Intervention de Annie Jarraud-Vergnolle

Réunion du 2 décembre 2009 à 14h45
Loi de finances pour 2010 — Travail et emploi

Photo de Annie Jarraud-VergnolleAnnie Jarraud-Vergnolle :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, quel que soit l’endroit où je porte mon attention en matière de politique de l’emploi menée par le Gouvernement, je ne vois aucune bonne raison – et je m’en désole – de souscrire à l’optimisme souriant de Mme Lagarde, pas plus qu’à la vigueur auto-satisfaite du Président de la République.

Comme garde-corps en politique, je me remémore, aussi souvent que nécessaire, cet adage minimal : n’est pas devin qui veut. Il ne suffit pas de décréter que le pire est derrière nous pour que les Français y croient, surtout s’il s’agit d’un pari sur un avenir aussi incertain aujourd’hui qu’il l’était hier.

Il ne suffit pas que le Président de la République aille féliciter les salariés de Pôle Emploi pour que nous soyons dupes du succès de cette structure, quand nous savons que chaque agent a la charge de plus de 120 demandeurs d’emploi. Que le Président de la République en soit fier, c’est une chose. Qu’il croit, comme il l’a dit, que « le climat social est aussi apaisé qu’on pouvait l’imaginer », alors que les syndicats – même les plus modérés – dénoncent les difficultés croissantes des salariés, confine à l’aveuglement.

Les chiffres du chômage que vous nous servez ne reflètent pas la réalité puisque sont exclus : les salariés victimes de licenciements économiques bénéficiant d’un contrat de transition professionnelle ou d’une convention de reclassement personnalisé ; les radiations par défaut d’actualisation, soit 42, 2 % en octobre dernier, de ceux qui se désespèrent et renoncent à chercher du travail face à la conjoncture actuelle ; les personnes en chômage partiel ; enfin, les demandeurs d’emploi des autres catégories de classement.

Il convient néanmoins de ne pas oublier que, derrière les promesses, les programmes, le marketing politique, il y a une réalité que vivent plus de quatre millions de Français et leurs familles.

Dans la vraie vie, monsieur le ministre – et tous mes collègues de bonne foi qui connaissent le quotidien de leurs concitoyens peuvent en attester – la réalité de l’emploi et ses conséquences partout en France sont une vraie catastrophe.

Alors, bien sûr, la crise a bon dos. Mais pendant ce temps, que faites-vous ?

En étudiant les chiffres, j’ai constaté que 580 000 destructions d’emplois marchands étaient intervenues en 2009, sans marge d’action puisque les outils de traitement conjoncturels sont déjà sollicités.

Vous pariez sur une normalisation progressive de l’activité économique pour 2010 ramenant ce chiffre à 190 000 destructions d’emplois. Une normalisation à 190 000, c’est ce que l’on appelle un oxymore !

Malgré ces chiffres, les dotations de la mission « Travail et emploi » pour 2010 sont en régression de 6, 2 %.

Le programme 102 « Accès et retour à l’emploi » subit une coupe de 2, 4 %.

Le programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi » est en diminution de 11, 8 %. C’est ce que l’on appelle une anticipation joyeuse et optimiste, sans doute.

La mission « Plan de relance » a déjà absorbé 170 millions d’euros en autorisations d’engagement et 142 millions d’euros en crédits de paiement.

L’AER n’est pas reconduite en 2010, alors que le Gouvernement s’était engagé, lors du sommet social de février dernier, à prolonger l’ouverture de ce dispositif.

De même, aucune nouvelle entrée n’est prévue pour l’allocation de fin de formation. L’« aide au poste » dans les entreprises d’insertion n’a pas été revalorisée depuis huit ans. Le resserrement est à l’œuvre dans le cadre des dispositifs censés permettre le relèvement du taux d’emploi des salariés de plus de cinquante ans, prévu par le Plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors 2006-2010. Attention, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, 2010, c’est demain !

Le nombre de journées de chômage partiel a atteint 4, 1 millions d’heures en 2008 et pas moins de 6, 9 millions d’heures en 2009. Pour ce qui est de la « glandouille » que Fadela Amara promettait d’éradiquer, je m’en tiendrai à la remarque suivante : en la matière, il conviendrait de donner l’exemple en nous occupant en priorité des habitants des zones urbaines sensibles, les ZUS, qui, pour 33 % d’entre eux, vivent en dessous du seuil de pauvreté, cette proportion atteignant plus de 44 % pour les moins de dix-huit ans, qui sont les premiers touchés par les inégalités de revenus.

Je vous mets au défi d’emmener une délégation expliquer à ces personnes que, si elles sont pauvres et sans emploi, c’est parce qu’elles « glandouillent » !

Je finirai par les dépenses fiscales.

À l’instar du duo comique qui sévit sur Internet en décernant les « Satanas d’or », je propose de décerner au Président de la République le titre d’« Homme qui valait trois milliards », puisque c’est le prix que coûtera le cadeau fiscal consenti à la restauration.

On s’abstiendra de rappeler que les effets d’aubaine escomptés n’ont pas vraiment profité à ceux qui auraient dû en bénéficier. On n’a pas réellement assisté à une explosion de l’embauche dans ce secteur.

Pendant ce temps, à l’instar du Président de la République, qui affectionne les diversions, au lieu de vous soucier réellement de mettre en œuvre les moyens que requiert une situation économique frappant de plein fouet les plus fragiles, vous aidez les banques à réitérer leurs exploits. Vous aidez les grands patrons – saluons au passage l’immense courage qu’il a fallu à M. Estrosi pour doubler le salaire d’un patron d’entreprise publique –, vous baissez la TVA dans la restauration. Enfin, j’en viens à la fameuse diversion, vous vous achetez une morale en menaçant de punir les méchants employeurs qui font travailler depuis des années les vilains sans-papiers dans les secteurs dits « en tension ».

Soit dit en passant, expliquez-nous comment résoudre cette contradiction qui voudrait que ces méchants employeurs assument le risque d’une garde à vue en fournissant aux sans-papiers les fiches de paie requises pour fonder une demande de régularisation ?

Pour nous faire oublier vos choix en matière de fiscalité, vous attirez notre attention sur des problèmes qu’il nous faudra certes résoudre, mais qui ne pèsent pas lourd comparés aux 30 milliards d'euros d’exonérations sociales et aux 11 milliards d'euros d’exonérations fiscales que coûtent vos cadeaux hasardeux, parmi lesquels on peut citer les exonérations sur les heures supplémentaires, contre-productives en termes de création d’emplois.

Si nous ne pouvons souscrire aux orientations de cette mission du projet de loi de finances, c’est simplement par pur bon sens, celui-là même qu’une promenade sur le terrain vous ferait recouvrer ! Mais il vous faudrait vous éloigner des sentiers battus par les équipes de communication, des castings de figurants dociles et des caméras complaisantes. Il vous faudrait aller là où la fameuse valeur travail dont vous nous avez rebattu les oreilles pendant vos campagnes s’est terriblement désagrégée, jusque dans les rangs de ceux qui ont cru dans vos promesses, là où le chômage n’est pas une variable d’ajustement macro-économique, là où plus de 100 demandeurs d’emploi par conseiller de Pôle Emploi n’est pas seulement une donnée moyenne qui n’atteint pas son objectif, mais une source de découragement pour tous !

Ce n’est que sous réserve de la prise en compte de quelques suggestions auxquelles vous restez sourds, comme le prolongement de six mois de la durée d’indemnisation des chômeurs à 80 % des salaires, l’extension des contrats de transition professionnelle à l’ensemble des bassins d’emploi avec une durée d’indemnisation de deux ans, ou l’augmentation des coûts des licenciements pour les entreprises qui reversent des dividendes ou rachètent leurs propres actions, que nous pourrions prendre au sérieux la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2010.

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