Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n'étant pas coutume, je ne vous cacherai pas ma satisfaction ni celle des collègues de mon groupe de voir le projet de loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire venir en débat au Sénat.
Cette satisfaction est d'autant plus compréhensible si l'on tient compte de l'historique de ce texte, qu'il me semble important de rappeler brièvement.
En 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre, rappelait « l'importance qu'il - le gouvernement de l'époque - attachait au respect des règles démocratiques et de transparence, ainsi que la nécessité de séparer clairement les fonctions de contrôleur et d'exploitant ». À cette fin, il annonçait qu'il présenterait des dispositions législatives sur ce sujet, reposant notamment sur la création d'une autorité indépendante.
Le 6 mars 1998, il confiait à Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, une mission ayant pour objet « d'évaluer le système actuel de contrôle et d'expertise, pour les deux grandes fonctions qui le composent : sûreté et protection de l'environnement, radioprotection pour les travailleurs de l'industrie nucléaire et pour la population ».
Il en ressortit un projet de loi sur la transparence, le contrôle et la sécurité en matière nucléaire. Le rapporteur faisait observer : « Le nucléaire brille par son absence du domaine de la loi et du contrôle parlementaire. Je me suis donc également efforcé de dessiner le contour d'une loi sur la transparence, le contrôle et la sécurité nucléaire ».
L'absence effarante de base législative relative au contrôle de la sûreté nucléaire des grandes installations nucléaires signifie que le Parlement n'a jamais eu à intervenir directement sur cette question, ô combien cruciale, pour la santé des citoyens qu'il représente. Cela explique en grande partie la suspicion actuelle de l'opinion publique à l'égard du nucléaire.
Ce projet de loi a été déposé pour la première fois sur le bureau de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2001 par Mme Dominique Voynet, désormais sénatrice, qui était à l'époque ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Il a été intégralement repris, sous le gouvernement Raffarin, par Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de l'écologie et du développement durable, et il a été enregistré au Sénat le 18 juin 2002.
À plusieurs reprises - notamment lors des débats sur les questions énergétiques, sur le projet de loi portant modification du statut EDF et GDF, et sur la loi d'orientation sur l'énergie -, le groupe socialiste du Sénat a déposé des amendements reprenant des articles de ce projet de loi originel. À plusieurs occasions, il a réclamé son inscription à l'ordre du jour. Il aura donc fallu attendre près de cinq ans pour que le projet de loi soit finalement examiné.
Vous comprendrez notre joie de constater que le Gouvernement a enfin entendu raison. Il devenait en effet urgent que le Parlement examine ce projet de loi visant à accroître la transparence en matière nucléaire, dans le contexte actuel de restructuration du secteur énergétique et de transformation de l'un des principaux exploitants de la filière électronucléaire en société anonyme.
Malheureusement, cette satisfaction a été de courte durée eu égard à la procédure suivie pour l'examen de ce texte, le postulat étant de clarifier le débat sur le nucléaire, préalable indispensable à un changement radical de l'approche du nucléaire visant à rassurer la population.
Je ne souhaite pas m'attarder sur les atermoiements successifs, avec une inscription à l'ordre du jour du projet de loi, puis son ajournement à la suite de l'annonce du Président de la République de la création d'une autorité indépendante chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information, enfin, l'adoption d'une lettre rectificative venant notablement modifier le texte originel.
Avouez, madame la ministre, que, sur la forme, ces décisions contradictoires sont symptomatiques d'un dysfonctionnement majeur au sein de l'exécutif ! De surcroît, ce cheminement chaotique a fortement perturbé le travail préparatoire des sénateurs.
Pour achever ce parcours allant à l'encontre de l'objectif fixé, la déclaration d'urgence pour ce projet de loi constitue une faute politique grave. Pourquoi abréger ce débat tant attendu et si nécessaire ? Vous ne pouvez pas justifier cette décision par une volonté présupposée de l'opposition de vouloir tronquer ou retarder le débat.
Comme le démontre l'historique du projet de loi, notre volonté de participer à l'élaboration d'un texte de qualité ne peut être mise en doute. Cette décision d'abréger est source de suspicion, alors que notre objectif - commun je l'espère - est de bannir ce sentiment du débat sur le nucléaire.
Cette transparence, dont nous débattons, est cruellement absente de la procédure suivie.
Si au moins le temps passé à attendre que le Parlement se prononce avait permis l'élaboration d'un texte mûri... En fait, l'improvisation est manifeste et risque de se révéler préjudiciable. Comme cela est rappelé à juste titre dans l'exposé des motifs, « l'acceptation des activités nucléaires par le public repose notamment sur la confiance ». Ce cafouillage malvenu risque d'avoir une nouvelle fois entamé cette confiance qu'il nous revient pourtant de favoriser.
Les quatorze nouveaux articles composant le titre II et créant la nouvelle Haute autorité de sûreté nucléaire sont particulièrement indigestes. Compte tenu des nombreux amendements que les rapporteurs ont préparés sur ce titre, ceux-ci seront sans doute d'accord avec moi pour reconnaître que le texte proposé devait être amélioré. Sur le fond, il pose un certain nombre de problèmes sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des articles. Quoi qu'il en soit, toutes ces démarches s'accommodent difficilement avec la volonté affichée d'améliorer la confiance des Français dans le nucléaire.
Les raisons qui ont soudainement poussé la majorité à l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Parlement sont sans doute multiples. L'approche du vingtième anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, à savoir le 26 avril 2006, n'est sans doute pas anodine, d'où l'importance, à titre liminaire, de rappeler l'historique de ce texte et de rétablir sa paternité.