Intervention de Jean-Patrick Courtois

Réunion du 27 octobre 2005 à 15h00
Création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Patrick CourtoisJean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des lois a eu à examiner à la fois la recevabilité juridique de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine et l'opportunité de la création de cette commission d'enquête, en application de l'article 11 de notre règlement.

Je passerai très rapidement sur la recevabilité de cette proposition de résolution, laquelle ne pose pas de difficultés particulières. En effet, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précise : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées.» Cette proposition de résolution ne portant pas sur des faits déterminés, il n'est donc pas nécessaire d'interroger le garde des sceaux sur l'existence de poursuites judiciaires.

La proposition de résolution a pour objet de contrôler le fonctionnement de services publics, notamment ceux de la police, de la justice, du travail ou encore de l'aide sociale à l'enfance. Son exposé des motifs invite en effet à « une réflexion globale sur les sources de cette immigration illégale, ses filières, l'efficacité ou les dysfonctionnements de nos dispositifs préventifs ou répressifs ». Ses auteurs estiment également qu'« il ne peut être fait l'économie d'une analyse précise des conséquences de ce phénomène sur la structure économique et sociale de notre pays ».

Quant à l'opportunité de créer cette commission d'enquête, elle est apparue indiscutable à la commission des lois.

L'actualité rappelle en effet en permanence le difficile problème que pose l'immigration irrégulière. Les drames de Ceuta et Melilla ou les récents heurts à Mayotte, à la suite d'une manifestation de clandestins dans les rues de Mamoudzou, sont les illustrations d'un phénomène continu et massif.

Depuis 2002, la lutte contre l'immigration clandestine est au coeur de la politique du Gouvernement en matière d'immigration ; elle est aussi le pendant d'une action volontaire en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « depuis les lois de 2003, la France s'est dotée d'instruments nouveaux pour lutter avec efficacité contre l'immigration clandestine ». Les premiers résultats ont pu être constatés, en particulier en matière d'éloignement et de traitement des demandes d'asile. Aux frontières de la métropole, la pression migratoire semble également avoir diminué, selon les chiffres du rapport annuel du Gouvernement au Parlement, établi en application de l'article 1er de la loi du 26 novembre 2003 et publié en 2005, sur les orientations de la politique de l'immigration. Une inflexion de tendance est perceptible.

Toutefois, les chiffres de l'activité des services de la police aux frontières en France métropolitaine, en 2004 et 2005, invitent à ne pas relâcher l'effort entrepris pour lutter contre l'immigration illégale. Ils sont la démonstration aussi bien de l'ampleur de l'immigration clandestine que de l'efficacité et du renforcement de l'action de la police aux frontières. Ainsi, les éloignements effectifs ont crû de 25 % au premier semestre 2005 par rapport au premier semestre 2004 et les interpellations d'étrangers en situation irrégulière, de 45 %.

Des efforts importants ont également été entrepris pour mieux appréhender l'ampleur de l'immigration clandestine. Quelques indicateurs peuvent nous aider. Ainsi, le nombre de personnes mises en cause pour infraction à la police des étrangers s'est élevé à 66 062 pour l'année 2003 et le nombre annuel de bénéficiaires de l'Aide médicale d'Etat, l'AME, qui concerne en très grande majorité des étrangers en situation irrégulière, est passé de 139 000 à 170 000 entre 2001 et 2003. Pour autant, ces indicateurs doivent être utilisés avec prudence, chacun ne permettant de cerner qu'une partie du phénomène, qu'il reste nécessaire de mieux appréhender.

Comprendre l'immigration, c'est aussi saisir ses causes profondes ainsi que les attentes d'hommes et de femmes poussés par la misère. Il faut s'interroger sur les moyens de développer une réelle coopération avec les pays qui sont à la source de l'immigration, allant bien au-delà de la simple conclusion d'accords de réadmission.

Enfin, comprendre l'immigration clandestine est encore plus délicat dès lors qu'il s'agit d'en saisir les conséquences et le coût. L'exposé des motifs de la proposition de résolution met ainsi l'accent sur : « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie de ces migrants ».

L'immigration clandestine est surtout un phénomène en évolution permanente. Les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales, ont ainsi dû faire face à un nombre croissant de mineurs étrangers isolés appelant des réponses différentes. L'ensemble du territoire français a été concerné par ce phénomène, y compris des départements qui n'étaient pas confrontés jusque-là au problème de l'immigration.

La question de l'outre-mer a également ressurgi avec une acuité nouvelle. Comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de résolution, aux difficultés habituelles posées par l'immigration clandestine s'ajoutent « des difficultés démographiques [...] puisque ces collectivités au territoire limité subissent d'intenses flux migratoires, en dépit d'un contexte économique et social souvent déjà délicat ».

Outre la Guyane et Mayotte, où près de 35 % des habitants seraient des étrangers en situation irrégulière, la Guadeloupe, la Martinique et, dans une moindre mesure, la Réunion sont aussi touchées par une immigration clandestine en recrudescence.

L'avis de la commission des lois sur les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés aux départements et régions d'outre-mer relevait ainsi que, en Guyane, « les infractions à la législation sur les étrangers constituaient 43 % du nombre total des infractions » et que, en Guadeloupe, le nombre des reconduites à la frontière et expulsions avait augmenté de 53, 5 % en 2003 par rapport à 2002.

Par ailleurs, les filières d'immigration clandestine dévoient parfois à leur profit les possibilités offertes par les droits de la nationalité et de la filiation ou les règles applicables en matière de regroupement familial.

Enfin, le cadre européen ajoute à la complexité, l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen étant solidaire pour garantir la régularité de l'entrée et du séjour des ressortissants des Etats tiers. L'action communautaire contre l'immigration irrégulière est en plein essor, mais commence seulement à être opérationnelle et efficace.

L'un des axes de cette action consiste à associer les pays sources ou de transit à la lutte contre l'immigration clandestine vers l'Europe.

Dans un tel contexte, il paraît aujourd'hui souhaitable d'améliorer, par un travail approfondi, notre connaissance de l'immigration clandestine et de ses effets, afin d'y répondre dans le respect des libertés et de la tradition républicaine d'accueil. A défaut, les réflexions actuelles sur une immigration choisie seraient vaines.

Or, depuis le rapport de notre excellent collègue José Balarello, établi en 1998 au nom de la commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997, aucun travail global d'enquête n'a été accompli dans le cadre des assemblées parlementaires sur cette question, qui est au coeur des préoccupations de nos concitoyens.

Le Sénat pourrait donc apporter, par la création d'une commission d'enquête, une contribution importante à la réflexion sur l'immigration clandestine.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, la commission des lois, qui a adopté la proposition de résolution sans modification, vous propose, mes chers collègues, de l'adopter à votre tour.

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