L’article 1er de la proposition de loi relative à la médecine du travail, s’il ne reprend pas exclusivement le texte élaboré par le MEDEF, s’en inspire largement et constitue donc une manifestation de mépris à l’égard des organisations syndicales et des salariés, à qui vous imposez des mesures qui n’ont pas fait l’objet d’accord entre partenaires sociaux.
Et, si accord il n’y a pas eu, c’est qu’il demeure d’importantes divergences portant sur des sujets aussi sensibles et aussi importants que la périodicité des visites médicales, la procédure d’inaptitude, le financement ou encore la gouvernance des services de santé au travail.
Il ne s’agit pas là d’une mince affaire et nous sommes convaincus que, sur un sujet comme celui-ci, il est de notre responsabilité de tout faire pour trouver des points d’accord entre les partenaires sociaux.
Voilà pour la forme. Or le fond nous mécontente également. En effet, avec l’article 1er, vous affirmez vouloir définir les missions des services de santé au travail et réformer leur organisation afin – je cite le rapport de notre collègue Anne-Marie Payet – de « définir un cadre d’intervention commun à l’ensemble des acteurs, sans modifier les missions historiquement attribuées aux médecins du travail ».
Compte tenu de l’état actuel de la médecine du travail et de sa nécessaire adaptation aux pathologies nouvelles, dont le nombre augmente de façon exponentielle – je vise, chacun l’aura compris, les troubles psychiques liés au travail, dont nous venons de parler –, personne ne saurait évidemment s’opposer à un tel projet.
Il faut, d’ailleurs, reconnaître qu’une réforme de la médecine du travail est incontournable, ne serait-ce qu’en raison d’une part, des problèmes de démographie médicale, déjà longuement évoqués par mes collègues, et, d’autre part, de la situation de la France en matière de santé au travail, car, rappelons-le, notre pays n’est pas le mieux positionné au plan européen.
La réalité est toute différente.
Monsieur le ministre, votre gouvernement fait le choix de placer la médecine du travail non sous l’impulsion du médecin du travail, mais sous la responsabilité des directeurs de services de santé au travail qui sont, chacun le sait, placés en situation de dépendance financière vis-à-vis des employeurs.
L’exercice de la médecine du travail exige une liberté totale. Les médecins du travail, tout comme l’ensemble des membres de l’équipe pluridisciplinaire, doivent pouvoir agir en toute autonomie, librement, sur le fondement des témoignages qu’ils reçoivent lors de leurs consultations, des constats qu’ils formulent ou des enquêtes de santé publique au travail.
Or la rédaction actuelle pose le principe d’un lien de subordination du médecin à l’employeur, via le directeur du service de santé au travail. Le médecin devient en quelque sorte un exécutant, comme s’il appartenait aux employeurs de missionner les médecins du travail ! Or ces derniers n’ont qu’une mission, éviter l’altération de la santé au travail des salariés. Je doute fort que les employeurs, qui ne disposent d’aucune compétence particulière en la matière, soient les mieux placés pour les aider dans cette mission…
Certains de nos collègues croient d’ailleurs que l’employeur à toute légitimité à agir ainsi, puisque la loi, y compris le code pénal, prévoit une obligation de résultat quant à la préservation de la santé du salarié. Ils se trompent ! Cette obligation vise la réduction des risques, c’est-à-dire que l’employeur ne peut pas exposer ses salariés à des situations pouvant altérer leur santé.
Alors, pourquoi une telle tutelle ? Sans doute pour réduire le champ de compétence et d’intervention de la médecine du travail. L’air de rien, les médecins du travail perdent ce que l’on pourrait appeler une clause de compétence générale, afin de se concentrer – comme le prévoit l’alinéa 12 de cet article – sur des « priorités ».
Ces priorités sont définies par l’employeur, c’est-à-dire celui qui missionne le service de santé au travail et le rémunère, mais aussi celui qui expose les salariés à de potentielles atteintes à la santé.
Il y a là un conflit d’intérêt évident que nous ne pouvons accepter.
Les partenaires sociaux développent, d’ailleurs, des propositions alternatives, comme la création d’un corps de médecins du travail financé et rattaché au ministère de la santé ou à la sécurité sociale, à l’image de ce qui existe pour les médecins experts.
Il aurait fallu prendre le temps d’étudier ces propositions avant de légiférer. C’est pourquoi nous voterons contre cet article, dont, par ailleurs, nous proposons la suppression.