Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 7 juillet 2005 à 9h30
Mesures d'urgence pour l'emploi — Discussion d'un projet de loi d'habilitation déclaré d'urgence

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

... qui a qualifié la décision de sa majorité d'« idéologique et pas suffisamment pragmatique ».

Pour autant, l'urgence aujourd'hui décrétée autour du plan de mobilisation pour l'emploi, qui justifie le recours aux ordonnances au cours d'une session extraordinaire, n'est qu'un prétexte. La ficelle est un peu grosse et ne trompe personne.

Même ceux qui en défendent le principe peinent à croire que Dominique de Villepin découvre aujourd'hui que le gouvernement Raffarin, dont il était l'un des membres les plus importants, ait mené depuis trois ans une politique contre-productive en matière d'emploi. Ce que pourtant le député UMP - encore un ! - Pierre Cardo, frappé lui aussi par une soudaine révélation, qualifie après coup d'« erreur politique, économique et stratégique ». Et il ajoute que, en ayant écouté les idéologues plutôt que les pragmatiques, la droite s'est tiré une balle dans le pied.

Comment imaginer que Jacques Chirac, qui fait de l'emploi « la priorité des priorités » dans tous ses discours depuis 1995, s'aperçoive subitement que telle n'a pas été l'action de son ancien Premier ministre ? Pourtant, dans son « Contrat France 2005 », celui-ci s'était fixé comme objectif -vous vous en souvenez sûrement - la baisse de 10 % du nombre de demandeurs d'emploi en 2005. Tout cela n'est ni crédible ni sérieux et confine au pitoyable.

En réalité, l'objectif est clair : publier lesdites ordonnances « avant le 1er septembre », c'est-à-dire durant les congés d'été afin d'en avoir fini avant la rentrée.

Pour le Premier ministre, qui a bien une majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat mais pas de majorité politique dans le pays pour faire passer son projet de casse sociale, il s'agit de s'épargner un débat parlementaire qui pourrait provoquer des remous dans l'opinion et se muer en nouvelle épreuve de force sociale avec le Gouvernement.

Cette procédure expéditive présente également l'avantage de vous dispenser du diagnostic pourtant nécessaire. Des vraies causes de la dégradation de l'emploi et de la persistance d'un chômage de masse, du sous-emploi et de la « smicardisation » du salariat, nous ne pouvons donc débattre.

Il en est de même de la question centrale de la répartition des richesses dans notre pays.

Selon le chef du Gouvernement, ces ordonnances ne constituent pas « l'arbitraire, mais la tradition républicaine lorsque les circonstances l'exigent ». Pour justifier cela, il explique qu'« elles ont été utilisées par la gauche comme par la droite depuis le début de la Ve République ».

Mais M. de Villepin fait mine d'oublier que le recours à cette disposition constitutionnelle par un pouvoir désavoué, comme l'a été le Président de la République à la suite du référendum, est totalement inédit.

M. de Villepin oublie également de dire - mais ce n'est qu'un détail - que, depuis l'arrivée au pouvoir de sa majorité UMP-UDF, l'ampleur des mesures prises sur la base des ordonnances est sans précédent.

Pour mieux faire avaler la pilule, le Premier ministre oppose à ce hold-up institutionnel « la concertation avec les partenaires sociaux », qui « est le meilleur moyen de prendre les bonnes décisions ».

Mais sa promesse n'a leurré personne dans le monde syndical. « Le Gouvernement nous met le couteau sous la gorge », a déclaré Bernard Thibault de la CGT. « Où est le dialogue social dans tout ça ? », s'est interrogé de son côté Jacques Voisin, de la CFTC. Quant à François Chérèque, de la CFDT, il a souligné que les ordonnances allaient « à l'encontre du dialogue social ».

Tous les syndicats s'opposent donc à ces ordonnances, que ce soient la CGT, la CFDT, la CGC, FO, la CFTC, mais également l'UNSA et Sud.

Pourquoi utiliser des méthodes aussi antidémocratiques, que nous condamnons dans leur principe même ? Tout simplement, parce que les réformes prévues par ces trois ordonnances, réclamées à cor et à cri par les trois organisations patronales - le MEDEF, la CGPME et l'UPA -, sont antisociales. Tout simplement aussi parce que vous n'assumez pas ouvertement vos choix en faveur de l'accentuation des inégalités dans le salariat, de la remise en cause des droits des salariés employés dans les très petites entreprises, ni l'ambition des libéraux de parvenir un jour à brûler le code du travail.

Qu'est-ce que le plan emploi du Gouvernement si ce n'est une resucée des préconisations des rapports Camdessus, Virville ou Cahuc et Kramarz en écho aux souhaits du MEDEF ?

La mesure phare concerne la mise en place du contrat « nouvelles embauches », octroyant « plus de souplesse à l'employeur durant les deux premières années » au nom de la facilité d'embaucher. Ce contrat pourra « être rompu avec des procédures simplifiées » durant cette période.

De plus, M. le Premier ministre a bien précisé qu'il se réservait le droit d'adapter la mesure « dans ses modalités et dans son champ d'application », confirmant ainsi la crainte des syndicats de voir cette disposition étendue à d'autres entreprises.

Le résultat, c'est une remise en cause complète de la protection des salariés. Le Gouvernement est en train de donner sur un plateau ce que réclamaient depuis des années le MEDEF et la CGPME, à savoir la déjudiciarisation du contrat de travail des salariés. L'Union des petits artisans « le demandait depuis le début », a expliqué son président.

Cela signifie que l'on pourra bientôt, en vertu du contrat « nouvelles embauches », licencier tout salarié récemment engagé sans lui fournir la moindre justification.

Par ailleurs, que vous le vouliez ou non, le contrat « nouvelles embauches » facilitera très concrètement le délit de faciès. Les femmes, les jeunes, les populations issues de l'immigration apprécieront ...

En outre, ce contrat offre à l'employeur un droit réel à tout licenciement abusif. Bientôt, il n'y aura plus de garde-fou pour les salariés. Quand on sait ce qu'un licenciement représente en termes de souffrance humaine, sociale, personnelle et familiale, ce nouveau type de contrat est inacceptable.

Reste une question, et non des moindres, soulevée par d'éminents spécialistes en droit social : comment les conseils de prud'hommes trancheront-ils si un salarié licencié attaque son employeur dans le cadre d'un contrat « nouvelles embauches » ?

Vous proposez ensuite d'atténuer l'effet de seuil dans les très petites entreprises qui embauchent un dixième salarié. L'Etat prendrait en charge les coûts supplémentaires, estimés à 5 000 euros par an. Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a précisé que le Gouvernement irait plus loin encore en prenant totalement en charge ces surcoûts pour les entreprises comptant entre dix et dix-neuf salariés.

Qu'en est-il ici de la responsabilité sociale de l'entreprise ? Désormais, les créations d'emplois - et quels emplois ! - seront financées par des fonds publics, donc par les contribuables, c'est-à-dire par les salariés eux-mêmes ! Les employeurs seraient donc totalement désinvestis de cette tâche et des responsabilités qui leur incombent.

Pour le seul budget de 2004, les allégements de charges sur les entreprises ont été, je vous le rappelle, de 17 milliards d'euros. Au titre de la taxe professionnelle, il y a encore eu 1, 5 milliard d'euros supplémentaires, auquel il faut ajouter 3 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu. Au total, cela fait 21, 5 milliards d'euros, représentant, à titre d'équivalent, 560 000 emplois payés au salaire moyen brut du secteur public.

Mesurez-vous ce gigantesque gâchis ? Mesurez-vous que, depuis 1993, ce sont 153 milliards d'euros d'exonération ?

Outre l'allégement des diverses contributions que l'Etat va prendre à nouveau en charge - pour 4, 5 milliards d'euros en 2006 -, ces mesures posent la question du torpillage de la mise en place des structures représentatives du personnel dans l'entreprise.

Ces mesures constituent donc une remise en cause larvée, mais brutale, du code du travail, entraînant de fait une modification substantielle de la législation sociale, mais aussi fiscale, et également une remise en cause implicite des conventions collectives passées entre les partenaires sociaux.

Quant aux chômeurs, une nouvelle fois stigmatisés, vous leur appliquez la double peine : le Gouvernement prévoit de renforcer les contrôles et les sanctions afin de les rendre plus vulnérables pour leur imposer toujours plus de précarité. Le renforcement du contrôle des chômeurs est, en effet, un des objectifs de ces ordonnances.

Dans le langage flou du Gouvernement, le but est d'atteindre un « équilibre entre droits et obligations » du chômeur. Concrètement, le chômeur n'aura plus de droits, seulement des obligations, et qu'importe si tout cela se fait alors même qu'il est avéré que les cas de fraude sont marginaux !

Le nouveau dispositif prévoit deux nouveautés essentielles.

Tout d'abord, le contrôle se fondera sur « la qualification professionnelle de l'allocataire et sa capacité d'insertion professionnelle », ainsi que sur « l'état du marché du travail ». En d'autres termes, les garde-fous tombent. Il faudra s'adapter à l'offre imposée et accepter les sales boulots avec de mauvaises conditions de travail, de faibles salaires, le temps partiel et l'éloignement géographique.

Par ailleurs, le bâton est confié aux ASSEDIC qui versent les allocations. Les ASSEDIC, gérées par le MEDEF, auront toute latitude pour faire des économies et purger le plus possible leurs fichiers, en faisant fonctionner à plein les suspensions d'allocations au moindre refus d'emploi. C'est déjà ce qui se pratique pour le versement du RMI, avec des radiations par milliers dans nombre de départements !

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