Intervention de Patrice Gélard

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Adoption d'un projet de loi

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui a pour objet de rendre applicable dans notre droit pénal la convention de Rome instituant la Cour pénale internationale.

Deux remarques préliminaires s’imposent.

Tout d’abord, ce projet de loi n’est pas une transposition mot à mot, que justifierait, par exemple, la mise en œuvre d’une directive communautaire en droit interne. Nous avons affaire à un traité, rédigé dans une langue que j’appellerais « franglais ». Un certain nombre de dispositions sont impossibles à transposer dans notre droit interne ; par exemple, la convention de Rome ne tient pas compte de la distinction entre la loi et le règlement prévue par la Constitution française. Il a bien fallu adapter le projet de loi.

Ensuite, l’adaptation se fera au plus près du texte de la convention. Nos amendements visent à accentuer ce rapprochement.

La commission a souhaité rapprocher encore davantage la définition de certains crimes de guerre introduits dans le code pénal des termes de la convention de Rome.

Elle a ainsi adopté quatre amendements à l’article 7 du projet de loi : le premier incrimine le pillage même si celui-ci n’est pas commis en bande ; le deuxième interdit l’enrôlement forcé de toutes les personnes protégées, et pas seulement de celles qui appartiennent à la partie adverse ; le troisième autorise la mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique civil dans le cas où ce dernier aurait délibérément négligé de tenir compte d’informations indiquant clairement que le subordonné allait commettre un crime de guerre ; le quatrième encadre les conditions dans lesquelles l’auteur d’un crime de guerre pourrait être exonéré de responsabilité pénale en cas de légitime défense.

La commission a souhaité également aller au-delà des exigences de la convention de Rome, en portant de quinze à dix-huit ans l’âge à partir duquel il peut être procédé à la conscription ou à l’enrôlement dans les forces armées, disposition faisant d’ailleurs l’objet d’un sous-amendement de M. Portelli, que nous examinerons tout à l’heure lors de la discussion des articles.

Enfin, la commission a aligné le régime des interdictions applicables aux auteurs de crime contre l’humanité sur celui, plus sévère, prévu par le projet de loi pour les crimes de guerre.

Par ailleurs, la commission a estimé que, si la convention de Rome prévoyait l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, il était souhaitable de réserver, en droit français, ce principe aux seuls crimes contre l’humanité, l’allongement des délais de prescription pour les crimes de guerre, prévu par le projet de loi, constituant déjà une avancée significative.

Elle a également longuement débattu de la reconnaissance d’une compétence universelle aux juridictions françaises, afin de leur donner la possibilité de poursuivre et juger les auteurs d’un crime visé par la convention de Rome, même si les faits se sont déroulés en dehors du territoire de la République et si l’auteur et la victime sont étrangers.

Permettez-moi de développer ce point : il s’agit en réalité d’une compétence non pas universelle, mais extraterritoriale.

Chacun le sait, le droit pénal français reconnaît la compétence universelle des juridictions françaises lorsque l’infraction a été commise sur le territoire de la République, ou lorsque l’auteur ou la victime ont la nationalité française.

La compétence extraterritoriale repose sur l’idée selon laquelle l’auteur d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité peut être arrêté et poursuivi lorsqu’il se trouve sur le territoire national.

À cet égard, je ferai quelques observations.

Premièrement, plusieurs États européens ont certes adopté le principe de la compétence extraterritoriale, mais ils l’ont assortie de conditions telles qu’elle devient quasiment inapplicable. Le seul pays qui avait reconnu à ses tribunaux une compétence universelle – la Belgique – a dû faire machine arrière devant les conséquences innombrables de cette disposition.

Deuxièmement, l’extraterritorialité ne peut jouer que pour le ressortissant d’un État partie à la convention lorsque cet État refuse ou n’a pas mis en jeu la responsabilité du criminel, ce qui exclut beaucoup de monde ! En effet, en dehors des quelque cent trente États ayant signé la convention, les autres échappent totalement à l’application de cette extraterritorialité. Ainsi, un criminel de guerre ressortissant d’un pays non signataire ne pourra pas être poursuivi.

Troisièmement, se pose le problème de savoir comment mettre en place la poursuite de l’auteur d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre – ce point fait l’objet d’un amendement de la commission –, mais aussi de déterminer les cas où il est possible d’arrêter un tel criminel.

Certes, allez-vous me dire, la compétence extraterritoriale des juridictions françaises a déjà été progressivement mise en place par le droit pénal français pour une dizaine de catégories d’infractions, parmi lesquelles les actes de torture, ainsi que, notamment, les actes de piratage aérien, de piratage maritime, le blanchiment d’argent.

Cependant, la différence essentielle réside dans le fait qu’il n’existe pas de juridiction internationale dans ces cas-là, contrairement aux crimes contre l’humanité et crimes de guerre où intervient une juridiction internationale.

L’amendement que j’avais proposé à cet égard a fait l’objet d’un sous-amendement de M. Badinter auquel la commission a donné un avis favorable – malgré mon désaccord.

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