Intervention de Christian Cointat

Réunion du 12 mai 2011 à 9h30
Collectivités régies par l'article 73 de la constitution et collectivités de guyane et de martinique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Christian CointatChristian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de Mayotte, devenu département et première collectivité unique de l’article 73 de la Constitution depuis le 31 mars 2011, la Guyane et la Martinique vont également accéder au statut de collectivité unique, c’est-à-dire de collectivité exerçant à la fois les compétences d’un département d’outre-mer et d’une région d’outre-mer.

Il faut souligner qu’un tel statut ne remet nullement en cause le sens et l’esprit de la départementalisation, lesquels résident avant tout dans l’application du droit commun de la République.

Pour donner suite au vote des électeurs de Guyane et de Martinique, en janvier 2010, rejetant le passage du statut de département à celui de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, mais approuvant la création d’une collectivité unique relevant de l’article 73, le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat le projet de loi organique et le projet de loi statutaire que nous examinons aujourd’hui.

Dans la perspective de l’examen de ces deux projets de loi, qui étaient annoncés, la commission des lois a envoyé sur place, en février dernier, une mission d’information, composée de M. Bernard Frimat et de votre rapporteur ; cette mission s’est prolongée en Guadeloupe.

Lors de ses déplacements, la mission d’information a tenu à rencontrer aussi largement que possible les élus de ces collectivités et à les écouter attentivement. Elle a ainsi pu constater que, pour la plupart de ses interlocuteurs, si la création en Guyane et en Martinique d’une collectivité unique apparaissait comme une opportunité permettant de rationaliser et de rendre plus efficace l’action publique locale, cette collectivité serait seulement un instrument institutionnel plus performant au service du développement économique, social et culturel de la Guyane et de la Martinique, et en aucun cas une solution miracle.

Pour éviter tout risque de malentendus, voire de déceptions, il me paraît utile de souligner dans cet hémicycle que la collectivité unique n’est pas non plus un nouveau « statut », apparenté d’une manière ou d’une autre à l’article 74 de la Constitution.

De même, il n’existe pas au sein de l’article 73 d’alinéas susceptibles de transformer celui-ci en un article « 73 + » qui offrirait indirectement des perspectives semblables, voire supérieures à celles de l’article 74 et qui pourrait implicitement contourner le vote des électeurs, lesquels ont clairement rejeté le 10 janvier 2010 le statut de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74.

Ainsi, aucun transfert nouveau de compétences de l’État vers ces collectivités n’est ni ne peut être organisé par le projet de loi dès lors que l’on demeure dans le droit commun, autrement dit dans le cadre de l’article 73 de la Constitution. Il me semblait nécessaire de faire ce rappel.

Je ne m’attarderai pas sur la présentation des deux projets de loi organique et ordinaire, car elle a déjà été faite par Mme la ministre. Je me limiterai à quelques observations avant d’aborder les modifications que propose la commission des lois, en commençant par le projet de loi ordinaire.

Le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique fait le choix de créer dans le code une septième partie intitulée « Autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ».

La commission regrette le fait que cette partie prenne place après la partie portant sur les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74, alors qu’elle devrait trouver sa place immédiatement après les dispositions relatives aux départements et régions d’outre-mer, par cohérence avec l’article 73.

Force est cependant de reconnaître que seule une réécriture complète du code permettrait de redonner sa place à la logique, ce qui paraissait difficilement concevable dans ce texte.

En outre, le projet de loi se limite à rédiger une partie des dispositions institutionnelles propres aux deux nouvelles collectivités, renvoyant pour le reste aux dispositions applicables aux régions, ainsi qu’à celles qui sont applicables aux départements et aux régions en matière de compétences.

Alors que l’on institue de nouvelles collectivités à statut particulier, on ne garantit pas de cette manière la lisibilité des dispositions qui s’appliqueront à elles, car il s’agit de dispositions qui s’appliqueront aux deux collectivités de Guyane et de Martinique.

Ce choix de codification crée un phénomène de dispersion et de manque de cohérence, alors même que le principe de la codification est de renforcer l’intelligibilité de la législation et de faciliter l’accès au droit.

C'est la raison pour laquelle la commission, à chaque fois qu’il s’agissait de dispositions de droit commun, a laissé les renvois à d’autres dispositions dans le texte, justement dans la perspective d’une évolution législative à venir, alors que, lorsqu’il s’agissait de dispositions explicitement et exclusivement limitées à la Guyane et à la Martinique, elle a procédé à leur réécriture pour les rendre plus intelligibles.

Nous avons donc bien songé, madame la ministre, à l’évolution législative ou réglementaire qui pourra intervenir par la suite.

En ce qui concerne la Guyane, le projet de loi conserve à la nouvelle collectivité un schéma institutionnel de type régional.

Ainsi, l’Assemblée de Guyane, assemblée délibérante de 51 membres, est dotée d’un président, organe exécutif de la collectivité, et d’une commission permanente.

Pour la Martinique, le projet de loi a retenu un schéma institutionnel original, différent de celui de la Guyane : il comporte l’Assemblée de Martinique, également composée de cinquante et un membres, et un conseil exécutif distinct élu en son sein. Les membres de ce conseil perdent leur mandat à l’Assemblée. Ce dispositif s’inspire très nettement de celui qui a été conçu en 1991 pour la collectivité territoriale de Corse.

La commission a pu constater, sur rapport de sa mission d’information, que ces formules différentes correspondaient aux souhaits exprimés, non pas unanimement, certes, mais en tout cas majoritairement, par les élus locaux. Elle s’y est donc ralliée.

En revanche, la date de la mise en place de la collectivité unique, en Guyane comme en Martinique, n’a pas pu faire l’objet d’un consensus sur place ou, du moins, d’un large accord. Elle est sans doute la question la plus controversée.

Certains plaident pour une mise en place rapide, dès 2012. D’autres préfèrent une mise en place en 2014, lors de l’élection des conseillers territoriaux, les uns et les autres défendant leur point de vue avec passion.

Le projet de loi fait le choix de l’approche rapide avec une première élection de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique à une date fixée par décret au plus tard le 31 décembre 2012.

Le choix de 2012 peut susciter cependant deux interrogations d’ordre constitutionnel : d’une part, il s’écarte du calendrier électoral de droit commun pour des collectivités relevant justement de l’article 73 de la Constitution ; d’autre part, il a pour effet d’abréger de manière drastique des mandats en cours, dont certains viennent tout juste de commencer.

Le projet de loi prévoit dans son article 9 des pouvoirs de substitution du préfet afin de garantir dans toutes les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution – à savoir la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et la Réunion mais aussi leurs communes – la continuité de l’action qui relève de leurs compétences.

Le projet de loi institue ainsi un dispositif permettant au représentant de l’État d’arrêter en lieu et place de la collectivité concernée, et à ses frais, toute disposition appelée par l’urgence lorsque cette collectivité néglige de prendre ou de faire prendre par un de ses établissements publics les mesures nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement et au respect des engagements européens et internationaux de la France.

Mes chers collègues, votre rapporteur a pu constater, lors de la mission d’information, le rejet quasi unanime, les exceptions étant très rares, dont faisait l’objet ce dispositif limité aux seules collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et qualifié de « retour du gouverneur ».

Force est d’admettre que ce dispositif, s’il était adopté, n’aurait pas d’équivalent dans les communes, départements et régions de la métropole, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations dès lors que l’on affirme que c’est bien le droit commun de la République qui s’applique dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l’article 73 de la Constitution ouvre aux départements et régions d’outre-mer deux formes d’habilitation : d’une part, ces collectivités peuvent être habilitées à adapter les lois et règlements sur leur territoire et dans leurs domaines de compétences ; d’autre part, elles peuvent être habilitées à fixer dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement les règles applicables sur leur territoire.

Le projet de loi organique, quant à lui, a pour objet de faciliter l’usage de ces dispositions constitutionnelles peu utilisées jusqu’à présent.

En prolongeant la durée de l’habilitation jusqu’au terme du mandat de l’assemblée qui en fait la demande, il répond en partie, mais pas entièrement, aux critiques émises à l’égard du régime actuel des habilitations, ainsi qu’a pu le constater sur place la mission d’information de la commission des lois. En effet, il ne touche pas à la question du contrôle d’opportunité exercé par le Gouvernement et ne permet pas le chevauchement d’une habilitation sur deux mandats successifs.

J’en viens maintenant aux modifications proposées par la commission des lois, en commençant à nouveau par le projet de loi ordinaire.

En premier lieu, la commission a souhaité revoir les appellations et dénominations retenues. En effet, les termes de « collectivité de Guyane » et de « collectivité de Martinique » s’apparentent à une collectivité d’outre-mer, catégorie régie par l’article 74 de la Constitution. Cette dénomination est ainsi ambiguë. Faute de mieux, la commission a retenu la dénomination générique de « collectivité territoriale », comme cela a été fait pour la Corse en 1991.

La commission a également souhaité modifier la dénomination des élus des assemblées délibérantes : « conseiller à l’Assemblée » plutôt que « membre de l’Assemblée », à l’instar encore une fois de ce qui a été fait en Corse.

De même, le conseil exécutif de Martinique devrait être composé, outre son président, non de membres mais de conseillers exécutifs, comme en Corse.

Alors que le projet de loi met en place deux nouvelles collectivités, qui ne sont pas des régions mais qui remplacent à la fois le département et la région, la commission a considéré qu’il était à tout le moins nécessaire que les dispositions qui fixent leur organisation institutionnelle comme le mode d’élection de leur assemblée délibérante soient intégralement rédigées, dans un souci de clarté et de lisibilité de la loi. C’est un point sur lequel je me suis déjà expliqué mais dont nous reparlerons, le cas échéant, lors de l’examen des articles, étant entendu qu’il n’est bien sûr pas question d’empêcher une évolution du droit.

En revanche, en ce qui concerne les prérogatives, le renvoi aux dispositions applicables aux régions et aux départements se justifie davantage, dès lors que ce sont les compétences de droit commun.

Le projet de loi permet, en Martinique, de renverser le conseil exécutif et de lui en substituer un nouveau par le vote d’une motion de défiance constructive, ce qui n’est pas le cas en Guyane où l’organisation est semblable à celle des conseils généraux et régionaux.

Toutefois, les seuils prévus pour le dépôt puis l’adoption de la motion rendent ce mécanisme difficilement praticable.

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