Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 63 à 75 relatifs à la médecine du travail, dans la mesure où – cela a été rappelé – ils constituaient des « cavaliers législatifs » puisqu’ils avaient été insérés dans le projet de loi portant réforme des retraites, nous sommes réunis ce jour pour débattre d’une proposition de loi en tout point identique ! Cela appelle de notre part plusieurs remarques.
En premier lieu, nous déplorons que ce texte ne soit qu’un simple copier-coller des articles invalidés par le Conseil constitutionnel, malgré quelques modifications apportées à la marge par la commission. Sur le fond, nous regrettons le peu de cas qui est fait de la médecine du travail aujourd’hui par le Gouvernement, monsieur le ministre – et les beaux discours ne cachent pas la réalité.
Oui, la réforme, dont chacune et chacun ici comprend bien la nécessité, réclame un projet de loi spécifique avec tout le travail que cela implique : reprise des négociations avec les partenaires sociaux sous l’égide du Gouvernement et travail du Parlement, plutôt qu’un débat tronqué dans le cadre d’une niche parlementaire.
Nous le regrettons d’autant plus qu’étant une proposition de loi ce texte, s’il est adopté, aura échappé au Conseil d’État !
Ainsi, alors que près de deux ans de négociations et la publication de nombreux rapports sur ce thème n’ont pas permis aux partenaires sociaux de trouver un accord, les quatre heures initialement prévues témoignent de l’insuffisance accordée par le Gouvernement à ce débat, pourtant véritable enjeu de société !
En effet, si le protocole national interprofessionnel auquel avaient abouti les partenaires sociaux le 11 septembre 2009 n’a pas été signé par l’ensemble des syndicats salariés, c’est qu’il existe des divergences profondes : périodicité des visites médicales, statut de l’inaptitude, financement et gouvernance des services de santé au travail mais aussi pénurie de médecins formés à cette spécialité. Rien dans ce texte ne résout ces points de divergences !
Aussi, sauf à accepter que les dés soient jetés d’avance et que le passage en force qu’avait orchestré le Gouvernement pour faire passer sa réforme soit simplement décalé dans le temps, ces quatre heures prévues étaient largement insuffisantes !
De ce point de vue, si la présidence du Sénat a répondu à nos inquiétudes en permettant au débat de se prolonger, il n’en demeure pas moins que le texte qui nous est présenté n’a pas obtenu l’accord des syndicats de salariés. Or, il y a quelques années, le Gouvernement s’est engagé – avec vous d’ailleurs, monsieur le ministre ! – à obtenir de la part des partenaires sociaux un accord national interprofessionnel dès lors qu’il s’agit de modifier le droit du travail ! Il se trouve que c’est bien le cas dans ce texte et les modifications sont d’ailleurs substantielles puisqu’elles concernent la santé des travailleurs !
Lorsqu’on voit les décrets que le Gouvernement veut prendre sur la pénibilité telle qu’issue de la réforme des retraites, objet de notre rappel au règlement tout à l’heure, on mesure bien la différence d’appréciation que nous avons sur ce sujet pourtant ô combien important ! Par notre rappel au règlement, nous avons témoigné notre colère à cet égard.
Après la forme, j’en viens au fond du texte. Lors du débat sur les retraites, le Sénat avait apporté quelques garanties en matière de gouvernance à travers notamment la présidence tournante, tous les trois ans, des services de santé au travail, ou encore, sur proposition de mon groupe, la composition à parts égales du conseil d’administration.
Aussi, nos collègues, en reprenant le texte issu de la commission mixte paritaire, renient les sages corrections que nous avions apportées lors de nos débats qui, je vous le rappelle, ont été nourris des travaux de notre mission d’information sur le mal-être au travail, dont les conclusions adoptées à l’unanimité – sont présents dans l’hémicycle plusieurs membres de cette mission, ils doivent bien s’en rappeler ! – prévoyaient en particulier une gestion paritaire de la médecine du travail et une indépendance renforcée des médecins !
Avec le dispositif proposé, qui maintient la voix prépondérante au président, élu parmi les représentants des entreprises, nous retombons dans les préconisations du MEDEF, celles-là mêmes que l’ensemble des organisations syndicales de salariés ont de nouveau refusées puisque, consultées par notre commission, elles soulignent une nouvelle fois, dans leurs différents courriers, le caractère inacceptable de la prédominance patronale dans la gouvernance qui est proposée ainsi que les insuffisances de ce texte au regard des enjeux en matière de santé au travail.
L’augmentation des risques psychosociaux, l’actualité des suicides, les modifications des rythmes et des conditions de travail, le développement des emplois précaires, la poursuite du scandale de l’amiante, les prévisions inquiétantes relatives à l’utilisation des éthers de glycol, l’exposition aux CMR et dernièrement – même si cela ne concerne par le domaine du travail – le scandale du Mediator doivent nous inciter à garantir l’indépendance des scientifiques, des experts et des médecins vis-à-vis de toute considération autre que sanitaire.
Aussi, si l’on peut se féliciter de l’introduction des équipes pluridisciplinaires au sein des services de santé au travail, on peut regretter cette mainmise du patronat sur la gestion de ces services et ce refus catégorique du Gouvernement d’introduire une véritable gestion paritaire dans ce domaine. Pour quelle raison le MEDEF ne souhaite-il pas cette parité ? Elle fonctionne pourtant bien dans d’autres domaines, notamment les conseils de prud’hommes !
Le patronat aurait-il des secrets à garder ? Ne veut-il pas assumer la responsabilité qui est la sienne en matière de garantie des conditions de travail ? Pourquoi ce refus de la transparence ? Les finances de ces services auraient-elles à craindre celle-ci?