps-là, c'est que, en dépit de quelques incidents de parcours - le rejet de la Communauté européenne de défense, la politique de la chaise vide de la France, etc. -, la politique française est marquée par une extraordinaire continuité. Cette idée de continuité dans la construction européenne l'a toujours emporté sur toute autre considération. C'est peut-être ce qui a fait dire à François Mitterrand : « Je crois à la nécessité historique de l'Europe ». C'est peut-être aussi ce qui justifie que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, François Mitterrand ait adopté tous les textes européens.
Cette nécessité historique a été intériorisée par les membres fondateurs de l'Europe. Elle a marqué de son sceau l'extraordinaire aventure de la construction européenne, au point que le destin de la France et celui de l'Europe sont indissolublement liés.
La France a marqué l'histoire de l'Europe ; elle a profité, elle profite encore aujourd'hui, de l'ouverture des frontières européennes pour se développer considérablement, développer ses régions, pour devenir puis rester l'une des cinq grandes puissances économiques du monde. La France a été partie prenante de tous les grands projets de l'Union, jusqu'à la monnaie unique. Bref, la France est au coeur de l'Europe, et l'Europe attend la réponse de la France.
L'Europe que nous voulons doit être une Europe forte, capable de peser sur la scène internationale et dans le mouvement planétaire.
L'Europe que nous voulons est, vous n'en serez pas étonnés, une Europe de gauche.
François Mitterrand - j'y reviens - n'envisageait d'Europe que sociale, même s'il avait conscience que, pour faire ses premiers pas, l'Europe ne pouvait ignorer le cadre économique. Visionnaire, le président de la République d'alors envisageait l'Europe à travers le prisme de son rôle social : « N'est-ce pas une oeuvre exaltante, passionnante que de donner un contenu social à l'Europe ? N'est ce pas le travail des mois et des années prochains ? Je regarderai, de l'extérieur, à ce moment-là, les avancées sociales et je me réjouirai chaque fois que je verrai ensemble des représentants européens s'associer au-delà de leurs divisions naturelles et de leurs opinions diverses pour que l'Europe à construire ne soit pas qu'un jeu de mécano, mais soit l'oeuvre puissante d'hommes qui construisent leur histoire. »
Ce que François Mitterrand nous a légué en héritage, c'est ce désir d'Europe sociale ; or la satisfaction de ce désir ne peut passer que par l'édification d'une Europe politique forte, surtout quand elle compte non plus douze, mais vingt-cinq Etats membres.
En cette période européenne mouvementée, l'Europe doit prendre, dans le coeur des Français, un nouveau départ. J'ai la profonde conviction qu'il n'y aura pas de nouveau départ si l'Europe néglige ou craint de se doter d'un projet politique. Or, aujourd'hui, il n'y a pas vraiment de projet politique en Europe.
Comme le disait François Hollande, « cette Europe est sans doute trop anonyme dans ses décisions, trop imparfaite dans ses règles, trop lointaine ». Or, pour la première fois, avec ce traité constitutionnel, l'Europe se donne les moyens d'incarner une vision, un projet politique.
Le traité constitutionnel prévoit des objectifs et des principes qu'il définit comme un socle de valeurs communes : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité. [...] Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. » Le texte de l'article I-2 parle de lui-même !
L'affermissement de l'Europe politique passe par la reconnaissance officielle de ces valeurs communes : elles nous donnent une identité politique fondatrice. Mais cette identité ne serait rien sans relais institutionnels solides. Or, pour la première fois dans l'histoire de la construction européenne, cette Europe du traité constitutionnel dispose de leviers politiques majeurs, qui peuvent nous permettre, à la faveur d'un changement de majorité politique, de mettre en oeuvre des politiques publiques européennes différentes.
Par exemple, il crée le poste de président du Conseil européen, dont le titulaire, aux yeux des citoyens, incarnera l'Europe et pourra parler en son nom.
Ce traité étend aussi les domaines dans lesquels le Conseil européen se prononcera à la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité, ce qui réduira la possibilité, pour un Etat ou un groupe d'Etats, de bloquer une décision européenne.
Les traités précédents, sous-tendus par un objectif de rapprochement économique communautaire, ne nous permettaient pas de mettre en oeuvre de telles exigences. En effet, l'Europe économique, nous le savons, a débuté à Rome ; elle est passée par Maastricht, et s'est arrêtée à Bruxelles, où fut signé ce traité constitutionnel. Plus qu'un arrêt, c'est une étape, et une étape décisive dans l'édification de l'Europe politique.
Ce traité européen donne en effet un premier contenu à l'Europe sociale, car aujourd'hui celle-ci a au moins fait l'objet d'une reconnaissance officielle : le plein emploi et l'économie sociale de marché ont été désignés comme les objectifs de l'Union, et l'on sait combien les préambules constitutionnels ont une valeur politique qui dépasse celle d'une simple déclaration d'intention.
Les Français reprochent souvent à l'Europe son manque de représentativité démocratique. Nous savons que l'Europe souffre d'une trop grande complexité institutionnelle qui la rend peu lisible pour nos concitoyens. Ils ont le sentiment qu'elle s'éloigne d'eux à mesure qu'elle s'élargit.
Il était donc urgent de répondre à cette attente. Faisons avancer l'Europe pour faire avancer la démocratie : avec ce traité constitutionnel, un pas dans la bonne direction est fait.
En effet, le traité constitutionnel accroît l'emprise du citoyen sur l'Europe en renforçant le contrôle des citoyens sur l'Union. Ainsi, la législation européenne sera soumise à l'examen des parlements nationaux, qui pourront vérifier si les propositions de la Commission s'inscrivent bien dans son domaine de compétence exclusive. Le choix du président de la Commission sera soumis au Parlement européen, qui pourra le révoquer.
Le traité constitutionnel rapproche l'Europe de ses citoyens en leur donnant un droit d'initiative en matière législative : si un million d'Européens le demandent, la Commission pourra déposer un projet de directive allant dans le sens souhaité par eux.
En outre, il renforce et protège les droits des citoyens. L'incorporation de la Charte des droits fondamentaux aura pour effet de permettre aux citoyens de saisir la Cour de justice européenne en cas de violation de cette dernière.
Puisque la question a été posée, il faut redire que le traité ne porte pas atteinte au principe français de laïcité.
J'ajouterai, pour calmer les craintes attisées par certains, que l'article I-52 instaure un « dialogue » avec les Eglises qui ne constitue nullement une remise en cause de la laïcité, comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 novembre 2004. De toute façon, les principes de la Charte ne peuvent être mis en oeuvre que dans les domaines de compétence de l'Union. La laïcité au sein de l'école n'est donc pas concernée.
Enfin, la méthode d'adoption même de ce traité doit être saluée pour son caractère démocratique. On ne peut reprocher à ce texte d'avoir été adopté « en catimini » : il l'a été dans des conditions de transparence inédites dans l'histoire de la construction européenne.
La méthode conventionnelle est inspirée des méthodes de la démocratie directe, que n'auraient peut-être pas reniées les pères fondateurs de notre République. En 2004, à l'échelle européenne, cette méthode a porté ses fruits. Elle a permis à des parlementaires européens, des représentants des gouvernements et de la Commission, de travailler tous ensemble à l'élaboration d'un texte modifié à la marge par les chefs d'Etat et de gouvernement lors de la CIG.
Ne sous-estimons pas les difficultés rencontrées par les conventionnels pour trouver, dans les temps qui leur étaient impartis et malgré leurs différences de culture, un accord sur un sujet aussi complexe que le fonctionnement de l'Europe politique à vingt-cinq. L'ampleur de la tâche était immense, tant sur le fond que sur la forme.
Comment mettre d'accord tous les représentants des pays membres en un temps record ? Les travaux de la Convention ont duré dix-sept mois ; ses membres ont tenu vingt-six sessions plénières pendant cinquante-deux jours au total, entendu plus de 1 800 interventions, fourni 386 contributions écrites à l'ensemble de la Convention et 773 aux groupes de travail.
Sur le fond, comment trouver un point d'accord avec les représentants des pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne qui étaient autorisés à participer aux débats ? En effet, trente-neuf des membres de la Convention venaient de pays alors candidats, appelés à proposer des réformes pour des institutions auxquelles ils n'étaient pas encore parties prenantes. Mettre au point un texte aussi long et aussi compliqué avec des participants si divers parlant des langues si variées n'était pas chose simple.
Pourtant, ces débats ont été menés dans le respect de la démocratie et du pluralisme. Dans cette oeuvre collective et représentative, les socialistes français ont été parmi les plus actifs des membres de la Convention pour obtenir des avancées pour l'Europe et pour ses citoyens.
Je tiens à saluer ici notre collègue Robert Badinter, qui a fait bénéficier la Convention de son expérience constitutionnelle. Sa participation à cette oeuvre aura été de la première importance.
Enfin, la participation de ce que l'on a pris l'habitude d'appeler la société civile aux travaux de la Convention doit être soulignée. Cette dernière a reçu 1 264 contributions émanant de la société civile, qui fut informée, en temps réel, de l'avancée des travaux, mis en ligne sur le site internet de la Convention.
Cette méthode originale a permis que se dégage pour la première fois un « esprit public européen », s'efforçant de transcender les intérêts nationaux.
Ce débat parlementaire n'est que le prélude au nouveau dialogue que les parlements nationaux et le Parlement européen pourront instaurer grâce aux nouvelles procédures prévues par le traité constitutionnel.
Ainsi, le mécanisme de l'avis motivé prévu par le traité et désormais introduit à l'article 88 de notre Constitution doit inciter les parlements nationaux à se concerter, puisque la Commission ne sera tenue de réexaminer sa position que si un tiers des parlements nationaux au moins lui ont adressé un avis motivé.
Par ailleurs, la possibilité donnée aux parlements nationaux de saisir la Cour de justice européenne en cas de violation du principe de subsidiarité par un acte législatif européen ouvrira des perspectives nouvelles à nos institutions, en les mettant directement en rapport avec les institutions de l'Union.
Lorsque l'on sait que le principe de subsidiarité, pourtant énoncé dans le traité de Maastricht de 1992, n'a jamais été utilisé par un quelconque gouvernement, ...
... on mesure la responsabilité qui incombera désormais aux parlements nationaux, en particulier à notre assemblée. Nous serons, chers collègues, comptables de l'application, et donc de la violation, de ce principe.
Cela signifie que nous devrons, à l'avenir, intégrer encore davantage la dimension européenne dans nos travaux législatifs.
Cela signifie également que nous serons responsables devant les Français si les institutions européennes sortent de leur champ de compétence et empiètent sur celui des Etats membres.
Nous exercerons donc une responsabilité partagée pour le respect de la répartition des compétences entre l'Europe et la France. Le traité constitutionnel renforce le contrôle démocratique de l'Europe ; en cela il répond à l'un des reproches qui étaient adressés aux institutions européennes par nos concitoyens.
Il reste à envisager la crainte de l'Europe libérale.
En effet, les Français redoutent l'Europe libérale, à juste titre. L'Europe actuelle est marquée par une vague de régression sociale due aux effets non maîtrisés de la mondialisation de l'économie, mais aussi à l'orientation politique libérale de la majorité parlementaire au sein des institutions européennes.
Les craintes exprimées par les Français sont donc légitimes, je le répète. Mais ne nous y trompons pas : comme le disait François Mitterrand, « les marchés ne sont que des moyens, des mécanismes dominés, trop souvent, par la loi du plus fort ».
Ces mécanismes peuvent engendrer l'injustice, l'exclusion, la dépendance, si des contrepoids nécessaires ne sont pas apportés par ceux qui peuvent s'appuyer sur la légitimité démocratique.
Il appartient donc aux responsables politiques et aux élus de travailler à l'encadrement politique des forces du marché. Lorsque ces élus sont désignés par les citoyens pour défendre et représenter l'Europe sociale, comme c'est notre cas, les effets de leur action s'en trouvent démultipliés.
A cet égard, le traité constitutionnel donne aux parlementaires européens et aux instances européennes davantage de moyens pour encadrer le marché.
D'une part, il fixe à l'Europe des objectifs auxquels la gauche peut s'identifier : « le plein emploi et le progrès social », ...
... « la promotion de la justice et de la protection sociale », la lutte contre « l'exclusion et la discrimination ». Avec l'incorporation de la Charte des droits fondamentaux, l'Union sera tenue de promouvoir l'égalité des sexes, la solidarité entre les générations, la protection des droits de l'enfant ou encore des conditions de travail justes et équitables. L'ensemble de ces objectifs forme un cadre juridique qui oblige les politiques de l'Union à prendre en compte la promotion d'un niveau d'emploi élevé.
D'autre part, il impose à tous les pays membres le respect d'un ensemble de normes sociales dans tous les secteurs industriels.
Sur ce plan, l'exemple des délocalisations est significatif. Les délocalisations, dont les effets se font sentir depuis quelques années déjà, inquiètent - à juste titre, pourrais-je ajouter, moi qui suis issu d'une région textile. Mais il importe d'être précis : pour l'essentiel, les délocalisations ne s'effectuent pas, on le sait, au sein de l'Union européenne. Par conséquent, le traité constitutionnel ne pourra en aucun cas être désigné comme la cause des délocalisations, processus qui a commencé voilà déjà bien longtemps.
Il faut ajouter que l'éventuelle concurrence fiscale et sociale résultant de l'intégration des nouveaux pays membres sera, à terme, limitée par les règles européennes découlant du traité, qui impose en effet à tous les Etats membres le respect de l'acquis communautaire, c'est-à-dire le respect des niveaux sociaux et syndicaux.
On peut ainsi considérer et espérer que, à court terme, les nouveaux pays membres rattraperont les niveaux fiscaux et sociaux européens, comme cela a été le cas pour l'Espagne et l'Irlande. Souvenez-vous, mes chers collègues, de tout ce qui a pourtant pu être dit à l'époque de l'adhésion de ces deux pays à l'Union européenne !
L'Europe doit être forte pour résister à la concurrence des pays d'Asie, qui, eux, exercent un dumping social dangereux.
Ce traité illustre bien le fait que, à côté des marchés, il y a place pour les activités économiques et sociales fondées sur la solidarité, la coopération, l'association, la mutualité, l'intérêt général, bref le service public.
Pour la première fois, en effet, un traité européen reconnaît le service public comme un instrument indispensable au renforcement de la « cohésion sociale dans l'Union européenne ».
Un nouvel article du traité, l'article III-122, invite l'Union à respecter les services d'intérêt économique général -ce terme désigne les services publics en Europe -, notamment leur organisation et leur financement par les Etats membres. Les aides publiques apportées par les Etats membres aux services publics sont reconnues comme indispensables à l'accomplissement de la mission d'intérêt général de ces derniers.
Enfin, le traité prévoit que le Parlement européen adoptera un statut particulier pour les services publics en Europe, ce qui leur donnera une existence juridique de nature à les protéger. C'est là un progrès incontestable.
Nous avons tracé les contours de l'Europe sociale ; quand nous serons au pouvoir, nous pourrons lui donner un contenu. Nous pourrons ainsi faire écho aux efforts des conventionnels socialistes, qui se sont battus pour que soient reconnus le statut du service public et la Charte des droits fondamentaux.
Nos concitoyens pensent aussi que l'Europe manque d'envergure dans le concert mondial des nations, ce qui affecte sa crédibilité lorsqu'elle tente par exemple de s'opposer aux Etats-Unis.
Ce traité nous donne pourtant les moyens de renforcer le poids politique de l'Europe sur la scène internationale. Il tend à créer un ministre européen des affaires étrangères, qui représentera l'Union européenne dans le monde et qui pourra parler d'égal à égal avec le ministre des affaires étrangères des Etats-Unis ou celui de la Chine.
Enfin, le traité constitutionnel met en place les instruments nécessaires pour construire une Europe de la défense forte et indépendante.
L'Union européenne aura désormais « une capacité opérationnelle s'appuyant sur des moyens civils et militaires ». L'Europe gagnera ainsi en force politique vis-à-vis de ses partenaires internationaux, le traité précisant d'ailleurs qu'aucune action de l'OTAN ne pourra être dirigée contre l'Union.
Naturellement, l'Europe continuera à bénéficier de la protection militaire de l'OTAN, mais elle poursuivra le développement de son autonomie en termes de défense militaire, dans une coopération avec les Etats-Unis.
Je finirai par une interrogation sur l'histoire, que j'ai déjà beaucoup évoquée.
Quand François Mitterrand se battait courageusement pour la ratification du traité de Maastricht, il défendait un traité qui, au premier abord, ne concernait pas directement l'Europe sociale. Vous le savez, mes chers collègues, les critères de convergence étaient porteurs d'une rigueur financière et monétaire nécessaire à la mise en place de l'euro ; c'était le prix à payer.
François Mitterrand, avec l'ensemble du parti socialiste de l'époque, y compris ceux qui aujourd'hui sont les pourfendeurs les plus virulents de ce traité constitutionnel, s'était engagé en faveur d'une Europe qui n'était alors que monétaire. Nous pouvons et nous devons lui rendre hommage : il était alors préférable que le franc, devenu monnaie forte grâce au respect des critères de convergence, donne à la France un pouvoir de décision incontournable dans le concert des Etats européens.
Mais il lui fallait singulièrement croire à l'Europe sociale pour appeler à la ratification d'un texte qui n'y faisait pas référence.
Je suis d'accord avec ceux - ils se reconnaîtront - qui disaient, en 1992 : « On m'objecte à gauche que le cadre de Maastricht est libéral. Et alors ? Fallait-il refuser la République tant que Baboeuf n'avait pas écrit sa Constitution ? » Je vous demande de vous référer à cette citation, qui se poursuit ainsi : « La Constitution de la Ve République nous empêche-t-elle de mener la lutte pour son dépassement ? »
En effet, le traité constitutionnel ne nous empêche pas de mener des politiques économiques et sociales que nous saurons imposer par le combat politique.
Je le dis aux camarades qui s'interrogent : au nom de quoi peut-on refuser de ratifier un traité dont les quelque cinquante articles réellement nouveaux par rapport au traité existant ne se préoccupent que de renforcer l'Europe politique, démocratique et sociale au bénéfice des peuples ?
M. Jean-Pierre Bel. Comment peut-on avoir la prétention de renégocier seul un texte contre la totalité des partenaires socialistes européens ?
Très bien ! sur les travées de l'UC-UDF.
Lors de prochaines échéances électorales européennes, les peuples choisiront la politique qu'ils entendent voir appliquer.
Elle sera soit de gauche, soit de droite. Ce sera à eux de décider !
Par conséquent, je veux dire ici à quel point ce texte est fondamental pour l'avenir. Nous avons besoin de ce traité afin d'aller plus loin. Je ne dis pas qu'il est parfait et qu'il ne faudra pas, plus tard, le modifier, mais je souhaite qu'on le ratifie et qu'on l'applique d'abord.
Le traité constitutionnel permettra, par exemple, à certains Etats d'aller plus vite et plus loin. En assouplissant le mécanisme des coopérations renforcées, il offre à un groupe d'Etats la possibilité de mettre en commun leurs forces afin de former une avant-garde.
Je donnerai un autre exemple : l'Europe économique souffre d'un manque de reconnaissance officielle, ce qui l'affaiblit par rapport à la Banque centrale européenne. Or ce traité est le premier à donner une existence réelle à l'Eurogroupe, qui pourra constituer un contrepoids, je l'espère efficace, aux impératifs monétaires.
J'ai du mal à comprendre les raisons qui, aujourd'hui, pousseraient à ne pas accepter le traité constitutionnel. Quant aux arguments de politique intérieure, ne nous y trompons pas : le rejet du traité n'entraînera pas, bien évidemment, la démission de M. Chirac ni la remise en cause de sa politique. On peut compter sur lui pour ce qui est de la persévérance !
Il ne faut pas mélanger les sujets ni instrumentaliser un sujet aussi crucial pour la France. La ratification, qui est un grand acte, par oui ou par non à une question essentielle pour le présent et l'avenir de la France est l'affaire du peuple.
Bien sûr, l'Europe que nous voulons est une Europe de gauche. A l'évidence, elle n'est pas de gauche aujourd'hui, mais faut-il attendre qu'elle le soit pour adhérer au projet de construction ?
Ne nourrissons pas la prétention absurde et déplorable de vouloir faire l'Europe tout seuls. Rappelez-vous de ce que disait Léon Blum : « Nous n'avons nullement l'intention d'attendre le jour où tous les pays de l'Europe auront une majorité socialiste au Parlement et un gouvernement socialiste homogène ».
Avec tous les socialistes européens et la majeure partie des syndicalistes européens, ...
... je voterai oui au traité constitutionnel le 29 mai !
Avant de terminer mon intervention, comment ne pas rappeler, une fois de plus, avec enthousiasme - mais la formule est tellement belle -, les mots de François Mitterrand : « La France est ma patrie, l'Europe est son avenir. »
Vifs applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. - Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE.
Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le traité constitutionnel est une occasion manquée de bâtir une autre Europe, moins technocratique, moins procédurière et, surtout, plus proche des peuples et plus attentive à leurs aspirations.
Le 29 mai, je vois au moins trois bonnes raisons de dire non à cette Constitution et oui à une nouvelle Europe.
Première raison : la Constitution porte un projet qui ne peut pas réussir, car celui-ci propose une abstraction indéfinie, à savoir une Europe sans mémoire, née de nulle part, sans histoire ni géographie.
M. Bruno Retailleau. Cette absence de limite en dit long sur le refus de se définir culturellement et politiquement. Pourtant, en coulisse, on prépare déjà activement l'entrée de la Turquie.
Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du groupe socialiste.
Monsieur le ministre, l'ambassadeur de France en Turquie, M. Paul Poudade, a déclaré le 11 mars dernier : « La France se réjouira de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ... L'opposition du peuple français à l'égard de l'adhésion de la Turquie ne lie pas la politique de l'Etat français ».
Et savez-vous, mes chers collègues, où aura lieu la prochaine réunion du groupe d'élargissement du parti populaire européen, le PPE, le 26 mai prochain, soit trois jours avant le référendum ? Elle se tiendra à Ankara !
Le PPE aurait au moins pu choisir Istanbul ... en Europe !
En outre, ce projet ne peut pas réussir, car une abstraction ne peut pas suffisamment nourrir un élan partagé, un même sentiment d'appartenance parvenant à dépasser toutes les autres différences. C'est ainsi que l'on réduit l'Europe à organiser un simple collage, une méticuleuse juxtaposition de minorités On la condamne au communautarisme. Ainsi, on ne compte plus les mentions - dès l'article I-2 ! - qui proclament le droit des minorités, en opposition avec notre tradition républicaine qui ne reconnaît que des citoyens sans distinction d'origine, de situation ou de religion.
Enfin, ce projet ne peut pas réussir sur le plan économique, car il préfère les principes aux résultats. Les résultats sont-ils médiocres ? Peu importe, on ne change pas une politique qui perd !
On laisse la Banque centrale européenne à son obsession monomaniaque : l'inflation plutôt que la croissance ou l'emploi.
Au lieu de faire comme les Etats-Unis, qui savent parfaitement protéger leur marché intérieur lorsque l'intérêt national l'exige - ils le font pour l'agriculture, ils l'ont fait pour l'acier, et ils sont en train de faire jouer la clause de sauvegarde pour le textile -, nous en appelons, nous, Européens, avec un angélisme béat, à la disparition des barrières douanières et aux aides de l'Etat aux entreprises.
Dois-je rappeler que les grands projets industriels, outre-atlantique ou en France, comme le TGV par exemple, ont toujours nécessité des investissements publics ? L'efficacité doit primer sur la doctrine.
Dois-je aussi rappeler que, en voulant appliquer sa conception dogmatique de la concurrence libre et non faussée, la Commission avait refusé à Péchiney le rachat du canadien Alcan ? Depuis, c'est Alcan qui a racheté Péchiney et qui est en train de le dépecer. Il suffit d'écouter les commissaires européens pour savoir dans quel sens va la pente : lorsque Mme Danuta Hübner ou M. Günter Verheugen justifient les délocalisations, ils ne commettent pas de gaffe ; leurs déclarations traduisent très précisément l'état d'esprit de la Commission.
De plus, avec l'article III-122, on nous propose de communautariser les services d'intérêt général, c'est-à-dire de perdre, pour une large part, le contrôle de nos services publics, de leur définition comme de leurs conditions de fonctionnement.
Mes chers collègues, je voudrais également balayer un argument que l'on entend souvent : que la France doive se réformer, j'en suis convaincu, mais elle doit d'abord compter sur elle-même, c'est-à-dire sur le courage des Français - et ils en ont ! - et de leurs hommes politiques, qui n'en manquent pas non plus. Toute réforme implique des efforts qui ne peuvent être demandés et consentis par les Français que dans le cadre de la démocratie nationale. Le salut ne viendra pas d'ailleurs : il ne peut venir que de nous-mêmes.
Deuxième raison : cette Constitution aggrave encore le déficit démocratique de l'Europe.
Elle l'aggrave de trois façons.
D'abord, plus on éloigne un pouvoir, moins on rend simple et efficace son contrôle et plus on perd en qualité démocratique. C'est d'ailleurs l'argument qu'a souvent avancé M. Raffarin pour justifier ce qui est, à mes yeux, une bonne réforme, à savoir les lois de décentralisation.
Ensuite, l'Union sera de plus en plus dirigée par des experts et non par des élus. En effet, on renforce considérablement le rôle de la Commission. Ainsi, avec l'article I-26, elle sera chargée de l'« intérêt général européen », qu'il aurait plutôt fallu confier au Conseil. En outre, son monopole d'initiative, qui enfreint la règle de la séparation des pouvoirs, acquerra une redoutable efficacité en s'appliquant à des compétences toujours plus vastes, et avec un processus de décision à la majorité qualifiée.
Enfin, la Constitution marginalise les démocraties nationales. En dehors du processus de révision simple, sans processus de ratification, les parlements nationaux gagnent le pouvoir d'émettre des avis, mais, en échange, ils perdent en grande partie le pouvoir de faire la loi.
L'inspiration de ce texte est en fait d'établir une abstraction démocratique, apolitique dans laquelle les décisions publiques seront prises en charge par une avant-garde éclairée, tandis que l'on voudrait réduire l'existence collective des peuples aux seules activités du marché et de la société civile.
Troisième raison : cette Constitution tente d'imposer un cadre étatique fédéral à l'insu des peuples.
Ecoutons un court instant un orfèvre en la matière, Valéry Giscard d'Estaing : « dans la Constitution, le mot fédéral a été remplacé par le mot communautaire , ce qui veut dire exactement la même chose ».
Voici les instruments de cet engrenage fédéral : une Constitution, la personnalité juridique de l'Union, la primauté absolue du droit européen sur tout droit national, y compris postérieur ou constitutionnel, la majorité qualifiée, et, enfin, cette espèce de boulimie de compétences qui fait que nous aurons une Europe qui se mêlera de tout plutôt qu'une Europe subsidiaire, qui aurait été la bonne voie. C'est cet engrenage qui blessera mortellement notre souveraineté, c'est-à-dire la maîtrise par les Français de leurs choix et de leur destin.
La souveraineté, qu'elle soit populaire ou nationale, c'est la liberté de choisir. D'ailleurs, je ne connais pas de meilleure définition que celle donnée par Abraham Lincoln dans son discours devant le Congrès le 4 juillet 1861 alors que la guerre de Sécession avait éclaté : la souveraineté, c'est une communauté politique, sans supériorité politique. Ce ne sera plus le cas !
J'avais d'ailleurs été très étonné, en lisant pour la première fois la fameuse directive Bolkestein, de constater que son premier objectif était la politique d'intégration des peuples, c'est-à-dire que tout était bon pour créer de toutes pièces non seulement un territoire unique, mais aussi un droit unique, un peuple unique et peut-être, demain, un Etat unique. Or l'Europe n'a jamais été aussi diverse depuis l'élargissement. Quant au peuple européen, il n'existera pas avant de longues décennies !
Le vote du 29 mai, ce sera le choix entre deux modèles européens : un modèle souple, qui s'appuie sur la coopération entre les Etats, et un modèle supranational hypercentralisé que nous propose cette Constitution, qui veut supprimer toute différence afin de parvenir à créer plus tard un « super Etat ».
Le problème est que, demain, à vingt-sept, cela ne peut pas marcher, sauf à imposer une discipline de fer et une production toujours plus importante de règles, de normes et de procédures tatillonnes. Les peuples finiront par se détourner de cette construction utopique, car la nation est non seulement le lieu naturel de l'exercice de la démocratie, mais aussi la seule communauté humaine qui soit à la fois à la taille de l'homme et à l'échelle du monde.
Je sais bien que derrière ce texte constitutionnel, pour certains esprits, il peut y avoir l'idée que la nation serait un obstacle à la communion planétaire. J'ai ainsi entendu Jack Lang déclarer : je vote oui, parce que je suis internationaliste. C'est une profonde erreur ! Comme l'a très bien écrit un philosophe contemporain, Pierre Manent : « La nation européenne est parvenue de façon incomparable à réaliser l'articulation du particulier et de l'universel : chaque grande action, chaque grande pensée que produit l'une de nos nations est un défi et une proposition pour les autres nations, une proposition d'humanité pour l'humanité ».
Mes chers collègues, l'Europe que nous appelons de nos voeux est une Europe vraiment européenne, sans la Turquie, une Europe démocratique qui s'appuie sur les démocraties nationales sans chercher à les diluer et, enfin, une Europe qui nous protège et mette l'économie et surtout la monnaie au service de l'homme et non l'inverse.
M. Philippe Darniche applaudit.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai prochain, les Français devront effectuer un choix majeur : accepter ou repousser le projet de traité constitutionnel pour l'Europe.
Quelle que soit la décision, nous savons qu'elle sera lourde de conséquences pour l'avenir. La procédure référendaire place donc chacun d'entre nous devant ses responsabilités.
Depuis près de soixante ans, tous nos projets de Constitution ont été soumis au suffrage populaire. Il eût été difficilement concevable d'agir autrement lorsqu'il s'agit de donner à l'Europe des institutions qui impliquent des délégations de souveraineté et répartissent les compétences entre l'Union européenne et les Etats qui la composent. Le recours au référendum n'est pas sans risque, surtout si nos concitoyens entendent se prononcer sur le contexte plutôt que sur le texte, mais il est inéluctable si l'on veut donner au traité une sanction démocratique irréfutable.
Tel qu'il se présente, le traité établissant une constitution pour l'Europe est tout à la fois un aboutissement et une promesse. Il est le fruit d'une longue maturation qui a duré plus d'un demi-siècle, reflet des péripéties qui ont retenti sur l'histoire de l'Europe, avec des périodes d'accélération rapide ou, au contraire, de stagnation mais, jusqu'à présent, jamais de régression.
Une nouvelle ère s'ouvre aujourd'hui qui peut permettre à l'Union européenne, grâce à la constitution dont elle se dotera, d'élaborer et de conduire des politiques dans des domaines stratégiques capables de renforcer la cohésion, le dynamisme et le poids dans le monde de notre vieux continent. A chaque génération ses défis : celle qui nous a précédés a su relever l'Europe de ses ruines, réconcilier entre eux des peuples mus par des haines séculaires et créer un espace économique facteur de développement et de prospérité. Il appartient à la génération présente d'édifier une nouvelle Europe reposant sur des institutions fortes et respectées, inspirées par les principes de liberté, de démocratie et de solidarité.
La réussite de ce grand dessein est d'autant plus indispensable que s'opèrent dans le monde de grands regroupements et que se constituent de grands ensembles économiques avec lesquels les peuples de l'Europe ne sauraient se mesurer s'ils agissent isolément mais avec lesquels l'Europe peut se comparer si elle sait unir ses forces.
Le traité constitutionnel est un aboutissement : celui de l'évolution d'une union économique vers la création d'une entité politique.
Chacune des phases qui ont conduit à cette évolution porte la marque d'une influence française et témoigne d'une grande continuité de notre politique alors que l'on se plaît souvent à dénoncer notre inconstance. La Communauté européenne du charbon et de l'acier est une idée française dont le mérite revient à Jean Monnet et à Robert Schuman.
La conception comme la mise en oeuvre du traité de Rome ont tenu pour l'essentiel à la volonté des hommes politiques français, toutes tendances confondues, de faire de l'Europe une communauté qui ne se réduise pas à une simple zone de libre-échange, mais qui soit capable de construire des politiques communes et de tendre à l'harmonisation des législations. L'entente franco-allemande, qui a su donner l'impulsion nécessaire à toutes les avancées européennes, a été le souci de tous les chefs d'Etat français qui se sont succédé sous la Ve République et le moteur de toutes les avancées.
Sans l'engagement déterminé de François Mitterrand, le traité de Maastricht, qui a mis en place l'Union économique et monétaire ainsi que la création de l'euro, n'aurait sans doute pas vu le jour.
C'est de l'implication permanente du président Chirac dans le domaine de la politique européenne que résultent la préservation de l'exception culturelle, le maintien jusqu'à 2013 de la politique agricole commune et la volonté de donner une dimension sociale à la construction européenne.
Tous les observateurs, enfin, s'accordent à reconnaître la part remarquable prise par les membres français, de toutes origines, lors de la convention préparatoire du traité de Rome II, ainsi que le rôle irremplaçable joué par le président Giscard d'Estaing dans l'élaboration de ce traité.
Le traité constitutionnel est bien un aboutissement parce qu'il remédie, sans doute encore imparfaitement, à deux faiblesses de l'Union européenne : l'insuffisance du contrôle démocratique et l'absence d'une véritable organisation politique.
Les critiques portant sur le caractère technocratique des décisions bruxelloises étaient loin d'être infondées.
Nombre d'entre elles semblaient émaner d'organismes opaques, lointains, imperméables à toute discussion et surtout incontrôlés. Il en est souvent résulté une véritable diabolisation des institutions et une grande incompréhension - pour ne pas parler de répulsion - de la part des opinions publiques à l'égard de tout ce qui émanait de Bruxelles.
Les dispositions du traité constitutionnel, en permettant le droit de pétition, en élargissant très sensiblement les domaines d'action et de contrôle du Parlement européen ainsi que ses responsabilités financières et en accordant aux parlements nationaux le pouvoir de se prononcer sur un projet de loi européen avant son adoption et de contrôler la « constitutionnalité » des lois européennes, apportent de sérieuses garanties aux citoyens européens, celles que leurs préoccupations, leurs appréhensions et leurs revendications seront entendues.
L'absence d'une véritable organisation politique n'a que peu favorisé l'harmonisation des politiques étrangères ou de défense des états de l'Union.
L'exemple du Proche-Orient ou de l'Irak illustre l'étendue des progrès à accomplir pour que l'Union ait une politique étrangère qui soit vraiment la sienne. Par ailleurs, nombre de nos partenaires estiment encore que la défense européenne ne peut s'exercer que dans le seul cadre de l'OTAN.
L'instauration d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, chargé de mettre en oeuvre la politique étrangère et de sécurité commune et de coordonner l'action extérieure, est un premier pas vers une « Europe européenne », pour reprendre l'expression du général de Gaulle « qui existe par elle-même, pour elle-même, et qui ait sa propre politique. »
Dans le domaine de la défense, tant le président de la commission des affaires étrangères que notre ami Hubert Haenel ont expliqué quelles étaient les avancées qui interviendraient.
De tels progrès ne seraient pas possibles sans un minimum d'institutions. Le conseil des affaires étrangères devrait, grâce à la confrontation régulière des responsables de la diplomatie des Etats membres, favoriser l'éclosion d'une politique extérieure cohérente de l'Union dans un très grand nombre de domaines. L'avènement d'une politique européenne de la défense prendra sans doute plus de temps, mais les coopérations renforcées devraient, à terme, rapprocher les points de vue et les actions des Etats membres de manière concrète et significative.
La France, mes chers collègues, a trop souvent déploré, dans le passé, l'insuffisante affirmation de son identité par l'Union européenne, sa trop grande dépendance par rapport à la politique étrangère des Etats-Unis, son influence négligeable ou son absence d'initiatives dans diverses régions du monde face aux grands problèmes politiques ou aux conflits qui l'agitent pour ne pas se réjouir de voir, enfin l'Union se donner les moyens de jouer un rôle conforme à ses idéaux et à son poids dans le concert international.
Le traité constitutionnel est la promesse d'une nouvelle Europe.
Les institutions prévues par le traité n'ont d'autre objet que de servir d'outil et de cadre à des politiques communes dont la finalité est de donner une forte impulsion à l'édification d'une nouvelle Europe.
La nouvelle Europe est d'abord une union fondée sur le respect des libertés publiques et des droits de l'homme. Le continent qui a inventé et théorisé, voilà plus de quinze siècles, la démocratie doit demeurer un modèle et un exemple de respect du droit et des valeurs tel que le définit le préambule du traité et de la charte des droits fondamentaux. Les institutions prévues par le traité sont les garantes de ces valeurs.
Tous les pays candidats à l'adhésion savent que la mise en application de ces principes dans leur pays conditionne leur entrée dans l'Union européenne.
En consacrant la notion de citoyenneté européenne, le traité donne une extension remarquable aux droits et aux prérogatives des habitants de l'Union, car outre la libre circulation ou le libre séjour, il leur assure le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales et européennes, la protection des autorités de tout Etat membre et le recours au médiateur.
La nouvelle Europe représente la perspective d'un espace économique moderne, puissant et dynamique, s'appuyant sur des politiques coordonnées et un gouvernement économique dans la zone euro. Les objectifs qu'elle s'assigne sont la croissance équilibrée de l'économie, la stabilité des prix, la liberté de concurrence et la liberté d'entreprise.
Certains voient dans l'affirmation de ces principes une dérive vers l'ultralibéralisme et le droit pour le plus fort d'écraser le plus faible. C'est oublier que la libre concurrence, comme la liberté d'entreprendre, figure dans tous les traités précédents et que la réglementation de la concurrence est le domaine où la Commission a fait preuve de l'activité la plus grande depuis l'origine du traité de Rome. C'est oublier aussi que le traité évoque une économie sociale de marché « qui tend au plein emploi et au progrès social », ce qui est le contraire du libéralisme débridé. Mais qui peut sérieusement croire que, dans une économie aussi ouverte que celle du monde contemporain, la compétitivité d'une entreprise soit une tare ?
Il est vrai que les délocalisations, le dumping fiscal ou social seraient des obstacles sérieux à l'établissement d'une bonne gouvernance économique de l'Europe, de même que le laxisme dans le domaine de la lutte contre les déficits excessifs. Le renforcement du rôle du Parlement européen, l'émergence d'une opinion publique européenne, les réactions des Etats membres et les coopérations renforcées conduiront sans doute à remédier aux lacunes ou aux insuffisances des politiques actuelles. Ce devrait être l'un des acquis du traité.
La nouvelle Europe sera sociale. Le Premier ministre nous en a donné des exemples extrêmement concrets ; il a cité des articles du traité qui ne font aucun doute à cet égard. Ainsi, onze articles du traité sont consacrés à la protection sociale, aux conditions de rémunération des travailleurs, aux congés payés, à l'institution d'un fonds européen visant à promouvoir l'emploi, la mobilité géographique et professionnelle des salariés au sein de l'Union. Nous sommes loin du paysage dévasté décrit par les critiques du traité, qui voient dans son adoption les prémices d'une Europe où les salariés seraient livrés à l'arbitraire des entreprises, sans recours ni protection !
La nouvelle Europe, enfin, sera un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Qui ne voit que, seule une politique coordonnée dans le domaine de l'immigration peut aboutir à une véritable régulation des flux migratoires et à une protection efficace des frontières de notre continent grâce à une législation appropriée luttant contre l'immigration clandestine ou la traite des êtres humains ?
Qui ne sent que la lutte contre l'insécurité et le terrorisme, pour donner des résultats, passe par une coopération étroite et une mise en commun des informations ou des ressources des Etats membres ?
Qui ne comprend que l'adoption de règles de procédure pénale et de règles minimales définissant les infractions et les sanctions pour des crimes tels que le trafic de drogue ou le blanchiment d'argent conditionnent l'efficacité de la lutte contre ces fléaux ?
A un journaliste qui s'apprêtait à l'interroger, Woody Allen annonça : « La réponse est non ; quelle est la question ? »
Sourires
C'est uniquement sur le projet de constitution que les Français doivent se prononcer. II faut, pour l'avenir de l'Europe comme pour le nôtre et celui de nos enfants, que nos ambitions l'emportent sur nos inhibitions.
La France ne peut pas tourner le dos à cinquante ans d'efforts tenaces et continus pour édifier une Europe forte, unie et libre où elle ne manquerait pas, de par son histoire, ses ressources et son ingéniosité, d'exercer une influence déterminante sur la conduite des politiques européennes.
Le président du Parlement européen lui-même l'a mise en garde : un vote négatif nous ferait reculer vingt ans en arrière, décevrait cruellement tous ceux qui voient en la France l'un des artisans les plus convaincus, les plus efficaces de la construction européenne et porterait une grave atteinte à sa crédibilité au plan international.
Croire possible la renégociation d'un nouvel accord après un rejet du traité est une chimère.
Ceux qui ont dû faire des concessions pour consentir à une Europe aux pouvoirs plus étendus ou à un modèle social plus éloigné de leurs conceptions traditionnelles ne trouveraient aucune raison de les réitérer. L'Europe a minima comprend de nombreux partisans. Le système de votation pour le calcul des majorités qualifiées, mis en place par le traité de Nice, convient mieux à certains de nos partenaires que celui qui est envisagé par le projet de traité, plus avantageux pour la France. Les détracteurs de la PAC n'attendent que le non français pour la démanteler.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Curieux paradoxe que celui de voir confortée une Europe uniquement « libre-échangiste » par ceux qui se proclament les ennemis les plus irréductibles du libéralisme !
Murmures sur les travées du groupe CRC.
L'avènement d'une nouvelle Europe est une chance pour la France, une aventure qui mérite d'être vécue, un combat qui vaut la peine d'être mené parce qu'il ouvre des horizons et des champs d'expérimentation nouveaux aux générations futures.
Aujourd'hui, il s'agit non plus de panser les plaies du passé, mais de construire un modèle politique, économique et social original pour notre temps.
Un modèle qui respecte les traditions, la culture, l'identité de chacun des Etats composant l'Union, qui leur assure la plus large autonomie mais qui sache mobiliser les énergies afin que, dans des domaines politiques essentiels, l'Europe parle d'une seule voix pour peser sur les affaires du monde.
Un modèle qui permette d'élaborer des politiques économiques, scientifiques et technologiques qui placent l'Union parmi les ensembles les plus performants et les plus compétitifs de notre époque comme cela a été le cas pour Ariane, Airbus, Galileo, Huyghens et demain pour Iter.
Un modèle qui conjugue le développement économique et le progrès social afin que les fruits de la croissance puissent être équitablement répartis entre ceux qui sont à sa source et que ne s'établissent point de disparités entre catégories sociales et territoriales qui nuiraient à la cohésion de l'Europe.
Mes chers collègues, aucun avenir ne se fonde sur les peurs et sur les rancoeurs ou sur les règlements de compte, aucune perspective ne s'ouvre si elle ne débouche pas sur l'espérance ou l'enthousiasme. Aucune alternative n'est concevable à partir de majorités hétéroclites unies dans la seule négation.
La jeunesse de notre continent, notre jeunesse, est conviée au démarrage d'un grand et exaltant chantier, celui de la nouvelle Europe. Nous faisons confiance à sa générosité, à son ardeur, à sa capacité de trouver en elle les ressorts nécessaires pour la mener à bien.
Ainsi l'Europe, si marquée pendant tant de siècles par une histoire tragique et glorieuse, par les guerres, les crises et les déchirements, mais si riche en hommes de génie, en découvertes et en chefs-d'oeuvre, s'engagera-t-elle dans un nouveau millénaire avec la volonté de cesser d'être un mythe pour devenir enfin une puissance.
Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai prochain, les Françaises et les Français sont appelés à se prononcer, par voie de référendum, sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe.
Il nous faut d'abord affirmer très clairement que, si cette procédure de ratification est sûrement la plus difficile, c'est la seule qui soit acceptable, compte tenu du sujet. Seuls les Françaises et les Français peuvent valablement dire s'ils sont, ou non, favorables à une Constitution pour l'Europe. C'est cette voie exigeante que le Président de la République a choisie pour ratifier le traité instituant cette Constitution, et ce choix recueille pleinement notre soutien et notre engagement.
Depuis le début, la France a joué un rôle singulier dans la construction de l'Europe : tantôt moteur, tantôt frein, mais toujours essentiel.
C'est la France qui a été très largement, après la guerre, à l'origine de la construction européenne, c'est elle aussi qui y a porté un coup de frein, le 30 août 1954, lorsque l'Assemblée nationale a rejeté le projet de Communauté européenne de défense dont elle avait été l'initiatrice.
C'est dire que le vote des Françaises et des Français, le 29 mai prochain, sera observé...
...et aura un effet d'entraînement pour l'Europe tout entière, pour les Européens qui auront à se prononcer directement et pour les parlements qui auront à ratifier le traité.
Si le non est respectable dès lors qu'il repose sur des raisons explicables, dire que la France fera progresser l'Europe en disant non, c'est abuser les Françaises et les Français et renier toute l'histoire de la construction européenne !
M. Michel Mercier. Par notre refus, en 1954, nous avons simplement permis aux Etats-Unis de devenir la seule grande puissance mondiale. Lorsque nous regrettons tous, régulièrement, que l'Europe reste un nain politique, c'est parce que, un jour, nous avons dit non à la construction d'une Europe politique !
Protestations sur les travées du groupe CRC.
M. Michel Mercier. Mon cher collègue, il faut dire les choses telles qu'elles sont : c'est ainsi que nous ferons honneur au suffrage universel direct !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.
Alors, le 29 mai, quelles raisons avons-nous de voter oui pour ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe ?
Ces raisons ont été largement expliquées par les orateurs précédents ; je voudrais simplement les reprendre et les organiser autour de quelques idées simples.
Les deux premières parties de la Constitution, composées des soixante articles institutionnels et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, répondent parfaitement, me semble-t-il, à l'idée que nous nous faisons, nous Français, d'une Constitution. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en son article 16, dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution ».
Or le traité constitutionnel organise clairement les pouvoirs, au service d'un modèle social défini. Des institutions plus claires, plus compréhensibles, nécessaires à la démocratie : quand on sait qui fait quoi, on sait qui est responsable !
Désormais, le Conseil européen, le Conseil des ministres - en fait, la seconde chambre de l'Europe -, le Parlement européen, la Commission européenne voient leurs rôles respectifs clairement précisés, définis. Le fonctionnement de ces pouvoirs est formellement décrit par la Constitution. Les parlementaires européens que nous élirons désormais auront à Bruxelles un vrai pouvoir ; ils ne seront pas simplement envoyés en mission de par le monde pour voir comment les choses se passent, ils seront aussi à Bruxelles pour travailler, pour voter les lois.
Clarifier les institutions ne vaut que si l'on connaît l'objet de l'organisation ainsi mise en place. Or, jamais des textes européens ayant une valeur normative n'ont été aussi clairs. L'article 3 de la première partie de la Constitution définit les objectifs de l'Union. C'est la première fois qu'un texte définit aussi nettement le modèle social européen. Vivre dans une économie sociale de marché hautement compétitive pour lutter contre les délocalisations, qui tend au plein emploi et au progrès social, tel est le but de l'Union européenne. C'est ce pourquoi nous nous battons le 29 mai !
La Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice, dont le contenu est extrêmement fort et important, acquiert une valeur normative dans la deuxième partie du traité constitutionnel. Sans entrer dans le détail, on y trouve les droits politiques proclamés par la Déclaration de 1789 et par la République lorsqu'elle s'est installée en France ; les droits sociaux du préambule de la Constitution de 1946, mais aussi des droits sociétaux que nous n'avons pas encore inscrits dans nos textes, relatifs à l'égalité entre les femmes et les hommes, aux droits des enfants, au droit de vivre sa vie comme on l'entend. Ces droits de société sont particulièrement actuels et répondent aux besoins de la civilisation européenne d'aujourd'hui.
Enfin, avec des institutions claires, un modèle de civilisation à défendre nettement défini, il faut que l'Europe soit forte. Pour la première fois depuis 1954, percent les éléments d'une Europe-puissance, avec l'expression d'une politique extérieure et de sécurité commune, un ministre des affaires étrangères de l'Union européenne, les prémices d'une politique de défense commune, mais aussi l'affirmation que, lorsqu'un Etat est attaqué, les autres lui portent assistance - ce qui n'est pas si mal - et, naturellement, la solidarité entre tous les Etats européens.
Un modèle de civilisation servi par des institutions et par une Europe-puissance, voilà le premier apport de la Constitution qui nous est proposée.
Cette Constitution - par définition, ai-je envie de dire - apporte un « plus » à la démocratie parce que l'on sait qui fait quoi et comment cela fonctionne. Depuis trop longtemps, nos concitoyens ont pris l'habitude d'incriminer Bruxelles lorsque quelque chose ne va pas ou qu'une règle est incompréhensible. Eh bien, si nous votons cette Constitution, une telle attitude ne sera plus possible parce que la démocratie se trouvera renforcée au niveau européen.
J'ai évoqué le rôle du Parlement européen, qui deviendra un parlement « normal », votant toutes les lois. De plus, la règle de la majorité qualifiée, telle qu'elle est établie au sein du Conseil des ministres, est fondamentale. La démocratie, nous le savons bien, c'est d'abord la loi de la majorité, non pas seulement des institutions étatiques, mais aussi des citoyens. Instaurer une majorité fondée, certes, sur le plus grand nombre possible d'Etats, mais représentant au moins 65 % des citoyens européens, c'est affirmer l'émergence d'un peuple européen qui deviendra l'acteur essentiel du fonctionnement des institutions communes.
Voilà donc une démocratie renforcée à l'échelon européen, mais aussi à l'échelon national. Ce dernier aspect ne devrait pas manquer de nous intéresser tous, en particulier les parlementaires.
Demain, la Constitution ayant été approuvée - je le souhaite et nous nous battrons pour cela -, chaque chambre du Parlement français, comme de tous les autres parlements des Etats de l'Union, aura deux rôles. D'une part, veiller à ce que l'Union européenne exerce exclusivement les compétences qui lui ont été confiées, les autres restant du ressort des parlements nationaux, selon le principe de subsidiarité. D'autre part, se prononcer sur tous les projets de loi européens, quelle que soit leur catégorie juridique. C'est à nous de nous organiser. Nous ne pourrons plus dire que 50 % de la législation est faite à Bruxelles ; nous aurons prise sur la totalité de la législation qui intéresse nos concitoyens.
Cette Constitution est donc un texte bien plus important et qui change bien plus de choses qu'on ne l'a dit. Bien entendu, il décrit et met en place des institutions, mais c'est nous, par nos voix, en tant que citoyens européens, qui les feront vivre.
Le besoin d'Europe est évident. Sans l'Europe, seules les lois du laisser-faire s'exerceront. Le besoin d'Europe, nous le ressentons tous, mais au-delà, lorsqu'un référendum est en oeuvre, il faut susciter le désir. Eh bien, pour conclure, je voudrais dire à tous nos concitoyens que ce désir d'Europe répond à ce que nous sommes !
Nous sommes tous attachés à notre manière de vivre. Nous sommes tous attachés à notre système de protection sociale. Nous sommes tous attachés à une certaine civilisation, à une culture. Aujourd'hui, le cadre national ne suffit plus à protéger tout cela, car il éclate sous les coups de boutoir de la mondialisation. Seul un cadre plus vaste, plus fort - notamment démographiquement -, pourrait nous apporter une solution.
Au moment où l'Amérique s'organise - pas seulement l'Amérique du Nord, mais aussi l'Amérique du Sud - au moment où l'Asie s'éveille, au moment où les continents s'organisent, seule l'Europe peut protéger notre façon de vivre, nous permettre d'être Français.
Je souhaite que cela donne à toutes et à tous un désir d'Europe qui se traduira par un oui le 29 mai prochain.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.
Je regrette que M. le Premier ministre ait quitté cet hémicycle. Il y est venu, en tant que chef de la majorité, défendre le traité constitutionnel. Nous attendions de lui qu'il écoute tous les groupes !
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, c'est notre peuple qui se prononcera le 29 mai, par référendum.
Je voudrais dire, au nom des sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, que cette consultation populaire, nous l'avons voulue ; nous avons milité pour qu'elle ait lieu. Ce traité, en effet, devrait engager la France, comme les autres pays de l'Union, pour longtemps, sur un véritable choix de société.
La question est la suivante : voulons-nous continuer l'Europe telle qu'elle s'est construite jusqu'ici, en pérennisant les dogmes libéraux, ou, au contraire, voulons-nous changer de cap ?
Le choix est d'importance. Nos concitoyens ont droit à un débat serein, démocratique. Aussi, nous ne pouvons que déplorer le fait que le matériel officiel soit un véritable outil de propagande pour le oui, ...
Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.
... que le ministre de 1'éducation nationale censure un document destiné aux enseignants, que les fonctionnaires soient sommés de ne pas participer aux manifestations publiques qui auront lieu entre le 16 et le 29 mai.
Le débat démocratique mérite mieux que l'invective de ministres de la République qui qualifient de « mensonges » ou de « hooliganisme verbal » les propos des partisans du non !
Le débat démocratique, c'est la possibilité pour nos concitoyens qui vont se prononcer de se forger une opinion, d'entendre des arguments sur le contenu du traité tel qu'il est, de le lire, de juger par eux-mêmes, à partir de leur propre expérience. La démocratie, c'est pouvoir dire non !
Croyez-vous un instant que les habitants de notre pays n'ont pas la finesse d'établir un rapport entre la dégradation de leur situation et l'enthousiasme de M. Seillière, du Président de la République et du Gouvernement pour le traité constitutionnel ?
Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les mobilisations populaires qui ont lieu depuis des mois des salariés du privé et du public, des chercheurs, des lycéens, des urgentistes aujourd'hui, portent une aspiration à sortir du carcan libéral. Or, le traité veut les y enfermer encore davantage.
Si les premiers articles du traité annoncent des valeurs d'égalité, de démocratie, de liberté, seul, en fait, l'article I-3, qui prône que « L'Union offre à ses citoyens [...] un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », sera développé et assorti d'obligations largement détaillées dans les trois cent vingt et un articles de la partie III, dont vous ne parlez guère !
Au moins à trois reprises, le titre III du traité affirme que la politique économique - donc, ce texte traite de politique économique ! - est conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux. Ainsi, l'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul sur ce droit.
De même, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements de capitaux, de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les mesures sociales, sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Ainsi, toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont interdites par le traité constitutionnel, sauf à ce qu'il soit révisé !
Par ailleurs, le traité ne connaît ni les services publics ni les services d'intérêt général ; il ne traite que des services d'intérêt économique général. Ce n'est pas un hasard sémantique : ces services sont concurrentiels.
Une constitution, disent les partisans du oui, n'empêche pas de mener la politique économique et sociale de son choix. Mes chers collègues, cette Constitution, unique en son genre, fixe justement dans le détail une politique ultralibérale pour l'Union et les pays membres.
Comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses et ambitieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat, de santé publique ou d'éducation ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.
Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction signifiée à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes. L'indépendance de cette dernière et sa toute puissance interdisent aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison.
Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité qui est requise pour modifier les règles fiscales.
C'est l'expérience que font nos concitoyens et les peuples européens depuis des années et que l'agenda de Lisbonne prévoit de poursuivre, sans se soucier du traité dont l'adoption est donc considérée comme acquise, ce qui n'est pas démocratique ! En revanche, cela signifie bien que le traité ne sera d'aucune gêne pour les projets de libéralisation en cours.
Aussi, comment croire ceux qui nous expliquent que la directive Bolkestein n'a rien à voir avec le traité ?
L'article III-144, inclus dans la sous-section 3 « Liberté des prestations de services », est éclairant : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. »
Les articles III-145, III-147 et III-148 précisent la libéralisation de la prestation de service, sans jamais donner une quelconque garantie en matière de salaires ou de conditions de travail.
Par ailleurs, reste à venir le projet de directive sur l'aménagement du temps de travail, au titre particulièrement évocateur : la durée du temps de travail ne doit pas excéder 48 heures en Europe, cette durée pouvant être calculée sur sept jours ou sur quatre mois. C'est ce que l'on appelle pudiquement l'annualisation et, plus franchement, la flexibilité. La directive propose de porter la période de calcul à douze mois pour amadouer les dirigeants anglais qui ne respectent même pas les 48 heures.
Le rapporteur du texte au Sénat rappelle que la Commission a fixé la durée maximale de travail sur une semaine à 65 heures. C'est ce que l'on appelle un garde-fou souple ! Même si cette disposition repose sur la base du volontariat, le rapporteur souligne qu'il s'agit d' « une régression sociale dommageable ».
Il précise que, « dans le contexte actuel, notamment dans les débats sur la ratification du traité constitutionnel, l'Europe semble donc apparaître comme impuissante à améliorer la protection des salariés : par exemple, il est naturellement préjudiciable à la construction européenne d'afficher un volume maximum hebdomadaire de travail de 65 heures ! »
Dois-je rappeler au rapporteur que rien, dans le traité, n'empêchera l'application de cette directive ?
Bien au contraire, la référence constante à la libre concurrence justifie cette politique d'abandon du social aux règles drastiques du marché.
Avec tout autant de précision, je pourrais vous montrer le lien qui existe entre le traité et les directives ou les règlements libéralisant les activités portuaires ainsi que le transport ferroviaire : privatisation larvée du rail et libéralisation des transports régionaux par la mise en concurrence des transports express régionaux, lesTER.
L'éclatement de La Poste, la privatisation d'EDF-GDF, dont on annonce qu'elle sera reportée au lendemain du référendum - excusez du peu ! -, les retraites, l'assurance maladie et même l'éducation : tous les secteurs sont entraînés dans ce vaste mouvement de marchandisation.
Alors même que la France n'a pas encore voté la transposition de la directive sur la libéralisation de La Poste, la Commission, considérant que les pays à monopole postal sont bien trop longs à mettre en oeuvre la libéralisation totale du service postal, tient « au chaud » - paraît-il - un règlement destiné à accélérer le processus.
Les partisans du oui soutiennent que « c'est la première fois que l'on parle de social dans un traité européen », comme M. Sarkozy nous l'a dit lors de sa trois centième minute pour convaincre, ...
... lui dont le credo politique est la suppression des charges sociales, la généralisation des contrats à durée déterminée, le financement privé des universités. Curieuse conception du social !
Quoi qu'il en soit, le terme « social » existe depuis belle lurette dans les textes européens ! C'est la Charte sociale européenne, promulguée en 1961 et révisée en 1966. C'est la Charte des droits sociaux fondamentaux, signée en 1989 et incluse sous forme de protocole au traité de Maastricht. C'est le Livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi - tout un programme ! - publié en 1994. C'est enfin la promulgation, par la conférence intergouvernementale de Nice, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en décembre 2000.
Or l'expérience que font les Français n'est pas concluante et ils le disent !
Les partisans du oui nous expliquent que la Charte des droits fondamentaux est maintenant dans la Constitution. Oui, mais elle n'est pas contraignante.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne apporte un éclairage bienvenu sur ce point. Commentant l'article III-112, elle indique : « Il s'agit de bien marquer le fait que la reconnaissance de certains droits par la Charte ne les érige pas pour autant automatiquement en droits justiciables, voire en droits imposant une obligation de faire aux institutions européennes.
« Ces droits (par exemple le droit d'accès aux prestations de la sécurité sociale, le droit de travailler - et non pas au travail, je le signale ! - ou le droit à la protection à la santé) correspondent à des objectifs, à des principes qu'il convient évidemment de respecter, et même de promouvoir [...], sans imposer pour autant une obligation de résultat. »
Avec la Charte, nous sommes bien loin de l'obligation de résultat. En revanche, l'obligation d'entrer dans le carcan financier de Maastricht, sous peine d'astreinte financière, est elle bien réelle !
Commentant l'article III-111, la délégation précise que la Charte s'impose aux Etats membres, « mais uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (pour les réglementations et législations strictement nationales, le respect des droit fondamentaux par les Etats membres s'apprécie au regard du droit interne [...]
« Par rapport à l'actuel article 51 de la Charte, cet article de la Constitution n'apporte pas de modification de substance. »
Comment, alors, ne pas souscrire aux inquiétudes des féministes, qui constatent que la Charte s'abstient de toute avancée ? « L'égalité des femmes et des hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail » est énoncée, mais l'article ne s'applique pas aux rémunérations.
Le droit à disposer de son corps - contraception et avortement - est absent. Aucune avancée n'est donc prévisible pour les femmes du Portugal, de Pologne, d'Irlande.
Le droit au mariage est inscrit, mais pas le droit au divorce ! L'esclavage et le travail forcé sont interdits, mais la prostitution n'est pas explicitement citée.
Il s'agit donc d'une charte qui n'est pas contraignante et qui ne se fixe pas d'objectifs ambitieux en matière de droits individuels et de droits sociaux : c'est un comble !
Elle est en deçà des objectifs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 !
Quant à la peine de mort, les abolitionnistes, dont je fais partie, ont raison d'être déçus. Des dérogations, en cas de guerre ou de risque de guerre, restent possibles : quelle avancée !
Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la méthode Coué, le rouleau compresseur de la propagande ont toujours leurs limites !
Les partisans du oui ont bien du mal à faire croire que voter oui, c'est voter pour l'Europe et que voter non, c'est être antieuropéen ! Nos concitoyens, la jeunesse aspirent à une Europe sociale, démocratique, à une Europe de paix, à une Europe qui joue un rôle positif dans le monde. C'est ce que la France a porté en s'opposant à l'intervention militaire en Irak. Quel souffle avons-nous alors donné à tous les pacifistes !
Dire non à ce traité, c'est dire non à la politique libérale du gouvernement actuel, c'est dire non aux politiques libérales européennes actuelles et à venir. La voix de la France sera entendue !
Le journal L'Humanité - qui a publié le traité dans son intégralité dès le mois d'octobre dernier -, ...
... met en exergue aujourd'hui une citation de Victor Hugo que je vous invite à méditer : « L'Europe ne peut être tranquille tant que la France n'est pas contente » !
Dire que l'Europe va s'arrêter si le non l'emporte en France n'est pas crédible. L'aspiration à l'Europe est forte, durable ; elle n'est pas subordonnée à un traité.
Sur le plan institutionnel, les choses sont claires. En cas de non-ratification, le traité de Nice continue de s'appliquer et « le Conseil se saisit de la question ». En un mot, on renégocie.
Quant à son sens, les choses seront tout aussi claires : le non en France, pays fondateur de l'Europe, sera un non aux politiques libérales. Cela signifie un non au dumping social, un non à l'harmonisation par le bas, un non à la casse des services publics, un non à la hausse des dépenses d'armement inscrites dans le traité, un non à la mise sous tutelle de l'Europe par l'OTAN !
Nous sommes des « politiques ». Alors, comment peut-on dire que rien d'autre n'est possible ? Quel pessimisme et quel mépris des peuples !
Le refus du traité par la France modifiera le paysage politique. Non, la France ne sera pas isolée ! Le non de la France ouvrira de nouvelles perspectives pour tous ceux qui veulent une Europe de progrès social, une Europe de l'égalité, de la solidarité, des services publics, de la coopération. Ce non à l'Europe libérale rassemble ! Il est porteur d'espoir.
Madame, messieurs les ministres, les sénatrices et les sénateurs de notre groupe feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que notre peuple, s'exprime le 29 mai. Toutes les voix sont égales dans l'urne ; celle du salarié de l'entreprise délocalisée aura le même poids que celle de M. Seillière.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous allons bientôt nous prononcer sur le traité constitutionnel sur l'Europe, adopté à Rome le 29 octobre 2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement.
Certains de nos compatriotes ont déjà fait leur choix ; d'autres, nombreux, hésitent encore. Ce sont ces derniers que nous devons convaincre, soit de voter non, soit de voter oui. Pour ma part, je me situe bien évidemment dans le camp du oui.
A tous, j'aimerais d'abord dire ceci : ne nous trompons pas de cible, ne nous trompons pas de débat ! Ceux qui agitent des chiffons rouges pour attiser les peurs, qui amalgament politique nationale et débat constitutionnel ou prétendent que voter oui permettra l'entrée de la Turquie dans l'Union sont hors sujet et sont quelquefois animés d'arrière-pensées politiciennes.
Voilà quelques jours, j'ai rencontré des personnes que je connais bien : elles étaient persuadées que si nous votions oui, la Turquie, dès le lendemain du référendum, le 30 mai, serait dans l'Europe. C'est incroyable ! C'est une désinformation extraordinaire !
C'est pour cette raison que nous devons les uns et les autres prendre notre bâton de pèlerin pour expliquer vraiment la réalité des choses.
La Constitution européenne est un texte collectif, issu des travaux d'une convention composée de parlementaires européens et nationaux ainsi que de représentants des gouvernements. Tant les entreprises que les syndicats ont été consultés. La Constitution est le résultat d'un consensus que nous devons au président Giscard d'Estaing et aux conventionnels de qualité qui l'entouraient.
Rappelons que la Constitution européenne ne favorise pas en soi l'éventuelle adhésion de quelque Etat que ce soit. Au contraire, elle nous permet d'être plus exigeants vis-à-vis des pays candidats, parce .qu'elle conditionne l'appartenance à l'Union au respect de notre héritage culturel et humaniste et à celui de valeurs telles que la démocratie, les droits de l'homme et des minorités, l'Etat de droit ou l'égalité entre les hommes et les femmes.
Agir en politique ne peut conduire à des réflexes mécaniques. La seule « bonne » façon de voter, c'est de répondre à la question posée. Elle n'est rien d'autre que celle-ci : « Voulez-vous de cette Constitution pour l'Europe ? »
Quand je voterai oui le 29 mai, je ne dirai oui ni à Jacques Chirac, ni à Jean-Pierre Raffarin, ni à François Hollande. Je dirai oui à la Constitution européenne !
A ceux qui refusent ou craignent l'Union européenne, je rappellerai qu'elle est déjà faite et que la France a tout à y gagner ; elle y a, d'ailleurs, déjà beaucoup gagné.
Depuis la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA, et la Communauté européenne de l'énergie atomique, EURATOM, au début des années cinquante, beaucoup de chemin a été parcouru. Le traité de Rome a conçu la Communauté économique ; l'Acte unique a achevé le grand marché européen ; Maastricht a offert une nouvelle ambition avec la monnaie unique ; enfin, Amsterdam, puis Nice, ont ouvert la voie à la Constitution.
De petit pas en petit pas, à force de volontarisme et de compromis, l'Union européenne s'est dotée d'un ensemble de règles et d'institutions communes. Aujourd'hui, elle s'étend à presque tout le continent.
Certains ne voient que les aspects contraignants de l'Union. Qu'ils songent aussi à ce que cette construction nous a apporté : la réconciliation et la paix durable entre des pays si longtemps ennemis - depuis des siècles, nous n'avions pas connu cinquante ans de paix avec l'ensemble de nos voisins, que ce soient l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne ou l'Autriche -, la possibilité de circuler, de résider, d'étudier, de commercer sur un vaste territoire et, enfin, le développement grâce à la solidarité.
On n'insiste pas assez souvent sur ce dernier aspect. Les fonds structurels européens ont permis à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce, ainsi, du reste, qu'à certaines régions françaises, de combler leur retard. Qui peut s'en plaindre aujourd'hui ? Pourtant, en 1986, que n'a-t-on entendu de la part de certains de nos concitoyens, spécialement de ceux résidant dans le sud-ouest ? On allait les étrangler, on allait les ruiner ! Finalement, le rattrapage de leur retard par l'Espagne, le Portugal et la Grèce a été très profitable à l'ensemble de leurs voisins.
Pourquoi accuser les nouveaux adhérents de vouloir en profiter ? Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres. Nous verrons que ces pays rattraperont vite leur retard, car ils n'ont pas perdu la culture du développement.
L'Europe est bien là, n'en déplaise à ses détracteurs, et un non au référendum ne nous fera pas revenir en arrière. Il nous fera simplement stagner pendant de nombreuses années. La France, dans cet ensemble, perdrait alors beaucoup de son autorité.
En acceptant de transférer ou de partager certaines compétences, non seulement la France n'abandonne ni son identité ni son indépendance, mais elle y gagne.
Qui peut prétendre aujourd'hui que notre pays a suffisamment de poids face aux Etats-Unis, à la Chine, à l'Inde, demain face au Brésil, pour défendre ses positions et ses intérêts ? Qui peut affirmer que notre pays peut lutter seul contre le terrorisme et l'immigration clandestine ou peut protéger seul son environnement ?
Faisons donc preuve de modestie, de réalisme et d'honnêteté en admettant que seule une Europe structurée et puissante sera capable de protéger notre modèle de société et nos intérêts. En son sein, la France peut continuer d'exercer son influence dans le monde.
Mes chers collègues, sur cent citoyens du monde, un seul est français. Il faut quand même bien trouver le moyen de s'arranger avec quelques-uns de ces quatre-vingt-dix-neuf autres ! Il est préférable de le faire avec des gens qui partagent notre vision, notre idéal, nos valeurs. Or qui les partage, sinon les pays d'Europe qui nous sont les plus proches ?
A ceux qui s'interrogent sur le contenu de la Constitution, j'indiquerai simplement quelques-unes des raisons qui motivent le groupe du Rassemblement démocratique et social européen à voter oui.
Nous voterons oui parce que la Constitution européenne consolide les acquis européens et parce que nous sommes convaincus que nous sommes plus forts ensemble pour préserver nos emplois, notre agriculture, notre culture et notre technologie dans la compétition internationale. Les réussites éclatantes, telles que celles d'Airbus ou d'Ariane, en témoignent.
Nous voterons oui parce que, pour la première fois, un traité européen définit un modèle politique et social pour l'Union et parce que celui-ci s'inspire fortement de notre modèle républicain.
Respect de la dignité humaine, droits des minorités, égalité entre les hommes et les femmes, développement durable, accès à l'aide sociale et aux services publics, plein emploi, lutte contre l'exclusion, cohésion territoriale, solidarité entre les générations, droits syndicaux : ces valeurs, ces objectifs ou ces droits fondamentaux, inscrits pour la première fois dans la Constitution européenne, ne reflètent pas franchement une conception ultralibérale !
Un rejet du traité compromettrait les espoirs de placer l'homme au coeur du projet européen et de faire avancer l'Europe sociale. Le grand vainqueur serait finalement le seul marché unique, dont nombre de partisans du non déplorent la vision libre-échangiste et anglo-saxonne.
Nous voterons oui parce que la Constitution européenne permet un fonctionnement de l'Union plus transparent et plus démocratique.
Au fil des traités, nous avons conçu, comme le disait Jacques Delors, un objet politique non identifié. L'Europe n'est pas un Etat, mais ce « non-Etat » dispose d'un budget propre et légifère, selon des procédures qui sont incompréhensibles pour le grand public, par des autorités qui échappent au bulletin de vote des électeurs européens et, en général, dans l'indifférence des médias.
Le texte constitutionnel redonne justement la main au politique en soumettant la Commission à un contrôle renforcé du Parlement européen et des parlements nationaux. Cela est important pour nous car nous serons bien davantage consultés à l'avenir que dans le passé. Du reste, les directives deviendront des projets de loi soumis à débat et à vote.
Enfin, nous voterons oui parce que la Constitution européenne est un premier pas vers une Europe de la défense, nécessaire pour bâtir une « Europe-puissance » et assurer la sécurité des citoyens.
Au-delà de la création d'un poste de ministre des affaires étrangères, qui donne une voix à l'Europe, la principale avancée est certainement l'introduction d'une clause de défense mutuelle.
Pour conclure, je me permettrai d'interroger sur le sens de leur démarche ceux qui, malgré tout, diraient non à la Constitution européenne.
Veulent-ils rompre le pacte qui nous lie depuis cinquante ans à nos partenaires ? Ils prendraient alors de lourdes responsabilités, celle d'enlever toute crédibilité à la France, qui a inspiré l'édifice européen et a beaucoup oeuvré à sa construction, celle d'isoler notre pays et de le priver du moyen de défendre ses intérêts dans le monde. Je vous en supplie : pas de repli frileux sur l'hexagone !
Veulent-ils que la Constitution européenne soit renégociée ? Ils ne sont pas sérieux ! Il a fallu deux ans pour élaborer et faire accepter ce texte par tous les Etats membres.
La France ne pourra pas demain exiger des autres ce qu'elle n'a pu obtenir hier ! On en resterait alors au traité de Nice, dont tout le monde sait qu'il ne permet pas de fonctionner correctement à vingt-cinq, d'autant que la règle de l'unanimité s'applique à de nombreux domaines. On bloquerait ainsi toute possibilité d'avancer pendant plusieurs années.
Quant à ceux qui abordent le débat caricaturalement ou le prennent en otage pour servir des stratégies individuelles, pour d'autres échéances, ils ne sont respectueux ni de nos partenaires ni des Français.
Il faut certes entendre les inquiétudes exprimées par nos concitoyens sur leur avenir et y répondre. Mais rétablissons la vérité une bonne fois pour toutes : tout partisan du oui n'est pas un ultralibéral patenté ou un fossoyeur de la France ! Notre oui, au groupe RDSE, est un oui de responsabilité tout autant qu'un oui de conviction.
La Constitution pour l'Europe est sans doute perfectible. Elle est déjà une promesse de liberté et de progrès pour chaque citoyen européen, bien plus réelle que le vide qui serait laissé par un éventuel non le 29 mai prochain.
L'Europe, mes chers collègues, est définitivement une réalité. Elle est désormais unie au terme d'expériences amères pour de nombreux pays. Elle entend avancer sur la voie de la civilisation et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants.
Elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social. Elle souhaite oeuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde. A nous de réaliser ce « rêve européen » que le préambule et le contenu de la Constitution nous permettent d'entrevoir et que nos enfants et nos petits-enfants attendent. L'Europe, alors, aura la politique de sa pensée.
Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP. M. Daniel Reiner applaudit également.
Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour que tous les Européens se prononcent sur le texte du traité, les Verts avaient souhaité une consultation transnationale, à l'initiative des institutions communautaires.
Il s'agissait de donner d'emblée une visibilité à l'ampleur de l'enjeu, à la dimension territoriale du débat, et d'éviter la juxtaposition de messages nationaux, très dépendants de chaque opinion publique envers son gouvernement du moment.
Cela n'a pas été possible, et nous voici face au mécontentement majoritaire des Français devant le sort qui leur est fait.
Mécontentement aggravé, car le message des régionales n'a pas été entendu par le Gouvernement.
Mécontentement enraciné et mal dirigé, car, depuis des décennies, certains font passer pour les choix « des technocrates de Bruxelles » leurs mauvais coups élaborés par les multinationales, ou relayés par les politiques ultra-libéraux.
Mécontentement durable, car vous avez oublié cyniquement le large front républicain de 2001, embrayant sur un train de réformes funestes.
Pour autant, c'est contre ce gouvernement, contre ses choix destructeurs pour la solidarité et la nature que nous luttons ; ce n'est sûrement pas contre le cadre européen où s'expriment des exigences plus protectrices.
Les Verts sont pour un oui européen solidaire. Certes, ce traité ne définit pas l'Europe de nos rêves, mais il ouvre un espace élargi, pacifié au plan diplomatique pour la construire, un espace à ensemencer et à cultiver pour mener vers un mieux-disant social et environnemental dans la démocratie et la transparence.
Nous venons de loin : la construction européenne n'a-t-elle pas commencé par l'union monétaire et économique, par une Commission cooptée par les chefs d'Etat, peu soucieuse de l'avis du Parlement, par des travaux du Conseil à huis clos ? N'a-t-elle pas été rythmée par des traités écrits et validés sans la participation des représentants des peuples ?
Mais ce n'est pas au moment où tout cela peut changer qu'il faut freiner ! A l'élaboration sont maintenant associés des parlementaires. Il y aura codécision du Conseil et du Parlement. Celui-ci gagne vingt-sept nouveaux domaines de compétence, dont l'agriculture.
Les droits s'affirment, et la Charte, tout en favorisant les mieux-disant nationaux, rend contraignantes les exigences minimales.
Il y va de l'égalité hommes-femmes, de la limitation du dumping social, du droit des minorités, de la démocratie participative, du développement durable, du droit du travail, du droit des personnes expulsées.
En matière de culture, nos modes de soutien à la création sont préservés : « pas d'harmonisation législative et culturelle », dit le traité. Et s'il y avait un risque « d'atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union », un vote à l'unanimité serait requis.
Ce que nous défendons ici avec force - l'aide à la création, à la diffusion et à l'emploi artistique - est davantage menacé par des choix nationaux que par des obligations qui s'imposeraient à la France.
Reste le marché et son cortège de gains de productivité à coup de renoncements sociaux et environnementaux : la route est encore longue pour que la solidarité et le respect des milieux naturels garantissent à chacun la santé, l'épanouissement et le droit de gagner dignement sa vie. Mais du chemin a été parcouru et ceux qui brandissent les seules « règles de la concurrence » omettent de dire qu'elles régissaient déjà hier les échanges, et que le travail des militants et des élus a permis d'ajouter « dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie ».
On peut vouloir rester au texte précédent, mais je ne suis pas certaine que les missions et les salariés d'EDF, de La Poste ou de France Télécom en sortent gagnants !
A ceux qui ont peur de l'Europe, rappelons qu'en matière d'environnement les directives européennes sont plus fiables que les discours du Président Chirac. D'ailleurs, nous sommes menacés de poursuites pour non-respect des arrêts de la Cour européenne de justice sur six affaires : préservation de la nature, accès à l'information, protection de l'eau, gestion des déchets et micro-organismes génétiquement modifiés !
Pour les consommateurs, il y a plus de protection possible dans une Europe où le Parlement veille que dans celle d'hier où le Président français enrayait d'un coup de téléphone le programme REACH, cédant aux intérêts de l'industrie chimique.
Où est la menace libérale pour les travailleurs : dans une Europe qui exige, pour le démontage des matériaux amiantés, la surveillance de l'exposition, les pauses intermédiaires en démontage, l'apprentissage de la décontamination, la surveillance et la conservation des dossiers médicaux pendant quarante ans, ou en France, pays qui n'exige aucune qualification des entreprises d'enlèvement des matériaux à fibres captives ?
Mais est-il bien utile d'argumenter rationnellement ? Le non n'est-il pas devenu le porte-voix de la colère contre le Gouvernement et les méfaits de la spéculation mondiale, et le traité le bouc émissaire d'une population malmenée ?
Je laisse de côté certains porteurs du non, enkystés dans un souverainisme d'un autre âge ou le nationalisme revanchard d'une époque qui désignait déjà Jean Jaurès comme ennemi de la France, avant de sauter dans les bras de tous les reniements belliqueux.
Je laisse aussi le non du repli et du conflit, alors que la majorité des Européens appellent au dépassement des égoïsmes nationaux, seule voie vers une paix durable.
J'alerte sur un non qui se trompe de cible, un non qui déconstruirait des outils qui peuvent nous protéger, faire pièce au libéralisme mondial débridé, pour peu que l'on y travaille, un non qui plairait à George Bush et dédouanerait Tony Blair de sa responsabilité.
Ne cédons à aucune simplification : le oui n'est heureusement pas la sanctification d'un projet européen de société libérale. Et ne nous faisons aucune illusion : le non ne portera pas un coup d'arrêt fatal à la casse des acquis sociaux.
En revanche, un travail militant sur les textes à venir nécessite que soit voté le traité qui rend pouvoir au Parlement. Des députés Verts y travaillent. Ce sont eux qui ont demandé le retrait de la directive « Services » au profit d'une directive « Services d'intérêt général », une évaluation d'impact global sur les conséquences économiques, sociales et environnementales, le vote par appel nominal sur le paragraphe 6 - écrit par la droite - qui lie l'ouverture du marché des services à la croissance et l'emploi. Cet appel nominal eut pour effet la mise en minorité des promoteurs et le retrait du paragraphe 6 !
En hommage au travail pugnace et assidu de nos députés européens Verts, nous souhaitons leur garantir de plus grandes marges de manoeuvre : le traité le permettra.
Je terminerai en citant un grand auteur français, qui s'étonnait, voilà un siècle, de l'embrasement de l'opinion pour une mauvaise cause : « Dans les affreux jours de trouble que nous traversons, au moment où la conscience publique paraît s'obscurcir, c'est à toi que je m'adresse, France, à la nation, à la patrie. Chaque matin, en lisant dans les journaux ce que tu sembles penser (...), ma stupeur grandit, ma raison se révolte davantage. Eh quoi ? France, c'est toi qui en es là, à te faire une conviction des plus évidents mensonges (...), à t'affoler sous l'imbécile prétexte que l'on insulte ton avenir (...), lorsque le désir des plus sages, des plus loyaux de tes enfants, est au contraire que tu restes, aux yeux de l'Europe attentive, (...) la nation d'humanité, de vérité et de justice ? Et c'est vrai, la grande masse en est là, surtout la masse des petits et des humbles, le peuple des villes, presque toute la province et toutes les campagnes, cette majorité considérable de ceux qui acceptent l'opinion des journaux ou des voisins, qui n'ont le moyen ni de se documenter, ni de réfléchir. Que s'est-il donc passé, comment ton peuple, France, ton peuple de bon coeur et de bon sens, a-t-il pu en venir à cette férocité de la peur (...) ? »
Ce texte est de Zola. Il a été publié la veille de J'Accuse et est moins connu. En voici l'original
L'oratrice présente le feuillet.
Bien sûr, ni les acteurs, ni la gravité, ni les conséquences ne sont ceux de notre débat. Et pourtant, nous, tenants d'un oui de lutte et de gauche, nous avons aujourd'hui aussi un devoir d'alerte pour préserver la Constitution européenne et sa construction.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.
M. Jean François-Poncet. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, - en tout cas, ceux d'entre vous qui sont présents sur ces travées et dont je salue la détermination et le courage parlementaire
sourires
Or le non à la Constitution européenne l'emporte, sondage après sondage. D'où vient ce paradoxe ? D'où vient cette contradiction ? Pourquoi une majorité de Français dit-elle oui à l'Europe et non à la Constitution ?
Nous savons tous, évidemment, dans nos différents départements, que le non à la Constitution, pour beaucoup, est le non au chômage, aux délocalisations, à la réforme de l'école, à la directive Bolkestein, à l'entrée de la Turquie ; c'est le destin malheureux mais congénital de tous les référendums.
Mais la mauvaise humeur n'explique pas tout, loin de là. La vérité, c'est que, derrière l'adhésion globale à l'unité de l'Europe, se profilent un malaise latent, une source d'hostilité à l'encontre de l'Europe telle qu'elle s'est construite à Bruxelles.
On lui reproche - nous avons tous ces reproches présents à l'esprit - de s'occuper de tout, d'avoir laissé la bride sur le cou à la technocratie, d'avoir accordé la portion congrue à la démocratie. On lui reproche de s'élargir sans fin, d'être divisée et impuissante, sans voix lorsque des événements aussi graves que ceux qui sont survenus en Irak exigeraient l'union de tous.
Le fait est que la Convention a pris en compte tous les reproches qui sont adressés à la Constitution. Ceux qui m'ont précédé à cette tribune - je ne reprendrai pas leurs propos - nous ont indiqué que la Constitution répondait complètement à tous ces reproches, que, si les dispositions de cette Constitution qui nous ont été décrites étaient mises en oeuvre, ces avancées remettraient l'Union européenne sur des rails qu'elle n'aurait probablement jamais dû quitter.
Mais qui le sait ? Les contre-vérités répandues par les partisans du non rencontrent plus d'écho que les explications honnêtes développées par ceux du oui. Notre information est encore insuffisamment simple, convaincante, réellement audible. Heureusement, il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu.
Mes chers collègues, la montée du non a aussi une autre cause, plus pernicieuse, sur laquelle il est essentiel de s'arrêter. J'y consacrerai l'essentiel de mon propos.
Les adversaires de la Constitution ne font pas campagne contre la construction européenne. Au contraire, à les entendre, ils en seraient les meilleurs serviteurs. Ils ne la combattent pas, ils volent à son secours, au nom d'une autre Europe, la vraie, la leur. Mais cette Europe, ils se gardent bien de la décrire, en dehors de quelques plates généralités, comme celles qui viennent d'être énoncées à cette tribune.
Sourires sur les travées de l'UMP.
A cela, il y a deux raisons. Premièrement, ils ne sont d'accord entre eux sur rien ! Deuxièmement, s'ils avaient un projet et se risquaient à l'exposer, on s'apercevrait instantanément que personne n'en veut, ni en France ni en Europe !
Aussi se contentent-ils, pour l'essentiel, de banaliser les conséquences du non. Rassurez-vous, nous disent-ils, le rejet de la Constitution ne provoquera pas de grande commotion : le traité de Nice reprendra du service et la crise sera salutaire, comme les crises européennes l'ont toujours été. Vient enfin l'argument suprême : grâce à la crise, « la France reprendra la main », selon le titre d'un récent article.
Le moment est venu de dire clairement aux Français où en seraient l'Europe et la France si le non l'emportait le 29 mai prochain. M. le ministre est sans doute en mesure de le faire ; je vais quant à moi m'y essayer, à mes risques et périls...
S'il est vrai que, dans le passé, l'Europe a surmonté les crises qui ont jalonné sa route et si elle a pu, chaque fois, rebondir et même progresser, c'est pour la seule et unique raison que la France et l'Allemagne les ont affrontées ensemble, au coude à coude.
Les différends qui ont si souvent secoué leur couple n'ont jamais durablement entamé leur entente fondamentale sur l'Europe. La France et l'Allemagne ont toujours élaboré conjointement et fait accepter par leurs partenaires les solutions qui ont permis à l'Europe de surmonter les crises et d'en sortir par le haut. Or tel ne serait plus le cas si le non l'emportait en France, alors que le Bundestag s'apprête à approuver le projet de Constitution à la quasi-unanimité de ses membres.
Nous touchons ici à l'essentiel : pour la première fois en cinquante-cinq ans, les chemins de la France et de l'Allemagne se sépareraient en ce qui concerne l'Europe, c'est-à-dire non pas sur un sujet secondaire, mais sur une question fondamentale. En effet, avec la Constitution, il s'agit de poser un toit sur l'édifice que nous avons patiemment construit ensemble pendant un demi-siècle. Imaginez, mes chers collègues, la stupeur des Allemands et ce qui subsisterait, outre-Rhin, de notre crédit !
Je ne cherche pas à dramatiser. Le traité de l'Elysée continuerait de s'appliquer. Le Chancelier allemand et le Président de la République française se concerteraient. M. le ministre des affaires étrangères parlerait avec son homologue et ils feraient de leur mieux pour limiter les dégâts et sauver ce qui pourrait l'être.
Mais on découvrirait très vite, à mon avis, que l'Europe a changé de centre de gravité et que, grâce à la France, l'heure attendue par la Grande-Bretagne depuis un demi-siècle a finalement sonné. Londres ramasserait les morceaux et prendrait les rênes.
Mes chers collègues, permettez moi d'évoquer un souvenir personnel.
En 1957 - qui, parmi vous, était né à cette époque ?
sourires
La Grande-Bretagne, qui ne croyait pas au succès de cette négociation, n'y avait pas participé. Après la signature du traité, nous avions donc été envoyés à Londres afin d'inviter les Britanniques à nous rejoindre au sein de l'Union.
Harold Mac Millan, avec une exquise courtoisie, nous expliqua pourquoi le traité de Rome n'était pas fait pour la Grande-Bretagne. Il évoqua le Commonwealth, les liens particuliers de son pays avec les Etats-Unis et son ouverture au grand large. Puis, après un long silence, il ajouta en souriant : « Mais si vous réussissez, nous vous rejoindrons ».
Mes chers collègues, si le non l'emportait, c'est la France qui rejoindrait la Grande-Bretagne. Celle-ci aurait-elle d'ailleurs encore besoin de voter ? Je n'en suis pas certain.
Ne voyez pas dans mes propos Dieu sait quelle forme d'anglophobie ! La Grande-Bretagne est un grand pays. Elle est notre alliée, une alliée courageuse, dont l'économie, grâce aux réformes imposées par Mme Thatcher, et auxquelles Tony Blair a eu l'intelligence de ne pas toucher, est l'une des plus performantes d'Europe.
Le niveau de vie des Britanniques, qui était largement inférieur à celui des Français, le dépasse aujourd'hui. Enfin, avec un taux de chômage de 4 %, la Grande-Bretagne fait mieux que les Etats-Unis !
Voulons-nous pour autant d'une Europe à l'anglaise ?
Celle-ci aurait deux caractéristiques principales.
Tout d'abord, à l'intérieur, il s'agirait d'une zone de libre échange, où le marché délimiterait l'espace laissé aux politiques sociales et où la concurrence servirait d'arbitre entre les systèmes fiscaux. Quant à la politique agricole, elle serait rapidement vouée à la renationalisation.
Ensuite, à l'extérieur, l'Europe deviendrait une province de l'ensemble atlantique. Ses priorités seraient fixées par l'OTAN, en étroite liaison avec Washington. L'Europe européenne rejoindrait le général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises.
Cette Europe à l'anglaise est celle que les partisans du non prétendent combattre par dessus tout. Or, c'est celle qu'ils installeraient eux-mêmes aux commandes si le non l'emportait.
Je viens de parler de l' « Europe à l'anglaise ». J'ai eu tort. En effet, si la Grande-Bretagne était seule, au début, à défendre ce modèle, aujourd'hui, de nombreux pays sont prêts à y souscrire, non seulement les dix nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, mais aussi les social-démocraties scandinaves, qui s'en accommoderaient aussi bien que les travaillistes britanniques.
L'Allemagne elle-même, qui nous a suivis et qui penche comme nous pour une économie sociale de marché et pour une Europe indépendante au sein de l'Alliance, s'y rallierait si la France, par son vote, reniait l'oeuvre commune. Elle le ferait d'autant plus volontiers que le parti de la démocratie chrétienne, la CDU, qui se rapproche davantage du pouvoir à chaque nouvelle élection régionale, verrait probablement sans trop d'états d'âme l'Allemagne rejoindre sa place traditionnelle de bon élève de la classe atlantique.
Mes chers collègues, j'ai mis l'accent sur le nouvel équilibre des forces que le non de la France installerait en Europe. Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer la multitude des retombées négatives qu'entraînerait le retour au traité de Nice. Mais je n'y reviens pas, de peur de vous lasser, car les orateurs qui m'ont précédé l'ont très bien expliqué.
J'attirerai simplement votre attention sur deux observations, dont il a rarement été fait état.
La première concerne directement la France. En substituant le critère de la population aux pondérations arbitraires de Nice, la Constitution fait passer le poids de la France dans les institutions européennes de 9 % à 13 %, le poids du couple franco-allemand de 18 % à 31 %, et celui de l'Europe des six à l'intérieur de l'Europe des vingt-cinq de 36 % à 49 % : l'acquis pour la France et pour ceux qui partagent sa conception de l'Europe se passe de tout commentaire.
La seconde observation concerne la Turquie. Cette question est hors sujet, c'est une affaire entendue, mais nous l'abordons dans toutes nos réunions.
S'il est vrai que la Turquie n'a pas sa place au sein d'une Europe politique, en l'occurrence celle qui est prévue par le projet de Constitution, rassemblant des pays unis par une histoire et une civilisation que la Turquie, qu'on le veuille ou non, ne partage pas, on voit mal pourquoi on exclurait ce pays d'une union purement économique, fondée sur le libre échange et exposée à tous les vents.
C'est le non, mes chers collègues, qui ouvrirait la porte à la Turquie, et non pas le oui ! Il nous faut en convaincre l'opinion publique.
La construction européenne survivrait probablement à un non de la France, mais elle cesserait d'être française ou franco-allemande : elle deviendrait anglo-saxonne et nous ne pourrions que nous y résigner.
Cinquante ans d'audace et d'efforts, conduits par cinq présidents de la République, soutenus par des majorités autant de gauche que de droite, se trouveraient balayés par un « coup de lune ». Or l'ascension spectaculaire de la Chine annonce l'émergence, beaucoup plus rapide qu'on ne le prévoyait, d'un monde multipolaire, qui aura grand besoin d'une Europe puissante et indépendante, de son expérience, de ses valeurs et de sa sagesse.
L'Europe ne sera européenne que si, en votant oui, la France continue de lui imprimer sa marque.
Il est grand temps de « dire non au non », avec toute la force de conviction et de persuasion dont nous sommes capables, dans nos villes et dans nos campagnes, en mobilisant nos amis qui sommeillent, en éclairant les hésitants qui s'interrogent et en convainquant ceux qui veulent voter non sans mesurer les conséquences de leur vote.
Mes chers collègues, au travail !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me contenterai de reprendre quelques points de ce débat, dont la qualité mérite d'être soulignée : répondant à l'ensemble des interrogations, il devrait balayer les argumentations fallacieuses développées par les tenants du non. A ceux qui voudraient transformer ce référendum et le réduire à un vote partisan - pour le Gouvernement, pour le Président de la République - je tiens à rappeler qu'il recouvre, au contraire, un enjeu majeur.
Pourquoi ce débat, qui vient, c'est vrai, à un moment où la campagne du non est sans doute plus lancée que celle du oui, ne serait-il pas le déclic dont notre pays a besoin pour prononcer un oui d'espérance, un oui de confiance en l'avenir de la France, en l'avenir de l'Europe ?
Après les propos remarquables qu'a tenus M. Jean François-Poncet, qu'il me suffise de dire que, si le non l'emportait, nous n'aurions aucune chance de retrouver l'accord de vingt-cinq pays sur un nouveau texte. C'est d'ailleurs aux qualités des membres de la Convention - M. Hubert Haenel, le président Valéry Giscard d'Estaing, sans oublier l'acteur éminent que vous avez été vous-même, monsieur le ministre - que nous devons d'avoir fait émerger un accord sur un texte.
Y avoir réussi, c'est tellement extraordinaire que nous devrions aujourd'hui nous laisser emporter par cet élan pour faire partager notre ardeur et notre enthousiasme en expliquant ce qui se passerait en cas de victoire du non ! Il n'y a aucune chance qu'un autre traité, meilleur, puisse être conclu demain ! Cessons de le laisser croire, et essayons, en revanche, de mettre en valeur l'élément d'espérance que porte cette Constitution.
Mes chers collègues, quels que soient nos sentiments, chacun mesure bien ici, après la mort du Pape, l'universalité de la place de l'homme. Or, la place de l'homme est au coeur de la Constitution.
A ceux qui voudraient utiliser des références chrétiennes pour combattre ce texte, vous me permettrez de rappeler ce communiqué des églises chrétiennes dont on a peu parlé et qui, dans le respect des uns et des autres, souligne que la communauté de valeurs au service de l'homme est bien au coeur même de cette Constitution.
De ce communiqué établi dans le respect de nos consciences, signé du président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, du président de la Fédération protestante de France, du président de la Conférence des évêques de France, la conclusion qui se dégage, c'est la place de l'homme dans cette Constitution. Elle en fait un élément d'espérance pour tous.
Et je voudrais saisir cette occasion pour balayer les attaques de ceux qui, au motif que la Constitution emploie, non le mot de « chrétien», mais celui de « religion », développent des campagnes injustifiées.
De même, il nous appartient de répondre aux arguments de ceux selon lesquels cette Constitution, ouverte au seul jeu de la concurrence, oublierait les droits fondamentaux des individus.
Mes chers amis, comment assurer un développement économique qui garantisse l'épanouissement des uns et des autres autrement qu'en votant oui à cette Constitution ? Arrêtons de faire supporter par l'Europe les conséquences de situations parfois difficiles, alors qu'elle est le seul remède à ces maux !
Au monde de l'agriculture, je rappellerai ce que l'Europe lui a apporté. Qu'il n'oublie pas que l'action du Président de la République, lors de l'accord de Luxembourg, a permis de pérenniser jusqu'en 2013 un soutien financier qui atteint 8 milliards, voire 9 milliards d'euros. Pour nos agriculteurs, c'est la garantie que si la Constitution est votée, la politique agricole commune évoluera, certes, mais dans le respect de la conception qui a toujours été la nôtre, celle de l'exploitation agricole familiale.
Bien sûr, nos agriculteurs devront adopter des techniques de production plus respectueuses de l'environnement ; bien sûr, ils devront se conformer à un certain nombre d'exigences ; mais leur avenir sera assuré, alors qu'il serait condamné si la France, en choisissant de se tenir de l'écart, n'était plus en mesure de défendre leur cause.
Que les agriculteurs de France prennent deux minutes pour réfléchir qu'à se laisser aller, parce qu'ils ont des problèmes et qu'ils éprouvent des difficultés, ils risquent d'avoir demain des réveils terribles !
Pour apaiser certaines craintes, je dirai le fond de ma pensée : le mérite du débat sur le référendum, c'est d'avoir tout à coup permis dans notre pays une meilleure prise de conscience que la réalité européenne, c'est cette Europe à vingt-cinq, qui avait été oubliée et qui existe. Faute de se donner des règles de vie qui correspondent à cette nouvelle réalité, elle tombera en panne. L'angoisse que provoque chez certains cette prise de conscience, il nous appartient de la calmer.
De même, il nous revient de répondre aux interrogations de ceux qui ont peut-être besoin de mieux se faire expliquer ce que cette Constitution va leur apporter, notamment le fait que le pouvoir sera bien, désormais, un pouvoir politique ; et c'est en ce sens qu'on peut bel et bien parler de Constitution.
Ne nous laissons pas enfermer dans le débat consistant à savoir si, en l'absence d'Etat, il y a ou non une Constitution. Ce texte apporte une réponse vraie à la situation particulière d'une construction qui, après avoir associé les Etats, associe aujourd'hui davantage les citoyens.
Employons-nous donc à bien démontrer que le pouvoir sera, non pas le pouvoir des technocrates, mais un pouvoir politique nouveau. En effet, à travers un président élu pour un mandat renouvelable de deux ans et demi, le Conseil aura une voix politique et le ministre des affaires étrangères, qui parlera au nom de l'Europe, aura une chance que sa voix soit écoutée dans le monde.
Apportons la démonstration que le Parlement européen, élu par les citoyens, voit ses pouvoirs incontestablement renforcés. Et expliquons à ces électeurs que nous, parlementaires nationaux, allons désormais gagner une dimension d'action supplémentaire, celle de gardiens de la subsidiarité.
A ce titre, nous pourrons, de concert avec d'autres parlements, bloquer un certain nombre de textes et rappeler l'exigence de voir chacun remplir davantage son rôle, si possible au plus près du terrain. Et ce pouvoir, nous l'exercerons d'autant mieux que les compétences, exclusives, partagées, ou de soutien, sont définies dans le texte.
Nous avons aussi à rappeler que cette volonté embryonnaire de rapprocher les citoyens des responsables européens à laquelle a répondu la création du Comité des régions d'Europe sera renforcée. Cette instance aura, en effet, la capacité de saisir la Cour pour assurer le respect de la subsidiarité.
Il est capital pour nous de démontrer que, loin de créer des opportunités supplémentaires pour l'exercice d'un pouvoir technocratique, ce texte est, au contraire, l'occasion de faire émerger une réalité politique. Nous ne tomberons pas dans le piège !
De la fameuse « directive pour les services », je dirai, d'abord, qu'elle n'existe pas. Il y a eu un projet de directive, dont, je le rappelle ensuite, la délégation du Sénat pour l'Union européenne s'était saisie. Elle a fait un rapport. Et on sait très bien que, demain, la Constitution renforcera la capacité politique de blocage de tels projets.
Enfin, comme cela a été dit, face à la mondialisation, nous avons besoin aujourd'hui de cette organisation. Veut-on que l'Europe ait un poids ? Dans ces conditions, comment peut-on envisager que la France soit isolée ?
Je souhaite, pour ma part, que l'Europe vienne assurer la réalité de cette organisation multipolaire du monde, dans laquelle une place particulière serait faite à l'espace euroméditerranéen.
L'équilibre en Europe exige une politique de voisinage. Elle donnera une nouvelle dimension aux échanges avec des pays qui, sans avoir vocation à entrer dans l'Europe, ont vocation soit à accompagner ses actions, soit à être accompagnés par elle.
Il exige aussi une politique interne. Monsieur le ministre, lorsque vous étiez commissaire, vous avez été de ceux qui ont permis de faire intégrer, dans cette Constitution, à côté de la cohésion sociale, la cohésion territoriale.
Nous tous, ici, voulons que ce pays vive en équilibre. Grâce l'aménagement du territoire, nous souhaitons qu'il soit mis un terme au mouvement d'hyperconcentration urbaine et de désertification de nos montagnes ou de notre pays rural.
Tout comme l'aménagement du territoire donne une réponse pour un modèle de civilisation, notre Constitution est bien un modèle de civilisation fait pour assurer l'épanouissement de chacun dans notre société. Nous pouvons tous ensemble nous mobiliser pour faire gagner le oui. C'est un oui d'espérance et un oui de conviction que nous voulons porter.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la construction européenne est le fruit d'une longue marche, l'aboutissement d'une quête incessante vers plus d'harmonisation, plus de cohésion, plus d'efficacité.
Que de chemin parcouru depuis la création de la Communauté économique du charbon et de l'acier, en 1951, le traité de Rome, en 1957, et la signature, le 29 octobre 2004, par les vingt-cinq chefs d'Etat et de Gouvernement, du traité établissant une Constitution pour l'Europe ! Car en fait, un grand pays a besoin, plus que d'un traité, d'une Constitution.
Cette construction s'est déroulée avec le souci constant de faire de l'Europe une confédération d'Etats nations. Parallèlement à une élémentaire harmonisation, l'identité et la lisibilité des peuples et des nations qui la composent ont été préservées. Cet équilibre dans l'harmonisation était souhaité par les pères fondateurs de l'Europe.
Dans un monde de plus en plus ouvert, il était important de permettre à nos concitoyens de garder leurs repères et leurs racines. Ces repères et ces racines sont aujourd'hui, de par leurs différences mêmes, une vraie source d'enrichissement. Cela doit rassurer nos concitoyens : tout risque d'uniformisation est ainsi écarté.
Mais, aujourd'hui, la France doute ; elle n'a plus confiance en elle. Ecartelée entre le xxie siècle et ses nouvelles technologies et un xxe siècle où elle avait surmonté tant de soubresauts, la France est rongée d'inquiétude. Cette société inquiète est prête à basculer à tout moment dans le refus, voire dans la révolte. Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, la France se trouve dans l'incapacité d'accepter les mutations qui lui permettraient d'affronter l'évolution du monde qui l'entoure.
La France se réveille ainsi au milieu de 450 millions d'Européens et d'une mondialisation qu'elle subit alors qu'elle a les potentialités d'en être un acteur majeur.
Je salue les efforts du Gouvernement, qui a entamé les indispensables évolutions de nos structures et de nos modes de fonctionnement. Je reconnais l'ampleur des réformes réalisées, mais elles sont loin, malgré tout, d'être suffisantes. C'est là que l'Europe doit prendre le relais et nous inciter à réformer encore davantage.
Côtoyant, au sein de la délégation pour l'Union européenne, des parlementaires d'autres Etats membres, je mesure à chaque rencontre le fossé qui nous sépare. Entre les quinze pays de 1995 et les dix nouveaux entrants, on décèle une incompréhension naissante : une soif d'avancer pour les uns, une inquiétude face à l'avenir pour les autres.
On fait le reproche à l'Europe d'aujourd'hui de n'avoir pas su résister à la mondialisation. C'est un procès facile et c'est aussi un faux procès. La meilleure façon de résister à la mondialisation, c'est tout simplement de la précéder en assurant une meilleure compétitivité de l'Union européenne, une marche vers plus d'innovation, de réactivité et de souplesse. C'est, en fait, la stratégie de Lisbonne. Ce n'est pas de l'ultralibéralisme, c'est tout simplement du réalisme face à d'autres continents qui sont engagés sans état d'âme dans une quête de modernité. De quel droit pourrions-nous les en empêcher ? Aucun !
La Constitution européenne a précisément été pensée pour permettre à l'Europe d'évoluer et de replacer l'homme et les parlements nationaux au coeur de son fonctionnement, en lui redonnant davantage de proximité et de démocratie.
En créant un président permanent du Conseil, un ministre des affaires étrangères, la Constitution donnera plus de lisibilité, de réalité et d'influence à l'Europe sur la scène internationale, rééquilibrant ainsi l'importance des blocs constitués désormais par les Etats-Unis d'un côté, l'Asie et la Chine de l'autre côté. La Chine et l'Asie, ne l'oublions pas, constituent déjà 40 % de la population mondiale et leur ouverture vers la modernité n'a pas fini de bouleverser l'équilibre mondial au sein duquel l'Europe doit trouver sa place et son rôle.
En substituant le vote à la majorité au vote à l'unanimité dans vingt-cinq domaines, notamment dans celui de la protection sociale, L'Europe aura plus de réactivité et de souplesse.
En institutionnalisant la création de l'Eurogroupe, qui réunira désormais les ministres des finances de la zone euro derrière son président élu pour deux ans, les orientations de la politique économique seront plus lisibles et gagneront en efficacité et en rationalité.
Enfin, la reconnaissance d'un droit d'initiative aux citoyens de cette nouvelle Europe est une invitation à émettre une proposition législative près de la Commission, qui permettra de rapprocher les citoyens de ceux qui les gouvernent. Il s'agit d'une notion fondamentale face au fossé qui les sépare aujourd'hui dangereusement, au risque d'entraîner une vraie rupture sociétale. La cohésion sociale doit demeurer au coeur de nos préoccupations ; elle est très fragile en ce début de xxie siècle.
Nous sommes, avec cette Constitution, loin des règles, assez rigides il est vrai, du traité de Nice, qui avait été élaboré pour régir quinze Etats, et quinze Etats seulement. Elle est adaptée et à notre époque et aux 450 millions d'Européens.
Aux Français de comprendre l'ampleur de ces enjeux le 29 mai. « Rien n'est possible sans les hommes », disait Jean Monnet, en ajoutant aussitôt : « mais rien n'est durable sans les institutions ».
Je salue le travail accompli par les cent cinq conventionnels, dont nos collègues Hubert Haenel et Robert Badinter, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Ils ont ainsi doté l'Europe de règles institutionnelles pour affronter les grands défis de demain. Nous devons leur en être reconnaissants.
En invitant les Français à se prononcer sur cette Constitution par la voie du référendum, le Président de la République accomplit un acte de confiance et de respect à leur égard. Leur vote, le 29 mai, n'en aura que plus de valeur aux yeux de l'Histoire. Puissent-ils ne pas l'insulter ! Car c'est bien de l'avenir, de notre avenir, qu'il s'agit. Si, par malheur, les Français devaient refuser ce « pas en avant » dans la construction européenne, notre pays serait désormais un pays sans influence, seul, isolé, affaibli et incapable d'affronter les défis qui se présentent à lui. M. Jean François-Poncet, avec son expérience, son esprit de synthèse et de prospective, l'a expliqué mieux que quiconque.
En ces temps où l'on ne doit pas méconnaître les difficultés de nos concitoyens, sachons les aider à se rassembler sur l'essentiel, qui se résume à cette seule phrase : si la France demeure notre pays, car c'est là que sont nos repères et nos racines, l'Europe est déjà notre présent, comme l'a rappelé M. Hubert Haenel, et plus encore l'avenir des générations futures.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie chacune et chacun d'entre vous, quelles que soient les positions que vous avez exprimées, de votre attention et de la qualité de vos interventions. Me souvenant des années où je siégeais à vos côtés, je pense que c'est l'honneur et la tradition du Sénat de placer le débat d'idées au niveau où il doit l'être.
Mes remerciements s'adressent en particulier au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Serge Vinçon, et au président de la délégation pour l'Union européenne, Hubert Haenel, pour la clarté, la conviction et la précision de leur propos.
Enfin, je ferai une mention particulière, pleine d'humilité, à l'un de mes prédécesseurs au quai d'Orsay, M. Jean François-Poncet, que j'écoute toujours avec beaucoup de respect et de profit.
Comme l'ont tout à tour indiqué Hubert Haenel et Jean-Pierre Bel, dans ce débat auquel les Français ont droit et auquel vous participez d'une si belle manière, de nombreuses questions se confondent, ce qui explique la confusion, voire, pour une bonne part, les raisons qui font aujourd'hui l'attrait du non. En fait, il s'agit plutôt d'un non de précaution.
Dans le débat confus auquel nous assistons, toutes les interrogations sont utiles et respectables. Toutes expriment des inquiétudes, des préoccupations, parfois de la mauvaise humeur mais, finalement, comme vous l'avez tous souligné, le 29 mai, les Français devront répondre à une seule question.
Comme l'a rappelé Jean-Pierre Raffarin, il ne s'agit pas de voter pour ou contre le Président de la République, pour ou contre le Premier ministre : ce choix-là, les Français le feront en 2007. Il ne s'agit pas davantage de voter pour ou contre l'adhésion de la Turquie. Si les négociations d'adhésion vont jusqu'à leur terme, ce choix-là, les Français le feront dans dix, quinze ou vingt ans.
Monsieur Retailleau, il n'était pas convenable, pour étayer votre démonstration, de faire appel à un ambassadeur de France qui s'acquitte de sa mission de manière parfaite. Il n'a fait que rappeler la position de la France lorsque le Conseil européen a décidé, avec beaucoup de précaution - et nous y avons contribué -, en posant de nombreuses questions, du début des négociations, qui ne sont d'ailleurs pas encore engagées et qui seront très longues. Jamais notre ambassadeur à Ankara n'a préjugé de la décision que prendront les Français le jour où ils seront consultés, s'ils le sont, sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Je tenais à apporter cette précision.
Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, intéressons-nous à la question qui sera posée le 29 mai et parlons de la Constitution.
Comme vient de le rappeler Jacques Blanc, j'ai été l'un des artisans de cette Constitution. Membre du présidium de la Convention, j'ai ardemment travaillé aux côtés de plusieurs d'entre vous. Permettez-moi, après Jacques Pelletier et Jacques Blanc, de saluer non seulement le président de cette convention, M. Valéry Giscard d'Estaing, qui a fait preuve de beaucoup d'autorité et de son intelligence habituelle pendant dix-huit mois, mais aussi Hubert Haenel et Robert Badinter, qui ont beaucoup contribué, avec l'appui de leurs collaborateurs, que je n'oublie pas, à la qualité de nos débats.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette Constitution n'est pas un projet, c'est un outil au service du projet européen, un cadre, une règle, je serais tenté de dire un règlement de copropriété entre vingt-cinq nations. Il ne s'agit pas de créer une nation européenne ; nous ne rêvons ni d'une nation européenne ni d'un super Etat fédéral, monsieur Retailleau.
Ce que les Gouvernements qui se succèdent font depuis cinquante ans n'a jamais été réalisé dans l'histoire autrement que par la force - les empires - et n'existe nulle part ailleurs dans le monde sous cette forme : des nations, petites et grandes, anciennes et nouvelles, dirigées par des gouvernements de droite ou de gauche, chacune restant attachée à sa culture, à ses traditions, à sa langue - nous n'accepterons jamais de renoncer à notre identité et à notre différence - s'engagent sur la voie de la mutualisation.
C'est ce mot « mutualisation » qui me paraît le mieux caractériser, depuis cinquante ans, le projet européen. Nous mutualisons pour être mieux respectés, pour compter davantage, pour nous protéger avec plus d'efficacité.
Pour que les vingt-cinq nations réussissent la mutualisation d'une partie de leurs ressources, de leurs intelligences, de leurs politiques, il faut établir un règlement de copropriété. Il ne peut s'agir ni du traité de Rome ni des suivants ; c'est l'objet de cette Constitution.
Le général de Gaulle, que plusieurs d'entre vous ont invoqué - je me sens donc autorisé à y faire référence à mon tour - avait déclaré : « Il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons ». Aujourd'hui, la preuve est faite : depuis cinquante ans, quelles qu'aient été les craintes, l'Europe n'a pas broyé nos peuples dans une purée de marrons. Chacun a conservé ses différences, son identité, sa langue, sa culture. Il me semble même que, « pas à pas », comme le disait Jean Monnet, la construction européenne nous a permis de trouver ou de retrouver une force qui, dans le monde d'aujourd'hui, naît souvent de l'union.
Monsieur Retailleau, et cette question s'adresse aussi au groupe communiste républicain et citoyen : que restait-il de notre souveraineté monétaire ? Le franc était dominé par le deutsche mark, lui-même dominé par le dollar.
Vous pouvez évoquer le passé avec nostalgie ; à mon sens, on fait de la politique avec des souvenirs précis, avec des racines. On peut toujours se souvenir avec nostalgie de la force du franc, voilà quelques années, ...
... mais nous avons retrouvé, grâce à la mutualisation et à la monnaie unique, une souveraineté monétaire bien supérieure à celle qui résultait de l'addition de nos souverainetés nationales.
Pour que l'Europe fonctionne bien, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut la doter d'un règlement de copropriété.
Cet outil, lui, est au service du projet qu'ont si bien su décrire Michel Mercier ou Jean Bizet. Ils ont rappelé le rôle fondamental qu'a joué la France : ce projet est d'inspiration française, d'inspiration franco-allemande. Restons fidèles à cet héritage qui nous vient, notamment, de Jean Monnet et de Robert Schuman.
On peut rappeler, comme vous l'avez fait, monsieur Jean François-Poncet, le rapport des forces tel qu'il a toujours été, tel qu'il reste, renforcé même par la Constitution, et tel qu'il ne sera plus, en effet, si, par un non, nous donnons un coup d'arrêt au mouvement européen.
On peut aussi rappeler l'attente des autres Etats membres. Parcourant tous les pays européens jour après jour - j'étais hier encore en Slovaquie -, je puis témoigner que nous sommes observés, que nous sommes attendus, que le choix que nous allons faire touche tous nos partenaires et que la France, avec ce référendum, est plus que jamais au coeur du projet européen.
On peut également rappeler - je viens de le faire, je n'insisterai pas - que dans le monde d'aujourd'hui, un monde qui bascule démographiquement vers la Chine, l'Inde ou l'Afrique, un monde dangereux où les inégalités sont toujours plus grandes et les risques plus nombreux, notamment les risques écologiques, mais aussi ceux que fait courir le terrorisme, nous ne nous protégerons bien, nous n'existerons réellement qu'en étant ensemble, qu'en créant la « masse critique suffisante », comme l'appelaient Robert Schuman et Jean Monnet, qui nous permettra de compter et d'être respectés.
On peut encore rappeler qu'en cas d'échec de cette Constitution, si l'un ou l'autre des pays de l'Union la refusait - je l'affirme parce que je pense que c'est la vérité - c'est le projet européen tout entier qui serait en panne.
Pour en revenir rapidement à ce texte, à l'élaboration duquel j'ai eu l'honneur de contribuer, je veux vous dire en conscience, mesdames, messieurs, qu'il ne recèle aucun recul par rapport aux textes actuels : il ne comporte que des progrès. Pas tous, en effet : dans le domaine social, sur la question de la majorité qualifiée, préférable au droit de veto qui, à vingt-cinq, est source d'impuissance et de blocages, en matière de gouvernance économique, j'aurais souhaité davantage de progrès. Avec d'autres, je me suis battu en ce sens ; finalement, nous sommes parvenus à vingt-cinq à un résultat improbable au départ, et le compromis est dynamique.
Le texte, je le répète, ne comporte que des progrès, et tout d'abord pour la démocratie en Europe, grâce au rôle du Parlement européen, grâce à la place nouvelle des parlements nationaux, grâce au droit d'initiative populaire. Nous sommes loin, avec cette addition des dialogues et la recherche de consensus, de ce que Jacques Blanc craignait en évoquant tout à l'heure la bureaucratie et le diktat de Bruxelles. On trouve de la bureaucratie à Bruxelles, certes, je l'y ai d'ailleurs rencontrée pendant cinq ans, ...
... mais, en cherchant bien, on en trouverait probablement ailleurs aussi !
C'est une démocratie originale que nous voulons construire par ce traité, à la fois indirecte avec le Conseil, directe avec le Parlement européen, participative avec l'initiative populaire, consultative avec le Comité économique et social, le Comité des régions, les partenaires sociaux, le dialogue avec les Eglises, enfin, une démocratie décentralisée grâce au rôle nouveau des parlements nationaux.
Le texte représente également un progrès pour la sécurité, notamment en ce qui concerne la politique pénale européenne, la lutte contre la grande criminalité transfrontalière, la lutte contre l'immigration clandestine, le devoir d'assistance.
En matière de défense, Serge Vinçon a évoqué tout à l'heure la clause de solidarité entre les pays européens. J'ai moi-même proposé cette idée, puisque j'ai présidé au sein de la Convention le groupe qui a travaillé sur la défense européenne. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, elle n'a rien à voir avec l'OTAN, puisqu'elle vaut à l'intérieur du territoire européen ! Jamais l'OTAN n'est ni ne sera appelée à agir à l'intérieur de nos Etats, au grand jamais !
Cette clause a pour objet qu'en cas de catastrophe naturelle, malheureusement toujours possible, ou en cas d'attentat terroriste contre l'un de nos pays - imaginez un Madrid multiplié par trois ou quatre, et c'est malheureusement possible aussi - il soit prévu par avance de mutualiser l'intervention de nos polices, de nos justices, de nos douanes, de nos protections civiles à l'intérieur du territoire européen. L'OTAN ne fera jamais cela ! Voulons-nous ou non de cette clause de solidarité ? Sincèrement, je ne vois pas comment on pourrait refuser un tel progrès !
S'ajoutent à cela toutes les nouvelles dispositions concernant l'Europe de la santé publique, caractérisées par le partage des tâches entre les Etats et l'Union, et celles qui concernent la protection civile.
S'agissant de la sécurité, Jean Bizet le soulignait, nous avons l'occasion de mieux nous protéger de certains risques de la mondialisation.
Le texte constitue encore un progrès pour l'emploi, Josselin de Rohan l'a démontré mieux que je ne pourrais le faire. C'est, mesdames, messieurs, le texte européen le plus social qui ait jamais été écrit. Grâce à la prise en compte par toutes les politiques européennes des exigences sociales et de l'emploi, grâce à la clause sociale générale, grâce à la possibilité de protéger les services publics par la loi européenne, grâce enfin à la reconnaissance dans la Constitution du droit des travailleurs, tout ce qui figure dans la Charte trouve enfin une valeur et une solidité constitutionnelles.
J'aurais voulu que nous allions plus loin. Je peux cependant affirmer que, à l'échelle de l'histoire de la construction européenne, cette Constitution marque un tournant social. Le défi, désormais, est d'utiliser cet outil pour réaliser l'harmonisation par le haut, pour bâtir une Europe dans laquelle on gagne les uns avec les autres - la preuve en fut faite avec l'Espagne et le Portugal - et non pas les uns contre les autres. C'est ce qui nous permettra de résister à toutes les formes de délocalisation, de dumping social ou fiscal.
Mme Borvo Cohen-Seat s'est absentée, mais je suppose qu'on lui transmettra les réflexions que m'inspirent ses propos.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a relevé Jean François-Poncet, nombreux sont ceux qui rêvent d'une Europe différente de celle qui s'est construite depuis quelques années, d'une Europe qui soit une sorte de supermarché, de grande zone de libre-échange où la seule règle serait celle de la compétition fiscale et sociale. Ceux-là, ne vous y trompez pas, ne souhaitent pas la Constitution, parce qu'ils ne veulent pas d'une économie sociale de marché qui comporte des règles, des mécanismes de régulation et de redistribution !
Ce qui me choque, ce que je ne comprends pas, ce que je n'arrive pas à accepter, c'est que des élus communistes et socialistes sincères combattent cette Constitution alors que c'est elle qui permettra d'empêcher une telle dérive vers l'Europe supermarché, vers l'Europe grande zone de libre-échange. Ne doutez pas d'une chose, mesdames, messieurs : aucune politique forte ne se fait jamais avec des institutions faibles ; et si nos institutions sont faibles parce que nous n'aurions pas accepté la Constitution, alors, les politiques seront faibles. Les premières politiques qui seront touchées, ce sont la politique agricole commune, la politique régionale et, madame Blandin, la politique de l'environnement. De même, tous nos espoirs d'élaborer une stratégie industrielle seraient passés par pertes et profits.
Enfin, la Constitution marque un progrès sur la voie d'une Europe crédible et respectée dans le monde. Serge Vinçon et Jean François-Poncet l'ont souligné, la défense européenne, la stabilité de la représentation de l'Union grâce à un président élu pour deux ans et demi, grâce à un ministre des affaires étrangères européen, appuyées par de nombreuses autres dispositions, nous permettront d'éviter les divisions que nous avons connues au moment du déclenchement du conflit en Irak et, plus dramatiquement encore, de la partition tragique de la Bosnie-Herzégovine et de la Yougoslavie qui, faute d'avoir été anticipée, nous a conduits à subir sur notre propre continent une guerre qui a provoqué 210 000 morts.
Encore une fois, ce texte apporte des progrès. Voulons-nous utiliser ces progrès ? Voulons-nous utiliser cet outil ?
Je pense que nous avons besoin de cette Constitution. Au fond, le résultat assez improbable auquel nous sommes parvenus a consisté non pas dans l'élaboration d'un traité de plus, mais dans la restructuration, la reconstruction de tous les traités existants. Il a permis de récrire un peu plus lisiblement les soixante premiers articles et de bâtir, en quelque sorte, un nouveau traité de Rome.
J'ai dit l'hommage que nous devons tous rendre, et vous l'avez fait, au travail des conventionnels. C'est la première fois qu'un texte européen est élaboré non pas dans le secret d'une conférence diplomatique, mais de manière démocratique, toutes portes et fenêtres ouvertes. C'est probablement ce qui explique que nous soyons parvenus à ce résultat inespéré.
En chacun de nous, mesdames, messieurs, se livre un débat ou un combat, reconnaissons-le franchement, entre l'inquiétude et l'espérance, entre la déception et le volontarisme, selon les moments, selon les endroits où nous nous trouvons.
Mais ce débat et ce combat ne peuvent se dérouler entre la France et l'Europe. Depuis cinquante ans, le choix n'est pas entre la France et l'Europe, car elles vont ensemble ! Comme vous avez été nombreux à le relever, notamment Jacques Pelletier ou Jacques Blanc, le choix est entre une Europe européenne, indépendante, et une Europe sous influence. Pour ma part, je ne me résoudrai jamais à ce que le continent que nous organisons démocratiquement, que la Constitution nous permettra de mieux organiser encore, soit un continent sous influence.
Josselin de Rohan, tout à l'heure, citait ce joli mot de Woody Allen : « La réponse est non ; quelle est la question ? » Je préfère retourner la phrase : quelle est la question ? Elle est de savoir si nous voulons de cette Constitution pour renforcer tant le fonctionnement d'une Union européenne qui soit effectivement européenne que le rôle de la France dans cette Union. La réponse est oui.
Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 283 et distribuée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.