Les six ordonnances qui seront prises en application de cet article 1er constituent le plan d'action du Gouvernement pour l'emploi. Elles sont censées être la première étape « du retour à la confiance et à la croissance », pour reprendre les termes mêmes du Premier ministre.
Si nous ne pouvons que rendre hommage à cette volonté - certainement réelle chez M. de Villepin -, notre rôle de parlementaires est d'examiner les moyens de la politique qui nous est proposée et de déterminer s'il y a bien adéquation entre les intentions affichées et les moyens.
D'emblée, deux problèmes se posent.
D'une part, la procédure des ordonnances nous dessaisit sur le fond, alors que ces questions méritent un débat approfondi. C'est un regret qui s'exprime à plus ou moins haute voix sur toutes les travées : la politique économique et la politique de l'emploi - si toutefois cette dernière existe ! - ne doivent pas être traitées dans des arrière-cuisines, elles doivent faire l'objet d'un débat public, en termes clairs, dans lequel la représentation nationale doit prendre toute sa place et grâce auquel les Français peuvent se faire une opinion. En effet, nous ne devons jamais perdre de vue que ces questions concernent au premier chef tous nos concitoyens.
D'autre part, depuis ce malencontreux référendum sur le projet de Constitution européenne, chacun connaît le prix du déficit démocratique. Il serait infiniment regrettable que, au niveau national, nous prenions le même chemin. Telle est pourtant la crainte qui commence à s'exprimer aujourd'hui avec de plus en plus de force. Et les résultats des dernières consultations électorales ne peuvent d'ailleurs que renforcer cette inquiétude ! Voilà qui rend assez dangereuse la procédure des ordonnances, que le Gouvernement utilise de manière excessive en matière économique et sociale.
En outre - et ce sont des questions d'importance -, y a-t-il adéquation entre les intentions et les moyens ? Les moyens traduisent-ils les intentions réelles ?
Que prévoit l'article 1er, sinon un nouveau contrat de travail censé mettre un terme aux appréhensions des employeurs dans les petites entreprises mais qui se traduit, de fait, par des dérogations nouvelles aux seuils d'effectifs, par des allégements - ou des exonérations : à dire vrai, nous n'en savons rien ! - de contributions des entreprises aux dispositifs d'aide au logement, au transport et à la formation professionnelle, par la généralisation du chèque-emploi service aux entreprises et par des primes pour les chômeurs de longue durée et pour les jeunes qui acceptent un emploi dans une branche déficitaire dans ce domaine ?
Voilà les mesures que vous proposez réellement !
Deux autres dispositions - l'insertion des jeunes en difficulté dans les institutions de défense et le recul de la limite d'âge pour entrer dans la fonction publique d'Etat - étaient déjà en préparation et ne relèvent pas de l'initiative du Premier ministre. Nous y reviendrons.
S'agissant de vos propositions, peut-on considérer qu'il s'agit d'une politique de l'emploi, ou même de mesures pour l'emploi ? Absolument pas !
Peut-on même dire qu'il s'agit d'une politique pour les entreprises ? Ce n'est même pas certain !
Personnellement, j'ai été très étonné, lors de l'audition par la commission des affaires sociales du représentant de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, de voir celui-ci manifester aussi peu d'enthousiasme. Je m'attendais de sa part à une chaleureuse approbation de votre dispositif. Sans parler à sa place, je me bornerai à dire que ce ne fut pas exactement le cas... Les petits entrepreneurs me semblent plus préoccupés par le prix des matières premières, le dumping international et les charges fiscales et sociales - que l'on soit d'accord ou pas avec eux sur ce dernier point -, que par de nouveaux dispositifs qui leur apparaissent comme de nouvelles trouvailles technocratiques.
Ce que nous voyons, en réalité, dans le texte qui nous est soumis, c'est un assemblage traditionnel de mesures contre le droit du travail, réclamées depuis des années par le MEDEF et mises en musique par des idéologues et experts dont la compétence première est la soumission absolue à l'ultralibéralisme.
Aucune de ces mesures n'est de nature à créer les emplois qualifiés dont notre pays a besoin. Aucune de ces mesures n'est de nature à favoriser le développement de la formation, de la recherche, de l'investissement productif ou à créer un environnement propice à la création d'entreprises. Vous vous bornez à gérer au fil de l'eau et à bricoler des systèmes non financés pour alléger les statistiques du chômage.
Votre politique de l'emploi se résume à attendre que les enfants du baby-boom parviennent à l'âge de la retraite et à vous soumettre aux injonctions de quelques institutions internationales supposées nous ramener la croissance.
Nous avons examiné le texte de programmation pour la cohésion sociale, qui feint de recréer dans la précipitation les centaines de milliers d'emplois aidés que vous avez détruits, puis le texte relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, qui précarise tout ce secteur.
Nous voici devant un projet de précarisation généralisée, de limitation des droits sociaux et de poursuite de la baisse des revenus salariaux. Il est le reflet d'une absence de projet collectif pour notre pays. C'est également le dernier avatar d'un projet de société fondé sur l'inégalité des statuts et des conditions de travail.
Pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, nous sommes en totale opposition avec ce projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi, et nous demanderons un scrutin public sur cet amendement.