Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous avons pu le constater, l'arrivée de M. le Premier ministre à l'Hôtel Matignon s'est faite dans un contexte particulièrement difficile, et sa déclaration de politique générale montre au moins qu'il en avait conscience. A travers leur vote du 29 mai, les Français ont exprimé leurs inquiétudes, leurs angoisses, mais aussi leurs espoirs et leur volonté de changement.
M. le Premier ministre a tout à faire pour obtenir la confiance des Français. Pourtant, d'entrée de jeu, il commet, à mon sens, une double erreur : erreur sur la méthode, erreur sur le fond.
La première erreur, c'est de préférer l'impératif de l'urgence et de la précipitation à celui de la concertation.
L'urgence : l'argument est de poids ! Alors que la croissance ne cesse de faiblir et que le taux de chômage commence tout juste à stagner après avoir continuellement augmenté depuis trois ans, on comprend que le Gouvernement veuille jouer la bataille de l'urgence. Mais cette bataille de l'emploi est si importante qu'il faut prendre le temps de la concertation. M. le Premier ministre oublie que l'efficacité d'une réforme ne tient pas seulement à la rapidité de sa mise en oeuvre. Sinon, les gouvernements de M. Raffarin auxquels il a participé auraient eu plus de succès, l'urgence ayant souvent été invoquée.
L'efficacité d'une réforme tient tout autant à l'adhésion qu'elle rencontre. De cette adhésion dépend la mobilisation des acteurs et des partenaires, car il ne suffit pas de décréter unilatéralement la bataille de l'emploi pour s'assurer de son efficacité.
De ce point de vue, la procédure des ordonnances est détestable et contreproductive. Elle est détestable à l'égard du Parlement, dont les droits sont restreints, et je ferai observer que l'ancien ministre de l'intérieur, qui avait aimablement mis en doute la légitimité du Premier ministre à l'égard des Français, veut se passer d'emblée de celle qui est liée au débat parlementaire.
Bien sûr, la procédure des ordonnances est prévue par la Constitution et a déjà été largement utilisée par des gouvernements de droite comme de gauche. Faisons donc un examen comparatif !
Le gouvernement de M. Pierre Mauroy a eu recours aux ordonnances pour mettre en oeuvre non seulement la semaine de 39 heures et la cinquième semaine de congés payés - ce sont deux éléments de progrès social, personne ne le contestera -, mais aussi, à l'époque, les nationalisations. Il s'agissait alors de permettre l'exécution d'un programme qui venait d'être validé par les électeurs, ce qui n'est pas, bien au contraire, le cas du présent gouvernement.
M. Lionel Jospin, quant à lui, n'a jamais eu recours aux ordonnances dans le domaine de la politique intérieure. La réforme des 35 heures, par exemple, a été menée à bien avec et devant le Parlement, malgré une majorité relative à l'Assemblée nationale et un Sénat pour le moins hostile. Ce n'est pas le cas du gouvernement actuel, qui a la majorité absolue, ou presque, dans les deux assemblées.
Pour ce qui est des résultats du gouvernement Jospin, notamment dans le domaine de l'emploi, ils sont incontestables et il ne faudrait pas les oublier : 600 000 emplois créés, 700 000 chômeurs en moins.
La procédure des ordonnances est également contreproductive. Les Français comprennent bien que le Gouvernement, loin de vouloir convaincre, cherche à faire passer en force des mesures discutables. L'histoire le démontre amplement : tous les gouvernements qui, au motif d'aller vite, ont usé de cette procédure et ont voulu faire l'économie d'un débat en ont ultérieurement payé le prix. Des ordonnances de 1967 du général de Gaulle à celles de M. Juppé en 1996 - il doit les regrette encore ! - en passant par celles de M. Chirac en 1986, le gain de temps a été illusoire et les effets pervers de la procédure ont été plus importants que ses effets supposés positifs à l'origine.
Il existe, par ailleurs, une procédure d'examen des textes en urgence par le Parlement, ainsi que la possibilité de siéger en session extraordinaire - c'est d'ailleurs le cas actuellement. Le prédécesseur de M. le Premier ministre a largement fait usage de ces deux possibilités, certes sans réel succès !
Dans le cas qui nous réunit aujourd'hui, le constat est encore plus grave. Le Gouvernement, non content de mettre le Parlement sur la touche - ce dernier commence à en avoir l'habitude depuis trois ans -, fait également peu de cas des prérogatives des partenaires sociaux. Oubliées, les promesses de M. Fillon dans la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social : il avait tout de même été indiqué dans l'exposé des motifs que rien ne serait fait en matière sociale qui ne soit précédé d'une consultation, d'une concertation, voire d'une négociation avec les partenaires sociaux !