Intervention de Jacqueline Alquier

Réunion du 27 janvier 2011 à 21h30
Médecine du travail — Article 3

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article, qui porte sur la gouvernance des services de santé au travail, manifeste, au mieux, le manque d’ambition de cette réforme pour mettre en place une médecine du travail réellement reconnue, et, au pire, une volonté – au-delà des apparences – de conforter la suprématie des employeurs en matière de prévention et de protection de la santé des salariés.

Aujourd’hui, dans les services de santé au travail, le conseil d’administration ne comporte qu’un tiers de salariés. Pour contrebalancer cette sous-représentation des salariés dans l’organisation des services de santé au travail, ceux-ci ont été placés sous la surveillance de commissions de contrôle qui sont composées aux deux tiers de représentants des salariés.

Cet équilibre n’est pas idéal, et il est complexe, d’où la réforme que nous avions adoptée à une large majorité, ici au Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites, prévoyant l’instauration d’une gestion véritablement paritaire des services de santé au travail.

La parité suppose que les pouvoirs soient partagés. C’est le cas par exemple dans les conseils de prud’hommes : les salariés et les employeurs y comptent un nombre identique de représentants et ils sont alternativement présidés par un représentant des salariés et par un représentant des employeurs. Finalement, pour assurer la stabilité à long terme de cette institution, dont les décisions ne peuvent pas être totalement contradictoires selon l’origine du président, des compromis sont souvent trouvés.

Parce que, à l’évidence, on ne peut plus aujourd’hui, notamment avec l’augmentation des risques psychosociaux liée aux nouvelles formes de management, souvent sources de maltraitance, laisser l’employeur décider seul de l’organisation et des moyens des services de santé au travail, la gestion paritaire s’impose aussi dans ce domaine. Le Sénat en était persuadé cet automne ; rien ne justifie qu’il change d’avis aujourd’hui, sauf à se plier aux volontés d’ « instances supérieures »…

Comme Mme Payet le souligne très justement, « le régime agricole a développé un modèle spécifique de médecine du travail, qui donne des résultats reconnus et dont la gestion est largement paritaire ». Voilà encore une preuve que c’est bien en progressant vers une véritable gestion paritaire de la médecine du travail que l’on améliorera la prévention et la protection de la santé des salariés.

La proposition de loi tend à conforter la gestion paritaire dans le secteur agricole, au travers de son article 11. Dans ces conditions, pourquoi n’instaure-t-elle pas aussi une gestion paritaire des services de santé au travail dans les autres domaines économiques, si ce n’est pour complaire au patronat, qui veut garder la mainmise sur ces services ? Ce que l’on nous propose est un ersatz de gestion paritaire : augmenter le nombre de représentants des salariés dans les conseils d’administration des services de santé au travail constitue non pas un progrès, mais un simulacre, si la présidence est toujours assurée par un représentant des employeurs ; c’est même faire des salariés les cautions de décisions sur lesquelles ils ne peuvent influer.

Bien consciente qu’il s’agit d’un écran de fumée, la commission des affaires sociales a adopté, sur proposition de Mme Payet, rapporteur, un amendement visant à introduire un article additionnel donnant force de loi à l’existence des commissions de contrôle. J’approuve, avec les réserves que je viens d’exprimer, cette initiative de la commission.

Dans la mesure où l’on maintient la prééminence patronale dans la gestion des services de santé au travail, comme le fait la présente proposition de loi, il faut apporter un contrepoids en garantissant la pérennité de ces commissions de contrôle, composées majoritairement de salariés.

Cependant, que l’on me permette de douter que cet article additionnel résistera à la discussion en séance publique ou à l’examen du texte par l’Assemblée nationale. Au final, je crains fort que la majorité ne se rassemble encore pour voter une loi rétrograde en matière de gouvernance de la médecine du travail.

Or l’organisation de la médecine du travail mérite toute notre attention, car elle conditionne très certainement en partie l’attractivité du métier de médecin du travail. Celui-ci doit se savoir reconnu par l’ensemble des parties en présence, employés et employeurs. L’instauration d’une parité réelle dans la gestion des services de santé au travail ferait davantage pour valoriser le rôle et la mission du médecin du travail que les petits ajustements que l’on nous propose pour détourner notre attention de l’essentiel.

Il est encore temps d’agir pour résoudre véritablement la crise de la médecine du travail, qui compte de moins en moins de praticiens !

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