Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la discussion du projet de loi de finances pour 2010. Ce texte, adopté en commission mixte paritaire, présente finalement assez peu de différences avec la rédaction initiale et traduit bien les intentions affichées par le Gouvernement.
Les deux principales mesures prévues dans la rédaction d’origine ont en effet été validées. D’une part, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une « contribution économique territoriale » consacrent le déclin de la participation des entreprises au financement des collectivités locales. Je précise que cette nouvelle contribution risque d’être aussi rapidement attaquée par le MEDEF que le fut la taxe professionnelle, dans la mesure où elle repose également sur la valeur ajoutée. D’autre part, la contribution carbone instaurée au motif de préserver l’environnement consiste en réalité à imposer aux ménages les plus modestes une nouvelle charge fiscale s’ajoutant aux nombreux droits indirects et taxes diverses qu’ils acquittent déjà à l’occasion de leur consommation quotidienne.
J’étudierai d’abord la question de la taxe professionnelle.
Cette réforme, appelons-la ainsi, a été voulue par le Président de la République. Comme nous l’avons déjà indiqué, elle permet aux sociétés de bénéficier d’un allégement d’impôts d’un montant de 11, 7 milliards d’euros en 2010, et d’un peu plus de 7 milliards d’euros à compter de 2011.
La situation des entreprises de notre pays ne s’en trouvera pas fondamentalement changée. En effet, 11, 7 milliards d’euros représentent moins d’un demi-point de produit intérieur brut marchand et à peine 3% des sommes qu’elles appellent chaque année auprès des banques. Nous a donc été présentée comme « réforme » une simple mesure de trésorerie qui ne permettra certainement pas de modifier durablement le comportement des entreprises à l’égard de la création d’emplois, de l’investissement ou du développement économique local. Mais nous le savons tous, puisque les allégements de la taxe professionnelle auxquels il fut procédé voilà quelques années – l’abattement de 16% des bases et la suppression de la part salaires – n’ont pas eu d’effets significatifs sur la vie économique. En revanche, la mesure augmentera le déficit de l’État de 11 milliards d’euros en 2010. Ce déficit est pourtant déjà particulièrement important puisqu’il s’élève à 117 milliards d’euros.
Par ailleurs, cette réforme prive les collectivités territoriales d’une ressource fiscale essentielle pour leurs politiques locales ainsi que pour leurs efforts d’investissement. Les entreprises avec lesquelles elles travaillent en pâtiront, en premier lieu dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Surtout, elle met à mal l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales, car elle place un certain nombre de départements ou de communes dans l’incapacité de répondre efficacement aux simples dépenses imposées par la loi.
Quant à la taxe carbone – devenue « contribution », puisque ce terme semble plus présentable que celui de « taxe » –, il s’agit bien, comme cela a été pointé au cours de la discussion, d’une TVA sociale repeinte en vert.
Qui, en effet, sera soumis à la contribution carbone ? D’abord, les ménages, pour leur consommation de chauffage et de carburant, c’est-à-dire pour deux aspects importants de la vie quotidienne de millions de familles dans notre pays. Ensuite, les collectivités locales, qui doivent chauffer les équipements tels que les piscines, les gymnases ou les écoles, ou simplement procéder à l’entretien des voies publiques.
En revanche, les entreprises échapperont au paiement de la contribution carbone au motif qu’elles sont pour la plupart redevables d’une taxe sur les quotas d’émission de dioxyde de carbone – dont elles sont pourtant exonérées jusqu’en 2013 ! Il est vrai toutefois que quelques efforts ont été accomplis pour que la contribution carbone ne grève pas trop le résultat comptable des entreprises agricoles, des marins-pêcheurs ou des transporteurs routiers.
En vérité, ce sont les ménages, qui sont pourtant loin d’être les premiers producteurs de gaz à effet de serre, qui régleront la plus grande partie de la nouvelle contribution.
Par ailleurs, si cette fiscalité, dite « écologique », est censée faire œuvre de pédagogie et encourager les changements de comportement, ses effets en ce domaine seront rapidement limités par la prise en compte des intérêts particuliers et par la volonté présidentielle de réduire coûte que coûte toute imposition, de quelque nature qu’elle soit, due par les entreprises.
Dans la France que nous propose le Président de la République, ce sont les plus modestes et les familles qui paient, au seul motif qu’ils sont les plus nombreux.
Dans cette France, ceux qui disposent des moyens financiers les plus importants ou des plus gros patrimoines, ou qui dirigent les entreprises les plus profitables, bénéficient de la mansuétude du Gouvernement. S’il fallait s’en convaincre, il suffirait de jeter un œil sur les quelques mesures ajoutées au texte du projet de loi initial lors de la discussion parlementaire !
Ainsi, il s’est trouvé une majorité de sénateurs pour voter l’assouplissement du régime des donations en numéraire pour les ménages les plus fortunés – désormais, permettez-moi de le rappeler, le montant non imposable des donations s’élève à 31 272 euros – et, dans le même temps, entériner la fiscalisation des indemnités journalières versées en cas d’accident du travail. D’un côté, un nouveau cadeau fiscal pour les fortunés, de l’autre, une nouvelle pilule amère pour les moins favorisés !
Ces quelques mesures pourraient évidemment suffire à justifier notre refus de voter le texte du projet de loi de finances pour 2010 élaboré par la commission mixte paritaire. Mais, au-delà, cette loi de finances consacre également la suppression de 36 000 emplois de fonctionnaires. Les choix sont clairs : il s’agit de réduire les services publics. Ainsi, nous avons pu constater hier que, à vos yeux, la prévention de la délinquance passe par le développement de la vidéo-surveillance et la réduction de la présence humaine au plus près des territoires, alors qu’il faudrait mobiliser toutes les forces éducatives. Cette réduction des moyens est durement ressentie sur le terrain, et la disparition de 16 000 emplois dans l’éducation nationale, au moment même où vous voulez créer des jardins d’éveil, traduit bien des choix de société que nous ne pouvons partager.
Remettre en cause l’intervention publique et l’accès du plus grand nombre, sur l’ensemble du territoire, aux services publics, c’est construire une France à deux vitesses.
Vous l’avez affirmé, la crise a été moins sensible en France qu’ailleurs en Europe. Pour autant, vous faites tout pour démanteler ce qui a permis ce résultat et conduit à ce constat : l’amortissement de la crise est dû non pas au plan de relance, mais, vous le savez bien, au modèle social issu de la Libération !
Le solde budgétaire global indique que, après avoir atteint 141 milliards d’euros en 2009, le déficit devrait normalement s’élever à 117 milliards d’euros en 2010. La rupture que nous avait annoncée le Président de la République, ce sont donc l’accroissement des inégalités sociales et l’explosion des déficits publics !
Nous estimons que la France doit renouer avec les principes fondateurs de notre République. La Constitution énonce très clairement que chacun doit contribuer à la charge publique selon ses capacités. Il convient donc de mener une profonde réforme fiscale, reposant sur le principe de l’égalité devant l’impôt. Cela suppose une véritable progressivité de l’impôt sur le revenu et la fin des privilèges et des systèmes dérogatoires ainsi que des cadeaux sans justification ni efficacité économiques. Tout cela est à réaliser au plus tôt, pour le bien même de notre pays. Les sénateurs du groupe CRC-SPG, à l’occasion de la discussion du projet de budget pour 2010, ont esquissé de nouvelles pistes pour définir cette nécessaire réforme fiscale.
À l’avenir, l’impôt devra être pensé comme un outil d’incitation et de développement économique. Ainsi, au lieu d’alléger, pour mieux la détruire, la contribution des entreprises à la vie locale, il aurait été plus efficace de réfléchir à son rééquilibrage. Le secteur bancaire, celui des assurances ou de la grande distribution, faiblement contributeurs comparés au secteur industriel, auraient également pu être sollicités. Taxer leurs actifs financiers, même modestement, aurait été un moyen d’exprimer notre refus de l’utilisation destructrice qu’ils font de la richesse financière, utilisation que la crise a mise au jour. Cela aurait également permis d’alléger le poids de la réforme sur le budget général de l’État et de rendre possible une véritable péréquation, alors qu’il n’y en a pas trace dans le projet de loi de finances.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne voterons pas le texte du projet de loi de finances pour 2010 tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire.