Intervention de Guy Fischer

Réunion du 27 janvier 2011 à 15h20
Médecine du travail — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

… à l’image de ce qui existe depuis l’adoption de la loi de 2007 de modernisation du dialogue social, qui oblige le Gouvernement à consulter ces partenaires sociaux avant tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle.

Vous ne manquerez pas de m’objecter que ce sujet a déjà été longuement débattu. En effet, une négociation interprofessionnelle visant à réformer la médecine du travail a bien été engagée sur l’initiative du Gouvernement le 15 janvier 2009, qui faisait suite à la tenue de trois commissions tripartites sur les conditions de travail.

Mais vous n’êtes pas sans savoir que cette procédure s’est soldée par un échec, qui s’est traduit, en novembre 2009, par le refus de toutes les organisations syndicales d’approuver le texte proposé par les représentants du patronat.

Or c’est précisément ce texte, c’est-à-dire celui qui était voulu par les employeurs, et eux seuls, que le Gouvernement et les députés UMP ont tenté d’imposer dans la réforme relative aux retraites, et ce sont ces dispositions qui ont été considérées comme des cavaliers par le Conseil constitutionnel et qui ont été censurées. Au final, ce sont ces mêmes dispositions qui nous sont aujourd’hui soumises.

Je n’irai pas jusqu’à dire que nous examinons les seules propositions du patronat, mais à quelques exceptions près, avouez que nous n’en sommes pas loin !

C’est d’ailleurs ce constat qui a conduit les organisations syndicales à rejeter la proposition qui leur était faite d’ouvrir de nouvelles négociations. En effet, pour qu’il y ait négociation, encore faut-il que la base législative soumise à débat ne soit pas spécialement « clivante ». Malheureusement, tel n’est pas le cas. On comprend donc que les organisations syndicales, soucieuses d’une véritable négociation, aient refusé de débattre.

Je note, par ailleurs, que les organisations représentant les employeurs ont également renoncé à une réouverture des négociations, trop contentes que cette proposition de loi reprenne leurs propositions.

Je citerai notamment la réponse qu’a adressée, au nom de la CGPME, M. Jean-François Roubaud à la présidente de la commission des affaires sociales, notre collègue Muguette Dini : « Après examen attentif de cette proposition de loi, nous avons pu constater qu’elle reprenait quasi intégralement les dispositions des articles 63 à 77 du projet de loi portant réforme des retraites tels qu’ils avaient été adoptés par les assemblées parlementaires. » Il ajoute : « Nous avions porté un jugement positif sur ces articles. Nous ne considérons donc pas comme nécessaire la mise en œuvre d’une nouvelle négociation sur la médecine du travail ».

Tout est dit !

Curieuse conception du dialogue social que celle qui conduit à considérer qu’un texte qui reprendrait les propositions que l’on aurait formulées et qui n’auraient reçu le soutien ou l’approbation d’aucune organisation syndicale ne devrait pas faire l’objet d’une négociation, du seul fait que l’organisation patronale que l’on représente est satisfaite du contenu !

Alors, me direz-vous, une phase de consultation se concluant par un échec devrait suffire pour que le législateur intervienne. Nous prenons acte d’une telle position et espérons que vous vous en souviendrez quand, à l’avenir, nous déposerons des amendements destinés à rendre obligatoire la conclusion d’accords entre les partenaires sociaux.

Vous ne pourrez plus, monsieur le ministre, nous opposer votre traditionnelle confiance dans les partenaires sociaux pour trouver des points de consensus, puisque vous prenez aujourd’hui appui sur l’échec de la négociation pour intervenir.

En réalité, vous n’intervenez pas, vous vous contentez de soutenir la démarche d’un groupe parlementaire, celui de la majorité. On peut d’ailleurs s’interroger sur une telle situation. Je n’entends naturellement pas contester le droit d’initiative des parlementaires ; je me contente de souligner que le processus qui nous conduit à examiner, en ce moment, cette proposition de loi, vous permet, monsieur le ministre, de contourner une phase obligatoire de concertation avec les partenaires sociaux et d’éviter l’avis du Conseil d’État sur ce texte.

Toutefois, notre opposition à cette proposition de loi ne se limite pas à des questions de forme ; nous y sommes également opposés sur le fond.

Nous ne contestons pas la nécessité d’une véritable réforme de la médecine du travail. Les mutations technologiques et sociales, les nouveaux modes d’organisation, l’explosion des souffrances, le mal-être lié au travail – La Poste déplore, paraît-il, 70 suicides parmi ses salariés – qui découle de méthodes de management engendrant, chez les salariés, peur et sensation de ne pouvoir faire correctement leur travail, ne sont pas, actuellement, suffisamment pris en compte.

Les troubles musculo-squelettiques, les TMS, figurent, d’après les bulletins épidémiologiques hebdomadaires publiés par l’Institut de veille sanitaire, parmi les questions les plus préoccupantes liées à la santé au travail. Ils occupent la première place au sein des maladies professionnelles et, plus grave encore, demeurent la première cause de morbidité liée au travail, puisqu’ils sont à l’origine de la perte d’environ 7 millions de journées de travail chaque année.

Si, partout en Europe, on observe un mouvement identique, la France semble cependant en tête des pays européens quant au nombre de maladies professionnelles déclarées et reconnues, selon le rapport d’enquête Les maladies professionnelles en Europe – Statistiques 1990-2006 et actualité juridique, publié par Eurogip.

Certes, selon le rapport publié par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de l’assurance maladie, le nombre d’accidents du travail enregistre une légère baisse. Ne perdons pas de vue cependant que ces chiffres sont dus essentiellement aux licenciements liés à la crise, plus particulièrement dans des secteurs comme le BTP ou la métallurgie, où l’on a observé une réduction de 20 % des effectifs salariés.

Le même rapport est en revanche plus alarmiste concernant les maladies professionnelles. En effet, malgré l’augmentation du chômage, elles ont fait un bond de 9 % en un an.

Face à ce constat inquiétant, les salariés de notre pays sont en droit de se demander de quelle manière la réforme que vous proposez pourra apporter une quelconque amélioration. Pour notre part, nous pensons qu’elle restera inopérante.

En effet, elle laisse de côté un facteur essentiel, je dirai même incontournable, celui de la démographie.

Comme le souligne notre rapporteur, notre pays compte aujourd’hui 6 800 médecins du travail, dont plus de 55 % ont plus de cinquante-cinq ans. Ainsi, 4 000 médecins auront atteint ou dépassé l’âge légal de départ à la retraite d’ici à cinq ans et plus de 5 600, soit près de 80 % de la population totale des médecins du travail, d’ici à dix ans. Autant dire qu’il y a urgence à agir.

Pourtant, malgré l’impérieuse nécessité de renforcer le nombre de médecins du travail, confortée par le rapport Conso-Frimat de 2007, rien n’est fait pour rendre cette discipline plus attractive.

La seule proposition formulée pour faire face à la pénurie qui s’annonce se limite à confier une partie des activités de santé au travail à des médecins généralistes qui, de fait, ne disposent pas de la formation et des compétences particulières propres aux opérations de prévention et d’action de santé au travail. Ainsi, souvenons-nous que, dans les cas de cancers liés à l’exposition à l’amiante, rares ont été les médecins généralistes à faire le lien entre l’état de santé des patients et leurs activités professionnelles.

Ce n’est pas en niant la spécificité de l’exercice de la médecine du travail qu’on revalorisera celle-ci ou que l’on prendra la pleine mesure des besoins des salariés dans ce domaine.

En outre, le mode de gouvernance choisi par le MEDEF et retenu dans cette proposition de loi donne tout pouvoir aux employeurs. Une telle situation résulte, mes chers collègues, de votre décision de retenir comme mode de gestion un faux paritarisme.

Si le conseil d’administration des services de santé au travail interentreprises est composé à parité de représentants des salariés et de représentants des employeurs, c’est bien à ces derniers que reviennent la présidence et la voix prépondérante. Pour reprendre une formule utilisée par la FNATH et l’ANDEVA dans un communiqué de presse, et que je trouve fort à propos, cela revient à « confier les clés du poulailler au renard ».

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