Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 20 mai 2008 à 16h00
Réforme portuaire — Discussion générale

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi portant réforme portuaire. Ce projet de loi, qui est présenté comme une réforme économique, constitue en réalité une réforme idéologique.

En transformant les sept ports autonomes métropolitains en « grands ports maritimes », ce texte s’inscrit dans la continuité des politiques de privatisation menées par le Gouvernement et sa majorité, politiques de destruction des services publics, de démantèlement du domaine public maritime, de déficit démocratique et de fragilisation du statut des personnels.

Fondé sur une analyse largement erronée des causes des difficultés économiques des ports, le projet de loi n’apporte pas une réponse adéquate et présente, en outre, des dangers sociaux, économiques et environnementaux réels.

Comme en 2004, vous confirmez la volonté du Gouvernement de mettre en concurrence ports français, territoires et salariés et de désengager l’État de la promotion de ces ports. Cette situation, déjà ancienne, a conduit la Cour des comptes, dans un rapport de 1999, à douter que l’État ait une politique en matière portuaire.

Monsieur le secrétaire d’État, la vérité est là, dans ce constat alarmant ! L’État est pleinement responsable du retard de la compétitivité des ports français. L’alibi de la fiabilité sociale n’est qu’un prétexte pour diminuer les droits des salariés et des syndicats.

En effet, contrairement à ce qui s’est passé en France, les grands ports européens, que vous citez à juste titre en exemple, ont bénéficié de solides soutiens publics, qui leur ont permis de se lancer dans des opérations d’investissements visant à développer leurs infrastructures de grande ampleur.

Alors que le montant des crédits d’intervention directe et de concours financiers aux ports belges sur la période 1997-2005 s’est élevé à 360 millions d’euros en moyenne par an, il n’a été que de 120 millions d’euros, soit trois fois moins, pour les ports français. Les subventions aux ports belges ont atteint 156 millions d’euros, contre 70 millions d’euros, soit moins de la moitié, pour leurs homologues français sur la même période.

Pourtant, on le sait, si des investissements lourds sont réalisés, si on s’en donne les moyens, les résultats sont positifs, comme en témoigne le cas de Port 2000, leader en matière de croissance du trafic des conteneurs en Europe, puisqu’il enregistre une augmentation de 26 % dans ce domaine. Vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d’État, les motivations qui sous-tendent votre réforme ne résistent pas à l’analyse des faits !

Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de développer nos ports. La mise en valeur des atouts du transport maritime, en raison de sa pertinence environnementale et énergétique, est nécessaire aux échanges européens. Nous devons moderniser les sites portuaires, organiser de manière stable, durable et fiable le transport terrestre qui les prolonge, particulièrement dans les secteurs ferroviaire et fluvial.

Les ports français, alors qu’ils bénéficient d’avantages géographiques importants, restent très fragilisés par la faiblesse de leur hinterland. La croissance du trafic des conteneurs exige un développement ferroviaire et fluvial important.

Pour justifier la réforme, vous n’avez de cesse, monsieur le secrétaire d’État, de mettre en avant les propositions du Grenelle de l’environnement. Permettez-nous, cependant, de douter de votre bonne foi sur cette question !

Premièrement, aucun atelier du Grenelle ne s’est prononcé sur cette réforme ; aucune des propositions du groupe de travail « transport » n’a encore été mise en œuvre.

Deuxièmement, quelle crédibilité accorder à un gouvernement qui diminue de manière chronique les crédits destinés au transport ferroviaire, et plus particulièrement au fret, qui abandonne des projets de tunnels ferroviaires au profit de tunnels routiers ou qui n’a pas su mener à bien les projets d’autoroute des mers ?

Le désengagement de l’État s’explique largement par l’absence de volonté politique d’œuvrer dans le sens du développement durable. Pour répondre aux objectifs de développement de nos ports, dans le respect du développement durable, l’implication des personnes publiques et donc une maîtrise publique du secteur sont indispensables à la prise de décisions cohérentes, dans le respect de l’intérêt général, en matière d’aménagement de l’espace et des territoires, de planification des investissements, d’approvisionnement via la distribution au grand public.

Le secteur portuaire doit répondre aux exigences d’un véritable service public, afin de garantir une cohésion sociale et territoriale. Des milliers d’emplois induits sont en cause. Le développement durable ne saurait être limité, comme le propose la commission, par le respect de la concurrence libre et non faussée, qui vous est si chère, chers collègues de la majorité.

Cette concurrence, nous y reviendrons, est largement mise à mal par le projet de loi, qui crée toutes les conditions nécessaires à la constitution de monopoles privés, au profit de quelques grands groupes qui auront les moyens de dicter leur loi. En témoignent d’ailleurs certains amendements même s’ils tendent à limiter une telle possibilité.

La privatisation des outillages et les transferts des personnels de manutention organisés au profit de ces grands groupes sont largement inspirés du rapport Gressier. Ce document présente la réforme – et ce n’est pas pour nous rassurer ! – comme la suite logique de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, texte auquel seul le groupe communiste s’était fermement opposé.

Le Gouvernement avait alors annoncé la création de 50 000 emplois ; or l’effectif des dockers a été divisé par deux ! Par conséquent, quand vous nous promettez, monsieur le secrétaire d’État, 30 000 emplois supplémentaires, nous nous permettons d’exprimer quelques doutes sur le sérieux de vos prévisions !

En réalité, le bilan de la réforme de 1992 et l’expérience du port de Dunkerque, laboratoire des mesures proposées, sont socialement catastrophiques et économiquement coûteux. Ils ont montré leur inefficacité en termes de développement de l’activité économique des ports !

Tout cela, vous le savez déjà, et c’est peut-être la raison pour laquelle, depuis plusieurs années, vous n’avez pas déposé devant le Parlement, méconnaissant ainsi allègrement vos obligations légales, le rapport relatif aux activités de manutention portuaire ! C’est donc sciemment que vous vous engagez aujourd’hui dans un processus de généralisation des erreurs d’hier !

Eu égard au peu de temps dont je dispose, je voudrais maintenant aborder le contenu du projet de loi à partir de trois points : le transfert des outillages, celui des personnels et, enfin, la nouvelle gouvernance des ports.

Il est proposé, pour aider les ports et relancer l’activité portuaire, de privatiser les services rentables de l’État et de faire des personnels la variable d’ajustement pour garantir les profits des opérateurs privés.

Le transfert des outillages fait l’objet de mesures qui posent plusieurs problèmes, comme vient de le dire Charles Josselin.

Aujourd’hui, dans les ports, l’ensemble des dépenses est équilibré avec l’ensemble des recettes. En transférant les opérations commerciales au secteur privé, le Gouvernement prive les établissements des recettes engendrées par les redevances d’outillage et reporte tout sur les droits de port et les redevances domaniales. Rien n’est prévu pour évaluer les conséquences de telles pertes.

De plus, il n’est question à aucun moment d’évaluer les biens qui sont la propriété de personnes publiques et donc susceptibles d’être cédés. On s’expose par conséquent à un risque de cession à une valeur inférieure à la valeur réelle.

Cette crainte est d’ailleurs confortée par le fait qu’il n’est jamais question de faire peser sur les opérateurs privés le coût de l’investissement de l’État ou des collectivités territoriales nécessaire à l’acquisition de ces matériels. Rien n’est prévu non plus pour garantir que l’opérateur privé exploitera durablement ces matériels sur le site qui les lui a cédés.

Se pose ensuite la question de savoir quelles entreprises pourront réellement assumer les transferts d’outillage et de personnels. Seuls quelques grands groupes déjà en place en auront les moyens. Les petites entreprises ne pourront plus louer au port, pour quelques jours, les matériels nécessaires à l’exercice de leur activité. C’est une différence importante avec la situation actuelle.

Si les ports ne conservent pas les activités jugées rentables, comment valoriseront-ils l’emploi industriel, notamment quand celui-ci dépend d’activités portuaires peu rentables, en raison de la faiblesse des volumes et des cadences ? Pour les trafics à faible valeur ajoutée, les ports diminuent les coûts pour les usagers, mais permettent aux entreprises concernées de faire vivre une économie locale, voire régionale.

Enfin, le projet de loi, en contradiction avec le droit communautaire, tend à instaurer de vrais monopoles privés : la procédure de cession des biens prévue à l’article 7 procède clairement de cette volonté.

Quant aux transferts de personnels, dont les conditions sont précisées à l’article 8, notons d’emblée qu’ils ne sont pas nécessaires à l’instauration d’un commandement unique, comme en témoigne l’exemple du Havre. Une mise à disposition des personnels par le port permettrait d’atteindre cet objectif, tout en présentant des garanties pour les salariés.

De plus, avec les articles 9 et 10 du projet de loi, le Gouvernement nous demande de préjuger d’un dispositif qui sera négocié après l’adoption par le Parlement du projet de loi. Connaissant les politiques du Gouvernement en matière de droit du travail, nous nous opposons fermement à signer ce chèque en blanc.

Dans le projet de loi, aucune garantie qui ne soit vidée de son sens à la ligne suivante n’est prévue. Certes, l’article 10 prévoit que le nouvel employeur est tenu à l’égard des salariés à des obligations qui incombaient au grand port maritime à la date de la signature de la convention de transfert, mais l’article 11 vise à remettre en cause cette garantie, par un renvoi au code du travail qui prévoit, en cas de cession, une nouvelle négociation des conventions collectives.

L’article 1er du projet de loi fait également largement référence à la filialisation des activités de l’établissement public. Là encore, aucune garantie n’existe, notamment en termes de statut et de conditions de travail des salariés, puisque ces filiales ne seront pas majoritairement publiques.

Les sénateurs du groupe CRC s’opposent au dumping social organisé par le texte et à la fragilisation des personnels transférés et des personnels des filiales de l’établissement public.

S’agissant de la gouvernance des ports et de leur conseil d’administration, les modifications proposées constituent une remise en cause des faibles garanties apportées par la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public. Il est prévu que le grand port maritime soit dirigé par un directoire, sous le contrôle de gestion du conseil de surveillance.

Dans cette nouvelle organisation, le rôle décisionnaire de l’État est largement restreint. Surtout, la représentation des salariés n’est pas assurée de manière satisfaisante. Non seulement le nombre des représentants du personnel est réduit, mais aussi les personnels de manutention et les dockers risquent – c’est même certain pour ces derniers – de ne plus être représentés. Pourtant, ils sont des acteurs importants des ports.

On peut également s’étonner que les chambres de commerce et d’industrie, qui jouent un rôle très important dans le développement de l’activité économique de certains ports, ne soient plus représentées. Certains amendements visent cependant à corriger une telle situation.

Vous instituez également, monsieur le secrétaire d’État, « dans l’esprit du Grenelle » – c’est vous qui le précisez ! –, un conseil de développement. Si « l’esprit du Grenelle », c’est l’affirmation de principes dénués de pouvoirs réels pour les mettre en œuvre, l’objectif est alors pleinement atteint avec la création de ce conseil. Il est intéressant de noter – et cela en dit long sur votre conception de la gouvernance des ports ! – que c’est au sein de l’instance qui a le moins de pouvoirs que les salariés sont le mieux représentés !

Le projet de loi portant réforme portuaire constitue une réponse inappropriée pour relancer l’activité des ports. Elle ne saurait remplacer un investissement fort de l’État. Loin de régler les problèmes, ce texte, qui ne vise en réalité que la satisfaction des intérêts privés de quelques patrons, est une véritable atteinte au service public portuaire, au domaine public maritime, aux personnels et à une gouvernance démocratique des ports. En outre, il risque d’avoir des conséquences néfastes indirectes sur d’autres bassins d’emplois.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte, ce qui ne signifie en aucun cas qu’il ne faut rien faire, bien au contraire ! Simplement, nous n’approuvons pas les solutions préconisées dans ce projet de loi.

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