Je rejoins totalement la position de M. le ministre. Je me dois de relever que cet amendement tendant à insérer un article additionnel, proposé par notre collègue Christian Demuynck, auquel je souhaite la bienvenue, n’a pas sa place dans la LMAP, dont nous discutons depuis plusieurs jours. Dans un contexte de crise agricole particulièrement difficile, cette loi est avant toute chose consacrée au renforcement du poids des agriculteurs dans la filière agroalimentaire.
Il n’est par conséquent pas envisageable d’aborder à la marge – j’allais dire à la sauvette –, au détour d’un article additionnel, les questions extrêmement techniques et complexes posées par les COV, les certificats d’obtention végétale. Le sujet mérite d’être traité avec toute la sérénité requise, en lui consacrant le temps nécessaire : ce n’est ni le lieu ni le moment !
C’est la première raison pour laquelle j’appelle l’ensemble des membres de notre assemblée à rejeter cet amendement, qui est, disons-le, un cavalier.
De même, nous ne pouvons pas faire nôtre le curieux prétexte, mentionné dans l’exposé des motifs de l’amendement, de la nécessité « d’actualiser notre législation au regard des engagements internationaux et communautaires » : en effet, l’amendement vise à nous faire adopter dans la précipitation des dispositions nouvelles, en se référant au règlement européen n° 2100/94, qui a été adopté il y a seize ans !
Cette précipitation est d’autant plus incompréhensible que la Commission européenne vient d’engager un processus d’évaluation et de réforme de la législation sur les droits de propriété des plantes qui conduira à une révision en profondeur annoncée pour la fin de l’année 2011.
Je tiens également à rappeler qu’un règlement européen, à la différence d’une directive européenne, est directement applicable dans notre ordre interne et qu’il ne nécessite aucune transposition.
Une fois exprimés ces arguments de bon sens et d’opportunité, qui conduisent logiquement au rejet de cet amendement, je souhaite également attirer votre attention, mes chers collègues, sur les risques que ferait peser son adoption sur les agriculteurs.
En effet, d’un point de vue strictement juridique, cet amendement tend à étendre, de manière inacceptable, la protection des obtenteurs : il leur permet en effet de contourner la volonté du législateur européen de limiter la protection des gènes au matériel génétique dans lequel s’exprime la fonction pour laquelle ils sont protégés.
À ce point de mon exposé, il est nécessaire d’apporter des précisions techniques. Seuls des caractères technologiques, comme le goût ou le taux d’amidon, peuvent s’exprimer dans une récolte ou le produit d’une récolte. C’est pourquoi seules les quelques rares variétés protégées par un COV faisant mention de tels caractères étaient, en 1994, concernées par l’extension de la protection à la récolte ou au produit de la récolte, à condition que ces caractères soient à eux seuls suffisamment distinctifs.
Les autres variétés ne pouvaient être distinguées ni dans la récolte ni dans les produits de la récolte : en effet, les caractères morphologiques ou agronomiques sur lesquels reposent tous les COV ne s’expriment qu’au champ.
Mais, aujourd’hui, les progrès des biotechnologies permettent d’identifier facilement dans la récolte et dans les produits de la récolte un ensemble de gènes marqueurs de ces caractères.
Le législateur s’est inquiété de la protection des gènes : en 1998, la directive européenne n° 98/44/CE a étendu la protection d’un gène par un brevet à tout matériel génétique, donc à toute plante ou produit de plante contenant ce gène.
Mais cette directive ajoute une deuxième condition : ce gène doit pouvoir exprimer la fonction pour laquelle il est breveté, ce dont il n’est pas question dans l’amendement n° 118 rectifié !
Je vais prendre un exemple très concret. Dans ses conclusions rendues le 9 mars 2010, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé que le caractère de tolérance au fameux herbicide Roundup conféré par le gène breveté de Monsanto ne s’exprime pas dans la récolte de soja transformée en farine et que, en conséquence, la protection du brevet ne s’étend pas à la farine de soja, quand bien même le gène protégé y est toujours présent.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : alors que le COV est souvent présenté comme une protection plus mesurée et adaptée des droits de l’obtenteur que le brevet, l’amendement renverse insidieusement la situation, en instituant un COV étendant de manière totalement abusive les droits de l’obtenteur.
En anticipant, dans la précipitation, la révision engagée de la réglementation européenne sur les droits de propriété des plantes, cet amendement rompt l’équilibre trouvé en 1998 entre la protection de la variété par le COV et celle du gène par le brevet, ce qui revient, de fait, à contourner la volonté du législateur européen.
Mes chers collègues, la LMAP ambitionne de défendre en priorité les intérêts des agriculteurs. Les agriculteurs, ont créé, depuis des millénaires, des centaines de milliers de variétés en reproduisant et en multipliant une partie de leurs récoltes dans des environnements diversifiés. Les obtenteurs tirent directement profit de ces variétés sans rémunérer de la moindre manière les agriculteurs.
Alors que notre agriculture est confrontée à des enjeux nouveaux, comme le dérèglement climatique, l’érosion de la biodiversité ou l’obligation de réduire l’usage des pesticides, nous ne saurions adopter un amendement qui limiterait la pratique des semences fermières, en obligeant tous les agriculteurs qui ressèment leurs graines à payer des royalties aux groupes semenciers.