Intervention de Jacques Pelletier

Réunion du 6 juin 2006 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jacques PelletierJacques Pelletier :

Comment expliquer en effet à un adolescent d'Afrique qui risque sa vie sur les barricades de Ceuta que la France lui refuse « ce droit de vivre dignement » auquel il aspire, parce qu'il n'a pas les qualifications ou les compétences requises ?

Il serait vain et dangereux d'envisager la liberté comme le privilège de quelques-uns.

Bien sûr, talents et compétences sont les bienvenus. Un pays a tout à gagner à accueillir des scientifiques, des sportifs, des artistes, qui tissent entre les peuples un lien social de qualité et contribuent en même temps au rayonnement de notre pays et de notre langue. Gardons-nous cependant de trop d'élitisme. Il y a aussi dans les rues de Ceuta, et d'ailleurs, des jeunes dont l'intelligence et le courage valent bien des diplômes. Faudrait-il que les diktats économiques nous conduisent à mettre sur le marché des hommes et des femmes labellisés « bons » ou « mauvais » émigrés ?

Le principe d'une loi est non pas de diviser, mais de réunir, et le prix de la diversité fait la richesse de nos sociétés. En outre, tout en privant les pays du Sud des talents et des compétences dont ils ont un besoin bien plus important que le nôtre, nous n'empêcherions pas pour autant les gamins de Ceuta et d'ailleurs de tenter leur chance, encore, encore et toujours.

En conséquence, je proposerai dans un amendement que la carte « compétences et talents », accompagnée d'un engagement de retour, ne puisse bénéficier que d'un seul renouvellement.

L'exil n'est pas un choix ! Le droit à la vie et à la liberté, ce principe premier qu'énonce l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, nous enjoint de ne pas nous abriter derrière un arsenal uniquement répressif qui ne se justifierait qu'à partir de données quantitatives et occulterait les raisons profondes de l'émigration. Le partage des richesses contient aujourd'hui le devoir d'hospitalité.

À partir du même constat, et considérant que la suppression de la disposition qui permet la régularisation d'un étranger en situation irrégulière depuis plus de dix ans ne fera pas baisser significativement les chiffres - il semble que, actuellement, 3 000 personnes environ bénéficient chaque année de cette procédure -, je souhaite que les critères à partir desquels la commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour rendra son avis soient vraiment explicites, souples et évolutifs.

Devant cette aventure humaine, l'Europe et les pays tiers doivent nous accompagner. Comment imaginer une politique de l'immigration qui ne soit pas européenne ? Étant donné que l'écart entre Nord et Sud continuera d'alimenter la pression migratoire, il serait sage que les nations de l'Europe se retrouvent dans une stratégie migratoire commune pour conduire une action qui, à terme, pourrait revivifier une Europe à la recherche d'un nouveau souffle et revisiter par la même occasion la grande idée européenne en inscrivant cette action dans le respect des droits humains fondamentaux.

Pour ce qui est de l'aide au développement, nous connaissons suffisamment la perméabilité des frontières autant que la vanité des contrôles pour constater que le lien réel entre immigration et aide au développement n'autorise plus à agir sur la première sans tenir compte de la seconde. Face à l'immigration, le codéveloppement est vraiment la priorité des priorités !

Nous ne pourrons sans doute pas tarir l'immigration à la source, mais nous pouvons permettre à des populations parmi les plus défavorisées - pour lesquelles, je le répète, l'exil n'est pas un choix - de continuer à vivre chez elles dans des conditions normales. Cela suppose bien sûr une politique d'aide au développement énergique autant qu'une politique diplomatique ferme.

Nous savons de quoi ces populations ont besoin : d'une école, d'un hôpital, d'une démocratie, d'un État de droit ! C'est là ce que beaucoup d'entre elles n'ont pas. Cela favoriserait le dialogue entre le Nord et le Sud, alors que celui-ci est aujourd'hui abusé par des marchands de rêves, qui font payer aux plus démunis, parfois de leur vie, ce qui pour eux signifie un avenir : des papiers, un emploi, une famille. Nous pourrions alors construire avec eux une politique de l'immigration dans une gestion commune, sur la base d'intérêts et d'avantages réciproques.

À ce propos, je vous félicite, monsieur le ministre d'État, d'avoir commencé à discuter sur le terrain avec les responsables africains : c'est la seule façon de faire avancer le dossier.

Ce projet de loi doit être du reste l'occasion d'élaborer des dispositifs innovants en matière d'aide au développement en faveur des pays du Sud. Ainsi, l'amendement que je défendrai visera à permettre le renforcement de la contribution que les étrangers exerçant une activité professionnelle en France peuvent apporter au développement de leurs pays.

Je ne peux pas, monsieur le ministre d'État, passer en revue toutes les mesures envisagées.

Le dossier de l'immigration doit échapper aux partis et aux ambitions. Rassemblons-nous, comme le souhaitent les Français. Sans doute devrait-il en être ainsi de nos projets, débattus au mépris des conjectures, votés et amendés dans la raison et par l'expérience : gardons-nous, pour séduire, d'inspirer de la crainte ou de faux espoirs à ceux que nous vantons.

Ce texte, légitime, est perfectible, donc amendable. Dans l'union, je souhaite, monsieur le ministre d'État, que vous accueilliez avec bienveillance nos amendements.

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