Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 14 juin 2005 à 21h45
Petites et moyennes entreprises — Article 27

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur l'ensemble du titre VI de ce projet de loi, qui est intitulé « Modernisation des relations commerciales ».

Par expérience, je deviens méfiant quand j'entends la majorité parler, dans son jargon, de « modernisation ». Ce mot s'est le plus souvent traduit, en effet, par une forte injection de libéralisme, de flexibilité et de précarisation dans les domaines à moderniser. Curieuse conception du « moderne », qui sert le capital en premier et l'homme en dernier !

D'une manière générale, le titre VI répond théoriquement à la volonté d'encadrer et de moraliser les pratiques de la grande distribution, souvent qualifiées de « mafieuses » par les uns et les autres. Cette volonté est fort louable.

Toutes les tentatives menées jusqu'à présent par les différents gouvernements, depuis la loi Galland du 1er juillet 1996, ont été d'une très faible efficacité, qu'il s'agisse de la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001 ou de votre circulaire du 16 mai 2003, monsieur le ministre. J'avais d'ailleurs exprimé à l'époque des craintes - justifiées - quant à l'efficacité de la loi sur les nouvelles régulations économiques.

Si le problème de la toute-puissance de la grande distribution et des pratiques illicites qui en découlent n'a pas été résolu, cela s'explique par deux raisons majeures.

Premièrement, les gouvernements n'ont pas frappé assez fort pour faire appliquer la loi : 40 % des procès-verbaux sont restés sans suite et les contrôles sont insuffisants en nombre et mal ciblés, faute de personnels formés et investis des pouvoirs adéquats.

Deuxièmement, l'interdiction de la vente à perte ne concerne que le distributeur, et non le fournisseur. Je pense tout particulièrement aux agriculteurs et aux producteurs de fruits et légumes, mais cela est vrai pour tous les fournisseurs. Cette deuxième raison pose clairement la question de la nécessité d'un encadrement technique et législatif du prix de revient des productions et d'un mécanisme incitatif d'achat à un prix qui permette aux fournisseurs de vivre décemment.

A ce titre, le Gouvernement se « hâte lentement » pour prendre les décrets relatifs au coefficient multiplicateur. Serait-il gêné aux entournures ? Où en sommes-nous sur ce sujet, monsieur le ministre ? Et pourquoi tant d'inertie ?

Dans le droit-fil de mon raisonnement, je proposerai à nouveau que soient établis pour les productions agricoles et alimentaires, d'une part, un prix minimum ou plancher qui empêche la vente à perte et, d'autre part, un prix de référence qui permette aux producteurs de vivre correctement.

Peut-être qu'à force de taper sur le clou il s'enfoncera, comme ce fut le cas du coefficient multiplicateur que nous avons défendu pendant plus de dix ans et qui a fini par être adopté.

Le prix minimum servira de déclencheur aux mécanismes anti-crise. Quant au prix de référence, il sera l'objectif à atteindre ou à dépasser.

L'article 26 du titre VI encadre les accords de gamme. Nous proposons d'interdire ceux-ci purement et simplement, dans la mesure où il est inadmissible de laisser le fournisseur d'un produit dominant imposer toute la gamme de ses autres produits.

S'agissant des conditions particulières de vente, il est possible de fournir le petit commerce au même prix que le grossiste ou la grande distribution, quels que soient les quantités et les conditionnements, à l'exception des frais de transport. Nous avons déposé un amendement à cet égard afin de favoriser le commerce rural et celui des quartiers urbains défavorisés.

L'article 28, qui définit le « contrat de coopération commerciale », va dans le bon sens en précisant l'effectivité du contenu des services rendus ; mais, en même temps, il donne une reconnaissance légale à des pratiques illégales.

Le coeur de ce titre VI et de ce projet de loi est pourtant bien l'article 31, qui modifie les conditions de vente à perte par un tour de passe-passe : il transforme des marges arrière exorbitantes en marges arrière « normalisées Europe », additionnées de marges avant censées venir atténuer le prix de vente au consommateur.

Ce mécanisme génial m'a fait dire en commission qu'il n'était pas question de pressurer davantage les fournisseurs ni d'augmenter les prix à la consommation.

Le passage des marges arrière de 35 % à 20 % provoque théoriquement une perte de 15 % pour la grande distribution. Où ces 15 % passent-ils ? Les actionnaires de ces grands groupes vont-ils accepter une baisse de 15 % du rendement de leurs capitaux ? Expliquez-moi où se trouve la supercherie, monsieur le ministre !

Quant à l'exemple du baril de lessive acheté 5 euros et vendu 5 euros avant la loi, puis acheté 5 euros et vendu 4, 5 euros après la loi, il me laisse pantois et interrogatif.

Ce qui risque de se produire, c'est que, demain, un même produit acheté 100 euros, payé 65 euros au fournisseur et revendu 100 euros au client, sera acheté 80 euros, payé 64 euros au fournisseur et revendu 100 euros au client. Les 20 % de marge auront été respectés, et le tour sera joué.

Enfin, au sujet des enchères inversées, le principe est tellement scandaleux que nous le rejetons d'emblée. J'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure.

Je ferai quelques remarques à propos de la grande distribution française, concentrée autour de cinq grandes centrales d'achat : celle-ci s'abrite derrière la mondialisation et derrière le risque d'être dévorée demain par Wal-Mart pour que la fin justifie les moyens et que les politiques ne viennent surtout pas trop se mêler des relations commerciales.

Le discours de peur est le même vis-à-vis des grands industriels mondiaux, comme Coca-Cola, Unilever, Nestlé, Procter & Gamble

Autant dire que la situation appelle, à notre sens, une nette amélioration des conceptions commerciales de l'OMC et de l'Union européenne. Pour l'Europe, l'avertissement est donné. Pour l'OMC, il reste beaucoup à faire.

La grande distribution se targue également d'avoir démocratisé l'accès à la consommation et place le consommateur en arbitre final. La réalité est quelque peu différente, où le consommateur est trop souvent l'otage de la publicité, de l'incitation à une société de consommation à tout crin et où il est victime de l'endettement lié également à la faiblesse de son pouvoir d'achat.

La grande distribution oublie également d'évoquer les centaines de milliers d'emplois structurants qu'elle a supprimés au sein de nos collectivités locales. Un monde équilibré et raisonnable dans le domaine commercial n'est pas compatible avec les logiques ultralibérales qui sous-tendent les comportements actuels.

Mondialiser le commerce équitable, encourager l'indépendance alimentaire des pays, favoriser le développement économique et industriel des pays les moins avancés, protéger et développer les productions vivrières locales, amplifier la liaison des productions locales et leur commercialisation, maintenir un réseau dense de petits commerces de proximité... oui, mes chers collègues, tout cela est nécessaire, voire indispensable, mais nous en sommes encore loin.

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