Intervention de François Rebsamen

Réunion du 28 avril 2011 à 9h00
Amélioration de la justice fiscale — Rejet d'une proposition de loi

Photo de François RebsamenFrançois Rebsamen :

Il est quelque peu indécent d’exonérer 300 000 contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune alors que plus de 800 000 ménages sont surendettés. La priorité devrait être de se pencher sur la situation de ces derniers, mais le Gouvernement se préoccupe davantage de 300 000 ménages qui ont le malheur d’être redevables de l’ISF parce que leur patrimoine est compris entre 800 000 et 1, 3 million d’euros !

Ces choses devaient être dites, en réponse aux propos très politiques de M. le ministre, qui est ici en service commandé pour défendre la politique gouvernementale. Il est vrai que celle-ci est tellement vilipendée aujourd'hui qu’elle a bien besoin d’être défendue !

Monsieur le ministre, vous n’avez répondu que de manière cursive à nos propositions, qui visent à instaurer davantage de justice fiscale, en rééquilibrant devoirs et obligations des entreprises du CAC 40 à l’égard du pays, d’une part, et en mettant en œuvre un dispositif d’incitation à l’investissement pour les entreprises, d’autre part, reposant sur un système de bonus-malus, afin de récompenser les efforts d’investissement et de sanctionner les distributions excessives de dividendes.

Cette proposition de loi procède d’un constat. Bien que des niches aient été supprimées, les entreprises auraient épargné, d’après les chiffres qui nous ont été communiqués, près de 70 milliards d’euros en 2010, contre 20 milliards d’euros en 2005, grâce à différents dispositifs fiscaux. Nous voulons que l’État retrouve une capacité financière, afin notamment de réduire les déficits des comptes publics.

Le Président de la République est passé maître dans l’art d’annoncer de nouvelles lois. Sa stratégie, c’est « action-réaction » : adepte des lois d’émotion, il l’a mise en œuvre à la suite de nombre de faits divers médiatiques, en présentant chaque fois un nouveau texte. En revanche, le Gouvernement se montre beaucoup moins prompt à l’action et à la réaction quand il s’agit de justice fiscale ! Pourtant, depuis de nombreux mois, il est souligné que de grands groupes ne paient aucun impôt sur les sociétés… Or il est impératif aujourd'hui d’envoyer des signaux de justice aux citoyens, aux consommateurs, aux ménages, aux contribuables, aux petites et moyennes entreprises, qui subissent lourdement les effets de la crise, parfois doublement, du fait de la hausse des prix et du chômage. Alors que le prix du litre d’essence à la pompe bat aujourd'hui des records, Total ne paie toujours pas d’impôt sur les sociétés…

Le courage, c’est de supprimer un certain nombre d’outils aujourd'hui obsolètes, à l’instar du bénéfice mondial consolidé, qui a été mis en place en 1965. Sa suppression est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi. On ne pourra pas faire face aux enjeux de 2020 avec les outils de 1960 ! Lors de la discussion du dernier projet de loi de finances, le Gouvernement s’était opposé à la suppression de ce dispositif, estimant qu’il est « bien contrôlé, semble assez sûr et permet à des entreprises qui ne sont pas forcément de grands groupes de développer leurs activités ». À la lecture de la liste des bénéficiaires, on est en droit de se demander de quelles entreprises il s’agit…

Nous avons déjà abordé le thème du courage en matière fiscale dans cet hémicycle. La suppression du bouclier fiscal a beaucoup trop tardé. Assujettir les groupes pétroliers à une contribution exceptionnelle, comme nous l’avons demandé, serait une décision courageuse. Lorsque j’ai présenté une proposition de loi à cette fin, le Gouvernement a répondu en substance : « Mais enfin, soyez raisonnables ! » Avec quelques années de retard, la création de cette taxe est aujourd'hui annoncée. Il était sans doute urgent… d’attendre !

Le dispositif fiscal dérogatoire n’est pas un dû ; c’est avant tout une dépense publique. Il est difficilement admissible que de grandes entreprises puissent éviter de s’acquitter de leur contribution à la collectivité nationale. Pourquoi tolérons-nous autant de pratiques d’optimisation fiscale outrancière, réservées à quelques-uns ? Comment l’État peut-il accepter qu’on lui fasse ainsi les poches ?

Les Français comprennent mal qu’un champion national comme Total participe aussi peu à « l’entretien de la force publique », pour reprendre les termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. Non seulement ce grand groupe a licencié des salariés, mais il ne paie pas d’impôt sur les sociétés, alors qu’il réalise – et c’est tant mieux ! – une dizaine de milliards d’euros de bénéfices ! L’impôt sur les sociétés est devenu, selon les propres mots de M. Baroin, un « impôt de chagrin » ! Toutes les entreprises devraient acquitter un minimum d’impôt ! L’État récupérerait ainsi quelque 10 milliards d’euros, et pourrait réduire d’autant les déficits publics. Pourquoi toujours repousser l’échéance ? Nous appelons le Sénat à adopter sans plus tarder cette proposition de loi frappée au coin du bon sens, qui tend à instaurer davantage de justice fiscale.

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