Intervention de Michel Barnier

Réunion du 6 avril 2005 à 15h00
Référendum relatif au projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une constitution pour l'europe — Débat sur une déclaration du gouvernement

Michel Barnier, ministre :

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a relevé Jean François-Poncet, nombreux sont ceux qui rêvent d'une Europe différente de celle qui s'est construite depuis quelques années, d'une Europe qui soit une sorte de supermarché, de grande zone de libre-échange où la seule règle serait celle de la compétition fiscale et sociale. Ceux-là, ne vous y trompez pas, ne souhaitent pas la Constitution, parce qu'ils ne veulent pas d'une économie sociale de marché qui comporte des règles, des mécanismes de régulation et de redistribution !

Ce qui me choque, ce que je ne comprends pas, ce que je n'arrive pas à accepter, c'est que des élus communistes et socialistes sincères combattent cette Constitution alors que c'est elle qui permettra d'empêcher une telle dérive vers l'Europe supermarché, vers l'Europe grande zone de libre-échange. Ne doutez pas d'une chose, mesdames, messieurs : aucune politique forte ne se fait jamais avec des institutions faibles ; et si nos institutions sont faibles parce que nous n'aurions pas accepté la Constitution, alors, les politiques seront faibles. Les premières politiques qui seront touchées, ce sont la politique agricole commune, la politique régionale et, madame Blandin, la politique de l'environnement. De même, tous nos espoirs d'élaborer une stratégie industrielle seraient passés par pertes et profits.

Enfin, la Constitution marque un progrès sur la voie d'une Europe crédible et respectée dans le monde. Serge Vinçon et Jean François-Poncet l'ont souligné, la défense européenne, la stabilité de la représentation de l'Union grâce à un président élu pour deux ans et demi, grâce à un ministre des affaires étrangères européen, appuyées par de nombreuses autres dispositions, nous permettront d'éviter les divisions que nous avons connues au moment du déclenchement du conflit en Irak et, plus dramatiquement encore, de la partition tragique de la Bosnie-Herzégovine et de la Yougoslavie qui, faute d'avoir été anticipée, nous a conduits à subir sur notre propre continent une guerre qui a provoqué 210 000 morts.

Encore une fois, ce texte apporte des progrès. Voulons-nous utiliser ces progrès ? Voulons-nous utiliser cet outil ?

Je pense que nous avons besoin de cette Constitution. Au fond, le résultat assez improbable auquel nous sommes parvenus a consisté non pas dans l'élaboration d'un traité de plus, mais dans la restructuration, la reconstruction de tous les traités existants. Il a permis de récrire un peu plus lisiblement les soixante premiers articles et de bâtir, en quelque sorte, un nouveau traité de Rome.

J'ai dit l'hommage que nous devons tous rendre, et vous l'avez fait, au travail des conventionnels. C'est la première fois qu'un texte européen est élaboré non pas dans le secret d'une conférence diplomatique, mais de manière démocratique, toutes portes et fenêtres ouvertes. C'est probablement ce qui explique que nous soyons parvenus à ce résultat inespéré.

En chacun de nous, mesdames, messieurs, se livre un débat ou un combat, reconnaissons-le franchement, entre l'inquiétude et l'espérance, entre la déception et le volontarisme, selon les moments, selon les endroits où nous nous trouvons.

Mais ce débat et ce combat ne peuvent se dérouler entre la France et l'Europe. Depuis cinquante ans, le choix n'est pas entre la France et l'Europe, car elles vont ensemble ! Comme vous avez été nombreux à le relever, notamment Jacques Pelletier ou Jacques Blanc, le choix est entre une Europe européenne, indépendante, et une Europe sous influence. Pour ma part, je ne me résoudrai jamais à ce que le continent que nous organisons démocratiquement, que la Constitution nous permettra de mieux organiser encore, soit un continent sous influence.

Josselin de Rohan, tout à l'heure, citait ce joli mot de Woody Allen : « La réponse est non ; quelle est la question ? » Je préfère retourner la phrase : quelle est la question ? Elle est de savoir si nous voulons de cette Constitution pour renforcer tant le fonctionnement d'une Union européenne qui soit effectivement européenne que le rôle de la France dans cette Union. La réponse est oui.

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