Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les avances ou les retards dans le déroulement des missions, les reports parfois, s’ils arrangent quelquefois certains ministres, n’aident pas les sénateurs à gérer leur agenda. Je suis donc amenée à remplacer mon collègue Martial Bourquin, qui regrette beaucoup de ne pouvoir être présent ce soir. Je tâcherai d’être fidèle à ses idées et à ses propos.
Le budget « politique des territoires » dont nous discutons aujourd’hui réserve un certain nombre de surprises et de contradictions majeures, tant sur la forme que sur le fond.
Monsieur le rapporteur, vous avez-vous-même reconnu que les chiffres de ce budget – 385 millions d’euros en autorisations d’engagement et 378 millions d’euros en crédits de paiement – ne reflètent pas la réalité des sommes consacrées à l’aménagement du territoire. Vous estimiez même que la somme totale de ces crédits serait plus proche de 5, 1 milliards en autorisations d’engagement et 4, 9 milliards en crédits de paiement, soit dix fois plus que le budget réel que nous sommes amenés à examiner.
Je suis sûre que vous reconnaîtrez avec moi que nous pourrions améliorer cette présentation.
Plus que jamais, nous avons besoin de lisibilité, de rigueur budgétaire et de lignes politiques claires. Or, comment peut-on évaluer correctement la cohérence et la sincérité d’une mission dont 90% des crédits figurent dans d’autres missions ? La tâche est très difficile.
Dans un premier temps, j’évoquerai les observations qu’appellent les actions qui sont financées dans le cadre strict des programmes. Je consacrerai la seconde partie de mon exposé à examiner plus largement la politique territoriale que nous appelons de nos vœux.
Ce projet de budget prévoit tout d’abord le financement des nouvelles générations de pôles d’excellence rurale alors que nous ne disposons pas d’une complète évaluation du dispositif précédent, sur lequel quelques critiques ont pourtant été formulées.
Les travaux de la commission de l’économie, au mois d’octobre, avaient pourtant permis de mettre en avant, notamment, le manque de lisibilité du montage financier. Plusieurs de nos collègues avaient également souligné que ces pôles d’excellence rurale gagneraient à financer, dans certains cas, des dépenses de fonctionnement et, surtout, d’ingénierie.
Monsieur le ministre, avez-vous l’intention de tirer des enseignements budgétaires des travaux du Sénat ?
Ce projet de budget prévoit également le passage prochain, le 30 novembre 2011, de l’analogique au numérique, sujet sur lequel nombre de mes collègues sont intervenus.
Nous avons très peu de lisibilité sur les financements du fonds destinés à lutter contre la fracture numérique. Il me paraît utile de nous y intéresser encore plus sérieusement désormais, afin de lisser les coûts et les temps d’intervention. Monsieur le ministre, pourriez-vous, là encore, nous éclairer sur un calendrier budgétaire et détailler l’abondement du fonds consacré à la réduction de la fracture numérique ?
J’en viens au second volet de mon intervention, relatif à la politique territoriale dans son ensemble.
J’ai évoqué dans la première partie de mon propos, la trop grande dispersion des crédits consacrés à la politique des territoires. Pour cerner la politique qui est engagée, nous devons aussi prendre en compte en miroir les effets de la totalité de la politique économique et sociale du Gouvernement en faveur des territoires. Combien de crédits en moins et dans quelle mesure feront-ils défaut à la solidarité territoriale ?
Nous avons le douloureux sentiment – partagé par de nombreux maires et élus – que nous remplissons tous ensemble, avec beaucoup d’énergie, un tonneau sans fond, comme les Danaïdes de la légende grecque.
Pour 380 millions d’euros consacrés aux territoires, combien d’euros d’apparentes économies déstructurent profondément nos espaces et vont à rebours des objectifs initiaux ? Car le Gouvernement n’a cessé, depuis deux ans, de prendre des mesures qui contribuent malheureusement plus à déménager les territoires qu’à en assurer la nécessaire cohésion.
Selon moi, nous ne défendons pas la même conception de la solidarité territoriale. Nous sommes attachés à préserver toutes les spécificités de l’espace français et nous n’acceptons pas qu’un territoire puisse être ou se sentir abandonné par l’État, déserté par des entreprises. Nous défendons une organisation de la France où nos concitoyens, libres et égaux, sont à même de trouver chez eux, dans la ville, le quartier ou le village de leur choix, tous les services qu’ils attendent, y compris les services publics.
Notre conception de la solidarité territoriale passe par le maintien physique de services publics, la préservation d’activités économiques, l’emploi et la péréquation territoriale. Elle implique donc des collectivités locales fortes, soutenues par l’État.
Or la solidarité territoriale telle que nous l’entendons est quelque peu malmenée. Nous avons parfois l’impression que vous entendez privilégier une France qui gagne – je salue tout ce qui a trait aux pôles d’excellence rurale ou aux pôles de compétitivité –, en passant sous silence des territoires qui peinent à survivre.
Trois exemples me viennent spontanément à l’esprit.
Premier exemple : les PER sont certes des vitrines d’excellence rurale mais, dans le même temps, combien de communes se battent au quotidien pour garantir les services nécessaires à leur population, pour préserver et financer la présence de leur bureau de poste ou de leur agence postale communale ?
Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que vous entendiez, à travers les assises de la ruralité, promouvoir un socle de services au public. Mais, dans ce contexte, que vont devenir les services publics proprement dits ? Je considère pour ma part que le combat pour des services publics correctement répartis sur l’ensemble des territoires, avec des moyens suffisants, est déterminant.
Deuxième exemple : comment ne pas interpréter la mise en œuvre aveugle de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, le regroupement à marche forcée d’administrations et la fin d’administrations structurantes pour les territoires comme des attaques en règle contre des territoires ?
Je pourrais citer d’autres exemples comme la construction désordonnée de grandes surfaces au détriment des cœurs de villes ou l’insuffisance de la lutte contre les déserts médicaux.
Un territoire ou, pour reprendre un vocabulaire à la mode, une identité locale ne peut se résumer à une ville-dortoir adossée à son centre commercial ou à un village dépeuplé.
Le troisième et dernier exemple, et non le moindre, tient aux effets pervers de la réforme de la taxe professionnelle. Bien sûr, cette taxe doit être réformée. Mes collègues de la commission des finances ont présenté un grand nombre de propositions afin de rendre cet impôt plus juste, moins pénalisant pour les investissements et d’accroître la péréquation. Mais ils n’ont pas été écoutés.
Comme mon collègue Bourquin, je suis élue d’une région où la crise automobile se fait durement sentir. Aux états généraux de l’automobile, il est ressorti que toute politique industrielle digne de ce nom passait nécessairement par la suppression de la taxe professionnelle.
C’est une idée reçue qu’il faut combattre. La réforme qui nous est proposée est en passe de mettre gravement en difficulté les territoires industriels, les bassins d’emploi.
Le nouveau scénario financier proposé par le Sénat substituera une dotation statique à une ressource dynamique essentielle, soit un manque à gagner crucial pour nos territoires.
À cela, il faut ajouter des dépenses nouvelles, bien évidemment non compensées. Vous obtiendrez ainsi tous les ingrédients d’une fragilisation supplémentaire des bassins d’emploi.
Ainsi, les activités industrielles du département du Doubs, dont M. Bourquin est le sénateur, qui sont déjà durement touchées par la crise se verront octroyer des recettes se réduisant comme peau de chagrin : c’est la double peine budgétaire !
Vous pourrez envoyer sur le terrain tous les commissaires à la réindustrialisation du monde. Je leur souhaite bien du courage lorsqu’il s’agira de convaincre des entreprises de reprendre des sites, alors que les collectivités, qui assurent 73% de l’investissement public, n’auront plus les moyens de les faire travailler et de leur fournir les infrastructures nécessaires à leur installation.
Il leur faudra déployer des trésors d’énergie pour convaincre des collectivités d’accueillir des industries parfois bruyantes ou polluantes.
Le manque de perspectives budgétaires au-delà de 2010 contraindra les collectivités à la prudence, à une gestion raisonnée pour assurer des recettes plus pérennes et réelles. Les collectivités, aux ressources fragiles, devront privilégier le logement à l’activité économique – mais pour combien de temps ? – et seront obligées de limiter leur offre de services, qui sont pourtant nécessaires à l’ensemble de la population.
La réforme de la taxe professionnelle ne contribuera pas, loin s’en faut, au développement harmonieux et équilibré de nos territoires. Cette situation nous désole.
Monsieur le ministre, vous ne serez donc pas étonné que nous ne votions pas les crédits de votre mission.