Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons un problème extrêmement sensible et délicat.
Notre amendement résulte du débat qui a été mené au sein de notre groupe avec un certain nombre d'interlocuteurs afin de faire le point sur cette question, qu'il s'agisse des chefs d'entreprises commerciales et artisanales ou des organisations syndicales.
Je voudrais d'abord indiquer que, à notre réelle surprise, les représentants des commerçants et des artisans nous sont apparus partagés sur cette question du travail des apprentis le dimanche et les jours fériés. Il est clair que, si certaines professions revendiquent cette autorisation, d'autres n'en voient absolument pas l'utilité. Certaines s'inquiètent même d'éventuelles contreparties qui leur seraient demandées, notamment financières. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.
Comme souvent, le tableau n'est pas d'une couleur uniforme. Nous nous sommes donc efforcés de proposer une solution qui respecte l'ensemble des paramètres et qui soit praticable. Car, s'il ne sert à rien de voter des lois qui demeurent inappliquées, il est néfaste de voter des lois porteuses d'injustice.
Au nombre de ces paramètres, il y a bien sûr - et nous le comprenons parfaitement -, le fonctionnement des entreprises qui sont en activité et qui réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires alors que les autres sont en congé.
Le nombre de secteurs concernés est, en fait, très limité. En discutant avec nos interlocuteurs employeurs, nous en avons ciblé trois. L'article L. 221-9 du code du travail ne doit donc être repris dans sa totalité. Il s'agit de la fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate -sont notamment concernés les traiteurs, les boulangers, les pâtissiers - ainsi que la restauration et les magasins de fleurs naturelles. En clair, il s'agit de secteurs où l'on manie des denrées périssables.
Dans ces seuls secteurs, la présence des apprentis le dimanche pourrait se justifier.
Nous sommes aussi sensibles au fait que, dans ces branches, si l'essentiel de l'activité se réalise en fin de semaine, l'essentiel de l'apprentissage pratique se fera également au même moment. Il est donc logique que les apprentis soient alors présents dans l'entreprise.
Cette activité dominicale peut d'ailleurs avoir un effet non négligeable sur l'avenir personnel des jeunes, dans la mesure où ils pourront prendre conscience progressivement des contraintes inhérentes à la profession qu'ils ont choisie.
Le code du travail considère le contrat d'apprentissage comme un contrat de travail d'un type particulier. L'employeur s'engage à assurer une formation professionnelle à un jeune travailleur et à lui verser un salaire pour sa participation à l'activité de l'entreprise. En retour, l'apprenti s'engage à suivre la formation dispensée par le CFA et par l'employeur pendant les périodes où il travaille dans l'entreprise. Le travail et la formation sont donc intimement liés.
En revanche, nous sommes opposés à l'autorisation de portée générale qui est proposée au travers d'autres amendements - y compris celui de la commission des affaires économiques -, et qui concernerait, au final, quatre-vingt métiers dont la liste occupe cinq pages du code du travail - il serait trop long de les énumérer ici -, au nombre desquels figurent tout de même un certain nombre de professions comme la conduite des fours et des étuves, la préparation de produits chimiques en continu ou des travaux de désinfection. Sont aussi inclus divers services de transport et de dépannage, y compris industriels, des services de maintenance, etc.
Personne ne nous fera croire qu'il est indispensable d'employer des apprentis le dimanche dans ces activités, au demeurant dangereuses pour certaines d'entre elles !
L'apprenti n'est pas simplement un travailleur plus jeune que les autres et au plus bas de la hiérarchie, qui devrait être amené à effectuer un certain nombre de tâches sans aucune considération pour sa jeunesse et son inexpérience.
II nous faut donc être très attentifs à ne pas « glisser », pour répondre à une sollicitation de nature économique, vers une fourniture de main-d'oeuvre à bon marché qui profiterait à certains employeurs peu scrupuleux. Certes, ce n'est pas le cas de tous, mais il y en a, et nous le savons bien !
Ce point est, à nos yeux, très important. Nous ne devons pas oublier que nous parlons de jeunes âgés de seize à dix-huit ans, soit de très jeunes adultes : certains d'entre eux sont presque encore des enfants ! Comment étions nous nous-mêmes à l'âge de seize ans ? Comment sont les jeunes de cet âge dans notre entourage ?
Dans une société qui prétend à la cohésion sociale, il n'y a pas deux catégories de jeunes. Il n'y a pas, d'un côté, des jeunes qui auraient un droit naturel au repos et aux loisirs le dimanche et, de l'autre, ceux qui seraient condamnés à ne connaître de l'existence que le travail tous les dimanches, tous les jours fériés, des jeunes qui devraient savoir, au sortir de l'enfance, qu'ils font partie d'un stock de main-d'oeuvre et dont l'horizon est d'être à tout moment disponibles !
L'intégration des jeunes dans notre monde difficile ne se résume pas à la seule intégration dans le monde du travail. Elle passe surtout par la reconnaissance et par l'attention que nous leur accordons, reconnaissance et attention qui leur permettront de se structurer et d'avoir conscience de leur valeur intrinsèque.
Pour en revenir à la question, apparemment simple et technique, du travail des apprentis le dimanche, ces considérations nous ont conduits, tout en prenant en compte les nécessités évidentes des trois secteurs d'activité précis susmentionnés, à poser un certain nombre de garde-fous pour protéger les jeunes.
Nous avons donc essayé de réfléchir très sérieusement à ce problème.
Nous proposons d'abord l'interdiction du travail dominical durant la première année de contrat, c'est-à-dire alors que le jeune a souvent entre seize et dix-sept ans.
Nous suggérons ensuite que le nombre de dimanches autorisés soit, par exemple, limité à six par an, ce qui couvre les grandes fêtes annuelles telles que celles de fin d'année, la fête des mères, les manifestations locales du dimanche. Il s'agit d'une base négociable qui pourrait éventuellement être étendue ; mais, pour cela, il faudrait d'abord préciser que le travail les jours fériés demeure, en tout état de cause, interdit.
Afin d'en discuter dans ces trois secteurs d'activité, nous proposons de conditionner l'application de cette dérogation à un accord de branche étendu. Nous nous en remettons ainsi, en dernier ressort, à la négociation des partenaires sociaux de la branche.
Sous ces conditions et sous réserve que l'activité dominicale soit réservée à trois secteurs strictement déterminés, nous estimons que nous pouvons éviter les dérives. Le caractère pédagogique de l'apprentissage serait respecté et son caractère attractif sauvegardé.