Intervention de Françoise Férat

Réunion du 16 juin 2005 à 15h00
Equilibre entre les differentes formes de commerce — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Françoise FératFrançoise Férat :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, l'occasion nous est donnée de rééquilibrer l'offre commerciale par un infléchissement du développement exponentiel des grandes surfaces.

Je reprends vos chiffres, monsieur le ministre : en trente ans, la France, il est vrai, est devenue le premier pays européen en termes de densité de grandes surfaces, avec un hypermarché pour 46 000 habitants et un supermarché pour 10 000 habitants.

D'aucuns perçoivent ces statistiques comme un élément propice à la concurrence et un atout dans la lutte contre l'inflation. De récentes études réalisées après le passage à l'euro démontrent au contraire que la grande distribution s'est quelque peu « laissée aller » dans ce domaine, ouvrant par là même une brèche dans laquelle les hard discounters se sont engouffrés.

Bien évidemment, je ne souhaite pas remettre en cause l'évolution générale de ces modèles de distribution, qui jouent un rôle économique et social important. Mais je considère ces données comme inquiétantes parce qu'elles contribuent au phénomène de désertification des territoires ruraux, de dévitalisation des pôles urbains, et représentent un frein à l'instauration d'un véritable marché concurrentiel.

Ces ratios traduisent, en outre, les difficultés des pouvoirs publics à enrayer l'expansionnisme commercial, mené à la fin des années soixante pour répondre aux mutations de l'époque que constituaient l'urbanisation galopante, la croissance démographique, l'expansion économique et l'avènement de la société de consommation.

Or, aujourd'hui, cette ambition politique représente une véritable menace pour une économie de proximité qui joue un rôle essentiel.

Ainsi que le révèle l'exposé des motifs de cette proposition de loi, « depuis 1994, le nombre de charcuteries a baissé de 40 %, celui des boucheries de 20 %, celui des poissonneries de 30 %, celui des crèmeries de 38 % et celui des quincailleries de 31 % ». Ces fermetures ont un impact sur l'emploi national certes plus diffus que les délocalisations, mais tout aussi dangereux.

En plus de la multiplication des mètres carrés dédiés à la grande distribution, c'est aussi la modification de son offre promotionnelle qui inquiète. En effet, si les hypermarchés et les supermarchés poursuivent leur activité originelle - l'alimentation et les produits de première nécessité - ces grands magasins occupent désormais des niches de commerces indépendants comme l'habillement, l'outillage ou l'ameublement. Il en résulte une fragilisation de l'offre commerciale traditionnelle qui nuit à l'attractivité et à l'animation des centres-villes et qui met en péril les actions visant à revitaliser le milieu rural.

Cette évolution est inquiétante. En milieu rural, en effet, le maintien d'un commerce de proximité est essentiel à l'animation des bourgs et des villages, et assure parfois le maintien d'un certain nombre d'activités de services comme la présence postale, les points de livraison, etc. Il constitue, par conséquent, un facteur prépondérant dans le choix de résidence des familles.

En milieu urbain, cette dimension sociale et humaine est tout aussi importante. Ainsi, les supérettes, les commerces de bouche, les artisans et les magasins d'équipement à la personne représentent une véritable réponse pour certaines populations, telles que les personnes âgées, qui peuvent rencontrer des difficultés importantes pour se déplacer dans des zones commerciales situées à la périphérie.

Comment ne pas évoquer également l'impact du développement de ces zones périphériques sur l'évolution des déplacements urbains, ou bien encore sur celle des entrées de ville ou d'agglomération ? Force est de reconnaître, mes chers collègues, que ce phénomène a largement contribué à l'enlaidissement du paysage urbain ou périurbain.

Comment passer sous silence le risque que fait courir ce développement incontrôlé de la grande distribution sur la diversité et sur la qualité de l'offre commerciale ? La diminution dramatique du nombre de magasins indépendants fragilise des milliers de petits producteurs qui n'ont aucune chance d'être distribués un jour dans les rayons de la grande distribution. Elle limite également le choix du consommateur.

Une question mérite donc d'être posée : à quelle société de consommation aspirons-nous ?

Pour inverser cette tendance, l'Etat a créé le Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, le FISAC, qui soutient les communes et les commerçants dans leurs projets de promotion, de réhabilitation ou de restructuration du commerce de proximité. Nous avons tous à l'esprit plusieurs illustrations de cette politique. De programmes de requalification urbaine en inaugurations de foires dédiées à l'artisanat et à la gastronomie, de l'élaboration d'outils de communication à la création de labels de qualité, l'Etat, les élus locaux, les chambres consulaires et les commerçants tentent d'enrayer cette spirale infernale.

Mais le problème majeur se situe ailleurs. Si un soutien doit, de toute évidence, être témoigné aux commerçants indépendants, il est aussi important de limiter l'expansion de la grande distribution. Telle est l'ambition de ce texte qui vise à adapter les dispositions législatives à l'évolution de la société de consommation, en essayant « de faire respecter l'équilibre entre les différentes formes de commerce ». Comme l'a dit M. le rapporteur, il s'agit bien de complémentarité.

Des dispositifs existent. La loi Royer de 1973, la loi Raffarin de 1996 ou, plus récemment, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ont contribué à durcir la politique de maîtrise des grandes surfaces par un renforcement du régime des autorisations et une prise en considération plus large des effets du développement commercial.

Pour autant, ce cadre n'a pas inversé la tendance. Cette difficulté récurrente rencontrée par les pouvoirs publics incite donc, me semble-t-il, à faire preuve de volonté et d'humilité.

C'est dans cet état d'esprit que le groupe Union centriste-UDF aborde l'examen de la proposition de loi présentée par M. Fouché. Je lui adresse d'ailleurs mes sincères félicitations pour la qualité de son travail et, surtout, mes remerciements pour son souci d'associer ses collègues à la signature du texte. C'est assez rare et c'est pourquoi je tenais à le souligner !

D'abord, je pense à la volonté affirmée d'autoriser les ouvertures d'équipements qui répondent aux exigences découlant d'un aménagement harmonieux du territoire, fondé sur le respect d'un certain équilibre entre les diverses formes de commerce.

Ensuite, il y a la volonté affirmée de permettre à la commission départementale d'équipement commercial de statuer en fonction de l'offre et de la demande globale sur un bassin de vie ainsi que sur la base d'une enquête préalable sur l'évolution de l'emploi commercial.

Enfin, il y a la volonté de stopper le contournement régulier de la loi en soumettant désormais à autorisation tout changement de secteur d'activité ou d'enseigne d'un commerce ayant une surface de vente supérieure à 1 000 mètres carrés.

En outre, il faut faire preuve d'humilité, car trente années de développement commercial ont souligné les difficultés éprouvées pour enrayer l'hégémonie de la grande distribution.

Ces mesures ne produiront les effets escomptés qu'à la seule condition que les communes et/ou les intercommunalités abordent l'aménagement des zones commerciales en considérant l'offre commerçante présente sur l'ensemble du bassin de vie concerné et non par le seul prisme des recettes fiscales attendues. C'est donc aussi aux responsabilités individuelle et collective des élus locaux que cette proposition de loi fait appel.

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