Intervention de Claude Domeizel

Réunion du 28 avril 2011 à 9h00
Journée nationale de la laïcité — Discussion d'une proposition de résolution

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel, auteur de la proposition de résolution :

Ma volonté, aujourd’hui, vise simplement à rappeler que la France est un pays laïc.

Loin de moi l’intention de m’étendre sur une définition du mot « laïcité », que l’on a parfois tendance à confondre avec l’œcuménisme qui tend à unir toutes les églises, l’athéisme qui nie l’existence de toute divinité, ou l’agnosticisme qui considère que la connaissance du sens de l’existence est inaccessible à l’esprit humain.

La laïcité, j’y reviendrai, tolère tous ces concepts.

Mais ce doux mot, féminin, porteur de tolérance, peut aussi provoquer des attitudes violentes, extrémistes, voire nauséabondes.

Je choisis, pour expliquer la motivation de cette démarche, de faire un bref retour historique, car c’est dans l’histoire de la laïcité que l’on comprend mieux la nécessité de défendre aujourd’hui ses principes.

L’étymologie du mot « laïc », qui vient du substantif grec laos – le peuple –, signifie « populaire » ou « national ». Ce terme était utilisé dans les premières communautés chrétiennes pour désigner ceux qui ne faisaient pas partie de la communauté religieuse, les illettrés, le peuple.

Issue du siècle des Lumières, c’est à la Révolution française, en 1789, que la laïcité a acquis une véritable consistance par l’affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l’égalité des droits exprimés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En 1801, ces principes furent remis totalement en cause lors du Concordat signé par Napoléon et le représentant du Pape Pie VII.

En 1850, le ministre de l’instruction publique, Alfred de Falloux, réorganisa le système d’enseignement pour le mettre sous la tutelle de l’église catholique, avec la tristement célèbre loi Falloux… Cela motiva une virulente protestation de Victor Hugo devant l’Assemblée législative en ces termes : « J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État. [:..] Je ne veux pas qu’une chaire envahisse l’autre ; je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. [...] Je veux l’enseignement de l’Église en dedans de l’église et non au dehors. [:..] En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères : l’Église chez elle et l’État chez lui. »

Ce long conflit entre les partisans d’une France monarchique, catholique et conservatrice, et les défenseurs d’une France laïque, républicaine et ancrée vers la gauche fut communément appelé la « guerre des deux France ».

Le terme de « laïcité » apparu pour la première fois sous la Commune de Paris, en 1871. Quelques décennies plus tard, s’ensuivirent l’affaire Dreyfus, puis l’époque des hussards de l’école publique, qui se voulaient héritiers du siècle des Lumières, adeptes de la Raison. C’étaient des républicains, souvent libres-penseurs, francs-maçons ou protestants. Quelques grands noms de cette époque sont incontournables : Jules Ferry, Paul Bert, Ferdinand Buisson et René Goblet. Tous apportèrent leur pierre à la laïcisation de l’enseignement.

Enfin, la lutte entre anticléricaux et catholiques conservateurs vit son aboutissement avec la loi du 9 décembre 1905, adoptée dans la foulée de celle de 1901 sur les associations.

Cette loi du 9 décembre 1905, pilier des institutions, fut le résultat d’un long débat, d’une haute tenue philosophique, idéologique et juridique, qui se déroula du 31 mars au 3 juillet 1905. Il convient d’y ajouter le temps consacré à la préparation du projet de loi par une commission de trente-trois membres, présidée par Ferdinand Buisson, président de l’Association nationale des libres-penseurs de France.

Face à une tâche aussi délicate, cette commission a siégé plus de dix-huit mois, ce qui a fait dire à Jean Jaurès que ce document parlementaire détenait « le record de travail de la législature présente, de celles passées et peut-être de celles à venir... ». Cela ne s’est pas démenti !

Les débats, nécessairement longs, furent souvent tendus et houleux. Pouvait-il en être autrement ? Les guerres de religions et toutes leurs conséquences, au demeurant pas si lointaines, étaient ancrées dans beaucoup de mémoires.

Aristide Briand, député socialiste de la Loire, rapporteur du projet de loi, arriva, grâce à ses talents de conciliateur, à faire adopter un texte d’équilibre.

Ce texte pose le principe de la liberté de conscience et celui du libre exercice des cultes. Parallèlement, il affirme son intention de sécularisation, en confiant à l’État les biens confisqués à l’Église et en supprimant la rémunération du clergé par l’État.

L’essentiel est contenu dans l’article 1er de la loi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Ce texte a su donner satisfaction à tous en consacrant la séparation entre sphère publique et sphère privée, en laissant à chacun la liberté de croire à une religion ou – c’est important de le rappeler aussi – de ne pas croire. Je pense aux athées et aux agnostiques, qui sont également attachés à la réaffirmation des principes de la laïcité.

En effet, la laïcité repose non pas sur la tolérance des différences, mais sur l’égalité des citoyens. Voilà pourquoi, comme le disait Jean Jaurès dès 1893, « démocratie et laïcité sont deux termes identiques ».

Cependant, si la laïcité, comme garante des valeurs républicaines « liberté, égalité, fraternité », a été élevée au rang de principe constitutionnel, force est malheureusement de constater qu’aujourd’hui elle est de plus en plus oubliée, voire bafouée. Alors que l’on pouvait penser acquis le caractère laïque de l’État français et que personne ne semblait plus remettre en cause les principes de laïcité et de séparation des églises et de l’État, découlant de la loi de 1905 et de la Constitution de 1958, des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées. Face à ces tentatives, on peut regretter que, à la place d’un rappel clair du principe constitutionnel de laïcité, une certaine confusion ait été entretenue.

Nous avons tous en mémoire la violence, à certains moments, des querelles sur l’école, la difficile coexistence entre l’école publique et l’enseignement privé, essentiellement catholique.

Le principe de laïcité française ne devrait pas diviser ; il devrait au contraire rassembler les hommes d’opinions, de religions ou de convictions différentes dans une même société. Ciment de notre démocratie et du « vivre ensemble », il revêt la même importance que le triptyque « liberté, égalité, fraternité » qu’il complète.

C’est pourquoi cette idée, ou plus précisément cette valeur, socle de notre République, doit être aujourd’hui réaffirmée, en direction notamment des jeunes générations.

Comment mieux intégrer la notion de laïcité qu’en la faisant reine d’une journée par an, pour la faire vivre, l’enseigner, se l’approprier ?

Aujourd’hui, il se trouve que ce principe, que l’on pensait acquis, subit des manquements dangereux.

Comment ne pas comprendre le très profond attachement à la laïcité des membres d’associations qui ont mis ce concept au centre de leur réflexion, ou de ceux qui, en sorte d’héritage, gardent en mémoire le fossé qui a divisé, durant plusieurs décennies, catholiques et protestants, ou encore de ceux qui ont connu les pratiques encore en cours dans la première moitié du XXe siècle, notamment les difficultés pour célébrer les mariages mixtes ou les inhumations au fond des jardins, hors du cimetière communal où n’étaient pas admis les protestants ? Nos institutions peuvent-elles admettre la présence religieuse dans des manifestations officielles ou associatives ?

À l’inverse, la République française ne doit pas être présente en tant que telle dans les manifestations ou offices religieux. La très récente décision du Président de la République de demander au Premier ministre d’assister à la béatification du Pape est une entorse grave au principe de laïcité inscrit dès l’article 1er de notre Constitution.

2 commentaires :

Le 03/05/2022 à 13:31, aristide a dit :

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"Mais ce doux mot, féminin, porteur de tolérance, peut aussi provoquer des attitudes violentes, extrémistes, voire nauséabondes."

On l'a bien vu avec cette violence absurde déchaînée contre ces innocents foulards...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 03/05/2022 à 13:36, aristide a dit :

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"Nos institutions peuvent-elles admettre la présence religieuse dans des manifestations officielles ou associatives ?"

Il y a des associations religieuses...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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