Depuis la promulgation de la loi, en août dernier, quatre grèves d’importance ont eu lieu, soit autant d’occasions d’évaluer l’application de la loi. Chacun le reconnaît, les communes ont parfois connu des difficultés lorsqu’il leur a fallu proposer le service d’accueil, et j’y reviendrai. Mais il faut également le préciser d’emblée, chacune de ces journées de grève a été l’occasion de constater que les familles utilisaient bel et bien ce service.
Bien sûr, madame Escoffier, toutes les familles, loin de là, n’ont pas eu besoin d’y recourir. Mais, le 29 janvier dernier, ce sont tout de même près de 450 000 enfants qui ont été accueillis dans 18 000 communes et, le 19 mars, ce sont 80 % des grandes villes qui ont mis ce service en place. Il devient donc difficile de le nier, le service d’accueil répond bien à un besoin social et offre, en cas de grève dans l’éducation nationale, une sécurité aux familles : elles savent qu’elles pourront alors toujours compter sur ce service sans avoir à se « débrouiller » tant bien que mal et dans l’urgence.
Il reste, je viens de le souligner, que l’organisation du service n’est pas une tâche aisée et que, dans certaines communes, elle a pu sembler une gageure. C’est ce constat qui conduit aujourd’hui la majorité de nos collègues du groupe RDSE, par la voix de son président, Yvon Collin, à nous inviter à réexaminer son fonctionnement à la lumière des premiers tests « grandeur nature » du service d’accueil qui se sont déroulés depuis l’adoption de la loi.
Nos collègues nous proposent en particulier de remettre sur le métier une question délicate, qui était déjà au cœur de nos réflexions au cours de l’examen du projet de loi, celle de la répartition des compétences entre l’État et les communes.
Cette question mérite d’être examinée avec soin. En effet, si nous avons choisi de créer un dispositif unique en son genre, en partageant la compétence d’accueil entre les communes et l’État, c’est que nous étions convaincus que ce dernier n’était pas capable, lorsque la grève était massive, d’organiser le service lui-même. Dans l’intérêt des familles, qui s’avère particulièrement aigu dans cette hypothèse, il revenait aux communes de prendre en charge son organisation.
Cela étant, si les communes ne parviennent pas à organiser le service elles-mêmes, alors la logique du dispositif prévu par la loi ne tient plus : il faudrait donc prendre acte de l’impossibilité d’offrir le service dans une partie des communes, voire dans toutes. De fait, le service d’accueil disparaîtrait, car les raisons qui nous ont conduits à estimer l’État incapable d’organiser le service d’accueil en cas de grève massive sont toujours valables.
Ainsi, le fait de consacrer, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de loi, la compétence de l’État pour l’organisation du service d’accueil dans les communes de moins de 2 000 habitants, c'est-à-dire dans 75 % des communes françaises, reviendrait donc, en réalité, à ne plus proposer le service dans ces communes.
De plus, chacun le sait, cela fragiliserait définitivement le service d’accueil, en ouvrant la voie à sa suppression pour toutes les catégories de communes, qui, à des degrés divers, ont toutes dû surmonter des obstacles pour le mettre en œuvre.
Oui, madame Escoffier, c’est indiscutable, l’organisation du service est une lourde charge pour les communes, notamment pour les plus petites d’entre elles. Nous en avons eu conscience dès l’examen du projet de loi, et c’est pourquoi le Sénat l’a largement amendé, bien souvent, d’ailleurs, sur l’initiative de la commission des affaires culturelles, afin de donner aux communes les moyens d’exercer cette compétence dans les meilleures conditions. Je n’y reviendrai pas, car la question qui nous est désormais posée est de savoir si, malgré ces améliorations, le texte s’est révélé impossible à appliquer dans les plus petites communes.
Vous venez de nous affirmer voilà quelques instants, en reprenant un extrait de son discours, que le Président de la République avait lui-même clairement donné sens et poids à la proposition de loi que vous nous présentez. Permettez-moi d’élargir cet extrait, afin de retranscrire plus fidèlement la réalité des propos présidentiels. Certes, le Président de la République a commencé par déclarer : « C’est vrai qu’on ne peut pas demander la même obligation de service à un maire d’une commune rurale qui n’a même pas dans ses collaborateurs un employé ayant le BAFA et [à un maire] d’une grande ville d’un ou deux millions d’habitants. Je le comprends parfaitement et l’on doit pouvoir trouver un accord ». Mais il a aussitôt poursuivi en estimant qu’un tel accord était susceptible d’être trouvé « y compris sur […] les référés qui ont été faits pour sanctionner tel ou tel maire ».
Aux yeux du Président de la République, il n’est pas normal que les maires des petites communes n’ayant pas réussi à mettre en place le service d’accueil aient été traduits en justice. Tel était donc principalement l’objet de son intervention.
Monsieur le ministre, nous le savons, vous avez engagé une concertation approfondie avec l'ensemble des représentants des maires. Celle-ci a permis d’identifier les principales difficultés des communes, notamment des plus petites d’entre elles, et doit permettre d’y apporter, cette fois-ci, une première série de réponses.
Ce sont ces mêmes difficultés que visent nos collègues du groupe RDSE ; elles méritent donc que l’on s’y arrête.
Le premier de ces obstacles tient au délai-limite fixé par la loi pour la transmission des déclarations de grève : en effet, ce n’est qu’à quarante-huit heures du conflit que le maire sait s’il doit mettre en œuvre le service et dans quelles proportions.
À ce sujet, il faut tout d’abord rappeler, mes chers collègues, que les grèves sont rarement inopinées : la date de la mobilisation est souvent connue longtemps à l’avance et nous avons eu quelques exemples récents de mouvements annoncés plus d’un mois à l’avance. Autrement dit, rares sont les cas où les maires ne savent pas, plusieurs semaines en amont, qu’une grève d’importance aura lieu dans l’éducation nationale.
Il n’en reste pas moins, il est vrai, que savoir par avance qu’il y aura un conflit ne permet pas de connaître son ampleur exacte et donc d’évaluer en amont le nombre d’enfants concernés.
C’est la raison pour laquelle le ministère de l’éducation nationale s’est désormais engagé auprès des associations de maires à demander aux inspecteurs d’académie de transmettre en temps réel l’évolution du nombre de grévistes déclarés. Ainsi, avant le délai fatidique des quarante-huit heures, les maires pourront commencer à mesurer l’ampleur de la mobilisation. Il s’est également engagé à demander aux directeurs d’école de questionner les familles, quelques jours avant le mouvement, afin de savoir si elles entendent ou non bénéficier du service. Ces mesures permettront donc aux maires de disposer en amont des premières informations nécessaires pour s’organiser : ils pourront dès lors surmonter plus aisément l’obstacle des délais.
Plus épineuse est la question des personnels nécessaires pour la mise en œuvre du service car, si les grandes villes disposent par la force des choses d’un bassin de population, et donc d’un vivier de compétences, il peut être plus difficile pour les communes rurales de trouver le personnel nécessaire.
Dès l’examen du projet de loi, ce sujet a été au centre de nos débats. Là encore, à l’initiative de votre commission, il a été prévu que chaque commune devrait recenser ceux qui, parmi ses habitants ou parmi ceux des communes voisines, pourraient assurer le service. En effet, à nos yeux, la difficulté principale n’était pas de trouver les personnes compétentes, mais de s’y prendre suffisamment en amont pour avoir le temps de les trouver.
Le principe de la constitution d’un « vivier » a été inscrit dans la loi et l’expérience montre que partout où il a pu être constitué, le service fonctionne bien. Il reste, et ce point ne fait pas débat, qu’il est plus ou moins facile, selon le contexte local, de constituer ce « vivier ».
C’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale s’est récemment engagé à aider les communes à trouver ces personnels.
Cela devrait permettre de lever l’essentiel des difficultés. Un point doit néanmoins encore être souligné : la loi ne fixe aucune norme de qualification pour les personnels et ne détermine aucun taux d’encadrement minimal. Il ne s’agit pas là d’un oubli ou d’une malfaçon, mais d’un choix volontaire, qui recevait au moment de l’examen du texte l’assentiment de la plupart des associations de maires.
Celles-ci craignaient en effet – à raison, me semble-t-il ! – que la fixation de normes contraignantes ne soit un obstacle pour les communes, et notamment pour les plus petites d’entre elles. Or de telles contraintes ne se justifient pas lorsqu’il s’agit d’un service mis en œuvre trois à quatre fois par an, et qui propose un accueil et non des enseignements.
Au demeurant, la pratique ne nous a pas démentis : à ma connaissance, il est arrivé qu’il y ait trop d’adultes, mais il me semble que très rares ont été les cas, si jamais il y en eut, où les adultes ont été trop peu nombreux pour accueillir dans de bonnes conditions les enfants.
Là encore, les difficultés me paraissent donc en voie d’atténuation, sinon de résolution. Mais elles disparaîtront d’autant plus vite que les services de l’État joueront totalement le jeu et se mobiliseront pour accompagner les communes dans la préparation du service.
Bien souvent, les maires ont ainsi manqué d’interlocuteurs capables de répondre à leurs questions, que ce soit sur le statut ou le nombre des personnels mobilisés, sur leur paiement ou sur les éventuelles conditions de qualification qu’il leur faudrait respecter. Je ne fais là que relayer ce que des maires bien informés m’ont rapporté.
Des mesures ont donc été prises ; deux instructions successives ont été envoyées aux inspecteurs d’académie, et les préfets et sous-préfets ont été également été alertés par les ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur. Il est désormais clair pour tous que les services déconcentrés de l’État doivent prendre les devants et accompagner les maires.
Les résultats s’en font sentir : jour de grève après jour de grève, la bonne application de la loi progresse. Nous en sommes désormais arrivés à plus de 80 % de communes proposant le service. Dans l’académie de Strasbourg, le taux d’application de la loi lors de la grève de jeudi dernier était même de 95 %.
Au-delà des apparences qu’ont entretenues, parfois sciemment, quelques communes particulièrement visibles, la mise en œuvre du service d’accueil semble donc bien s’être améliorée depuis les premières grèves de l’automne dernier. Certes, des difficultés demeurent. Nous ne le nions pas, mais elles sont désormais bien repérées, et la réunion à votre invitation, monsieur le ministre, du comité de suivi de l’application de la loi a permis d’y apporter une première série de réponses.
De fait, le nombre de communes n’organisant pas le service d’accueil ne cesse de diminuer : le 29 janvier, elles étaient près de 1 900 à ne pas proposer le service ; le 19 mars, elles n’étaient plus que 1 400.
Plutôt que d’abroger partiellement une loi qui s’applique de mieux en mieux et d’ouvrir ainsi la voie à la suppression progressive du service, mieux vaut donc, me semble-t-il, continuer à faire preuve de pragmatisme, en aidant les communes à la mettre en œuvre et en répondant point par point à chacune des difficultés qu’elles rencontrent.
Il ne s’agit pas, mes chers collègues, de faire état, les uns et les autres, de notre connaissance du milieu enseignant. J’ai moi-même été enseignant pendant de très longues années et j’ai exercé des responsabilités dans des établissements scolaires. Cela ne m’a pas empêché de rester pragmatique et d’apporter des solutions pouvant trouver, sur le terrain, l’écho le plus favorable possible.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, la commission des affaires culturelles souhaite que vous poursuiviez la concertation qui est désormais bien engagée, afin de permettre aux communes de mettre en œuvre dans de bonnes conditions ce service tant apprécié par les familles.
C’est également pourquoi, mes chers collègues, la commission ne peut pas être favorable à l’adoption de cette proposition, bien qu’elle soit sensible à la voix que ce texte fait entendre, celle des maires des petites communes qui ont besoin d’être accompagnés par l’État pour exercer cette nouvelle compétence.