Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie chacune et chacun d'entre vous, quelles que soient les positions que vous avez exprimées, de votre attention et de la qualité de vos interventions. Me souvenant des années où je siégeais à vos côtés, je pense que c'est l'honneur et la tradition du Sénat de placer le débat d'idées au niveau où il doit l'être.
Mes remerciements s'adressent en particulier au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Serge Vinçon, et au président de la délégation pour l'Union européenne, Hubert Haenel, pour la clarté, la conviction et la précision de leur propos.
Enfin, je ferai une mention particulière, pleine d'humilité, à l'un de mes prédécesseurs au quai d'Orsay, M. Jean François-Poncet, que j'écoute toujours avec beaucoup de respect et de profit.
Comme l'ont tout à tour indiqué Hubert Haenel et Jean-Pierre Bel, dans ce débat auquel les Français ont droit et auquel vous participez d'une si belle manière, de nombreuses questions se confondent, ce qui explique la confusion, voire, pour une bonne part, les raisons qui font aujourd'hui l'attrait du non. En fait, il s'agit plutôt d'un non de précaution.
Dans le débat confus auquel nous assistons, toutes les interrogations sont utiles et respectables. Toutes expriment des inquiétudes, des préoccupations, parfois de la mauvaise humeur mais, finalement, comme vous l'avez tous souligné, le 29 mai, les Français devront répondre à une seule question.
Comme l'a rappelé Jean-Pierre Raffarin, il ne s'agit pas de voter pour ou contre le Président de la République, pour ou contre le Premier ministre : ce choix-là, les Français le feront en 2007. Il ne s'agit pas davantage de voter pour ou contre l'adhésion de la Turquie. Si les négociations d'adhésion vont jusqu'à leur terme, ce choix-là, les Français le feront dans dix, quinze ou vingt ans.
Monsieur Retailleau, il n'était pas convenable, pour étayer votre démonstration, de faire appel à un ambassadeur de France qui s'acquitte de sa mission de manière parfaite. Il n'a fait que rappeler la position de la France lorsque le Conseil européen a décidé, avec beaucoup de précaution - et nous y avons contribué -, en posant de nombreuses questions, du début des négociations, qui ne sont d'ailleurs pas encore engagées et qui seront très longues. Jamais notre ambassadeur à Ankara n'a préjugé de la décision que prendront les Français le jour où ils seront consultés, s'ils le sont, sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Je tenais à apporter cette précision.
Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, intéressons-nous à la question qui sera posée le 29 mai et parlons de la Constitution.
Comme vient de le rappeler Jacques Blanc, j'ai été l'un des artisans de cette Constitution. Membre du présidium de la Convention, j'ai ardemment travaillé aux côtés de plusieurs d'entre vous. Permettez-moi, après Jacques Pelletier et Jacques Blanc, de saluer non seulement le président de cette convention, M. Valéry Giscard d'Estaing, qui a fait preuve de beaucoup d'autorité et de son intelligence habituelle pendant dix-huit mois, mais aussi Hubert Haenel et Robert Badinter, qui ont beaucoup contribué, avec l'appui de leurs collaborateurs, que je n'oublie pas, à la qualité de nos débats.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette Constitution n'est pas un projet, c'est un outil au service du projet européen, un cadre, une règle, je serais tenté de dire un règlement de copropriété entre vingt-cinq nations. Il ne s'agit pas de créer une nation européenne ; nous ne rêvons ni d'une nation européenne ni d'un super Etat fédéral, monsieur Retailleau.
Ce que les Gouvernements qui se succèdent font depuis cinquante ans n'a jamais été réalisé dans l'histoire autrement que par la force - les empires - et n'existe nulle part ailleurs dans le monde sous cette forme : des nations, petites et grandes, anciennes et nouvelles, dirigées par des gouvernements de droite ou de gauche, chacune restant attachée à sa culture, à ses traditions, à sa langue - nous n'accepterons jamais de renoncer à notre identité et à notre différence - s'engagent sur la voie de la mutualisation.
C'est ce mot « mutualisation » qui me paraît le mieux caractériser, depuis cinquante ans, le projet européen. Nous mutualisons pour être mieux respectés, pour compter davantage, pour nous protéger avec plus d'efficacité.
Pour que les vingt-cinq nations réussissent la mutualisation d'une partie de leurs ressources, de leurs intelligences, de leurs politiques, il faut établir un règlement de copropriété. Il ne peut s'agir ni du traité de Rome ni des suivants ; c'est l'objet de cette Constitution.
Le général de Gaulle, que plusieurs d'entre vous ont invoqué - je me sens donc autorisé à y faire référence à mon tour - avait déclaré : « Il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons ». Aujourd'hui, la preuve est faite : depuis cinquante ans, quelles qu'aient été les craintes, l'Europe n'a pas broyé nos peuples dans une purée de marrons. Chacun a conservé ses différences, son identité, sa langue, sa culture. Il me semble même que, « pas à pas », comme le disait Jean Monnet, la construction européenne nous a permis de trouver ou de retrouver une force qui, dans le monde d'aujourd'hui, naît souvent de l'union.
Monsieur Retailleau, et cette question s'adresse aussi au groupe communiste républicain et citoyen : que restait-il de notre souveraineté monétaire ? Le franc était dominé par le deutsche mark, lui-même dominé par le dollar.
Vous pouvez évoquer le passé avec nostalgie ; à mon sens, on fait de la politique avec des souvenirs précis, avec des racines. On peut toujours se souvenir avec nostalgie de la force du franc, voilà quelques années, ...