Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue Richard Tuheiava sonne opportunément l’heure de mettre enfin en place la fonction publique communale de Polynésie française.
Les quarante-huit communes du territoire ont accédé en 2004 au statut de collectivités territoriales de la République régies par le principe de libre administration.
Ce statut sera parachevé par la disparition de la tutelle, au bénéfice du contrôle a posteriori des actes administratifs et budgétaires, au plus tard le 1er janvier 2012.
Dotées désormais de compétences propres, les communes polynésiennes doivent pouvoir disposer des services aptes à les mettre en œuvre.
Le statut des agents communaux institué à cette fin par une ordonnance du 4 janvier 2005 adapte aux spécificités locales les dispositions de la loi du 26 janvier 1984 concernant les fonctionnaires territoriaux.
Il reste cependant lettre morte à ce jour, faute des textes d’application requis.
Entre-temps, le droit de la fonction publique a connu diverses évolutions successivement adoptées en 2007, en 2009 et en 2010.
Aujourd’hui donc, les 4 547 agents des quarante-huit communes, de leurs groupements et de leurs établissements publics administratifs demeurent recrutés sur des contrats de droit privé et sont soumis à des règles très hétérogènes : application du code du travail polynésien, adhésion à la convention collective des agents non fonctionnaires communaux, statuts communaux.
Le statut défini en 2005 puis complété en 2007 oscille entre droit commun et particularismes.
En effet, si elle s’inspire naturellement du statut de la fonction publique territoriale, l’ordonnance n’a pas pu méconnaître la situation géographique des quarante-huit communes réparties sur 118 îles recouvrant 4 200 kilomètres carrés de terres émergées dispersées sur 4 millions de kilomètres carrés dans le Pacifique-Sud. Ainsi, Fangatau est sise sur deux atolls distants de quatre-vingt-dix kilomètres. Quant à la commune de Rapa, dans les Îles australes, elle n’est accessible que par bateau.
Ces quelques données expliquent le défi que représente la gestion des services publics locaux, qu’il s’agisse des déchets, de l’assainissement ou de l’eau potable, alors que la population des communes est disséminée aux quatre coins de ce territoire archipélagique.
Ces contraintes pèsent lourdement sur les collectivités polynésiennes. Elles exigent une mise en place rapide de la fonction publique communale qui, au surplus, offrira aux agents des parcours professionnels valorisants.
Depuis la publication de l’ordonnance, le droit général de la fonction publique a évolué, entraînant certaines obsolescences du statut communal.
Nombre de dispositions adoptées par le Parlement en 2007, en 2009 et en 2010 constituent de véritables innovations. Il s’agit notamment de la prise en compte de l’expérience professionnelle lors du recrutement et pour la promotion interne des agents, de l’encouragement à la mobilité des fonctionnaires à l’intérieur et entre fonctions publiques ainsi que de la réforme du mode d’évaluation des fonctionnaires.
Notre collègue Richard Tuheiava a souhaité étendre l’essentiel de ces évolutions aux futurs agents communaux de Polynésie française.
La commission des lois a adhéré à la logique de la proposition de loi : actualiser le statut des fonctionnaires communaux et même prolonger sa mise à jour en respectant l’originalité des communes polynésiennes, qui implique des exceptions au droit de la fonction publique territoriale.
La commission des lois a tout d’abord voulu rapprocher l’accès aux cadres d’emplois du droit commun de la fonction publique.
À cette fin, elle a voulu préserver la compétence réglementaire en matière de concours. Mais, comme l’a souhaité l’auteur de la proposition de loi, elle a encadré les pouvoirs du haut-commissaire pour en fixer les matières et programmes.
La commission a cependant substitué au pouvoir de proposition du centre de gestion et de formation la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de Polynésie française. Cette solution s’inspire de la procédure en cours dans le statut de 1984 : la fixation des programmes par décret après avis du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale.
De même, la commission des lois a souhaité valoriser les parcours professionnels en rétablissant la promotion au choix comme voie de promotion interne, mais en la « bordant » par une condition de valeur et d’expérience professionnelles, sur le modèle de la professionnalisation introduite par la loi du 19 février 2007.
Sur la base de la loi du 26 janvier 1984, la commission a encadré les emplois fonctionnels en autorisant le recrutement direct sur des postes limitativement déterminés. Cette dérogation au principe du concours est prévue par la loi du 26 janvier 1984.
La commission a conservé l’assouplissement prévu par la proposition de loi pour permettre aux collectivités de recruter sur les chantiers communaux le personnel local qualifié. Ce recours élargi aux contractuels est justifié par l’absence d’entreprises locales dans certaines communes isolées. Celles-ci sont, en effet, les « principaux employeurs dans les îles peu peuplées qui ne bénéficient pas du développement du tourisme », comme le relevaient nos collègues Christian Cointat et Bernard Frimat à l’issue de leur mission sur le territoire en 2008. Pour assurer un minimum d’emplois à leur population, les collectivités sont ainsi conduites à recourir aux travaux en régie.
Pour le reste, la commission a choisi d’harmoniser le régime des contractuels avec les dernières avancées législatives. Aussi a-t-elle autorisé le recrutement d’un non-titulaire pour remplacer un fonctionnaire qui travaille à temps partiel ou qui effectue un service civil et aligné les conditions requises pour pourvoir des emplois permanents d’encadrement.
La commission a limité les disparités dans le déroulement de la carrière.
Pour ce faire, elle a simplifié la procédure d’évaluation des fonctionnaires en prévoyant, à l’instar des trois lois statutaires de 1984 et de 1986, l’expérimentation de l’entretien annuel d’évaluation au titre des cinq années suivant la publication de chaque statut particulier.
Elle a « normalisé » la fin des détachements sur le régime du droit commun.
Elle a révisé le principe de parité des régimes indemnitaires.
Tenant compte de la préoccupation de l’auteur de la proposition de loi, elle a maintenu l’encadrement des indemnités fixées par les collectivités au profit de leurs agents, mais elle a substitué la référence du régime perçu par les agents de l’État à celle des fonctionnaires de la collectivité d’outre-mer.
La commission a fixé par la loi les dérogations au droit de grève.
Elle a retenu le principe de mise en place d’un service minimum dans les communes isolées en raison des contraintes exceptionnelles auxquelles celles-ci sont confrontées, ne serait-ce que pour assurer le ravitaillement de la population.
En effet, les limites apportées au principe fondamental de la grève sont enserrées tout à la fois par les particularismes géographiques des collectivités et par la nature des services qui les fondent.
En revanche, la commission a considéré qu’il revenait au législateur d’assumer sa compétence sans s’en remettre au pouvoir réglementaire. C’est pourquoi elle a prévu que le service minimum concernerait les seuls fonctionnaires dont le concours est indispensable à la préservation des besoins essentiels de la population.
Enfin, la commission a ajusté le dispositif d’intégration dans les futurs cadres d’emplois des agents actuellement en poste dans les communes.
Je rappelle que l’ordonnance du 4 janvier 2005 prévoit leur intégration en deux étapes : tout d’abord par transformation de leur contrat de droit privé en un contrat à durée indéterminée de droit public, puis par l’intégration dans les cadres d’emplois après inscription sur une liste d’aptitude établie par l’autorité de nomination.
Les agents bénéficieront d’un droit d’option pour intégrer ou non la fonction publique communale durant un délai d’un an à compter de l’ouverture des postes correspondants.
Pour prétendre à leur intégration, les agents doivent avoir été en fonction à la date de publication de l’ordonnance et remplir une condition de service.
Au vu des six années qui se sont écoulées depuis la publication de l’ordonnance, la commission des lois est allée plus loin que l’auteur de la proposition de loi, laquelle prévoit le report au 1er janvier 2011 de la date de prise en compte des agents concernés.
D’après les renseignements recueillis par votre rapporteur, ce recul de la date limite d’intégration concernerait déjà près d’un tiers des effectifs globaux. En effet, entre la publication de l’ordonnance et aujourd’hui, les collectivités ont recruté plus de 1 320 agents qu’il serait injuste de priver du droit d’intégrer, sous condition, la nouvelle fonction publique communale.
C’est pourquoi la commission a estimé nécessaire de réexaminer la date de « glaciation » du périmètre des personnels aptes à accéder aux cadres d’emplois. Elle l’a reportée à la date de publication du décret d’application de l’ordonnance, publication qui – je le souhaite vivement, madame la ministre – ne devrait plus tarder.
Partageant le souci de l’auteur de la proposition de loi d’harmoniser l’établissement des listes d’aptitude des agents ayant vocation à intégrer un des nouveaux cadres d’emplois, la commission des lois en a cependant modifié l’architecture : elle a maintenu la compétence de l’autorité de nomination telle que fixée par l’ordonnance, en l’encadrant par la consultation d’une commission spéciale placée auprès du centre de gestion et de formation et composée paritairement de représentants des collectivités et des personnels.
Enfin, la commission a clarifié le régime financier de l’intégration en le simplifiant par le versement d’une indemnité différentielle unique qui compenserait tout à la fois la disparité des rémunérations et la différence résultant de ses compléments.
Avant de conclure, je forme le vœu ardent que la fonction publique communale puisse être mise en place dans les meilleurs délais afin que ces collectivités disposent rapidement des outils aptes à structurer la gestion locale.
La professionnalisation des administrations communales pourrait à notre sens profiter d’échanges d’expérience entre communes métropolitaines et polynésiennes. Les enseignements tirés de tels échanges contribueraient en effet certainement à la consolidation d’un corps d’agents qualifiés.
Pour les collectivités qui souhaiteraient y participer, ces échanges devraient être facilités par l’effet de la proposition de loi puisque celle-ci, dans le même mouvement que celui qui a guidé le Parlement en 2009, renforce le principe de la mobilité entre fonctions publiques.
Puisse la création de cette fonction publique propre permettre aux collectivités de « s’autonomiser » et de se développer dans l’exercice des compétences que leur a confiées le législateur organique afin de favoriser le développement économique de leurs territoires !
Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat le texte ainsi établi.