« Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage… » Or, monsieur le ministre, que de précipitation pour nous présenter de nouveau l’ensemble des propositions patronales sur la médecine du travail, dans un texte qui, cette fois, leur est entièrement réservé…
Vous n’avez même pas pris le temps de revoir l’organisation de ces dispositions pour les rendre au moins lisibles et compréhensibles. Il est rare de voir des mesures aussi enchevêtrées entre différents articles tant du texte lui-même que du code du travail !
Rappelons brièvement le contexte.
Adoptée dans la précipitation sous la forme d’amendements du Gouvernement au projet de loi portant réforme des retraites, la réforme de la médecine du travail a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Comme nous n’avions cessé de le dire lors des débats, la présentation de cette réforme constituait, en effet, purement et simplement un cavalier législatif.
La réforme que le Gouvernement proposait ainsi et continue à proposer aujourd’hui préfigure la fin de la médecine du travail en la transformant en un service de santé publique au rabais dirigé par les employeurs qui souhaitent seulement s’exonérer de leurs responsabilités en matière de santé au travail.
Elle prive les médecins du travail de leurs prérogatives et menace leur indépendance : l’organisation de la médecine du travail et les missions de prévention sont non plus confiées directement aux médecins du travail mais aux services de santé au travail et à leurs directeurs désignés par les employeurs et investis d’importantes prérogatives, notamment dans la définition des priorités d’action.
Si les débats au Sénat, lors de l’examen de ces dispositions dans le cadre de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, avaient permis des avancées sur lesquelles la commission mixte paritaire est en partie revenue, l’esprit de la réforme que vous voulez demeurait cependant.
Lors des auditions que nous avons menées ici même dans le cadre de la mission d’information sur le mal-être au travail, les médecins du travail ont souligné que les salariés expriment de plus en plus souvent leur souffrance dans leurs cabinets et que, dans ce contexte, il convenait de mieux assurer l’indépendance des médecins du travail vis-à-vis des employeurs.
La mission a d’ailleurs conclu à la nécessité de revaloriser la profession de médecin du travail et de réaffirmer l’indépendance des services de santé au travail, ce qui pourrait être obtenu par leur rattachement à une structure paritaire.
C’est cela qu’il convient toujours de défendre aujourd’hui !
Alors pourquoi tant d’obstination à vouloir, encore une fois dans l’urgence et en force, faire voter avec cette proposition de loi des mesures contre lesquelles toute la profession s’insurge et que les organisations syndicales ont déjà rejetées ?
Car c’est bien le texte adopté en commission mixte paritaire dans le cadre de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites qui est repris intégralement dans la proposition de loi que nous discutons. Nous savons que vous n’avez pas l’habitude de résister aux injonctions du MEDEF, qui dicte ce texte…
Pourtant, depuis longtemps, différents rapports ont révélé les dysfonctionnements du secteur de la médecine du travail. Nous ne contestons donc pas la nécessité d’une réforme de fond, mais celle-ci ne doit pas organiser la disparition d’un des piliers de notre droit du travail.
Depuis 1946, et l’instauration des services de santé au travail, la situation a bien sûr évolué ; voilà pourquoi c’est avec un grand intérêt et beaucoup d’espoir que nous avons suivi les négociations – certes difficiles – entamées il y a deux ans entre les partenaires sociaux en vue d’une refonte que nous espérions aller dans le sens d’une prévention accrue, avec la prise en compte des besoins identifiés par les acteurs de terrain.
La première critique fondamentale que nous adressons à cette proposition de loi, c’est qu’elle place la médecine du travail dans un lien de dépendance vis-à-vis des employeurs - autant dire la possibilité pour ces derniers, avec votre complicité, de s’exonérer de leurs responsabilités -, lien confirmé d’ailleurs par les propos malheureux de Mme le rapporteur, qui, dans son intervention liminaire, a déclaré que celui qui paie décide.