Intervention de Annie David

Réunion du 27 janvier 2011 à 15h20
Médecine du travail — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Annie DavidAnnie David :

Peut-être allons-nous, de par la sagesse de notre commission, revenir dans un instant sur cette gestion… En tout cas, je l’espère puisqu’elle a fait un pas dans ce sens.

Les équipes pluridisciplinaires, qui constituent sans doute le point le moins négatif introduit par cette proposition, peuvent même devenir le point positif si l’on garantit aux personnels de ces équipes le même statut que celui des médecins du travail. En effet, ces personnels seront au cœur de l’affrontement de classes et il faut donc éviter qu’ils ne soient tributaires des exigences de leur employeur. J’y reviendrai au cours de nos débats.

Un autre point est litigieux : le transfert aux directeurs des services de santé de la définition des missions de prévention de ces services, jusqu’alors dévolues aux professionnels de la santé. Le médecin du travail – dont vous voulez affirmer encore un peu plus l’indépendance – sera pourtant de ce fait mis sous la tutelle du directeur, qui lui-même, je vous le rappelle, est sous la coupe du patronat, puisque le conseil d’administration de ce service est présidé de manière permanente par un représentant du collège employeur, et qu’il a une voix prépondérante !

Le cœur de métier des médecins du travail, à savoir la définition de leur mission en matière de prévention, sera donc dévoyé puisque le rôle de ces médecins est réduit à une simple fonction d’exécution ! De fait, l’indépendance des professionnels de santé, pourtant garantie par le code du travail, devient inopérante ! Et ce n’est pas le fait que ces professionnels soient des travailleurs protégés qui assurera cette indépendance !

Force est de constater que ce texte non seulement reflète un déni de démocratie sociale évident, mais est également en totale contradiction avec le code international d’éthique pour les professionnels de santé au travail, lequel stipule qu’un des principes de base de l’exercice correct de la santé au travail est une totale indépendance professionnelle des médecins.

Par ailleurs, en proposant une prise en charge de certaines catégories socioprofessionnelles précaires par des médecins non spécialisés en médecine du travail, ce texte est contraire au principe républicain d’égalité de traitement. Sur ce point, les chiffres sont parlants : 69 % des personnes précaires sont considérées en « souffrance psychique » et 80 % des intérimaires sont soumis à au moins un risque professionnel. Or ce sont ceux-là mêmes que vous voulez exclure de la santé au travail !

Au final, ce texte tourne le dos à l’exigence d’une véritable réforme de la médecine du travail, qui prendrait réellement en compte la santé des travailleurs en répondant à l’ensemble des difficultés auxquelles elle est confrontée aujourd’hui.

Il en est ainsi du problème relatif à la démographie médicale, car la médecine du travail n’est pas épargnée : selon un article paru dans Le Progrès le 11 décembre 2009, « en France, on devrait connaître 2 500 départs dans les 5 ans qui viennent pour 250 remplacements seulement. Ça veut dire qu’un poste sur dix sera pourvu ». Dès à présent, les professionnels ne peuvent plus remplir toutes leurs missions, chaque médecin suivant en moyenne 3 000 salariés.

Si le manque de volonté politique se manifeste par la sous-évaluation chronique du numerus clausus de la spécialité, elle se traduit également par des mesures qui, plutôt que de pallier cette pénurie, accompagnent le déclin de cette discipline. Le passage d’une périodicité de visite systématique à deux ans ou, comme le prévoit ce texte, le recours aux médecins non spécialisés en sont l’illustration.

De même, le débat sur la fiche d’aptitude doit être ouvert. En effet, elle intervient dans le champ du contrat de travail qui subordonne directement le salarié à l’employeur et aux conditions de travail qui lui seront imposées et a trop souvent comme conséquence en cas d’inaptitude la perte d’emploi pour le salarié concerné.

Enfin, je terminerai sur la nécessaire implication de l’État, la santé au travail étant une condition déterminante et une déclinaison majeure de la santé publique.

On ne peut accepter qu’elle soit gérée majoritairement par les employeurs sous prétexte qu’ils financent la prévention des risques qu’ils génèrent. En l’occurrence, madame Payet, je ne suis pas d’accord avec vous : l’adage selon lequel « qui paie décide » n’est pas de mise en matière de santé des travailleurs !

La responsabilité de l’État doit être d’assurer son ancrage dans un système de santé publique dans le domaine du travail, entièrement rénové, à travers, par exemple, l’institution d’une agence nationale de la santé au travail, financée entièrement par les cotisations employeurs, comme nous le proposons, ou encore à travers l’intégration des services de santé au travail dans le giron de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en abordant l’ensemble de ces problématiques et de ces pistes avec les partenaires sociaux puis au Parlement que nous pourrons tendre vers une véritable réforme de la médecine du travail attendue par de nombreux salariés. En l’état, nous ne voterons bien évidemment pas ce texte. §

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