Intervention de Alain Dufaut

Réunion du 27 avril 2011 à 14h30
Organisation du championnat d'europe de football de l'uefa en 2016 — Discussion d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Alain DufautAlain Dufaut, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France a obtenu de haute lutte voilà presque un an l’organisation du championnat d’Europe de football de 2016.

Cette compétition, organisée tous les quatre ans depuis 1960, est le troisième événement sportif mondial en termes d’impact médiatique. C’est donc incontestablement une chance et un honneur pour la France.

Faut-il pour autant une loi d’exception ? C’est la question que s’est posée la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au cours de sa séance du 13 avril dernier. La réponse a été claire : la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale n’est en rien un dispositif d’exception, dérogeant fondamentalement au droit commun pour répondre à un engagement ponctuel de la France.

Les dispositions de cette proposition de loi répondent, au contraire, à un besoin majeur du sport français, l’organisation de la coupe d’Europe offrant l’opportunité d’expérimenter de nouveaux modes de partenariat public-privé au service d’équipements sportifs à rénover ou à moderniser.

Un constat s’impose tout d’abord : nos stades sont à la fois de faible capacité et archaïques.

Les chiffres sont imparables. Alors que le taux de remplissage est plutôt bon, la capacité moyenne d’accueil du public s’établit à moins de 30 000 places dans le championnat de France de football, contre plus de 45 000 places en Allemagne. L’âge moyen des stades était en 2008 de sept ans en Allemagne, de onze ans au Royaume-Uni et de dix-sept ans en France.

La qualité de l’accueil est donc insuffisante en termes de confort et d’espaces réceptifs, avec notamment seulement 4 % de la surface totale des stades consacrés aux sièges à prestations, contre 8 % à 12 % pour les standards européens.

La multifonctionnalité, élément crucial de rentabilité des stades, est très largement insuffisante. La plupart de nos grands stades ne sont occupés que deux jours par mois pendant neuf mois, soit une vingtaine de jours par an avec les coupes. C’est ridicule et contraire à une bonne utilisation de l’argent public.

Enfin, comme l’avait noté notre collègue Pierre Martin dans son rapport d’information sur les associations de supporters, les normes de sécurité ne sont pas toujours respectées. Un travail spécifique sur cette question mérite d’être mené.

La conséquence de tout cela est que le championnat de France profite peu de la billetterie – autour de 15 % du chiffre d’affaires – et est presque totalement « télé-dépendant » : 57 % des ressources des clubs sont issues des droits télévisuels. Ces clubs sont donc à la merci d’un retournement du marché.

En un mot, il n’y a pas de modèle économique du sport professionnel en France. On peut se féliciter, en attendant, du contrôle de gestion rigoureux exercé sur les clubs, mais il faut surtout s’inquiéter du manque de compétitivité des clubs professionnels français.

En effet, ne nous y trompons pas. En dépit des salaires parfois indécents versés aux sportifs professionnels, notamment aux footballeurs, les clubs professionnels français ne sont pas des groupes « ultracapitalistiques » aux taux de rentabilité vertigineux. Nombre d’entre eux sont déficitaires en fin d’exercice.

Qu’on le veuille ou non, le sport professionnel est devenu un spectacle, dont l’objet est la rentabilité. Mais il continue à jouer un rôle essentiel pour les collectivités territoriales : les clubs assurent une notoriété très importante aux communes dans lesquelles ils sont implantés. Ils créent un ciment d’identification locale ; ils créent également du lien social en raison de la mixité dans les stades et de l’atmosphère qui y règne la plupart du temps. Il suffit d’assister à un match au Stade Vélodrome de Marseille dans le virage sud pour s’en convaincre ! Le sport professionnel tend aussi à renforcer la pratique sportive de la population.

Enfin, et surtout, le stade lui-même est « un outil de développement de l’attractivité des villes et des territoires et un facteur de contribution à la croissance économique » de ces mêmes territoires.

Quelles sont donc les causes de l’archaïsme de nos stades ?

Premièrement, elles sont historiques.

La spécificité française la plus marquante est la gestion publique des stades. Ils sont historiquement la propriété de la collectivité territoriale d’implantation dans 90 % des cas, contre 59 % dans l’Europe élargie.

Or la coexistence entre l’obsolescence des stades et la propriété publique n’est pas une coïncidence. Il y a, bien évidemment, un lien direct. Le rapport de Philippe Séguin montre que le stade, dans notre pays, est davantage perçu comme un enjeu politique que comme un centre de ressources et de profits.

Plus certainement, à partir du moment où le club résident est un simple locataire, dépourvu de droits réels et de marges de manœuvre sur la gestion du stade, il n’a que peu d’intérêt à exploiter l’équipement sur le plan économique, à y attirer des spectateurs et à moderniser l’infrastructure. Et même si le club souhaite effectuer des améliorations, il est souvent confronté à l’incapacité financière de la collectivité à rénover, voire simplement à entretenir l’installation sportive. Le sénateur qui vous parle a vécu le véritable miracle de l’accession du club Arles-Avignon en première division. Nous avons dû mettre aux normes notre stade afin d’obtenir une capacité de 17 000 places. Cette opération a coûté à la collectivité municipale 8 millions d’euros nets, une somme qui pèse lourd sur le budget municipal d’une ville comme Avignon et est difficile à résorber.

Deuxièmement, les causes de cet archaïsme sont juridiques.

Il n’existe, en effet, aucun cadre unique adapté à l’ensemble des projets, le choix dépendant de chaque situation : rénovation ou construction, maîtrise d’ouvrage publique ou privée, mode de financement…

La maîtrise d’ouvrage publique, la MOP, est un outil simple, mais de moins en moins utilisé en raison de la lourdeur de la gestion de tels projets comme du contexte financier délicat des collectivités locales, qui paient, dans ce cas de figure, l’intégralité des travaux. De plus, la MOP ne laisse aux clubs qu’un rôle secondaire.

Parmi les stades concernés par l’organisation de l’Euro 2016, le Stadium de Toulouse et le Stade Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne seront rénovés selon cette formule, qui demande un investissement très lourd aux collectivités territoriales, qu’il s’agisse de la commune, de l’établissement de coopération intercommunale, l’EPCI, du département, voire de la région.

À l’inverse, les concessions et les contrats de partenariat permettent de confier à un prestataire la gestion du projet dans son ensemble et d’étaler les investissements publics dans le temps. Néanmoins, les clubs n’ont toujours pas la maîtrise du projet ni de droits sur l’infrastructure.

À mon sens, les deux régimes juridiques les plus à la mode, les mieux adaptés, sont donc les partenariats public-privé, le PPP, et les baux emphytéotiques administratifs, les BEA.

Le PPP permet d’associer la collectivité, l’opérateur et le club à la vie quotidienne du stade, aux conditions de son exploitation, et de partager les coûts et les recettes. Il semble que cette formule soit notamment adaptée en cas de construction d’un nouveau stade. Quatre stades concernés par l’Euro 2016 sont ou seront rénovés ou construits dans ce cadre : le grand Stade de Lille, le nouveau Stade bordelais, celui de Nice et le Stade Vélodrome de Marseille.

Le bail emphytéotique administratif séduit par sa souplesse et par la possibilité qu’il offre au club de mener une exploitation ambitieuse du stade. La collectivité reste propriétaire et peut imposer le respect d’un certain nombre de règles. Cependant, un flou juridique entoure encore les BEA.

La présente proposition de loi a pour objet principal d’assouplir le régime juridique des BEA, conformément aux propositions du rapport de Philippe Séguin, notamment en raison des spécificités entourant son mode de financement. Les travaux de rénovation du Parc des Princes, du Stade Félix-Bollaert de Lens et du Stade Marcel-Picot de Nancy devraient être exécutés selon cette formule.

Parlons, enfin, des constructions entièrement privées dont le modèle juridique ne pose pas de problème particulier. Il est surprenant de constater combien ce type de projets est difficile à monter. L’exemple lyonnais en témoigne. Pour autant, ces difficultés sont dues le plus souvent, j’en suis convaincu, à des causes extra juridiques.

Bref, il est encore difficile de construire des stades en dépit du rôle majeur que ces derniers jouent en matière de compétitivité du sport professionnel et d’aménagement du territoire.

La commission de la culture considère donc que l’organisation en France de l’Euro 2016 est une opportunité historique à saisir pour rénover et moderniser les stades de notre pays.

Le député Bernard Depierre, auteur de la proposition de loi, a choisi de mettre en place une forme « d’expérimentation significative d’un nouveau mode de financement des grandes infrastructures nationales », dont nous approuvons pleinement à la fois la forme et le fond.

Le cahier des charges de l’UEFA est, certes, exigeant, mais il correspond, selon moi, à des besoins réels de la France.

Neuf stades au moins doivent être proposés dont deux comptant au moins 50 000 places – nous les avons déjà ; ce sont le Stade de France et le Stade Vélodrome de Marseille –, quatre comptant 40 000 places – Lens, Paris, Lille, Bordeaux et Lyon – et quatre comptant 30 000 places – Nice, Saint-Etienne, Toulouse, Nancy. Il sera, à mon sens, assez aisé de remplir ces obligations.

Trois types d’exigences sont, ensuite, définies : spatiales, techniques et fonctionnelles. Les points noirs des équipements français, conséquences de leur ancienneté, sont les espaces dits « hospitalité » et le bloc « tribunes de presse et installations médias ».

Les travaux de rénovation se concentreront donc sur ces objectifs qui sont, en outre, des éléments majeurs de la rentabilité future de ces stades.

Le confort des stades n’est pas non plus adapté au cahier des charges de l’Euro 2016. Leur aménagement ne pourra qu’être un facteur d’attraction des familles dans les enceintes sportives et, donc, d’amélioration des performances économiques de ces derniers.

Outre que les rénovations auront un impact favorable sur la compétitivité du sport professionnel français, l’Euro 2016 aura en lui-même des conséquences économiques positives et importantes sur l’ensemble du territoire national.

Les dispositions prévues par la présente proposition de loi devraient permettre de débloquer un certain nombre de dossiers. Comme je l’ai indiqué précédemment, la voie la plus prometteuse en matière de rénovation des stades, pour des raisons historiques et culturelles, est le financement mixte entre le public et le privé.

Les deux premiers articles de cette proposition de loi vont donc dans le bon sens puisqu’ils prévoient d’assouplir la capacité d’intervention des collectivités territoriales dans le domaine des BEA et des subventions.

L’article 3 de la proposition de loi prévoit également un dispositif pertinent en ce qu’il favorise le recours à l’arbitrage pour certains contentieux concernant les stades qui accueilleront l’Euro 2016. Cette procédure est évidemment beaucoup plus souple et beaucoup plus rapide que les procédures judicaires traditionnelles.

Je suis convaincu que les dispositifs dérogatoires, notamment ceux qui sont prévus aux articles 1 et 3 de la proposition de loi, ont un réel avenir et que leur utilisation dans le cadre de l’Euro 2016, justifiée par l’urgence de la situation, sera un test « grandeur nature » parfait pour savoir s’ils devront ultérieurement être étendus à l’ensemble des stades et des enceintes sportives de notre pays. La vétusté de nos équipements sportifs l’impose.

Je suis même convaincu que notre réflexion sur les stades et, plus largement, sur l’ensemble des équipements sportifs, est loin d’être terminée. D’autres mesures en matière de facilitation de procédure et d’amélioration du cadre juridique seront certainement à examiner à l’avenir. Des véhicules législatifs concernant les sports devraient nous permettre de reprendre ce débat, en particulier à la lumière du bilan de l’Euro 2016.

En attendant, mes chers collègues, la commission de la culture a adopté ce texte sans le modifier. Il constitue un impératif pour moderniser enfin nos équipements sportifs et en faire plus que des lieux de sport : des lieux de spectacle, des lieux de vie, des lieux de rassemblement et des lieux de mixité.

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