Comment cautionner un tel conflit d’intérêts, une telle confusion ? Comment accepter de renoncer à une médecine du travail protectrice, indépendante et centrée sur les risques professionnels, pour laisser aux seuls employeurs les moyens de contrôle de la santé au travail des salariés et l’ouverture vers ce que l’on perçoit bien comme une forme de « privatisation » des services de santé au travail ?
Sous prétexte de modernisation et d’évolution vers la pluridisciplinarité – ce qui en soi pourrait ne pas être une mauvaise chose, si les personnels sont réellement qualifiés –, vous limitez l’indépendance des services de santé au travail, puisque c’est sous l’autorité de l’employeur que sera placée l’équipe pluridisciplinaire et que, dans la nouvelle gouvernance – une gouvernance paritaire, mais avec une présidence revenant obligatoirement à un employeur -, c’est l’employeur qui aura voix prépondérante !
La pluridisciplinarité des équipes prônée par les promoteurs de cette réforme sert non à garantir une meilleure prévention, mais à confier des missions du médecin du travail à d’autres intervenants, moins protégés et dont l’indépendance n’est pas garantie.
Ce sont les employeurs qui définiront les priorités d’intervention des services de santé au travail. À travers les contrats d’objectifs et de moyens et leur adaptabilité aux réalités locales, tout semble permis pour éviter que les médecins du travail n’abordent les questions qui fâchent !
Tous les acteurs et les spécialistes du secteur s’accordent sur le fait qu’une bonne réforme de la médecine du travail doit reposer sur le principe de la séparation entre, d’une part, les professionnels de santé au travail, dans leur mission et leur activité, et, d’autre part, ceux qui génèrent les risques, pour que ces professionnels de santé exercent réellement leur métier en toute indépendance.
Expliquez-nous comment, face à des directeurs de service nommés par le patronat, l’indépendance des professionnels de la santé placés sous leur autorité pourra être garantie ?
La seconde critique fondamentale que nous formulons contre cette proposition de loi concerne l’absence de solution à la pénurie de médecins du travail que la pluridisciplinarité vise d’ailleurs sans doute à masquer.
C’est une gestion de la pénurie que vous nous proposez avec, en outre, la possibilité de recourir à la médecine de ville mais aussi à des internes en fin d’études ainsi qu’à des officines privées pour des missions de contrôle.
Ce qu’il aurait fallu, c’est une réforme qui s’attaque aux vrais obstacles à la prévention et qui permette de renforcer les effectifs et les moyens de la médecine du travail.
Alors que cinq cents médecins du travail partent ou vont partir cette année à la retraite, cent postes seulement sont ouverts à l’internat… Mais vous n’avez aucunement l’intention de relever le numerus clausus !
Les syndicats alertent depuis des années sur la situation catastrophique de la démographie médicale en médecine du travail ? Vous laissez faire et condamnez la profession à disparaître pour mieux soumettre cette activité au patronat...
Il est urgent que les employeurs prennent clairement conscience de leur responsabilité dans l’augmentation des maladies professionnelles, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Malheureusement, votre proposition de loi ne va pas dans ce sens. Mais nous présenterons des amendements tous destinés à responsabiliser les employeurs et à favoriser la reconnaissance de l’indépendance des médecins et des services de santé au travail.
Vous devriez avoir le courage de réformer la médecine du travail en en prenant le temps, en impliquant les professionnels et en mettant les entreprises face à leurs responsabilités.
Ce qu’il faut, c’est rendre la médecine du travail plus à même d’aider les salariés face, notamment, aux nouvelles formes de maladies professionnelles en renforçant l’indépendance des médecins et des équipes et faire en sorte que cette discipline soit aussi plus attractive pour de jeunes médecins.
Au final, une telle réforme servirait aussi les entreprises, qui économiseraient beaucoup sur le coût des arrêts de travail, accidents du travail et maladies professionnelles. Car cela aussi, la mission d’information sur le mal-être au travail l’a montré : avec un meilleur management, la santé au travail s’améliore !