Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos concernera essentiellement la notion de péréquation, et plus encore l’application de cette notion.
La mission « Politique des territoires » s’inscrit dans une continuité avec la loi de finances initiale de 2009, que ce soit en termes d’organisation de ses deux programmes, par rapport à la nature des actions engagées ou au regard du niveau de ses crédits.
Cette mission, située au cœur de l’aménagement du territoire, représente une fraction de la politique menée dans un domaine par essence transversal.
Le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » est géré par la DATAR. Ses crédits doivent être employés au financement de dispositifs divers : contrats de projets État-régions, prime d’aménagement du territoire, plan d’accompagnement du redéploiement des armées, pôles de compétitivité et pôles d’excellence rurale.
Le 21 octobre dernier, le Sénat a débattu des PER. Ainsi une nouvelle génération de pôles est-elle envisagée. Mais les collectivités territoriales pourront-elles continuer à les financer ? Sans cette contrepartie locale, sans leur concours, l’application de cette nouvelle série de pôles s’avérera très compromise, sans oublier les faiblesses d’ingénierie de certains territoires qui ne peuvent participer à ces appels à projets, ou y participent avec beaucoup de difficulté.
Qu’entendons-nous par cohésion territoriale ?
Son principe est simple : sur un territoire donné, il ne faut pas qu’un élément soit oublié. La France ne doit pas être un archipel de pôles d’excellence qui s’organiseraient sur des espaces abandonnés. « En Limousin, on ne peut pas se contenter de dire : les villes de Brive et Limoges vont bien, tant pis pour l’est de la région. » Cette phrase est de Robert Savy, l’un des pères de la péréquation nationale et de la prise en compte de la cohésion territoriale comme priorité communautaire. À l’évidence, cette citation traduit une réalité transposable à toutes les régions de France.
Depuis l’adoption de la loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, la Constitution précise : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation, destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ».
Le rapport d’information sénatorial élaboré au printemps dernier au nom de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par notre collègue Claude Belot, mettait en avant la nécessité de « passer à l’acte » en la matière, d’améliorer la péréquation tant verticale – par un renforcement des dotations péréquatrices de l’État – qu’horizontale – avec une péréquation forte et mieux ciblée –, permettant non seulement d’éviter le creusement des inégalités, mais aussi de corriger les déséquilibres entre les territoires.
Nous connaissons tous l’ampleur de ces inégalités. Si l’on prend en compte l’ensemble des communes de métropole, le potentiel fiscal par habitant grimpe jusqu’à plus de 30 000 euros, alors que la moyenne est de l’ordre de 500 euros par habitant.
En ce qui concerne les départements, le potentiel fiscal par habitant s’échelonne de 232 euros pour le département de la Creuse à 991 euros pour celui des Hauts-de-Seine, la moyenne s’établissant à environ 400 euros par habitant.
Dans le cas des régions, le potentiel fiscal va de 67 euros en Corse à 111 euros pour la Haute-Normandie. Bref, les moyens de rendre le service public local sont très inégalement répartis ; les écarts à la moyenne sont considérables.
Les critères actuels de la péréquation nous paraissent totalement inadaptés. C’est à vos décisions visant à les modifier ou non que nous jugerons, monsieur le ministre, votre volonté de réduire des injustices territoriales dont l’aggravation nuit profondément à la cohésion nationale.
Par ailleurs, dans les territoires ruraux, le département était jusqu’à présent un acteur essentiel du développement et du soutien à la ruralité par son rôle de péréquation financière et sa connaissance fine du territoire. Le projet de réforme territoriale le fragilise considérablement en l’appauvrissant et en créant la confusion des responsabilités via l’instauration des futurs conseillers territoriaux.
Je rappelle ici que, devant l’augmentation constante de leurs dépenses sociales obligatoires et face au désengagement financier continu de l’État, les départements revendiquent le financement par la solidarité nationale des prestations sociales universelles – allocation personnalisée d’autonomie, revenu de solidarité active, prestation de compensation du handicap – qu’ils mettent en œuvre au nom de cette même solidarité nationale.
La lutte contre les inégalités des territoires est-elle au cœur de la politique du Gouvernement ?
Du fait de la réduction d’impôt au profit des entreprises – la fin de la taxe professionnelle –, les collectivités territoriales auront de grandes difficultés à poursuivre l’investissement pourtant nécessaire à l’équipement de la nation. Des dotations de compensation seront attribuées ; or, aujourd’hui, rien n’est envisagé pour garantir une péréquation plus efficace. L’État fige les inégalités financières et, dans le même temps, met en difficulté les collectivités, à commencer par les plus démunies.
Avec l’autonomie des collectivités et la compensation intégrale des transferts de charges, la péréquation doit constituer le troisième pilier de toute réforme de l’organisation territoriale de la République.
Demain, l’ensemble des ressources publiques disponibles sera sérieusement amoindri par la suppression de la TP. On appellera abusivement « péréquation » des mécanismes baroques dans lesquels ce ne sont pas les plus riches qui seront appelés à être solidaires. S’instaurera un véritable « bouclier territorial » dont bénéficieront les espaces qui sont déjà les plus prospères. Dans ces conditions, la péréquation deviendra mécaniquement une question annexe, voire l’expression dérisoire de la simple mauvaise conscience.
Renforcer l’attractivité économique et la compétitivité des territoires tout en veillant à assurer leur cohésion, tel est l’objectif assigné à la politique des territoires. Pour citer un article récent du rapporteur spécial François Marc, il faut « envisager de ventiler la péréquation sur la masse de la DGF et plus seulement sur son reliquat ».
La création d’un ministère de plein exercice dédié à l’espace rural et à l’aménagement du territoire doit évidemment être saluée. Les assises des territoires ruraux, au succès bien mitigé, ne seront utiles que si le Gouvernement consent à remettre les espaces fragiles au cœur des politiques publiques. Cependant, après les cartes judiciaire et militaire, la carte scolaire et la carte hospitalière sont aujourd’hui gravement menacées. La RGPP fait des ravages et traduit la recentralisation infrarégionale de nombreuses fonctions. Par ailleurs, l’avenir du monde agricole reste très aléatoire.
Ce n’est qu’à terme que nous mesurerons les incidences du grand emprunt national sur la ruralité. Ainsi, n’est-il pas urgent de créer effectivement un fonds national de solidarité numérique pour l’espace rural, à l’image de celui qui fut créé dans les années trente pour l’électrification ?
La décision de rendre à la DIACT son appellation de DATAR pourrait annoncer de grandes ambitions, de grands desseins pour les territoires. Or, la dynamisation de la ruralité et le maintien des services publics de proximité se trouvent fortement compromis par les décisions et projets abrupts du chef de l’État en matière de services déconcentrés, d’organisation territoriale, de « révision générale » des ressources des collectivités et du nombre d’élus. La proximité, chère à nos concitoyens, en sera profondément affectée.
Une reprise ambitieuse de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux…