Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi de M. Fouché relative à l'équilibre entre les différentes formes de commerce. Le texte annonce, dès l'exposé des motifs, son intention de « protéger le commerce indépendant de petite surface, en particulier de centre-ville ».
Si le propos est louable, la démarche pourrait s'avérer difficile à mettre en oeuvre. En effet, la maîtrise du développement commercial des villes peut se faire de deux manières, soit par une protection du petit commerce, soit par une limitation de la grande distribution.
Traditionnellement, depuis la loi Royer, c'est la seconde solution qui est mise en oeuvre. Or cette démarche n'a pas permis de maîtriser le développement des centres commerciaux périphériques, et ce malgré l'accumulation des textes législatifs en ce sens. D'ailleurs, la proposition en question ne répond pas aux attentes du petit commerce, qui vit aujourd'hui une véritable situation de crise.
Nous aborderons donc, dans un premier point, les insuffisances des mesures annoncées. En effet, le texte présenté n'apporte pas de vision stratégique globale de développement et d'aménagement du territoire concerné. Or appliquer des orientations en termes de développement commercial implique d'avoir déployé une vision prospective préalable.
Face à l'insuffisance de ces mesures, une autre solution pourrait être d'encourager et d'aider le petit commerce. C'est ce que nous développerons dans un second point.
Dans un premier temps, nous vous proposons donc d'examiner les aspects lacunaires de la proposition de loi.
Après son passage en commission, le texte est passé de trente-six articles à treize articles. Il est devenu plus dense, mais sans apporter d'amélioration sur le fond.
Ainsi, l'un de ses objectifs principaux est de soumettre à des autorisations plus strictes les implantations de grandes surfaces. Ces autorisations sont étendues aux extensions ainsi qu'aux transferts d'activités existantes. Elles sont délivrées par les CDEC sur la base de cinq critères, à savoir, dans l'ordre : le maintien d'une concurrence effective, le développement de l'emploi et l'amélioration des conditions de travail des salariés, la promotion d'un aménagement équilibré du territoire à la faveur des services de proximité, la protection de l'environnement et du paysage urbain ainsi que la satisfaction des besoins des consommateurs en termes de diversité d'accès aux commerces et aux services.
Alors que vous affichez la volonté de protéger le petit commerce contre le poids écrasant de la grande distribution, on s'étonne que la première préoccupation des CDEC doive être de garantir et de favoriser une concurrence effective, pourtant première cause de l'extinction des commerces de proximité. Et cela, alors même que, à l'origine, les CDEC, anciennement CDUC, avaient été conçues dans l'optique de maintenir ce commerce de proximité !
De plus, le flou des critères retenus et leur caractère non obligatoire constituent davantage un affichage de bonnes intentions qu'une garantie de la prise en compte du petit commerce dans la formation de la décision d'autorisation.
Venons-en maintenant aux dispositions relatives aux seuils, qui conditionnent les modalités d'attribution d'une autorisation de l'organisme compétent.
Vous vous contentez de redistribuer les compétences entre les CDEC et les nouvelles CIEC, sans tirer de leçons de l'inefficacité des seuils instaurés par les précédentes législations.
Il faut bien avouer que, sur ce plan, le mal est déjà fait. En effet, trente ans après la loi Royer, la France est aujourd'hui le pays européen qui dispose de la plus grande surface commerciale de grande distribution en mètres carrés par habitant.
De plus, les effets pervers de cette loi ont favorisé le développement de grandes zones commerciales à la périphérie des villes. Ces implantations ont lourdement touché les commerces de proximité, dont plus d'un tiers ont dû cesser toute activité au cours des dix dernières années.
A l'inverse, sur la période 1997-2004, le nombre de magasins maxi discount a augmenté de 87 %. Or, comme on le sait, ces magasins s'implantent directement en centre-ville, sur des surfaces qui sont d'ailleurs souvent inférieures à 300 mètres carrés, exacerbant la concurrence avec le commerce de proximité.
Cette forme de commerce échappe à tout contrôle d'implantation eu égard à sa surface unitaire limitée. Pourtant, ces magasins se multiplient et recouvrent, en réalité, des surfaces globales bien plus importantes. Il serait donc plus efficace de contrôler les surfaces globales de chaque enseigne.
Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi élude complètement ce problème, préférant se réfugier derrière des mesures secondaires. Ainsi, une grande partie de vos dispositions est consacrée à un remaniement des compétences entre les différents organismes de contrôle. A ce titre, la CIEC risque fort, dans bien des cas, de se contenter de constater l'existant.
Enfin, le dispositif juridictionnel prévu à l'article 7 reste largement insuffisant pour dissuader les grands groupes de la distribution de continuer à contourner la loi. En effet, que représente une astreinte journalière de 150 euros ou une amende de 15 000 euros au regard du chiffre d'affaires quotidien d'une grande surface ?
Face à tous ces éléments, force est de constater que votre texte ne répond en aucune manière à la détresse et à la disparition progressive du commerce de proximité.
Vous avez vous-même rappelé que ses perspectives d'avenir étaient désastreuses. Ainsi, vous avez souligné à juste titre que, pour les deux années à venir, la carte de la grande distribution sera profondément modifiée par l'arrivée massive de magasins hard discount et de grandes enseignes étrangères. D'ailleurs, ce phénomène est renforcé par la diversification des marchandises vendues et des services proposés.
Dans ce contexte, croyez-vous vraiment que votre projet réponde réellement aux questions posées ?
Dans un second temps, voyons les propositions susceptibles de résoudre la crise qui frappe le petit commerce. En effet, le problème de l'expansion incontrôlée de la grande distribution peut être abordé d'une autre manière.
A notre sens, il est nécessaire de créer les conditions favorables au maintien et au développement de toutes les formes commerciales de proximité et de services dans le cadre d'une égalité de traitement des citoyens et d'un aménagement harmonieux du territoire.
C'est bien la grande distribution qui, depuis plus de trente-cinq ans, a façonné petit à petit les nouvelles habitudes de la clientèle, créé de nouvelles envies, amplifié la société de consommation et facilité l'endettement, voire le surendettement. C'est encore elle qui participe à la précarisation de l'emploi et à la désertification d'un certain nombre de nos régions.
Le Sénat a-t-il la réelle volonté de restructurer un tissu commercial local ou préfère-t-il se satisfaire d'une présence commerciale concentrée dans nos chefs-lieux de canton et nos bourgs-centre ?
La conception de notre groupe s'oriente davantage vers une réelle présence commerciale au sein de nos collectivités locales, point d'appui d'une réponse aux besoins locaux, de la réapparition des services publics disparus et élément incontestable de lien social.
Compenser les handicaps naturels du milieu rural et de certains quartiers urbains défavorisés relève non pas de la distorsion de concurrence, mais bien d'un aménagement harmonieux et équilibré du territoire. Ces handicaps sont nombreux pour le petit commerce local, qui doit s'approvisionner au prix fort, cumuler les heures de travail au-delà du raisonnable et qui dispose d'une clientèle clairsemée, le plus souvent modeste.
Si notre assemblée avait la réelle volonté de revitaliser le petit commerce, elle s'en donnerait les moyens, car ceux-ci existent. En effet, l'agrégat 25 du projet de loi de finances pour 2005 laissait apparaître un engagement de 168 millions d'euros au service de l'initiative économique dans les secteurs du commerce, de l'artisanat, des services et des professions libérales, et autres actions de solidarité économique.
Est intervenue, en 2003, la budgétisation de la TACA, la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, qui, je le rappelle, est prélevée sur les surfaces commerciales de plus de 400 mètres carrés. Or, il faut savoir que le FISAC, les aides au départ et le comité professionnel de la distribution des carburants consomment environ 115 millions d'euros pour 2005, alors que la TACA rapporte 600 millions d'euros.
Plus de 480 millions d'euros sont donc détournés de leur destination initiale. C'est purement scandaleux, surtout quant on sait qu'un dixième de cette somme suffirait à redonner un élan salvateur au commerce local de nos collectivités ! Nous avions en effet montré, en 2003, que, avec moins de 30 millions d'euros, il était possible de soutenir et de faire vivre 8 000 commerces, ce qui concerne près du quart des communes du pays.
Nous proposons donc, car il s'agit là d'une responsabilité du Sénat, que toutes les collectivités locales qui souhaitent maintenir leur dernier commerce ou en créer un quand celui-ci a disparu sollicitent « qui de droit », c'est-à-dire l'Etat. Nous proposons également que soit créée une dotation spécifique « petit commerce » dans la DGF, financée par la TACA. Les moyens existent, nous venons de le montrer.
Ces mesures, dont les modalités d'attribution pourraient résulter d'un décret ou d'une proposition de loi que je suis disposé à vous soumettre, mes chers collègues, permettraient aux collectivités locales d'aider directement leurs commerces par des allègements de loyers et de taxes locales ou par diverses mesures facilitant le fonctionnement.
Sans aides réelles, la majeure partie des petits commerces des zones rurales et des quartiers défavorisés n'est pas viable. Il est de notre responsabilité qu'ils le deviennent. Ils seront demain l'un des principaux points d'appui pour le retour de très nombreux urbains vers le milieu rural, retour qui a d'ailleurs été évoqué tout à l'heure par l'un de nos collègues.
Monsieur Fouché, vous aviez émis de sérieuses réserves, en janvier 2003, sur ma proposition de loi. Mais je suis beau joueur.