Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir sera pour moi l’occasion d’insister sur une idée à la fois simple et essentielle, à savoir le lien fondamental qui unit l’agriculture et l’aménagement du territoire.
C’est à dessein que j’ai voulu m’exprimer sur ce thème dans la discussion des crédits de la politique des territoires plutôt que dans celle du budget de l’agriculture proprement dite.
Pour l’élu d’un département profondément rural, il est facile de constater l’évidente place centrale de l’agriculture dans l’aménagement du territoire. J’irai jusqu’à dire que le second ne se conçoit pas sans la première, dont il est foncièrement tributaire. De fait, agriculture et territoires ne font qu’un.
Presque partout, l’agriculture a imprimé une marque profonde dans l’espace français. Évident, me direz-vous. Pourtant, en avons-nous toujours bien conscience, habitués que nous sommes à trouver « normal », voire « naturel » de traverser sans encombres, lors de nos déplacements, des espaces naturels ouverts, accessibles, harmonieux, entretenus et accueillants ? Cela ne va cependant pas de soi !
L’agriculture façonne et entretient depuis toujours les territoires ruraux. Un document officiel de 2007 consacré à la révision générale des politiques publiques rappelle les sept grandes missions budgétaires assignées au ministère de l’agriculture. Trois d’entre elles mettent en évidence ce lien essentiel, presque organique, entre agriculture et territoires : « assurer la gestion durable des ressources et des territoires et l’adaptation des exploitations et des modes de production », « gérer et préserver la forêt », « coordonner l’évolution et le développement équilibré des territoires ruraux ».
Outre sa fonction de base, la production en quantités suffisantes de denrées alimentaires de qualité, et son rôle éminent dans l’entretien, l’aménagement et l’animation de l’espace, l’agriculture remplit également une fonction essentielle de régulation naturelle et biologique de nos territoires, autrement dit de notre espace vital.
Nos sociétés industrielles, vouées à la modernité technologique, sont marquées par un univers urbain dense et envahissant, souvent oppressant. Cependant, nos territoires agricoles et l’activité naturelle qui en découle remplissent des fonctions biologiques vitales : la fonction chlorophyllienne des végétaux, indispensable piège à gaz carbonique en première ligne dans la lutte contre le changement climatique ; la survie des écosystèmes ; enfin, l’inscription dans l’espace de limites physiques indispensables à une urbanisation galopante.
Une conclusion s’impose ici d’elle-même : une agriculture solide et de bon sens est un agent irremplaçable de vitalité et de qualité pour nos territoires.
Située par définition en amont des filières économiques qu’elle anime, une agriculture dynamique entraîne dans son sillage une multitude d’activités secondaires : transformation et conditionnement sur place des produits agricoles ainsi que leur expédition, qu’ils soient bruts ou transformés ; accueil des citadins en milieu rural, conception, structuration et offre de multiples activités de loisirs et de découverte ; formation et recherche scientifiques liées à l’agronomie.
Autrement dit, à travers l’ensemble de ses activités connexes, l’agriculture peut offrir à des campagnes souvent menacées de désertification des chances immenses de reconversion et de revitalisation – pour peu qu’une politique des territoires éclairée et audacieuse aide à tirer le meilleur parti de ces atouts.
Dans le même ordre d’idée, ceux des citadins, je les ai évoqués, qui sont séduits par l’idée d’aller vivre et travailler en milieu rural ne franchissent le pas que s’ils ont la certitude d’y avoir accès à des services et des infrastructures adéquats. Là encore, la politique des territoires porte une part de responsabilité dans le succès ou l’échec de ces démarches.
En inversant la perspective, on peut même considérer que cette omniprésence de l’agriculture dans la problématique des territoires a pour conséquence immédiate que, au cœur de toute politique des territoires judicieuse et digne de ce nom, il sera nécessaire de trouver une agriculture adaptée. Or, aujourd’hui, elle est en grand danger, et il y a urgence à la sauver.
Deux pistes peuvent être suggérées pour donner corps à cette idée, dont une ne dépend pas de votre ministère, bien entendu.
La première serait une sorte de serment d’Hippocrate agricole : « avant tout ne pas nuire », ce qui signifie en l’occurrence cesser de « pondre de la norme » dans tous les domaines, qu’il s’agisse de normes administratives ou de normes environnementales, qui pénalisent les budgets des agriculteurs.