Séance en hémicycle du 12 mai 2011 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du comité de suivi du niveau et de l’évolution des taux d’intérêt des prêts aux particuliers.

La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Philippe Dominati pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

J’informe le Sénat que, pour la séance de questions orales du mardi 14 juin 2011, la question n° 1329 de M. Ronan Kerdraon est remplacée par la question n° 1336 du même auteur et que, pour la séance de questions orales du mardi 21 juin 2011, la question n° 1276 de M. René- Pierre Signé est remplacée par la question n° 1337 du même auteur.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

L’ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution (projet n° 264, texte de la commission n° 468, rapport n° 467) et du projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique (projet n° 265, texte de la commission n° 469, rapport n° 467).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être au cœur de nos échanges aujourd’hui, c’est bien la conception même de l’avenir de nos départements et régions d’outre-mer dans la République, c’est bien ce lien nouveau que le chef de l’État n’a cessé de promouvoir depuis quatre ans entre la métropole et ses outre-mer.

Le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique traduit en effet une évolution institutionnelle majeure. C’est surtout une évolution souhaitée par les électeurs guyanais et martiniquais, qui se sont prononcés une première fois pour rester dans le droit commun de l’article 73 de la Constitution. Deux semaines plus tard, le 24 janvier 2010, ils ont choisi, à près de 70 % en Martinique et à près de 60 % en Guyane, la création d’une collectivité unique exerçant les compétences d’un département et d’une région.

C’est ce double choix qui a guidé l’architecture institutionnelle qui vous est proposée aujourd'hui. C’est ce double choix sans ambiguïté que nous devons garder à l’esprit tout au long de notre débat.

C’est la preuve que l’outre-mer n’est pas figé, que ses responsables politiques savent faire preuve de souplesse et de maturité et qu’ils ont compris que les collectivités pouvaient s’épanouir dans le cadre fixé par la Constitution.

Pour accompagner ce processus, le Gouvernement a déposé un projet de loi organique visant à simplifier la procédure d’habilitation afin que les assemblées élues puissent exercer pleinement leurs compétences.

Avant d’en venir à une présentation du contenu des projets de loi, je veux au préalable souligner trois points essentiels à la compréhension de la réforme qui vous est soumise.

La première observation découle du caractère innovant de cette évolution institutionnelle.

Pour la première fois depuis la réforme constitutionnelle de 2003, les populations de deux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ont choisi de fusionner les compétences du département et de la région. Cette évolution, facilitée par le caractère monodépartemental de ces deux territoires, rejoint la préoccupation contemporaine de modernisation et de rationalisation que la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales a consacrée.

La deuxième observation que je souhaite formuler concerne la portée du dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution.

En permettant de créer une nouvelle catégorie de collectivité territoriale qui « se substitue » à un département et à une région d’outre-mer, la Constitution n’impose aucun choix d’organisation institutionnelle.

Chacune de ces collectivités sera ainsi dotée d’une assemblée, mais la structuration de l’exécutif sera différente pour tenir compte des cultures politiques différentes : tandis que les élus de la Guyane ont opté dans leur grande majorité pour un modèle d’organisation proche de celui des régions, en conservant une commission permanente, les élus de la Martinique ont souhaité, sur le modèle corse, mettre en place un système différent, avec un conseil exécutif collégial élu par l’assemblée et responsable devant elle.

En d’autres termes, les dispositions de droit commun applicables aux conseils régionaux et à la Corse régiront, pour l’essentiel, le fonctionnement des institutions de Martinique et de Guyane.

La réforme qui vous est soumise concrétise ainsi clairement le souhait des électeurs guyanais et martiniquais, qui se sont prononcés, en janvier 2010, en faveur d’une évolution institutionnelle selon un principe simple : « L’unité de la République ne signifie pas son uniformité ».

Je veux, à cet égard, rassurer M. Virapoullé dont je connais les réticences. Je ne fais pas la même lecture que lui des articles 73 et 72-4 de la Constitution et de leur combinaison. En effet, je ne crois pas que l’organisation de la fusion nécessitait une nouvelle consultation, celle qui a été voulue par le chef de l’État se suffisant à elle-même. Les seules consultations obligatoires constitutionnellement, tant sur le maintien dans l’article 73 que sur le choix d’une collectivité unique, ont bien été opérées en janvier 2010.

Pour autant, je connais trop M. Virapoullé pour sous-estimer la profondeur de son propos, et je suis convaincue qu’il convient de tout faire pour que les règles essentielles au bon fonctionnement des futures institutions de Guyane et de Martinique s’éloignent le moins possible du droit commun, et donc du schéma institutionnel connu de nos concitoyens, et ce pour respecter le vote des Guyanais et des Martiniquais. C’est d’ailleurs sur des organisations inspirées du droit commun des collectivités territoriales que les assemblées se sont prononcées.

Je tiens donc à préciser à M. Virapoullé que les compétences des deux nouvelles collectivités résulteront logiquement de l’addition des attributions exercées aujourd’hui par le conseil régional et le conseil général. Ces collectivités n’exerceront ni plus ni moins de compétences que les autres collectivités de droit commun de l’article 73, comme l’ont souhaité les électeurs.

La conséquence qui en découle est également logique : les ressources budgétaires des deux collectivités seront cumulées. La Martinique et la Guyane percevront donc les mêmes produits des impôts locaux et taxes et les mêmes dotations de l’État qu’aujourd’hui.

Ma troisième observation concerne la méthode pour élaborer ces projets de loi.

Ces textes sont le produit d’une concertation poussée avec les élus de Martinique et de Guyane qui a permis de lever certaines interrogations.

Le Président de la République, lors de son déplacement en Haïti en février 2010, n’a pas manqué de rencontrer les élus des deux territoires pour présenter les modalités de cette concertation.

Le Gouvernement s’est entouré de multiples avis pour emporter l’adhésion du plus grand nombre.

J’ai moi-même, dans un premier temps, confié à mes services la mission de rencontrer non seulement les élus, toutes tendances politiques confondues, mais aussi les représentants de la société civile, pour les interroger sur l’appellation des futures collectivités, leur organisation, le mode de scrutin, la représentation de la société civile, le périmètre des compétences exercées.

Dans un second temps, j’ai organisé des rendez-vous d’arbitrage avec les représentants de ces collectivités. Le point culminant de cette phase de concertation a été une rencontre avec le Président de la République, le 8 novembre 2010.

Je veux aussi souligner le soutien de votre assemblée, laquelle a permis d’améliorer le projet du Gouvernement. La mission que vous avez confiée à MM. Cointat et Frimat a été incontestablement productive. Elle a permis de consolider certains aspects de la réforme, de confronter une nouvelle fois les points de vue et, finalement, de créer une organisation institutionnelle qui, tout en demeurant conforme aux principes de l’article 73 de la Constitution, répond aux attentes locales.

Par son implication, votre commission des lois a accompagné la naissance des premières collectivités uniques de l’article 73.

J’en viens maintenant à la présentation du contenu des deux projets de lois.

Comme je viens de vous l’indiquer, le projet de loi organique vise principalement à compléter et, surtout, à simplifier la procédure d’habilitation pour permettre aux départements et régions d’outre-mer d’exercer pleinement la faculté d’adaptation et de définition des normes qui leur a été reconnue depuis 2003 par la Constitution.

En premier lieu, la durée de l’habilitation est actuellement limitée à deux ans à compter de sa promulgation. À l’usage, ce délai paraît trop contraignant. En outre, il nous a semblé plus pertinent de le relier à la durée de la mandature. J’ai donc souhaité que l’habilitation prenne fin désormais au plus tard lors du renouvellement de l’assemblée qui l’a demandée.

La commission des lois va plus loin en suggérant que la prorogation soit accordée de plein droit dans les six mois qui suivent l’élection d’une nouvelle assemblée et pour une durée de deux ans. Il serait en effet dommage qu’une demande d’habilitation formulée peu de temps avant la fin du mandat de l’assemblée ne puisse être prorogée sous certaines conditions.

J’y suis favorable, car l’assemblée nouvellement élue, quelle que soit la majorité politique, pourra reprendre à son compte une demande votée tardivement par l’assemblée précédente et mettre ainsi en œuvre les mesures qui en découlent. Cette disposition participe incontestablement à l’objectif fixé par le Gouvernement de rendre plus simple et plus accessible la procédure d’habilitation.

Je crois cependant nécessaire de fixer des conditions : il ne peut y avoir de prolongation automatique. Il faudra que la nouvelle assemblée demande expressément dans le délai de six mois cette prolongation, qui devra être rédigée dans les mêmes termes que la précédente.

En second lieu, les habilitations à adapter les règlements seront accordées non plus par la loi, comme c’est le cas actuellement, mais par un décret. C’est là l’économie même du texte : le recours à la procédure d’habilitation devrait ainsi être favorisé, ce qui va dans le sens d’une meilleure adaptation des normes au contexte ultramarin.

Il est bien évident que, si je suis favorable à cette prorogation, je considère cependant qu’il s’agit non pas de transférer définitivement des compétences, mais bien de régler sur une période donnée un problème qui se pose à la collectivité.

Vous aurez également noté que le Gouvernement a déposé un amendement de suppression de deux dispositions qui ouvraient la faculté au Premier ministre de contester devant le Conseil d’État la délibération demandant l’habilitation et celle prise en application de l’habilitation.

Je considère, en effet, que ces dispositions sont superflues, car le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement et le représentant de l’État agit donc déjà en son nom.

Au final, le projet de loi organique qui vous est soumis est, je crois, bien équilibré, et de nature à répondre aux objectifs poursuivis.

J’en viens au projet de loi ordinaire : il définit, pour sa part, l’organisation et le fonctionnement institutionnel des deux nouvelles collectivités.

En préambule, je voudrais souligner le parti pris de la commission des lois de proposer une nouvelle rédaction, plus exhaustive que le projet porté par le Gouvernement. Si cette approche facilite la lisibilité et la codification du texte, elle présente, de mon point de vue, l’inconvénient de le déconnecter des évolutions à venir du code général des collectivités territoriales, ce qui pourrait se traduire par une évolution divergente entre certaines de ses dispositions et le droit commun. En clair, le risque existe qu’une modification future d’une disposition consacrée aux départements ou aux régions ne soit pas directement applicable en Guyane et en Martinique.

En ce qui concerne les organes décisionnels, tout d’abord, les deux territoires ont fait un choix différent.

La Guyane sera dotée d’une assemblée délibérante de 51 membres, dont le président sera assisté d’une commission permanente. Cette commission se voit attribuer des compétences propres, notamment en matière de commande publique, que l’assemblée pourra toujours modifier ou reprendre par délibération.

Pour la Martinique, conformément au souhait de la majorité des élus, le Gouvernement a décidé d’instituer une assemblée délibérante de 51 membres, dont le président ainsi qu’un conseil exécutif et son président sont responsables devant l’assemblée. Les 9 conseillers exécutifs seront élus parmi les 51 membres de l’assemblée au scrutin de liste. La fonction de conseiller exécutif étant incompatible avec le mandat de membre de l’assemblée, ce sont les suppléants de ces derniers qui siégeront au sein de l’assemblée.

Sur le plan électoral, un débat de fond a nourri nos échanges avec la commission des lois. Je veux évoquer la question du découpage électoral et de la responsabilité qui incombe au Gouvernement dans ce domaine.

L’article 6 du projet de loi déposé par le Gouvernement prévoyait que, pour l’élection des membres de leurs assemblées délibérantes, la Guyane et la Martinique forment chacune une circonscription unique, composée de sections électorales comprenant des cantons, dont la délimitation est fixée par décret en Conseil d’État, pris après avis des conseils généraux et régionaux. Ce décret fixait également le nombre de sièges respectifs par section. Cette proposition, calquée sur les dispositions appliquées pour les découpages des collectivités territoriales de droit commun, a été validée par le Conseil d’État lors de son examen du projet de loi.

La commission a retenu une solution différente, en inscrivant dans le code électoral la composition de chaque section et le nombre de sièges attribués à chacune d’elles.

Cette solution présente, de l’avis du Gouvernement, les inconvénients suivants.

Tout d’abord, d’un point de vue constitutionnel, elle modifie la répartition traditionnelle des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire en matière de délimitation des circonscriptions électorales des assemblées locales. Faut-il rappeler que les collectivités territoriales de Martinique et de Guyane ne relèvent pas de l’article 74 de la Constitution selon lequel il est clair qu’il appartient au législateur de procéder au découpage électoral ?

À cet égard, la proposition de la commission des lois ne me semble pas conforme au choix effectué pour la délimitation des futures circonscriptions d’élection des conseillers territoriaux, validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 décembre 2010.

Ensuite, en ce qui concerne la concertation nécessaire à ce type de mesure, la rédaction de la commission ne permet pas la consultation officielle des assemblées délibérantes actuelles de Guyane et de Martinique. Elle rend même possible, à l’avenir, l’adoption d’un nouveau découpage par un simple amendement inséré dans une loi relative à l’outre-mer, sans aucune consultation préalable de l’assemblée délibérante.

Enfin, elle enlève toute portée à l’engagement, pourtant inscrit dans le projet de loi, d’augmenter le nombre des membres de l’Assemblée de Guyane au vu de la croissance prévisible de sa population, cette augmentation exigeant l’adoption préalable d’une loi adaptant le découpage des sections et leur nombre respectif de sièges au nouvel effectif de l’Assemblée.

J’ai néanmoins entendu les arguments de votre commission, qui ne croit pas possible d’appliquer les règles du découpage par le pouvoir réglementaire à la nouvelle catégorie de collectivité territoriale que constituent la Guyane et la Martinique.

Pour mieux encadrer la compétence du pouvoir réglementaire, je propose donc une solution intermédiaire qui, tout en demeurant conforme aux dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution, évite les inconvénients que je viens d’énoncer.

L’amendement que j’ai déposé maintient la compétence qui a été donnée au Gouvernement par l’ordonnance n° 45-2604 du 2 novembre 1945 relative à la procédure de modification des circonscriptions administratives territoriales, ordonnance qui n’a pas été rendue caduque par l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958 et qui a été conservée dans le cadre de la récente réforme territoriale, tout en tenant compte de la spécificité de circonscriptions électorales comptant plusieurs sièges à élire, et non pas un seul ; mais elle limite le pouvoir réglementaire au simple ajout ou à la soustraction d’un canton entier à l’une de ces nouvelles circonscriptions électorales.

Cette solution est fondée sur les principes suivants : fixation par la loi du nombre de sections électorales, des principes de leur délimitation, en l’occurrence le respect des cantons actuels dès lors qu’ils sont contigus, et d’une règle stricte de calcul du nombre de sièges attribués à chaque section, découlant mécaniquement de son nombre d’habitants ; renvoi à la procédure traditionnelle des découpages cantonaux pour la seule délimitation des sections, c’est-à-dire la consultation préalable du conseil général et du conseil régional de Guyane et de Martinique ; fixation par la loi du nombre de candidats dans chaque section, d’une règle stricte de calcul de la répartition de la prime majoritaire, découlant mécaniquement du nombre de sièges attribués à chacune d’elles, et des modalités de la répartition des autres sièges attribués à chaque liste ; enfin, fixation par la loi d’un mécanisme permettant d’actualiser les précédentes données en fonction de l’évolution démographique de la collectivité de Guyane, sans exiger au préalable l’adoption d’une nouvelle loi.

Je fonde donc beaucoup d’espoir sur cette solution, qui est équilibrée et préserve la faculté du Parlement d’encadrer plus strictement le pouvoir réglementaire.

Nous n’avons pas les mêmes divergences pour ce qui concerne le mode de scrutin.

Il a été décidé de retenir un scrutin proportionnel de liste à deux tours à la plus forte moyenne, proche des élections régionales de droit commun. Je propose simplement de rétablir une prime majoritaire de 20 % des sièges à pourvoir, car votre commission a réparti, sans que cela se justifie, un nombre de sièges en valeur absolue différent pour la Martinique et la Guyane. En effet, cette répartition fige les primes dans un contexte de forte évolution démographique pour la Guyane et crée une différence entre les deux collectivités, alors que le nombre total d’élus est le même.

J’en finirai sur le sujet de l’organisation des nouvelles collectivités en abordant la question de la représentation de la société civile. Elle bénéficie toujours d’un pouvoir consultatif au sein de la collectivité unique. Son organisation a fait l’objet de plusieurs propositions de la part des élus, qui concluent toutes à la nécessité de fusionner le conseil économique et social et le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, sur le modèle, d’ailleurs, des régions métropolitaines.

De nombreux amendements ont été déposés pour compléter la dénomination de ces nouveaux conseils uniques en ajoutant un volet « éducation » et un volet « sport ». Je n’y suis pas opposée, car c’est une façon de mettre en avant la problématique éducative et sportive, dont chacun connaît l’importance en outre-mer.

J’ai pris bonne note de l’initiative de la commission des lois de créer deux sections au sein de chaque conseil ; je n’y suis pas non plus opposée, car cela peut permettre de mieux prendre en compte les grands problèmes de société.

Je voudrais maintenant m’attarder quelques instants sur la question de la date de la première élection des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique, qui conditionne le rythme de cette réforme institutionnelle. C’est donc un point important.

Pour le Gouvernement, il est clair que la création de la collectivité ne nécessite pas la fusion préalable des patrimoines ou des personnels des actuels conseils généraux et régionaux. Je vous rappelle d’ailleurs que la décentralisation survenue en 1982 n’a porté ses fruits que dans les années qui ont suivi, les derniers transferts de compétences n’étant intervenus qu’en 1987.

De plus, les nouvelles collectivités territoriales de Martinique et de Guyane se substituent simplement aux départements et aux régions actuelles.

M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer

Il me paraît enfin utile de souligner que ce sont bien les nouvelles collectivités territoriales de Martinique et de Guyane qui seront les seules légitimes à prendre les mesures nécessaires pour organiser dans de bonnes conditions cette fusion.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour autant, je suis convaincue que le calendrier de cette réforme dépend plus d’un choix politique que d’une préoccupation juridique.

M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce.

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Cependant, le Gouvernement n’est pas hostile à la formule proposée par la commission des lois, qui tend à fixer la date limite de la première élection des assemblées de Guyane et de Martinique « au plus tard en mars 2014 » et qui préserve ainsi toutes les possibilités.

En revanche, dans cet esprit, il ne peut être question de conditionner le choix de cette date à la publication des ordonnances prévues à l’article 10, puisque ces dernières constituent une faculté pour le Gouvernement et ne sont en rien une obligation s’imposant à lui. J’ai donc déposé un amendement en vue de disjoindre la prise de ces ordonnances de l’échéance électorale qui sera à l’origine de la création effective des deux collectivités.

Dans tous les cas, j’adhère à la proposition de votre commission de revenir au calendrier électoral de droit commun dès 2020. C’est un souhait largement partagé par les élus guyanais et martiniquais.

Je voudrais maintenant évoquer les conditions de mise en œuvre du pouvoir de substitution du préfet, qui sont prévues à l’article 9 du projet de loi ordinaire. Je sais que ces dispositions n’emportent pas spontanément l’adhésion. Pourtant, elles sont nécessaires pour assurer la continuité de l’action publique dans certains cas, et spécifiquement en outre-mer.

Afin de couper court à l’idée d’un retour possible à la centralisation du pouvoir, je voudrais rappeler simplement de quoi il s’agit.

Lorsqu’une collectivité néglige de prendre ou de faire prendre par l’un de ses établissements publics les mesures relevant de ses compétences et nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement, ou au respect par la France de ses engagements européens ou internationaux, le représentant de l’État pourra, après mise en demeure restée sans effet, prendre en lieu et place de cette collectivité toute mesure appelée par l’urgence.

Certains voient là une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. Il n’en est rien, puisqu’il s’agit de créer un mécanisme à la fois dissuasif et incitatif.

Qui peut contester aujourd’hui que, dans plusieurs domaines primordiaux, comme les déchets et l’assainissement, par exemple, les DOM connaissent un retard structurel important par rapport à la métropole ? Qui peut nier que, dans ces matières, les risques de contentieux européens sont très élevés, alors même que les collectivités rencontrent d’importantes difficultés à mettre en œuvre des projets ? Pour ma part, je suis convaincue que la perspective d’un déclenchement de ce pouvoir de substitution peut accélérer la conclusion des partenariats locaux guidés par le seul intérêt général.

En cas d’échec, l’intervention du préfet permettra à l’État d’engager les actions les plus nécessaires et les plus urgentes, comme c’est le cas dans d’autres hypothèses où l’intervention du représentant de l’État, en cas de carence de l’autorité territoriale, est déjà prévue, notamment par le code général des collectivités territoriales ou le code de la santé.

Le projet du Gouvernement prévoit un mécanisme de « riposte graduée » que le Conseil d’État, dans son avis du 20 janvier dernier, a relevé puisqu’il est convenu que cette intervention était encadrée précisément et que, au regard de ses finalités d’intérêt général et des limites dont elle est assortie, elle n’était pas contraire au principe de libre administration.

Enfin, il est indéniable que l’exercice ponctuel par le représentant de l’État de compétences relevant de collectivités qui ont été défaillantes constitue une contrepartie indispensable à la plus grande concentration des pouvoirs qui caractérisera l’exécutif de la collectivité unique. S’il me paraît difficile de se passer de cette possibilité réclamée par de très nombreux ultramarins, je suis néanmoins prête à examiner les modalités de sa mise en œuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez bien compris, la « matière » institutionnelle que nous évoquons ce matin est, par nature, malléable. Nous vous proposons à travers plusieurs des évolutions envisagées de ne pas trop nous éloigner des repères habituels du code général des collectivités territoriales tout en créant une collectivité unique innovante sur bien des points.

Grâce à la contribution tant des uns et des autres que de votre commission, je souhaite fixer pour les années à venir un cadre institutionnel opérationnel qui permette à la démocratie locale de bien fonctionner en Martinique et en Guyane, et qui facilite la transition, voire, je l’espère, le développement économique et social de ces deux territoires dans les meilleures conditions.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – MM. Jean-Paul Virapoullé et Daniel Marsin applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à la suite de Mayotte, devenu département et première collectivité unique de l’article 73 de la Constitution depuis le 31 mars 2011, la Guyane et la Martinique vont également accéder au statut de collectivité unique, c’est-à-dire de collectivité exerçant à la fois les compétences d’un département d’outre-mer et d’une région d’outre-mer.

Il faut souligner qu’un tel statut ne remet nullement en cause le sens et l’esprit de la départementalisation, lesquels résident avant tout dans l’application du droit commun de la République.

Pour donner suite au vote des électeurs de Guyane et de Martinique, en janvier 2010, rejetant le passage du statut de département à celui de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, mais approuvant la création d’une collectivité unique relevant de l’article 73, le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat le projet de loi organique et le projet de loi statutaire que nous examinons aujourd’hui.

Dans la perspective de l’examen de ces deux projets de loi, qui étaient annoncés, la commission des lois a envoyé sur place, en février dernier, une mission d’information, composée de M. Bernard Frimat et de votre rapporteur ; cette mission s’est prolongée en Guadeloupe.

Lors de ses déplacements, la mission d’information a tenu à rencontrer aussi largement que possible les élus de ces collectivités et à les écouter attentivement. Elle a ainsi pu constater que, pour la plupart de ses interlocuteurs, si la création en Guyane et en Martinique d’une collectivité unique apparaissait comme une opportunité permettant de rationaliser et de rendre plus efficace l’action publique locale, cette collectivité serait seulement un instrument institutionnel plus performant au service du développement économique, social et culturel de la Guyane et de la Martinique, et en aucun cas une solution miracle.

Pour éviter tout risque de malentendus, voire de déceptions, il me paraît utile de souligner dans cet hémicycle que la collectivité unique n’est pas non plus un nouveau « statut », apparenté d’une manière ou d’une autre à l’article 74 de la Constitution.

De même, il n’existe pas au sein de l’article 73 d’alinéas susceptibles de transformer celui-ci en un article « 73 + » qui offrirait indirectement des perspectives semblables, voire supérieures à celles de l’article 74 et qui pourrait implicitement contourner le vote des électeurs, lesquels ont clairement rejeté le 10 janvier 2010 le statut de collectivité d’outre-mer régie par l’article 74.

Ainsi, aucun transfert nouveau de compétences de l’État vers ces collectivités n’est ni ne peut être organisé par le projet de loi dès lors que l’on demeure dans le droit commun, autrement dit dans le cadre de l’article 73 de la Constitution. Il me semblait nécessaire de faire ce rappel.

Je ne m’attarderai pas sur la présentation des deux projets de loi organique et ordinaire, car elle a déjà été faite par Mme la ministre. Je me limiterai à quelques observations avant d’aborder les modifications que propose la commission des lois, en commençant par le projet de loi ordinaire.

Le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique fait le choix de créer dans le code une septième partie intitulée « Autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ».

La commission regrette le fait que cette partie prenne place après la partie portant sur les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74, alors qu’elle devrait trouver sa place immédiatement après les dispositions relatives aux départements et régions d’outre-mer, par cohérence avec l’article 73.

Force est cependant de reconnaître que seule une réécriture complète du code permettrait de redonner sa place à la logique, ce qui paraissait difficilement concevable dans ce texte.

En outre, le projet de loi se limite à rédiger une partie des dispositions institutionnelles propres aux deux nouvelles collectivités, renvoyant pour le reste aux dispositions applicables aux régions, ainsi qu’à celles qui sont applicables aux départements et aux régions en matière de compétences.

Alors que l’on institue de nouvelles collectivités à statut particulier, on ne garantit pas de cette manière la lisibilité des dispositions qui s’appliqueront à elles, car il s’agit de dispositions qui s’appliqueront aux deux collectivités de Guyane et de Martinique.

Ce choix de codification crée un phénomène de dispersion et de manque de cohérence, alors même que le principe de la codification est de renforcer l’intelligibilité de la législation et de faciliter l’accès au droit.

C'est la raison pour laquelle la commission, à chaque fois qu’il s’agissait de dispositions de droit commun, a laissé les renvois à d’autres dispositions dans le texte, justement dans la perspective d’une évolution législative à venir, alors que, lorsqu’il s’agissait de dispositions explicitement et exclusivement limitées à la Guyane et à la Martinique, elle a procédé à leur réécriture pour les rendre plus intelligibles.

Nous avons donc bien songé, madame la ministre, à l’évolution législative ou réglementaire qui pourra intervenir par la suite.

En ce qui concerne la Guyane, le projet de loi conserve à la nouvelle collectivité un schéma institutionnel de type régional.

Ainsi, l’Assemblée de Guyane, assemblée délibérante de 51 membres, est dotée d’un président, organe exécutif de la collectivité, et d’une commission permanente.

Pour la Martinique, le projet de loi a retenu un schéma institutionnel original, différent de celui de la Guyane : il comporte l’Assemblée de Martinique, également composée de cinquante et un membres, et un conseil exécutif distinct élu en son sein. Les membres de ce conseil perdent leur mandat à l’Assemblée. Ce dispositif s’inspire très nettement de celui qui a été conçu en 1991 pour la collectivité territoriale de Corse.

La commission a pu constater, sur rapport de sa mission d’information, que ces formules différentes correspondaient aux souhaits exprimés, non pas unanimement, certes, mais en tout cas majoritairement, par les élus locaux. Elle s’y est donc ralliée.

En revanche, la date de la mise en place de la collectivité unique, en Guyane comme en Martinique, n’a pas pu faire l’objet d’un consensus sur place ou, du moins, d’un large accord. Elle est sans doute la question la plus controversée.

Certains plaident pour une mise en place rapide, dès 2012. D’autres préfèrent une mise en place en 2014, lors de l’élection des conseillers territoriaux, les uns et les autres défendant leur point de vue avec passion.

Le projet de loi fait le choix de l’approche rapide avec une première élection de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique à une date fixée par décret au plus tard le 31 décembre 2012.

Le choix de 2012 peut susciter cependant deux interrogations d’ordre constitutionnel : d’une part, il s’écarte du calendrier électoral de droit commun pour des collectivités relevant justement de l’article 73 de la Constitution ; d’autre part, il a pour effet d’abréger de manière drastique des mandats en cours, dont certains viennent tout juste de commencer.

Le projet de loi prévoit dans son article 9 des pouvoirs de substitution du préfet afin de garantir dans toutes les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution – à savoir la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte et la Réunion mais aussi leurs communes – la continuité de l’action qui relève de leurs compétences.

Le projet de loi institue ainsi un dispositif permettant au représentant de l’État d’arrêter en lieu et place de la collectivité concernée, et à ses frais, toute disposition appelée par l’urgence lorsque cette collectivité néglige de prendre ou de faire prendre par un de ses établissements publics les mesures nécessaires à la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement et au respect des engagements européens et internationaux de la France.

Mes chers collègues, votre rapporteur a pu constater, lors de la mission d’information, le rejet quasi unanime, les exceptions étant très rares, dont faisait l’objet ce dispositif limité aux seules collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et qualifié de « retour du gouverneur ».

Force est d’admettre que ce dispositif, s’il était adopté, n’aurait pas d’équivalent dans les communes, départements et régions de la métropole, ce qui ne manque pas de susciter des interrogations dès lors que l’on affirme que c’est bien le droit commun de la République qui s’applique dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, l’article 73 de la Constitution ouvre aux départements et régions d’outre-mer deux formes d’habilitation : d’une part, ces collectivités peuvent être habilitées à adapter les lois et règlements sur leur territoire et dans leurs domaines de compétences ; d’autre part, elles peuvent être habilitées à fixer dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement les règles applicables sur leur territoire.

Le projet de loi organique, quant à lui, a pour objet de faciliter l’usage de ces dispositions constitutionnelles peu utilisées jusqu’à présent.

En prolongeant la durée de l’habilitation jusqu’au terme du mandat de l’assemblée qui en fait la demande, il répond en partie, mais pas entièrement, aux critiques émises à l’égard du régime actuel des habilitations, ainsi qu’a pu le constater sur place la mission d’information de la commission des lois. En effet, il ne touche pas à la question du contrôle d’opportunité exercé par le Gouvernement et ne permet pas le chevauchement d’une habilitation sur deux mandats successifs.

J’en viens maintenant aux modifications proposées par la commission des lois, en commençant à nouveau par le projet de loi ordinaire.

En premier lieu, la commission a souhaité revoir les appellations et dénominations retenues. En effet, les termes de « collectivité de Guyane » et de « collectivité de Martinique » s’apparentent à une collectivité d’outre-mer, catégorie régie par l’article 74 de la Constitution. Cette dénomination est ainsi ambiguë. Faute de mieux, la commission a retenu la dénomination générique de « collectivité territoriale », comme cela a été fait pour la Corse en 1991.

La commission a également souhaité modifier la dénomination des élus des assemblées délibérantes : « conseiller à l’Assemblée » plutôt que « membre de l’Assemblée », à l’instar encore une fois de ce qui a été fait en Corse.

De même, le conseil exécutif de Martinique devrait être composé, outre son président, non de membres mais de conseillers exécutifs, comme en Corse.

Alors que le projet de loi met en place deux nouvelles collectivités, qui ne sont pas des régions mais qui remplacent à la fois le département et la région, la commission a considéré qu’il était à tout le moins nécessaire que les dispositions qui fixent leur organisation institutionnelle comme le mode d’élection de leur assemblée délibérante soient intégralement rédigées, dans un souci de clarté et de lisibilité de la loi. C’est un point sur lequel je me suis déjà expliqué mais dont nous reparlerons, le cas échéant, lors de l’examen des articles, étant entendu qu’il n’est bien sûr pas question d’empêcher une évolution du droit.

En revanche, en ce qui concerne les prérogatives, le renvoi aux dispositions applicables aux régions et aux départements se justifie davantage, dès lors que ce sont les compétences de droit commun.

Le projet de loi permet, en Martinique, de renverser le conseil exécutif et de lui en substituer un nouveau par le vote d’une motion de défiance constructive, ce qui n’est pas le cas en Guyane où l’organisation est semblable à celle des conseils généraux et régionaux.

Toutefois, les seuils prévus pour le dépôt puis l’adoption de la motion rendent ce mécanisme difficilement praticable.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Une majorité absolue des conseillers est en effet requise par le texte pour assurer la recevabilité de la motion, qui ne peut être adoptée qu’aux trois cinquièmes des voix. De tels seuils, qui n’existent nulle part ailleurs, paraissent excessifs.

Au demeurant, ils permettraient à un conseil exécutif qui aurait perdu sa majorité de se maintenir sans pour autant que ses délibérations ou son budget puissent être adoptés, ce qui engendrerait un état de crise et de blocage.

Aussi la commission a-t-elle retenu des seuils qui lui paraissent plus raisonnables, à savoir un tiers des conseillers requis pour déposer la motion et la majorité absolue des conseillers composant l’Assemblée pour l’adopter. Ce sont d’ailleurs les seuils retenus pour la Corse.

Comme en Corse, la commission n’a pas souhaité prévoir le retour automatique au sein de l’Assemblée des membres du conseil exécutif en cas d’adoption de la motion, car elle considère que cela pourrait détourner le sens de ces dispositions en incitant les élus remplaçant les conseillers exécutifs à ne pas voter la motion pour ne pas perdre leur siège.

Par ailleurs, la commission a souhaité adjoindre au président de l’Assemblée quatre vice-présidents chargés de l’assister dans ses fonctions.

Dans chaque région d’outre-mer, il existe un conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, conseil consultatif rattaché à la région, à côté du conseil économique et social qui existe dans toutes les régions de l’hexagone.

Concernant la Guyane et la Martinique, j’ai pu juger, lors de la mission d’information, de la qualité et de la densité du travail réalisé par le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, ce qui m’a amené à considérer que cette structure consultative propre aux régions d’outre-mer pouvait mériter d’être conservée. Pour autant, une majorité des élus rencontrés a estimé qu’il était pertinent de fusionner les deux conseils consultatifs rattachés à la région, afin de leur donner plus de poids face à la nouvelle collectivité unique.

Souhaitant donner satisfaction aux élus, la commission a accepté la réunion des deux conseils, tout en préservant la prise en compte de la dimension culturelle qui avait justifié la création du conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, et en évitant tout risque de dilution de cette dimension dans les préoccupations d’une autre nature qui sont celles du conseil économique et social. Elle a ainsi créé au sein de chaque conseil deux sections et adapté la dénomination du conseil consultatif, approche à laquelle Mme la ministre vient de montrer, et je m’en félicite, qu’elle était sensible.

La commission a souhaité explicitement prévoir la possibilité de réunir le congrès des élus dits départementaux et régionaux dans les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique. En effet, la mise en place de la collectivité unique ne saurait préjuger une absence ultérieure de toute volonté nouvelle d’évolution institutionnelle, volonté que le congrès des élus a justement vocation à exprimer.

Dans sa formule actuelle, le congrès se compose des conseillers régionaux et généraux, ainsi que des parlementaires avec voix consultative. En Guyane et en Martinique, il comprendrait les conseillers à l’Assemblée avec les parlementaires. Mais, pour donner plus de poids à cette instance, la commission a jugé utile d’y adjoindre l’ensemble des maires, avec voix consultative, ce qui répond en outre à une attente de ces derniers qui, lors de la mission d’information, nous ont fait part de leur désir d’être associés étroitement à l’évolution de cette collectivité unique.

En matière électorale, le rapporteur a pu pleinement prendre conscience, en Guyane, des fortes attentes en matière de représentation équitable de toutes les composantes du territoire, et donc de leurs populations.

Au terme de la mission d’information et de nombreuses discussions, un ajustement du mode de scrutin, accompagné d’un découpage des sections et d’une affectation des sièges dans chaque section, a pu être envisagé à la lumière des multiples consultations tenues. C’est ce nouveau dispositif que la commission a intégré dans le projet de loi, considérant qu’il appartenait au législateur de fixer entièrement le régime électoral de la future Assemblée de Guyane, contrairement au Gouvernement qui estimait, par analogie avec le découpage des cantons, qu’il revenait au pouvoir réglementaire – non au législateur – de fixer le nombre des sections électorales, leur délimitation et le nombre de candidats ou de sièges en tenant compte de la population.

La commission a donc jugé que ces éléments relevaient bien du domaine de la loi. En effet, selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant le « régime électoral [...] des assemblées locales ». Or le nombre de sections, leur composition et la répartition des sièges constituent bien des éléments fondamentaux du régime électoral de l’Assemblée de Guyane que le législateur ne pourrait pas ignorer, sauf à méconnaître sa compétence, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L’argument relatif à une analogie avec les cantons n’est pas recevable, car on se situe dans le cadre non pas d’un scrutin majoritaire uninominal, mais d’une élection à la proportionnelle. Il s’agit de délimiter non pas des cantons, mais des sections purement électorales d’une circonscription.

De plus, depuis la Révolution, les cantons sont historiquement des subdivisions administratives, ce qui justifie encore à ce jour la compétence réglementaire pour ce qui concerne leur délimitation. De surcroît, nous le savons, il s’agit d’une dérogation aux principes généraux.

En outre, par comparaison avec l’élection des conseillers régionaux, l’effectif des candidats devant figurer dans chaque section départementale a bien été déterminé par la loi.

Autre comparaison, l’article L.O. 537 du code électoral – il a été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel puisqu’il a été créé par une loi organique – répartit les dix-neuf sièges du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon en deux sections qu’il détermine, pour appliquer un mode de scrutin analogue à celui qu’a retenu le projet de loi pour la Guyane et la Martinique. Le fait qu’il s’agisse d’une collectivité relevant de l’article 74 de la Constitution est indifférent. L’article 34 de la Constitution s’applique en tout domaine. C’est le Parlement qui a fixé lui-même ces éléments du régime électoral. Cela a été validé par le Conseil constitutionnel. Il en est de même pour les différentes lois organiques relatives à la Polynésie française.

Enfin, la décision n° 99-187 du 6 octobre 1999 du Conseil constitutionnel conforte également la position de la commission. Elle dispose que relèvent du domaine de la loi les règles relatives à l’élection du Conseil supérieur des Français de l’étranger – à l’époque, pourtant, l’article 34 ne concernait pas encore cette instance – « au nombre desquelles figurent la délimitation des circonscriptions électorales, le nombre de sièges attribué à chacune d’elles, le mode de scrutin, le droit de suffrage, l’éligibilité, ainsi que le régime contentieux de l’élection ». C’est le fait que ces élus forment un collège électoral sénatorial qui a justifié cette décision. La situation est la même pour ce qui concerne les conseillers de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique.

Par analogie, il faut donc considérer que, pour un scrutin à la représentation proportionnelle – j’insiste sur ce point –, relèvent du domaine de la loi la délimitation des sections électorales et la fixation du nombre de sièges de chaque section d’une circonscription électorale.

Forte de cette analyse constitutionnelle, la commission a donc souhaité intégrer dans le projet de loi un tableau de découpage des sections, au nombre de huit – chiffre retenu dans l’étude d’impact pour la Guyane, afin de permettre une représentation équilibrée du territoire –, et de répartition des sièges dans les sections, sans renvoyer ce soin au pouvoir réglementaire.

En outre, sur la proposition de notre collègue Bernard Frimat, membre de la mission d’information, et de votre rapporteur, elle a modifié le mode de scrutin de type régional retenu par le projet de loi pour tenir compte des spécificités de la Guyane où le nombre d’habitants qui détermine le nombre de candidats peut être sans commune mesure avec le nombre d’électeurs qui détermine le nombre d’élus, et, de ce fait, peut créer une distorsion dans la représentation de territoires, qui, pourtant, en ont besoin.

Compte tenu des grandes disparités démographiques et électorales entre les territoires guyanais, la commission a tenu à ce qu’un nombre de sièges – au minimum trois – soit garanti dans chaque section, de façon que toutes les composantes du territoire, au sens où l’entend le Conseil constitutionnel, soient équitablement représentées au sein de la future Assemblée de Guyane.

Le mode de scrutin retenu par la commission affecte dans chaque section un à deux des onze sièges de prime majoritaire – soit 20 % du total – attribués à la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Guyane puis répartit les autres sièges de chaque section en fonction du résultat de chaque liste dans la section.

Par parallélisme, la commission a également introduit dans le texte que nous examinons les sections pour l’élection à l’Assemblée de Martinique, au nombre de quatre, correspondant aux quatre circonscriptions législatives, comme le souhaitait le Gouvernement.

En revanche, elle a retenu le simple scrutin régional – il était d’ailleurs proposé par le Gouvernement –, considérant que la situation démographique et territoriale de la Martinique avec quatre sections comparables ne justifiait pas un dispositif similaire à celui de la Guyane, qui est spécifique.

Elle a par ailleurs ramené de onze à neuf sièges la prime majoritaire pour s’aligner sur le schéma retenu pour la Corse en 2009 par le Parlement. La situation étant identique, il n’a pas paru nécessaire à la commission de « défaire » le dispositif qui a été adopté voilà peu de temps et semble répondre aux attentes.

Lors de la discussion de la loi n° 82–1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, la commission s’était déjà émue de la volonté du Gouvernement d’anticiper le calendrier électoral de droit commun pour mettre en place plus rapidement dans les départements d’outre-mer qu’en métropole les nouvelles collectivités territoriales que constituaient les régions. L’Histoire se répète… Pour autant, cette loi garantissait ensuite le rattachement des régions d’outre-mer au calendrier électoral régional de droit commun.

La commission a donc pris acte de la volonté du Gouvernement d’organiser rapidement les premières élections à l’Assemblée de Guyane et à l’Assemblée de Martinique, mais a tenu à inscrire ces élections dans le calendrier électoral de droit commun, car elles concernent des collectivités qui relèvent toujours de l’article 73 de la Constitution.

Ainsi, elle a repoussé du mois de décembre 2012 au mois de mars 2014 la date butoir pour ces premières élections, ce qui laisse au Gouvernement une plus grande marge de manœuvre pour les organiser soit de manière anticipée, soit lors du renouvellement normal de 2014.

Mais la commission a prévu que les élections suivantes s’inscriront, en tout état de cause, dans le calendrier de droit commun. Elle souhaite que soit indiqué dans le code électoral que les conseillers à l’Assemblée de Guyane et à l’Assemblée de Martinique étaient par principe élus en même temps que les conseillers régionaux en attendant la mise en place des conseillers territoriaux. Il serait pour le moins curieux que des élections générales soient organisées à des dates différentes selon les départements, sans aucune harmonisation nationale. On assisterait à un délitement de la République française !

Tenant compte de la large hostilité rencontrée chez les élus à l’égard du renforcement des pouvoirs de substitution du préfet, la commission, soucieuse des préoccupations exprimées tout à l’heure par Mme la ministre, a tenté de le rendre plus acceptable sous la forme d’un constat d’état de carence effectué non plus par le préfet, mais par le Gouvernement lui-même, après épuisement de toutes les mises en demeure nécessaires, pour d’abord inciter la collectivité intéressée à assumer ses responsabilités avant d’en arriver à une telle extrémité.

Pour ce qui concerne le projet de loi organique, la commission, rappelant l’intention du constituant, a également estimé qu’il n’appartenait pas au Gouvernement d’exercer un contrôle d’opportunité sur les demandes d’habilitation émanant des départements et régions d’outre-mer. Elle a souhaité confirmer l’appréciation portée à plusieurs reprises par le Sénat sur ce point. Ce contrôle ne doit relever que de l’autorité compétente pour accorder ou non l’habilitation, c’est-à-dire du Gouvernement dans le domaine réglementaire et du seul Parlement dans le domaine législatif. Aussi la commission a-t-elle adopté plusieurs dispositions pour prévenir toute interprétation contraire à la volonté du constituant.

Par ailleurs, afin de satisfaire une demande instante formulée durant la mission d’information, la commission a conçu un mécanisme simplifié de prorogation temporaire de droit, pour une durée maximale de deux ans, de toute habilitation après le renouvellement de l’assemblée qui en a fait la demande, à la seule condition que la loi ou le règlement ayant accordé l’habilitation initiale autorise expressément cette prorogation et que la nouvelle assemblée le décide dans les six mois suivant son élection.

Les quelques points de divergence qui subsistent entre le Gouvernement et la commission des lois sont finalement mineurs eu égard à la finalité, partagée, des projets de loi que nous examinons, à savoir améliorer le développement économique de la Guyane et de la Martinique et leur offrir davantage de moyens pour se tourner vers l’avenir. Par conséquent, la commission des lois, sous réserve de l’adoption des modifications que je viens d’évoquer, vous invite, mes chers collègues, à voter les deux projets de loi qui vous sont présentés.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. –MM. Jean-Paul Virapoullé et Bernard Frimat applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Marsin

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec la responsabilité de ceux qui entreprennent de bâtir avec discernement leur avenir que nos compatriotes guyanais et martiniquais ont massivement choisi, les 10 et 24 janvier 2010, de faire évoluer l’organisation institutionnelle de leur territoire. Qu’il me soit ici permis de saluer cette grande mobilisation, dans la conscience d’un instant historique.

Permettez en particulier à l’élu de la Guadeloupe que je suis de se réjouir que ces consultations débouchent aujourd’hui sur une réforme institutionnelle allant dans le sens d’une collectivité et d’une assemblée uniques.

Il est à mon sens de l’honneur de la République de permettre à nos compatriotes ultramarins de se saisir de leur destinée, dans le cadre solennel de la solidarité indéfectible qui lie toutes les composantes de la nation française. Mayotte en est le plus récent exemple. C’est, pour mes collègues du groupe RDSE et moi-même, l’une des conditions de l’émancipation de l’individu et de sa participation à la construction de son avenir en tant que citoyen libre.

Ce n’est rien d’autre que ce que disait Félix Éboué dans son célèbre discours intitulé Jouer le jeu, prononcé devant les élèves du lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 1er juillet 1937 : « Jouer le jeu, c’est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives, quand les circonstances veulent que l’on soit seul à les endosser ».

Les Guyanais et les Martiniquais ont ainsi fait le choix d’évoluer en se maintenant sous le régime de l’article 73 de la Constitution, plutôt que sous celui de l’article 74, que d’aucuns jugeaient plus aventureux. Ces deux articles permettent à chaque territoire de définir le chemin qu’il veut suivre vers un supplément d’autonomie, dans une responsabilité accrue. La décision des congrès des élus départementaux et régionaux de Martinique et de Guyane de progresser en ce sens marque une évolution positive, qui anoblit notre République, qui permet le maintien en son sein de ces territoires, mais dans le cadre d’un contrat social et politique rénové.

Madame la ministre, mes chers collègues, ce chemin, nous le savons, fut long, heurté, douloureux, marqué par l’ignominie de l’esclavagisme et de la colonisation. S’il revint à la République l’honneur d’avoir aboli l’esclavage en 1848, grâce à la contribution déterminante de Victor Schœlcher, nous n’oublions pas non plus qu’elle maintînt et amplifia même une politique coloniale dévastatrice.

Nous venons de commémorer la sixième journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Nous pouvons affirmer que la République sait reconnaître ses fautes du passé, humblement, pour mieux construire l’avenir.

Il fallut l’opiniâtreté et la grandeur de vue de l’illustre Aimé Césaire et de quelques autres pour que l’insupportable inégalité de statut et de conditions de vie qui prévalait fût abrogée. La loi du 19 mars 1946 fit de ces deux territoires, ainsi que de la Guadeloupe et de la Réunion, des départements d’outre mer de même rang – enfin ! – que ceux de métropole. La France doit beaucoup à son outre-mer – l’Histoire l’a prouvé –, et c’était bien le moins qu’elle pouvait faire.

Cette égalité statutaire fut prolongée par la création des régions monodépartementales, dotant ainsi ces territoires d’un double niveau institutionnel auquel fut, en réalité, contraint le législateur. En effet, comme l’a rappelé M. le rapporteur, dans sa décision du 2 décembre 1982, le Conseil constitutionnel censura totalement la loi qui prévoyait, pour les quatre départements d’outre-mer, la création d’un statut bicéphale, calqué sur celui de Paris, tantôt département et tantôt région. Ces collectivités auraient été dotées d’une assemblée unique élue au scrutin proportionnel. Et c’est précisément parce que n’aurait pas été assurée la représentation de la composante territoriale du département, comme en métropole, que cette loi fut jugée inconstitutionnelle. Or le maintien presque absurde de ce dualisme institutionnel a conduit à handicaper le nécessaire développement économique et social harmonieux de ces territoires. En effet, il y a encore un long chemin à parcourir entre l’égalité en droits, notamment institutionnelle, et l’égalité réelle entre l’outre-mer et la métropole.

Nos compatriotes guyanais et martiniquais, comme tous ceux d’outre-mer d’ailleurs, ne veulent pas d’un assistanat qui les maintiendrait dans l’immaturité démocratique et qui perpétuerait les retards de développement. Nous souhaitons au contraire que la République nous accorde une confiance qui soit à la hauteur de ce que l’outre-mer lui a donné dans le passé. Ce fut le sens du combat mené toute sa vie par Gaston Monnerville, notamment lorsqu’il créa, en 1946, le Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer. Ce fut également, plus récemment, la position que défendirent constamment nos anciens collègues et membres du RDSE, Rodolphe Désiré et Georges Othily.

C’est aussi dans cette logique de développement que Claude Lise et notre ancien collègue député Michel Tamaya écrivaient, dans le rapport qu’ils remirent en 1999 au Premier ministre, que cette « organisation administrative engendre des complexités qui aboutissent à un enchevêtrement dommageable des compétences ». Nous faisons nôtre cette constatation ; mais, à notre sens, la réforme statutaire est non pas une finalité, mais un outil de démocratie, au service de la transformation économique et sociale de collectivités qui pâtissent de graves retards de développement avec, en toile de fond, l’allocation non optimisée des ressources mises à leur disposition.

De surcroît, ces territoires sont confrontés à des problématiques très spécifiques : situation financière inquiétante des collectivités territoriales, chômage endémique, grave montée de la délinquance et de la criminalité, délabrement du système de soins – avec en Guyane, par exemple, le plus fort taux de séropositivité de France –, pression migratoire, orpaillage mal maîtrisé, avec une forte activité clandestine et sauvage, tout cela sur un territoire immense, aux richesses abondantes mais mal ou insuffisamment exploitées. J’y ajouterai, dans le cas de la Guadeloupe, le handicap supplémentaire de la double insularité.

De fait, l’idée de créer une assemblée unique, aux compétences pertinentes et clairement définies, constitue un vrai progrès pour la rationalisation de la prise de décision et de la conduite de l’action publique. Toutefois, il ne s’agit que d’un préalable nécessaire, et certainement pas suffisant. En effet, le projet politique et les compétences des hommes et des femmes qui porteront demain la Guyane et la Martinique, ainsi que la Guadeloupe après-demain, demeurent essentiels pour ancrer la pratique d’une meilleure gouvernance locale, démocratique et efficace.

Plusieurs interrogations sont toutefois apparues, interrogations dont vous avez posé les termes, monsieur le rapporteur, dans le rapport d’information que vous avez publié avec notre collègue M. Frimat.

En premier lieu, le calendrier de mise en place des nouvelles assemblées délibérantes et de leur élection a suscité de légitimes réserves de la part de nombreux élus locaux.

En prévoyant initialement un scrutin en 2012, le projet de loi ordinaire – vous l’avez rappelé – faisait sortir la Guyane et la Martinique du calendrier électoral de droit commun, qui prévoit un renouvellement général des assemblées locales en 2014, lorsque seront élus pour la première fois les conseillers territoriaux.

Pour des raisons pratiques de faisabilité, mais aussi pour des raisons de principe, qui tiennent notamment à l’attachement des populations à l’article 73 de la Constitution, les aménagements que vous avez apportés au texte, monsieur le rapporteur, nous semblent donc introduire plus de réalisme et de cohérence dans le calendrier.

En deuxième lieu, se pose en Guyane la question très particulière de la représentation de la diversité géographique du territoire et des populations amérindiennes.

La Guyane, vous le savez, est le département français le plus vaste, avec ses 84 000 kilomètres carrés. Toutefois, 96 % de son territoire sont couverts par la forêt équatoriale, où vit la très grande majorité des six communautés amérindiennes, qui regroupent environ 7 000 personnes.

Le projet de loi initial ne tenait pas suffisamment compte de cette diversité géographique et humaine, dans la mesure où le découpage en sections favorisait de façon disproportionnée les zones littorales, les plus peuplées. Il importait donc de corriger ce biais ; c’est ce qui a été fait dans le projet de loi, sur l’initiative de notre collègue M. Frimat.

En troisième lieu, le schéma institutionnel retenu dans chacune des collectivités n’a pas emporté l’unanimité des élus locaux, particulièrement en Guyane.

Les deux territoires ont opté pour des solutions différentes – c’est bien la souplesse de l’article 73 qui a permis cette latitude.

La majorité des élus guyanais ont choisi de se placer directement dans la lignée du droit commun, tout en rationalisant leur organisation. L’Assemblée de Guyane, assemblée délibérante unique, sera donc dotée d’un président, organe exécutif unique de la collectivité, et d’une commission permanente aux pouvoirs aussi étendus que le souhaite l’Assemblée. Ces institutions se substitueront aux actuels conseils général et régional. Parallèlement, sera mis en place un Conseil économique, social et environnemental unique.

Tout autre a été le choix des élus martiniquais, qui ont préféré s’inspirer du modèle mis en place pour la Corse en 1991 : l’Assemblée de Martinique, assemblée délibérante unique sans commission permanente, élira au scrutin majoritaire de liste un conseil exécutif dont les membres ne pourront pas par la suite appartenir à l’Assemblée. Le président de ce conseil sera l’ordonnateur de la collectivité. Ce conseil sera solidairement responsable devant l’Assemblée, qui pourra le renverser par l’adoption d’une motion de défiance constructive.

Ces deux schémas aux logiques divergentes suscitent de légitimes interrogations.

S’agissant de la Martinique, je ne peux m’empêcher de penser que la coexistence de deux présidents – celui de l’Assemblée et celui du conseil exécutif – est susceptible d’alimenter des conflits entre pouvoirs, voire entre personnes, ce qui conduirait à des résultats fort éloignés de l’objectif initial de rationalisation.

Certes, la motion de défiance constructive est censée amoindrir les risques d’instabilité, mais des exemples nous démontrent que les renversements d’alliance peuvent faire et défaire les majorités sans que les électeurs aient leur mot à dire. C’est en tout cas une organisation que, pour ma part, je ne soutiendrais pas s’il s’agissait de la Guadeloupe. Pour autant, je respecte bien entendu le choix des élus martiniquais, choix qui a sans doute été fait en conscience.

Concernant la Guyane, certains élus auraient préféré que soit mis en place le même système, pour éviter toute concentration du pouvoir et faciliter la gestion d’un vaste territoire. En toute prudence, je dirai que ce point de vue est légitime, mais il est également possible de défendre l’idée selon laquelle une direction unique peut garantir l’efficacité de l’action publique.

Dans ce domaine, la sagesse légendaire de notre assemblée doit donc faire son œuvre lors de la discussion des amendements.

Enfin, en quatrième lieu, l’extension du pouvoir de substitution des préfets en Guyane et en Martinique, mais aussi dans les trois autres départements d’outre-mer, me paraît aller à contresens de la marche de la décentralisation.

Il s’agissait initialement de revenir à une forme de tutelle en permettant au préfet, après une mise en demeure restée sans réponse, de se substituer à la collectivité pour prendre toutes les dispositions urgentes et nécessaires en cas de carence en matière de sauvegarde de la santé publique, de la sécurité publique ou de l’environnement, ainsi que de respect des engagements internationaux de la France.

Non seulement ce dispositif instille dans les esprits une suspicion quant à la capacité de ces collectivités et de leurs communes à s’administrer de façon libre et responsable, mais encore il vient s’ajouter, de manière redondante, à des dispositions de droit commun existantes qui prêtent déjà aux représentants de l’État un pouvoir de substitution. Les élus locaux – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur – ont unanimement rejeté cette extension, y voyant en filigrane, à juste titre, un retour du gouverneur omnipotent d’antan.

Mme Lucette Michaux-Chevry s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Marsin

Je ne suis pas convaincu, monsieur le rapporteur, que le dispositif de constatation de l’état de carence que vous lui avez substitué soit plus opportun, dans la mesure où il maintient une dérogation excessive à l’article 73 de la Constitution. Comment peut-on à la fois se féliciter de l’attachement de nos compatriotes au droit commun de l’article 73 et leur ôter une partie du régime juridique qui s’y attache ? Comment justifier la mise en place de ce dispositif dans les départements et régions d’outre-mer et pas en métropole, où certaines collectivités connaissent pourtant des dysfonctionnements bien plus graves ? À mon sens, il ne fallait pas mélanger les logiques des articles 73 et 74, ce que fait malheureusement l’article 9 du projet de loi.

Mes chers collègues, je ne puis naturellement abstraire la discussion de ces textes du débat institutionnel qui se déroule depuis maintenant presque deux ans en Guadeloupe. Après avoir obtenu que ce débat soit prolongé de dix-huit mois par rapport à nos voisins, la majorité du Congrès des élus départementaux et régionaux de Guadeloupe a finalement choisi, le 28 décembre 2010, que soit appliqué le droit commun national. À titre personnel, je le regrette, comme je l’ai encore rappelé le 14 février dernier lors de la rencontre des élus guadeloupéens avec M. le Président de la République.

Je le regrette d’autant plus que l’alternative qui nous était proposée – le droit commun ou un schéma ad hoc – nous aurait enfin permis de mettre en place une architecture institutionnelle spécifique qui aurait réellement tenu compte de la réalité de la Guadeloupe d’aujourd’hui, de notre besoin de modernisation et de rationalisation de la gouvernance. Les événements de 2009 ont démontré que les Guadeloupéens aspiraient profondément à un progrès économique et social partagé, tourné vers un avenir meilleur, ce qui suppose notamment une plus grande efficacité de l’action publique locale.

Alors que les élus guyanais et martiniquais ont choisi un cadre institutionnel propice à l’efficacité et au progrès économique et social, il était à mon sens inopportun, pour ne pas dire inconvenant, que l’essentiel des débats se soit jusqu’à présent concentré, en Guadeloupe, sur le nombre d’élus ou l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le dispositif de droit commun. La profonde crise qui frappe notre territoire nécessite des réponses rapides et efficaces, à la formulation desquelles ne contribue assurément pas le délitement du débat institutionnel. Toutefois, le Congrès des élus départementaux et régionaux de Guadeloupe en a majoritairement décidé ainsi, s’écartant de l’exemple de la Guyane et de la Martinique.

Pour autant, je ne peux considérer ce débat guadeloupéen comme définitivement tranché, et je ne cesserai d’appeler de mes vœux que le Congrès des élus départementaux et régionaux de la Guadeloupe se saisisse à nouveau de cette question avant longtemps pour y apporter, enfin, une réponse réellement progressiste.

En conclusion, je tiens, au nom de mes collègues du groupe RDSE, à saluer l’esprit de responsabilité de nos compatriotes guyanais et martiniquais.

Au moment où ils se dotent de nouveaux outils de démocratie et de gouvernance, la République doit leur assurer les conditions du succès. Cela passe bien entendu par la consolidation et l’ajustement des moyens financiers apportés par l’État, afin de permettre à ces territoires de rattraper leurs retards d’équipements et de mettre en place les conditions d’un réel développement endogène.

Vous aurez compris combien j’aurais souhaité que, en cet instant, ici même, dans l’hémicycle de notre Haute Assemblée, la Guadeloupe fût également concernée. Mais qu’à cela ne tienne ! C’est avec une certaine émotion et en toute amitié que, à cette tribune, je dis d’ores et déjà à tous les Guyanais et tous les Martiniquais : « Bonne chance ! »

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et des amendements qui seront discutés, nous approuverons bien entendu ces deux textes.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste, de l’Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, deux ans ou presque après les événements sociaux qui ont marqué l’outre-mer, nous siégeons pour examiner deux projets de loi, l’un organique, l’autre ordinaire, relatifs à la situation institutionnelle de la Martinique et de la Guyane.

Il s’agit, pour la forme en tout cas, de réaliser la fusion des deux assemblées locales actuelles – conseil général et conseil régional – en une seule assemblée qui réunirait leurs pouvoirs et compétences respectifs, et se trouverait sous l’empire de l’article 73 de la Constitution, ce qui permettrait de procéder à des adaptations aux situations locales de la législation et des règlements en vigueur dans notre pays.

Ce choix institutionnel découle, comme cela a été rappelé, de deux consultations organisées en janvier 2010 auprès des populations martiniquaise et guyanaise pour définir le devenir de ces territoires.

La première consultation concernait l’application de l’article 74 de la Constitution, qui confère une plus large autonomie a priori aux assemblées d’outre-mer concernées, par la définition d’un champ de compétences plus étendu.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette consultation a intéressé les électeurs, puisque le taux de participation a été de 48, 2 % en Guyane et de 55, 3 % en Martinique. Notons tout de même – je le rappelle pour ceux qui brocarderaient ces chiffres – que la participation aux élections régionales de 2010 s’était établie à 44, 4 % en Guyane et à 44, 5 % en Martinique, ce qui situe donc à un bon niveau la fréquentation des urnes pour le premier référendum.

L’application de l’article 74 a été rejetée, puisque le « oui » a recueilli 29, 78 % des suffrages en Guyane et 20, 69 % en Martinique. Certains y ont d’ailleurs vu un désaveu des élus en place. Toutefois, les choses nous semblent plus complexes et doivent, à notre sens, être appréhendées en tenant compte des quelques incertitudes et inquiétudes qui pouvaient animer les électrices et les électeurs au moment même de voter sur le devenir de la Guyane et de la Martinique.

Deux semaines plus tard, a été organisé un nouveau double référendum, portant cette fois sur l’application de l’article 73, et singulièrement de la procédure d’habilitation.

Ce second référendum n’a pas rencontré le même écho : le taux de participation a connu une baisse sensible, s’établissant à seulement 27, 4 % en Guyane et 35, 8 % en Martinique. Le « oui » l’a emporté dans les deux cas, avec un pourcentage de 57, 49 % en Guyane et de 68, 30 % en Martinique.

Je constate avec intérêt, mes chers collègues, que le rapport se contente de mentionner les pourcentages, omettant de citer les résultats en valeur absolue. Je rappellerai donc ces derniers.

Le 10 janvier 2010, lors du premier référendum, les résultats ont été les suivants : en Guyane, sur 67 460 électeurs inscrits, on a compté 32 486 votants et 31 729 suffrages exprimés, le « oui » recueillant 9 448 voix et le « non » 22 281, soit 70, 2 % ; en Martinique, sur 296 802 électeurs inscrits, on a dénombré 164 198 votants et 159 252 suffrages exprimés, le « oui » recueillant 32 954 voix et le « non » 126 298 voix, soit 79, 3 %

Le 24 janvier, lors du second référendum, les résultats ont été les suivants : en Guyane, sur 67 258 électeurs inscrits, on a compté 18 519 votants et 17 241 suffrages exprimés, le « oui » l’emportant avec 9 912 voix – soit un nombre guère supérieur à celui des « oui » du premier scrutin –, contre seulement 7 329 « non » ; en Martinique, où le « oui » était largement soutenu par les différentes forces politiques, on a dénombré, sur 296 802 électeurs inscrits, 106 263 votants et 101 256 suffrages exprimés, le « oui » recueillant 69 188 voix et le « non » 32 068.

Si le total des « non » était donc très proche de celui des « oui » du premier référendum, celui des « oui », en revanche, était nettement plus faible que celui des « non » du premier scrutin, et ne représentait in fine que le choix d’un peu moins du quart de l’électorat...

J’ignore si le résultat du premier référendum ferme la porte, à moyen ou long termes, à une plus grande autonomie de la Guyane et de la Martinique, et si celui du second confirme l’attachement profond des Antillo-Guyanais à la France métropolitaine.

En fait, nous sommes même convaincus que cette précipitation à modifier la situation institutionnelle de la Guyane comme de la Martinique, à dépasser le cadre de la départementalisation et à s’inscrire dans le droit fil de la révision constitutionnelle de 2003 ne fait que pointer un peu plus les questions essentielles.

Surtout, cette démarche met en relief toutes les difficultés qui, dès lors que ces textes auront été adoptés et promulgués, continueront de se poser sur place, sur le plan tant économique que social, en termes de développement des potentialités, de réponse aux problèmes d’emploi, de formation, d’éducation, de préservation des espaces naturels, de valorisation des ressources, de mesures adaptées pour réduire les inégalités sociales, les soucis de logement, ou encore pour établir les conditions de nouvelles coopérations avec les États voisins.

En quelque sorte, nous ne sommes même pas au milieu du gué, et la discussion de ces deux textes de loi ne constitue qu’une première étape, au demeurant nécessaire, sur le long chemin qui reste à accomplir pour instituer de nouvelles assemblées locales, mettre en œuvre des compétences nouvelles et répondre aux problèmes révélés au grand jour par les événements du début de l’année 2009.

Bien entendu, l’objet de ces textes n’est pas de poser les bases d’une nouvelle stratégie de développement économique et social de la Guyane et de la Martinique. Toutefois, il nous semblerait bienvenu de faire en sorte que les dispositions qui seront finalement promulguées soient effectivement utilisables, en tant que moyens, pour favoriser ce développement économique et social.

Que l’on nous comprenne bien : si, avec ces textes réalisés en quelque sorte sur mesure, il ne s’agit que de créer les conditions permettant aux tenants actuels du pouvoir métropolitain et à quelques-uns de leurs relais disponibles outre-mer de se trouver confortés, nous serons loin du compte. Si, en revanche, il s’agit de permettre à l’Assemblée de la Guyane comme à l’Assemblée de Martinique d’appréhender les problèmes économiques et sociaux sous un jour nouveau et de définir et mettre en œuvre des solutions plus adaptées, nous pourrons nous féliciter d’avoir favorisé cette démarche.

Autant dire que le nouveau cadre institutionnel dont nous débattons est davantage susceptible de créer des attentes et de se voir éprouvé par les faits – jugé sur pièces, en quelque sorte – que de constituer, d’ores et déjà, la panacée aux maux dont souffrent les peuples martiniquais et guyanais.

Ces propos m’amènent immédiatement à évoquer, de nouveau, la question de la tutelle, qui me semble assez mal abordée par l’article 9 de la loi ordinaire, dans lequel il est question, sous certaines réserves, de donner au préfet, donc à l’État, tout pouvoir de substitution aux collectivités que nous aurons installées.

Une telle démarche, à notre sens peu respectueuse du principe de libre administration des collectivités, doit être repoussée. Ce n’est pas parce que l’article 73 de la Constitution s’applique que son article 72 perd toute sa valeur !

De fait, il nous semble bien plus pertinent de réfléchir en amont au contenu que nous voudrons bien donner aux concours apportés aux collectivités émergentes, notamment aux moyens financiers dont celles-ci seront dotées, que de soumettre ces collectivités à la procédure prévue à cet article 9. C’est d’autant plus vrai que la situation naturelle de la Martinique peut fort bien, dans certaines situations particulières, entraîner de façon tout aussi naturelle la mise en œuvre de la solidarité nationale.

Dans le cadre de cette intervention, je formulerai également quelques observations sur la manière dont seront élues les nouvelles assemblées.

Mon premier constat sera le suivant : partant d’un conseil général élu au scrutin uninominal à deux tours et d’un conseil régional désigné à la proportionnelle avec prime majoritaire, nous arrivons, avec le présent texte, à un système plutôt proportionnel, avec une prime majoritaire et une certaine forme de territorialisation.

Cela signifie que nous procéderons à une sorte de sectionnement électoral de la Guyane comme de la Martinique, qui sera assez proche de celui que nous connaissons aux élections régionales et qui aura tout de même un certain impact sur la répartition des sièges, compte tenu de l’importance de la prime.

Ce mode de scrutin m’inspire quelques remarques.

Tout d'abord, on pourrait fort bien s’en inspirer pour la métropole, puisque, contrairement à ce qui se passera pour les conseillers territoriaux – du moins si j’en crois la lettre du projet de loi qui leur a été consacré –, deux assemblées locales outre-mer seront élues à la proportionnelle, certes dans une version un peu corrigée et pas vraiment intégrale, mais avec ce mode de scrutin tout de même !

Ensuite, s’il fallait absolument assurer une attache territoriale aux membres de ces assemblées, nous aurions pu promouvoir un système proportionnel dans lequel auraient été désignés les premiers élus de chaque parti en vertu d’un vote personnel direct.

Pour ne prendre que l’exemple de la Guyane, l’assemblée unique se substituant sur ce territoire à un conseil général de 19 membres et à un conseil régional de 31 élus, rien n’empêchait de laisser en place les 19 territoires cantonaux actuellement découpés, d’y faire élire des conseillers issus des différentes forces politiques locales et de compléter l’assemblée avec 32 élus qui auraient permis, sur la base des voix obtenues proportionnellement par chaque parti, de compenser les éventuelles inégalités issues du vote local.

Dans certains pays du continent américain, les électeurs votent d’ailleurs parfois à la fois pour des élus au scrutin direct et pour des listes présentées par les partis politiques existants, un certain nombre de sièges étant quelquefois attribués à ces derniers afin de compenser l’écart créé par le scrutin direct.

Bref, nous ne sommes pas encore convaincus de l’absolu bien-fondé du mode de scrutin qui est ici mis en avant et qui risque fort de n’avoir qu’une seule raison d’être : limiter le plus possible le nombre de listes présentes lors des futures élections.

Au demeurant, l’organisation de la première consultation relative à l’élection des deux nouvelles assemblées n’est pas sans poser problème.

En effet, tout laisse penser que le Gouvernement a l’intention de faire en sorte que cette élection coïncide exactement avec l’installation des conseillers territoriaux en 2014, ce qui, sous couvert de laisser du temps au temps, permet surtout de donner à ceux qui disposent pour l’heure de la majorité dans les deux conseils régionaux les moyens de se préparer au mieux à la suite des opérations.

Ce point n’est pas sans importance, notamment lorsqu’on sait que, en Guyane, la majorité au conseil général est différente de celle qui prévaut au conseil régional et qu’elle n’envisage sans doute pas l’avenir du territoire de la même manière.

Nous trouvons trace de cette volonté d’attente dans le libellé de l’article 10 de la loi ordinaire, qui tend, en particulier, à permettre au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnances pour résoudre un certain nombre de questions et, par conséquent, pour repousser assez aisément le moment de prendre certaines décisions. Cet article accorde en effet au Gouvernement dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi pour promulguer ces ordonnances.

Mes chers collègues, imaginons que la loi soit promulguée à la fin du mois de juin 2011 : le Gouvernement aura jusqu’à la fin de décembre 2012 pour promulguer les ordonnances et jusqu’à la fin de juin 2013 pour déposer les projets de loi de ratification. En outre, il disposera du début de la session 2013-2014 pour, éventuellement, faire ratifier ces ordonnances, soit au travers d’un texte propre, soit au détour d’une loi de finances, par exemple celle qui vaudra pour l’année 2014. Évidemment, vu la nature des questions posées, la tentation de recourir à ce type de texte sera forte !

De plus, une commission tripartite, dont la composition sera fixée par décret simple, réfléchira à l’ensemble des questions posées par les normes financières et comptables comme par les transferts de biens, de propriété et d’obligations. Pourquoi ne pas installer d’emblée cette instance et lui donner un délai raisonnable pour travailler, d’autant que certaines questions nous semblent déjà clairement identifiées ?

La démarche privilégiée par le Gouvernement vise, en fait, à rendre quasi impossible toute mise en place rapide et effective des nouvelles assemblées, lors même que l’article 12 du projet de loi ordinaire permettrait de ne pas retenir la date de mars 2014.

Grosso modo, ce texte ouvre une fenêtre de tir entre le 1er janvier 2013 et mars 2014, mais pour la refermer aussitôt, semble-t-il ! N’est-ce pas, madame la ministre ?

Debut de section - Permalien
Marie-Luce Penchard, ministre

Pas du tout ! Ce point ne figure pas dans la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Odette Terrade

Un tel choix nous conduit à nous interroger sur les prolongements que ce projet de loi pourra connaître à moyen terme.

Ce que les événements des mois de février et mars 2009 ont prouvé, c’est que les sociétés ultramarines étaient marquées par de profondes inégalités sociales. Un sentiment non pas de fatalité devant l’état des choses, mais de blocage et d’absence de promotion sociale et/ou individuelle y est largement partagé.

Ainsi, pour la Martinique, ce mouvement a révélé, de manière évidente, que l’ensemble du commerce et une bonne partie des activités productrices étaient, de fait, contrôlés par un nombre extrêmement réduit de personnes, pour ne pas dire de familles, le plus souvent issues des anciennes lignées de planteurs ou d’une immigration plus récente venue de métropole, et que cette concentration s’opérait au détriment du plus grand nombre.

Si l’évolution statutaire et institutionnelle de la Martinique ne conduit nullement à modifier la situation des pouvoirs économiques et les rapports sociaux et si elle n’offre pas à la jeunesse locale, enfin, les moyens de développer pleinement ses potentiels et ses projets, elle n’aura pas servi à grand-chose. Pis, elle risquera fort de rendre la population méfiante envers toute autre évolution ultérieure et envers le mode de fonctionnement institutionnel qui lui est ici proposé.

La même observation vaut, bien entendu, pour la Guyane, où les problématiques urbaines, comme la protection et de la valorisation des espaces, se posent avec une acuité particulière.

En effet, sur un territoire où l’on compte 30 % de chômeurs – un taux encore plus élevé frappant les femmes et les jeunes, comme d’habitude –, où un grand nombre de logements sont encore dépourvus du confort le plus élémentaire, où de nombreux jeunes sortent du système scolaire sans la formation et les acquis leur permettant de prendre la place qu’ils méritent dans la société, il faudra sans doute autre chose qu’un simple ajustement institutionnel.

Si cette évolution peut conduire à d’autres changements, plus importants, pour les Guyanais, elle sera positive. Si tel n’est pas le cas, elle disqualifiera durablement toute tentative d’évolution qui ne s’appuierait pas sur une priorité accordée à la question sociale et aux problèmes économiques.

Ce constat nous amène, en particulier, à souligner le problème, sous-jacent, des moyens financiers dévolus aux nouvelles collectivités. Le regroupement des conseils généraux et régionaux provoque naturellement la fusion des compétences dévolues aux deux structures, mais aussi, évidemment, celle de leurs ressources propres, singulièrement des dotations budgétaires en vigueur.

Il nous a été indiqué que, parmi les objectifs du texte, figurait, notamment, la volonté de réaliser des économies, en supprimant les doublons. Je ne sais pas si cette formule est nécessairement la bonne, en particulier quand on constate, ce qui est plus que regrettable, une tendance forte à la réduction de la ligne budgétaire unique dévolue au financement du logement – ce point a encore été souligné il y a peu de temps.

Je crains même que nous ne devions être extrêmement vigilants quant à la suite des opérations, d’autant que le risque de nouveaux « délestages » de l’État vers les nouvelles collectivités existe bien.

Madame la ministre, mes chers collègues, sur la foi de ces observations, vous comprendrez aisément que notre groupe attende la fin de la discussion des articles pour déterminer son vote global sur ces deux projets de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Soibahadine Ibrahim Ramadani applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Payet

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la Martinique et la Guyane resteront longtemps marquées par les troubles de l’année 2009.

La grève animée par le mouvement autonomiste LKP a mis en relief les problèmes et les défis auxquels les départements et régions d’outre-mer font face aujourd’hui. Le chômage persistant, le déséquilibre économique, la dépendance financière vis-à-vis de la métropole, la vie chère, enfin, illustrent les multiples difficultés que rencontrent les pouvoirs publics comme la population au quotidien.

Les deux projets de lois dont la discussion nous réunit ce jour prévoient une réforme majeure des cadres territoriaux de l’administration de la Guyane et de la Martinique. Si ce changement se révèle aussi souhaitable que nécessaire, il n’a pas répondu à toutes les inquiétudes formulées par les élus des territoires concernés. A fortiori, il ne permettra pas de relever à lui seul les défis auxquels l’outre-mer est confronté aujourd’hui.

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a profondément modernisé les dispositions de l’article 73 de la Constitution.

Dans sa nouvelle rédaction, cet article permet de créer, par voie législative, une assemblée délibérante ou une collectivité unique après consultation référendaire locale.

Si la loi relative à la réforme des collectivités territoriales prévoit la création d’un conseiller territorial unique pour les départements et les régions, aucune disposition spécifique ne concerne les territoires d’outre-mer.

C’est dans ce contexte de réforme notable du cadre administratif des territoires que deux séries de référendums locaux ont été organisés afin de déterminer l’évolution à venir de l’organisation territoriale de la Guyane et de la Martinique.

Le résultat a été sans appel. Si, lors du scrutin du 10 janvier 2010, les électeurs guyanais et martiniquais ont rejeté la transition de leurs territoires vers le régime de l’article 74 de la Constitution, ils se sont en revanche prononcés, respectivement à 60 % et 70 %, pour la création d’une collectivité unique dans le cadre de l’article 73 de notre loi fondamentale.

C’est donc dans le souci d’une plus grande efficacité de l’action publique dans ces territoires et avec l’appui d’une large approbation démocratique que le Gouvernement a pu lancer un vaste processus de concertation avec les élus de Guyane et de Martinique afin de déterminer les solutions les plus appropriées aux singularités de ces territoires.

L’institution d’une collectivité unique en Guyane et en Martinique était rendue nécessaire sur le plan du droit du fait de la consultation référendaire menée en janvier 2010. Elle était aussi souhaitable dans la perspective de la simplification des processus décisionnels avec, en ligne de mire, une meilleure efficacité des politiques publiques.

Les deux projets de loi prévoient une série de dispositions communes aux deux nouvelles collectivités uniques : la réforme de la procédure de l’habilitation législative et les principes du régime électoral.

L’intervention du législateur organique était impérative afin de revenir sur certaines dispositions du code général des collectivités territoriales qui encadrent le régime des habilitations prévues à l’article 73 de la Constitution.

Le projet de loi organique prévoit une procédure plus souple et encore plus opérationnelle. Un décret en Conseil d’État permettra dorénavant d’habiliter les collectivités à prendre des mesures d’ordre réglementaire. Une loi d’habilitation sera toujours nécessaire pour que les actes des collectivités uniques puissent intervenir dans le domaine de la loi.

La durée de cette habilitation sera aménagée afin de s’adapter au rythme de la décision publique. Initialement prévue pour deux ans et impliquant, par conséquent, un renouvellement législatif régulier, la nouvelle habilitation sera étendue à six ans de manière à être couplée avec la durée du mandat des nouveaux conseillers des assemblées délibérantes.

Le régime du mandat électoral en assemblée unique sera unifié en Guyane et en Martinique. L’élection est proclamée à l’issue d’un scrutin de liste proportionnel qui a deux caractéristiques majeures : d’abord, une prime majoritaire de 20 % des sièges à pourvoir, ensuite, la subdivision de la circonscription électorale en sections dans lesquelles se présentent les différentes listes candidates.

L’architecture institutionnelle de ces deux collectivités est, en revanche, différenciée afin de pouvoir s’adapter au mieux aux spécificités de ces deux territoires.

La collectivité unique de Guyane disposera d’organes spécifiques : une assemblée délibérante unique, l’Assemblée de Guyane ; une commission permanente en charge des fonctions exécutives de la collectivité ; enfin, un conseil économique, social et environnemental consulté pour avis.

Le projet de loi ordinaire confère une spécificité à la collectivité de Guyane : la commission permanente sera compétente pour délibérer dans certaines matières au-delà de ce que l’Assemblée de Guyane peut lui déléguer.

La collectivité unique de Martinique présente, en apparence, une architecture assez similaire. La principale différence réside dans la nature de son organe exécutif. Le conseil exécutif et son président seront politiquement responsables devant les conseillers de l’Assemblée de Martinique. Cet équilibre de la responsabilité et de la décision a été institué afin de mieux répondre aux singularités politiques de l’île.

La collectivité unique n’est pas une réponse en soi aux problèmes de l’outre-mer. Sans doute cette solution n’est-elle pas adaptée à tous les territoires d’outre-mer. Nous n’avons, à ce jour, qu’une seule certitude : la collectivité unique est un outil de réponse, et non une solution donnée clés en main.

Je salue, en mon nom et au nom du groupe de l’Union centriste, le travail réalisé par la commission des lois, notamment par son rapporteur, M. Christian Cointat. Ce dernier avait déjà pointé dans un précédent rapport d’information que la collectivité unique était une simple opportunité de modernisation, et non une solution toute faite.

En adoptant les amendements de son rapporteur, la commission des lois a cherché à garantir plus fermement l’inscription des collectivités uniques dans le régime et le cadre prévus par l’article 73 de la Constitution.

La commission a, d’abord, adopté de nombreux amendements rédactionnels qui restaurent la présentation intégrale des dispositions s’appliquant aux collectivités uniques. Elle se substitue à la rédaction préparée par le Gouvernement qui, si elle avait le mérite de la concision, perdait fortement en lisibilité et en accessibilité.

La commission a, ensuite, adopté des amendements visant à garantir le respect du pluralisme politique en Martinique en revenant sur la version initiale de la motion de défiance dont disposent les élus de l’Assemblée de Martinique. Dans sa nouvelle mouture, la motion pourra être déposée par le tiers des conseillers et adoptée à la majorité absolue sans garantir aux membres du conseil exécutif de retrouver leur siège à l’assemblée. C’est donc un gage de responsabilité supplémentaire qui devra inciter l’exécutif de Martinique à la prudence.

Le mode de scrutin et le découpage des sections électorales de Guyane ont été également revus et corrigés par la commission afin de ne pas reproduire trop fortement les disparités géographiques du territoire guyanais.

Unanimement dénoncés par les élus et rappelés dans le rapport d’information par notre collègue Christian Cointat, les pouvoirs de substitution du préfet ont été édulcorés. La substitution ne sera plus déclarée d’entrée, elle sera désormais soumise à une procédure de constatation en carence sous l’autorité du Gouvernement.

Notre ancien collègue le sénateur honoraire Roger Lise a attiré l’attention du Sénat sur les inquiétudes partagées par de nombreux élus martiniquais. Beaucoup de collectifs d’élus se sont mobilisés, une fois connus les deux projets de loi, pour manifester leur inquiétude quant à l’évolution de ces collectivités. Roger Lise s’est notamment interrogé sur l’équilibre institutionnel dégagé par le Gouvernement lors des concertations menées l’an passé : le régime de la collectivité unique ne serait-il pas une application de fait de l’article 74 ?

Le régime de l’article 73 de la Constitution est bien distinct de celui de l’article 74, relatif aux territoires d’outre-mer, qui prévoit, notamment, l’autonomie de ces territoires telle que pratiquée en Polynésie française, par exemple. La voie de la départementalisation en Martinique et en Guyane est le fruit d’une longue histoire. La population locale a manifesté son attachement au régime de l’article 73 et, donc, à une intégration complète dans la République.

En outre, personne ne sait quels seront les effets du scrutin proportionnel sur la représentation politique en Guyane et, surtout, en Martinique. La réforme institutionnelle de la collectivité unique ne doit pas devenir un outil aux mains des autonomistes dès lors que la population s’est fermement prononcée contre le passage au régime de l’article 74.

Le dispositif prévu par les deux projets de loi, s’il s’appuie sur une architecture textuelle complexe, est porteur de garanties suffisantes pour assurer les élus locaux de l’ancrage des nouvelles collectivités dans le régime de l’article 73. Si nous devons rester attentifs à l’évolution de ces nouvelles institutions et à leur possible application à d’autres parties de l’outre-mer – j’ouvre une parenthèse pour rappeler ici, mes chers collègues, que la Réunion, à maintes reprises, a manifesté son hostilité farouche à tout changement institutionnel –, le groupe de l’Union centriste soutiendra l’adoption de ce texte tel qu’adopté par la commission des lois.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées de l ’ UMP et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Madame la ministre, les 10 et 24 janvier 2010 ne doivent pas être vécus uniquement comme des victoires électorales.

En choisissant, à une large majorité, de demeurer dans le droit commun de l’article 73 de la Constitution et en optant pour la mise en place d’une collectivité unique, les Guyanais ont voulu vous adresser un double message : certes, le maintien dans l’article 73, mais aussi le refus d’un statu quo qui reconduirait un système de région monodépartementale unanimement décrié pour « ses enchevêtrements de compétences préjudiciables », pour reprendre les termes de votre étude d’impact.

Dès lors, la collectivité unique devait permettre de rationaliser et de rendre plus efficace l’action publique locale à une Guyane qui en a grandement besoin tant sont mauvais ses chiffres et indicateurs, et ce dans tous les domaines – santé, éducation, chômage, logement...

Ainsi était-on en droit d’espérer que la collectivité unique, par son côté novateur et correcteur, serait un instrument plus performant, qui apporterait plus de consistance au développement économique, social et culturel de la Guyane.

Trouve-t-on dans les deux textes qui nous sont proposés aujourd’hui les éléments qui apportent des réponses à notre légitime attente, même si le titre du rapport d’information des sénateurs Cointat et Frimat « Guyane, Martinique, Guadeloupe : L’évolution institutionnelle, une opportunité, pas une solution miracle » est déjà fortement évocateur ?

Il existe, certes, de réelles avancées dans ces projets de loi. Certaines ont d’ailleurs été introduites par la commission des lois. Je profite de cette occasion pour saluer le travail qu’elle a réalisé, tant sur les textes qu’au travers des déplacements sur le terrain. Et je suis bien placé pour en parler pour avoir accompagné ses représentants dans tous les coins et recoins de Guyane, en avion, en voiture et en pirogue !

Ces textes comportent, certes, des avancées. C’est le cas, notamment, sur le régime des habilitations. À la prolongation prévue par le projet initial jusqu’à la fin du mandat de l’Assemblée qui en fait la demande, la commission des lois a ajouté une possibilité de prorogation de droit de deux ans après le renouvellement de l’Assemblée et adopté plusieurs dispositions de nature à éviter un contrôle d’opportunité de la part du Gouvernement. Permettez-moi de noter que l’on est tout de même loin d’un nouveau statut apparenté à l’article 74, comme certains n’hésitent pas à l’évoquer !

Une autre avancée importante est la garantie d’une représentation équilibrée du territoire à l’Assemblée de Guyane, avec un découpage des sections et une affectation des sièges dans chaque section, qui devront tenir compte des caractéristiques du territoire : son étendue, son éclatement, voire sa diversité.

Il faut aussi retenir la préservation de la dimension culturelle dans la fusion des deux conseils exécutifs locaux, par la création, au sein du Conseil économique, social environnemental et culturel de la Guyane, de deux sections, l’une « économique et sociale », et l’autre « culture, éducation et environnement ».

De même peuvent être considérées comme des avancées l’introduction dans la loi du comité consultatif des populations amérindiennes et bushinengué, la conservation et la rénovation du Congrès des élus dans les futures collectivités uniques, avec l’adjonction de l’ensemble des maires, même avec voix consultative, la création du centre territorial de promotion de la santé et le conseil territorial de l’habitat. La santé et l’habitat sont en effet deux secteurs en panne en Guyane, qui devient de plus en plus un désert médical. Plus de 13 000 personnes sont en attente d’un logement pour un parc de 11 000 logements totalement occupés.

Certaines dispositions méritent cependant d’être encore revues. Je veux parler de celles sur lesquelles la commission des lois n’a finalement pas tranché, alors qu’elle avait semblé prendre acte de la justesse des demandes locales. Il s’agit du pouvoir de substitution et du calendrier électoral.

Sur ces deux points, il y a pourtant unanimité des deux collectivités de Guyane, tant pour la suppression de ce pouvoir de substitution au « fort relent colonialiste » que pour la fixation de la date des élections en mars 2014. Aussi, les positions arrêtées dans le texte – encadrement, mais maintien du pouvoir de substitution, en définitive, et la formule retenue pour la date de l’élection « au plus tard 2014 » – ne nous satisfont guère !

Beaucoup plus surprenant est le silence embarrassant affiché par la commission des lois sur mes amendements d’ordre financier.

M. le rapporteur sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Est également troublant, madame la ministre, votre refus persistant de ne pas nous rétablir dans nos droits financiers, alors que vous connaissez parfaitement la difficile situation financière des collectivités locales de Guyane.

En effet, dans votre propre étude d’impact, on peut lire que « le conseil régional de Guyane connaît une situation financière fragilisée par un endettement préoccupant, une pression fiscale relativement élevée » et que « les indicateurs se sont même dégradés en 2009 ». La situation est identique pour le conseil général, qui, selon ce même document, « se maintient dans un équilibre précaire avec un taux d’épargne faible et des marges de manœuvre étroites du fait d’une fiscalité déjà élevée ».

Madame la ministre, comment peut-on s’attendre à un fonctionnement optimal pour une collectivité qui démarrera avec un tel handicap ?

Vous évoquez le droit commun pour justifier le fait que les compétences des deux collectivités étant regroupées et conservées à l’identique, elles continueront à percevoir strictement les mêmes produits des impôts locaux et des taxes et les mêmes dotations de l’État. Cela explique que vous n’ayez pas retenu la proposition des élus de Guyane d’instaurer une « dotation spécifique d’accompagnement » pour compenser les frais généraux engendrés par la fusion.

Vous présentez cette fusion comme un véritable gisement d’économies qui permettra de dégager de nouvelles marges de manœuvre financières. Néanmoins, l’expérience de transferts intervenus dans le cadre du développement des structures intercommunales ou, plus récemment, dans le prolongement des différents transferts de l’État vers les départements et régions démontre l’existence d’un certain nombre d’effets qui, s’ils se traduisent souvent par une amélioration qualitative du niveau de service public, se soldent financièrement par une progression des dépenses, du moins au cours des premières années. D’ailleurs, l’étude d’impact réalisée par le Gouvernement ne l’exclut pas puisqu’elle indique que des « conséquences financières préalables sont à prévoir ».

Madame la ministre, vous mettez constamment en avant le droit commun de l’article 73 de la Constitution. Vous avez tout à fait raison, car les Guyanais ont largement choisi de demeurer dans ce cadre. Toutefois, ce rappel constant au droit commun doit l’être également quand nous réclamons une juste évaluation des recettes de nos collectivités locales, minorées de manière dérogatoire et par la loi pour la seule Guyane.

Au risque de me répéter inlassablement dans cet hémicycle, je citerai de nouveau le foncier domanial non exploité, non constaté qui n’est pas évalué et qui permet à l’État, dans le seul département de la Guyane, d’échapper à la taxe sur le foncier non bâti sur l’ensemble de son domaine privé.

Je reviendrai également sur la dotation globale de fonctionnement plafonnée dans sa part superficiaire pour le seul département de la Guyane, alors que des communes de montagne de France métropolitaine bénéficient au contraire d’une majoration de quelque cinq euros par hectare. De même, elle est minorée pour les communes aurifères, la dangerosité de ces territoires empêchant de procéder à des décomptes de population exhaustifs.

Ainsi, sur 9 000 habitants, ma propre commune en a « perdu » entre 1 500 et 2 000 au dernier recensement, les agents de l’INSEE n’ayant pu accéder à une grande partie du territoire à cause des garimpeiros. Il s’agit donc d’une zone de non-droit à forte densité, dont les habitants n’ont pu être dénombrés, ce qui entraîne un grave préjudice financier.

Je pense encore au prélèvement de 27 millions d’euros sur l’octroi de mer des communes qui est effectué de manière unilatérale, sans compensation et, là aussi, uniquement pour la Guyane, par le représentant de l’État depuis 1974 et introduit dans la loi en 2004. Madame la ministre, songez que, si cette somme était rétrocédée aux communes, Saint-Laurent-du-Maroni et Roura, qui sont financièrement en péril, pourraient obtenir un prêt de restructuration et voir ainsi leur situation s’assainir.

Ces régimes dérogatoires, qui frappent uniquement la Guyane, ne favorisent aucunement l’égalité entre les collectivités territoriales et amplifient même les inégalités. La mise en place de la collectivité unique de Guyane, dans le cadre de l’article 73 de la Constitution, paraissait une opportunité permettant de ne pas laisser perdurer des dispositifs injustes et contraires à l’article 72–2 de la Constitution. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître l’avis du Conseil constitutionnel sur ces différents points, voire de déposer une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Pour réparer ces injustices et comme j’ai foi en l’action parlementaire, j’ai déposé un certain nombre d’amendements qui, je l’espère, recueilleront l’assentiment de mes collègues. En effet, beaucoup d’entre eux se sont récemment rendus en Guyane et ont pu, sur le terrain, se rendre compte de l’acuité des problèmes qui se posent dans ce département ainsi que de la nécessité d’un réajustement financier au profit des collectivités locales, en première ligne dans l’aménagement du territoire.

Madame la ministre, il est urgent d’intervenir sur cette question, véritable pierre angulaire du développement de la Guyane dont la population atteindra 574 000 habitants en 2040, dépassant ainsi celle de la Martinique et de la Guadeloupe. Le chef de l’État, qui a reçu à l’Élysée au mois de novembre 2010 les élus de Guyane sur la mise en place de cette future collectivité unique, vous avait demandé, à vous et à votre ministre de tutelle de l’époque, M. Brice Hortefeux, d’élaborer un rapport sur les finances locales de Guyane. Quid de ce rapport ? À ce jour, aucune nouvelle.

Aussi comprendrez-vous aisément, madame la ministre, que ma position définitive sur ces projets de loi dépendra du sort que vous réserverez aux amendements que je présenterai.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Paul Virapoullé applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique. Ces deux textes marquent la traduction législative de la volonté des électeurs de Martinique et de Guyane qui, lors des consultations du mois de janvier 2010, ont émis le souhait d’une réforme tendant à la mise en place d’une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution et exerçant les compétences d’un département et d’une région.

Si cette réforme est adoptée par le Parlement, la Martinique et la Guyane rejoindront Mayotte, qui, depuis le 31 mars dernier, est devenue la première collectivité unique de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Soibahadine Ibrahim Ramadani

L’excellent rapporteur de la commission des lois, notre collègue Christian Cointat, l’a écrit dans son rapport : « La collectivité unique ne remet nullement en cause le sens et l’esprit de la départementalisation. » Il note cependant que, au sein des départements d'outre-mer, il existe pour l’instant non seulement des « trajectoires institutionnelles différenciées », faisant allusion à l’opposition actuelle de la Réunion à tout changement, synonyme d’éloignement au droit commun, mais aussi une poursuite de la réflexion en Guadeloupe, afin notamment de faire mûrir le « projet guadeloupéen de société ».

Ainsi, au plus tard au mois de mars 2014, à l’issue des premières élections, l’Assemblée de Guyane et l’Assemblée de Martinique disposeront chacune d’une organisation institutionnelle propre, permettant de mieux répondre aux attentes de chaque collectivité.

De son côté, la Guyane disposera d’un organe délibérant dont le président sera assisté d’une commission permanente ; la Martinique, quant à elle, aura un système particulier, plus proche de celui de la Corse de 1991, avec un conseil exécutif distinct de l’assemblée délibérante.

De plus, les deux assemblées disposeront d’un organe consultatif dénommé « Conseil économique, social et environnemental », fusion des deux conseils consultatifs existants. Rappelons que, pour Mayotte, à l’occasion du débat législatif que nous avons eu ici même au mois d’octobre dernier, il a été proposé le maintien des deux organes consultatifs du département jusqu’en 2014, en attendant, d’une part, les conclusions de la réforme territoriale et, d’autre part, les propositions pour les collectivités uniques de Martinique et de Guyane. Ainsi, pour une meilleure cohérence, il serait judicieux de prévoir la même disposition pour Mayotte, à savoir la création d’un conseil consultatif unique identique à ceux de Guyane et de Martinique, avec deux sections.

J’en viens au mode de scrutin. Celui qui a été retenu pour les deux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique est celui des régions, avec une circonscription unique composée de plusieurs sections, permettant notamment l’attribution d’une prime majoritaire.

Enfin, le nombre d’élus membres des deux assemblées a été fixé à 51. Du fait de l’évolution démographique importante, notamment en Guyane, il est prévu d’augmenter celui-ci en fonction de la population, selon l’hypothèse suivante : 55 élus pour une population totale comprise entre 250 000 habitants et 300 000 habitants, 61 élus au-delà.

Le contexte démographique en Guyane est identique à celui de Mayotte qui comptera 23 élus en 2014 pour une population dépassant les 200 000 habitants. Or, si l’on prend en compte les prévisions de l’INSEE pour 2017, la population atteindra 260 000 habitants. Dans cette hypothèse, qui est la plus basse, rappelons-le, le département de Mayotte devrait disposer d’un nombre d’élus comparable à ceux des collectivités uniques de Guyane et de Martinique.

Les deux collectivités de Guyane et de Martinique disposeront des compétences d’un département et d’une région. Aucun élargissement de nouvelles compétences n’est prévu, comme certains élus le souhaitaient.

De ce fait, l’article 73 de la Constitution reconnaît aux collectivités uniques la faculté d’adaptation des lois et règlements en vigueur en fonction des spécificités particulières de chacune d’entre elles, dans les matières où s’exercent les compétences qui leur sont dévolues. Elles peuvent ainsi définir elles-mêmes des règles normatives dans les domaines relevant de la loi, à l’exception de celles qui ont trait à l’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnel garanti, qui requièrent des habilitations préalables.

De même, dans la mesure où les compétences régionales et départementales sont regroupées en une assemblée unique, il a été convenu avec le Gouvernement et les élus locaux le maintien des ressources budgétaires actuelles cumulées.

Par ailleurs, je note que l’évolution institutionnelle de la Guyane et de la Martinique n’a aucune incidence sur leur positionnement dans l’espace européen, puisqu’elle est interne à la République. Ces deux collectivités demeurent toujours des régions ultrapériphériques de l’Union européenne au titre des articles 349 et 355 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Madame la ministre, au terme du calendrier que vous nous avez précisé ici même au mois de janvier dernier, Mayotte rejoindrait, le 1er janvier 2014, la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, la Réunion, Saint-Martin et Saint-Barthélemy comme région ultrapériphérique de l’Union européenne. Pouvez-vous confirmer aux Mahorais qu’une demande française sera bien déposée en ce sens auprès des autorités de l’Union européenne d’ici à la fin de ce mois et nous indiquer les échéances prévues entre 2011 et 2013 ?

Enfin, la disparition de la commission de révision de l’état civil, prévue pour le mois dernier, s’est révélée irréaliste au regard de nombreux dossiers en attente de décisions et des extraits de naissance à délivrer. De ce fait, l’État a été conduit à maintenir cette instance jusqu’au 31 décembre 2011. Par conséquent, il conviendrait aussi de proroger la dotation exceptionnelle liée à la prise en charge des frais de l’état civil, qui arrive à échéance au mois de septembre 2011.

Madame la ministre, sous le bénéfice de ces quelques observations, je soutiendrai ces deux projets de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, enfin une évolution institutionnelle en outre-mer. Ouf ! Je veux tout de même le rappeler, les Antilles sont françaises depuis 1635…

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

… et tiennent viscéralement à le rester. Les derniers résultats des élections en Guyane et en Martinique viennent de le prouver. En raison du passé esclavagiste qui a marqué ces territoires, nous sommes très attachés aux valeurs de liberté, de démocratie : toute notre histoire est fondée sur ces principes. Malheureusement, souvent, on nous ridiculise, parlant à notre égard de « confettis de la République » ou insistant sur les allocations que nous percevons.

Je tiens à rappeler ici la résistance de ces îles. Ainsi la Guadeloupe s’est-elle opposée à l’Angleterre qui avait imposé un blocus pour l’obliger à passer sous pavillon britannique. Sans succès.

Je veux rappeler également la période de la dissidence. Nous étions très bien sous nos cocotiers. Pourtant, nos anciens sont partis de Martinique et de Guadeloupe en Guyane pour répondre à l’appel du général de Gaulle.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Mme Lucette Michaux-Chevry. Nous avons été très sensibles – j’ai vu des gens en larmes – à l’hommage rendu par le Président de la République, lors de sa visite en Martinique, à ces dissidents que tout le monde avait oubliés, alors qu’ils avaient contribué à défendre l’honneur de la France.

M. Charles Revet opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

La France, de la période coloniale à la grande réforme de la décentralisation entreprise en 1982, en passant par la départementalisation de 1946, a mené une politique généreuse de rattrapage en outre-mer, même si l’on peut la considérer insuffisante. Malgré son souci de préserver l’unité nationale et l’égalité de tous les Français, elle a confondu unité et uniformité.

La métropole, ce n’est pas la « France du large », qui se compose de territoires qui sont notre cadre de vie. Pourtant, le général de Gaulle avait fait reconnaître, dans la Constitution de la Ve République, la nécessité de prendre en compte les particularismes de l’outre-mer. Si la départementalisation a amené l’égalité sociale, la décentralisation a permis un pas en avant pour reconnaître nos spécificités. Néanmoins, l’esprit de ces réformes a toujours été de calquer systématiquement des décisions métropolitaines, pensées sur des espaces donnés, pour les appliquer dans le monde entier, de l’océan atlantique à l’océan pacifique, sur des territoires exigus qui se trouvent sous des latitudes différentes.

Ce ne sont pas les incidents de 2009 qui ont créé ce besoin de changement. Celui-ci remonte à l’époque où l’Angleterre a permis aux îles de la Caraïbe d’accéder à l’indépendance. Des intellectuels de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane ont alors considéré que, peut-être, était venu le temps de s’exprimer, de parler au nom de leur pays. Cela a déclenché un climat de violence, qui culmina notamment avec un décret d’avril 1960 imposant aux Domiens des contrôles systématiques pour les empêcher de rentrer sur le territoire en raison de leurs opinions politiques.

Le Gouvernement a alors présenté en 1982 une loi qui fusionnait département et région. Le Conseil constitutionnel ayant annulé ce texte, une loi de 1983 créa les régions monodépartementales outre-mer et nous fûmes les premiers à expérimenter le fait régional. Le droit commun a alors été écarté. Il s’agissait d’un véritable choix politique, qui consistait à accorder les compétences des départements à la région. Les pressions n’ont pas cessé pour autant.

De nombreux élus de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane ont voulu alors instaurer un vrai dialogue entre ces trois territoires. Il était inadmissible, mes chers collègues, de ne pas entretenir de contacts directs entre nous. Il était totalement anormal qu’un billet d’avion entre Cayenne et Pointe-à-Pitre soit plus cher qu’un billet entre Pointe-à-Pitre et Paris. Mais la volonté de la métropole a toujours été d’accrocher systématiquement l’outre-mer à la nation française.

Trois forces politiques d’origine différente, il est important de le souligner, ont décidé de réformer cela : l’exécutif de Guyane, affilié au parti socialiste, le nationalisme martiniquais et la droite guadeloupéenne. Il faut du courage en politique ! Nous n’avons pas fait un texte sur le développement économique – ce n’est pas ce qui manque –, mais nous avons élaboré ensemble un texte de responsabilité dans la gestion de nos territoires, affirmant que nous voulions penser et agir par nous-mêmes, dans la cadre de la République française.

Il n’était pas facile, pour des gens partisans de l’indépendance de la Guadeloupe, de se trouver autour d’une table pour rappeler le respect de la nation française. Nous sommes allés très loin, sous l’impulsion d’Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, à qui je tiens à rendre hommage, puisque nous avons créé l’Association des États de la Caraïbe, validée par le Parlement.

La France ignorait alors tout du fonctionnement du Caricom. Savez-vous que la France a donné à l’Europe le soin de parler au nom de l’outre-mer, dans des structures intergouvernementales de la Caraïbe qui prennent des décisions ayant des conséquences pour nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

C’est la raison pour laquelle nous avons revendiqué de pouvoir parler nous-mêmes, parce que nous connaissons mieux les problèmes qui se posent à nous.

À cet égard, le problème de la banane est un exemple flagrant. Je ne nommerai pas le ministre qui en est responsable. L’Europe a favorisé la banane zone dollar, mais la zone dollar n’est pas européenne. La France n’a jamais su faire reconnaître, au sein de l’Union européenne, ses productions tropicales qui sont pourtant européennes, car nous sommes représentés par des personnes, certes compétentes, mais ayant une méconnaissance totale de l’outre-mer.

M. Charles Revet acquiesce

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Il en va de même pour l’octroi de mer. Personne, en dehors des territoires concernés, ne savait véritablement ce que c’était. Cela a provoqué d’intenses discussions. Si nous avons pu obtenir de Bruxelles le statut des régions ultrapériphériques, nous ne le devons qu’à nous-mêmes, et non au Gouvernement ou aux parlementaires métropolitains. Mes collègues de l’outre-mer qui sont présents le confirmeront, notre action concertée et notre montée en force pour faire prendre conscience aux différents acteurs, et notamment Alain Juppé, que l’Europe était non seulement continentale mais aussi maritime, …

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

… que la France était présente sur les cinq continents, a été essentielle.

Il s’agit d’une revendication non pas pour le développement économique, mais pour notre dignité et notre responsabilité. Nous souhaitons penser, proposer et agir.

Évidemment, cela ne s’est pas très bien passé. En 2003, personne n’a compris la question posée depuis Paris aux populations de Guyane, Martinique et Guadeloupe. Il y avait trois questions en une. C’était incompréhensible ! Comme si, de manière systématique, on ne voulait à aucun prix que les choses se passent bien. C’est pourquoi je me réjouis de constater aujourd’hui que le problème est à nouveau abordé.

C’est très facile de faire capoter les choses en outre-mer. Il suffit d’apeurer les habitants !

M. Claude Lise opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Nous abordons aujourd’hui l’examen de ce texte. Je n’ai pas déposé d’amendements. Mes chers collègues de Guyane et de Martinique, vous avez pris vos responsabilités. Il ne faut pas aujourd’hui subordonner cette responsabilité de gouvernance à de justes réclamations de développement économique qui sont légitimes et auxquelles je souscris par ailleurs.

Lorsque je regarde le texte consacré à la Guyane, il me semble que le département disparaît au profit d’une espèce de région qui regroupe toutes les compétences, avec un président de région qui reste président de la commission permanente. Je pose une question très simple : un président d’une assemblée territoriale, qui a une majorité absolue de vingt-neuf ou trente sièges, qui est président de la commission permanente, peut-il être contesté par quiconque lorsqu’il présente et exécute le budget ou le compte administratif ?

Il est frappant de voir que, dans une collectivité unique regroupant les pouvoirs considérables du conseil régional et du conseil général, la plénitude de ces pouvoirs est confiée à un homme, quelle que soit sa bonne volonté. Il est le chef souverain de son territoire.

Le pouvoir grise, il faut avoir le courage de le reconnaître ! C’est pourquoi nous, guadeloupéens, avons davantage penché pour la séparation de l’exécutif par rapport à l’assemblée qui programme. Aussi, je me tourne vers mes collègues martiniquais pour leur dire que, certes, je voterai le texte, mais je n’ai pas compris qu’ils demandent au conseil exécutif de voter le budget. Il devrait proposer le budget, et l’assemblée le voter et le contrôler.

Enfin, je terminerai mon intervention sur les pouvoirs du préfet. Je vous signale, monsieur le rapporteur, que le gouverneur d’avant la départementalisation n’avait pas beaucoup de pouvoirs. Je me permets de vous rappeler, connaissant bien l’histoire de ma région, que c’était l’assemblée coloniale qui votait le budget du gouverneur, lequel devait s’incliner. Si vous voulez des documents, vous verrez que le rôle de l’assemblée coloniale était très précieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucette Michaux-Chevry

Considérons aujourd’hui la situation de certains dossiers qui n’arrivent pas à retenir l’adhésion des deux assemblées. Vous avez-vous-même écrit qu’il n’y avait pas de lien assez étroit entre le conseil régional et le conseil général. Rien ne se passe alors !

Savez-vous qu’en Guadeloupe le préfet a alerté les collectivités sur le fait que les fonds européens n’allaient pas être entièrement consommés. Ces fonds risquent d’être perdus, parce que l’on n’arrive pas à réaliser l’unité sur des projets. La politique l’emporte sur tout ! Lorsque le président du conseil général propose quelque chose, le conseil régional est contre, et réciproquement. Le climat conflictuel de la politique ne se dépassionne pas dans nos régions !

Lorsque le préfet adresse une mise en demeure d’agir, qui reste sans suite, celui-ci devant exercer son pouvoir de substitution, où est l’intérêt général des populations, qui est plus important que la susceptibilité des élus ?

Pour conclure, je dirai que la violence a été trop forte chez nous pour ne pas, aujourd’hui, reconnaître que le Gouvernement fait un pas en avant. Je me tourne vers mes collègues de la Guadeloupe pour leur dire que je suis tout de même triste de voir que, bien que nous ayons essayé de travailler au-delà de tous les clivages et en dépit de mouvements qui nous ont parfois fait tant de mal, nous soyons restés dans nos petites querelles.

Lorsqu’on a vu un membre de sa famille transformé en torche vivante, on ne peut oublier que, parfois, pour défendre un idéal, même si on sait que l’on met en danger sa famille, on continue à le faire parce que l’on considère que c’est son devoir.

J’ose espérer, monsieur le sénateur et président du conseil général de la Guadeloupe, que vous allez évoluer pour vous rapprocher de la Guyane et de la Martinique, pour qu’au-delà de ce qui nous divise nous nous rassemblions pour l’intérêt supérieur de la Guadeloupe.

Ce texte, que je voterai, représente pour moi un pas en avant vers plus de démocratie, plus de prise en compte de nos responsabilités d’élus. Faisons en sorte de démontrer que nous sommes capables de faire face aux besoins de nos régions.

Applaudissements sur plusieurs travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Lise

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention ne portera que sur le projet de loi relatif aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, qui revêt une importance toute particulière pour les deux départements d’outre-mer concernés.

Il s’agit, en effet, d’un texte qui vise à améliorer leur architecture institutionnelle afin de permettre aux élus guyanais et martiniquais d’exercer, avec beaucoup plus d’efficacité qu’actuellement, leurs responsabilités dans la mise en œuvre des politiques publiques.

Ce texte répond, il faut avoir le courage de l’admettre, à la nécessité de réparer une erreur fondamentale commise en 1982, lorsque l’on voulut appliquer aux départements d’outre-mer la loi créant les collectivités régionales. Le gouvernement de l’époque avait pour cela élaboré un texte instituant, dans chacun de ces départements, une assemblée unique.

Ce texte, adopté par le Parlement, fut malheureusement censuré par une décision du Conseil constitutionnel, dont le professeur François Luchaire devait déclarer qu’elle était « l’une de celles les plus discutées depuis la création du Conseil ».

On crut alors trouver une solution en inventant, pour les départements d’outre-mer, un cadre institutionnel censé être plus proche du droit commun : celui de « région monodépartementale ».

On offrit ainsi une parfaite illustration du déni de réalité auquel peut aboutir le jacobinisme lorsqu’il prend la forme d’un intégrisme dont les adeptes sont convaincus que les situations particulières doivent se couler – fût-ce au moyen de solutions artificielles – dans les moules du droit commun.

En l’occurrence, puisqu’il n’était possible ni de regrouper certains départements d’outre-mer ni de diviser chacun d’entre eux en au moins deux départements, on considéra que la solution était de créer, pour eux, un système de superposition aboutissant à faire coexister deux collectivités territoriales, avec leurs assemblées respectives, sur un même territoire.

Cela était certainement concevable sur le plan intellectuel, mais ne pouvait, dans la réalité, que se révéler profondément insatisfaisant.

Le système de région monodépartementale aggrave, en effet, très nettement les phénomènes d’enchevêtrement de compétences. Il favorise la création, dans l’une et l’autre collectivité, de services aux missions sensiblement identiques. Il incite les demandeurs d’aides et de subventions à mettre en concurrence les deux collectivités. Il pousse à multiplier les financements croisés. Tout cela ne peut évidemment que diminuer l’efficacité des politiques publiques locales, favoriser les gaspillages d’argent public, mais aussi réduire la lisibilité des institutions pour les citoyens.

Depuis près de trente ans, ce cadre institutionnel aberrant n’a cessé d’être l’objet de critiques.

Pourtant, force est de constater qu’il n’y a qu’une dizaine d’années que ces critiques ont fini par trouver un écho favorable auprès de couches suffisamment larges de la classe politique française ainsi que de la haute administration.

Il faut se féliciter, à cet égard, de la véritable révolution culturelle qui s’est opérée dans les rangs de la droite. J’ai, en effet, la conviction que rares sont ceux qui, à droite, pourraient reprendre aujourd’hui à leur compte les discours enflammés d’un Foyer ou d’un Debré jetant l’anathème sur les partisans de la moindre adaptation du droit commun.

Cette révolution culturelle a incontestablement facilité la réécriture de l’article 73 de la Constitution, lors de la réforme constitutionnelle de 2003.

Elle a évidemment aussi contribué à la réussite de l’initiative prise par le Président de la République après le rejet par les électeurs guyanais et martiniquais de la proposition d’évolution institutionnelle qui leur avait été faite à la suite de la position adoptée en 2008 et 2009 par leurs congrès des élus respectifs.

Le Président de la République a, en effet, considéré qu’il fallait offrir à ces électeurs la possibilité de faire le choix, sans sortir du régime de l’identité législative, d’un système institutionnel plus satisfaisant que celui de région monodépartementale.

Il s’agit désormais de mettre en œuvre concrètement le choix démocratiquement opéré par les Guyanais et les Martiniquais.

Tel est l’objet du projet de loi ordinaire soumis à notre examen et sur lequel je dois, bien sûr, vous donner ma position.

Eh bien, je tiens à dire, en premier lieu, que, sur un point que je considère comme fondamental, à savoir la nature de la collectivité unique, le texte traduit parfaitement la volonté exprimée par les électeurs consultés. Ces derniers ont en effet approuvé, en Martinique et en Guyane – je cite les termes de la question posée par le Président de la République –, « la création d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l’article 73 de la Constitution ». Autrement dit, ils se sont prononcés en faveur d’une addition de compétences, accompagnée, évidemment, des ressources permettant leur exercice.

Je me félicite donc de ce qu’ait été écarté le point de vue, défendu par certains, tendant à faire de la collectivité unique une collectivité sui generis, susceptible alors de bénéficier de compétences et de pouvoirs normatifs allant bien au-delà de ce qui va résulter de l’addition des compétences de la région et du département.

Cela ne signifie nullement que je méconnais l’intérêt, pour la Martinique, d’un accroissement de la responsabilité locale ; on connaît mes positions sur cette question. Cela signifie que je suis radicalement contre toute tentative de détournement du vote des électeurs martiniquais. Leur choix doit être respecté : il s’agit là d’un impératif démocratique.

S’agissant, en deuxième lieu, de la date de mise en place de la collectivité unique, je regrette vraiment la position adoptée par la commission des lois.

En effet, comment expliquer aux citoyens qui ont été consultés en janvier 2010, dans des conditions de précipitation que j’avais dénoncées à l’époque et dans une période vraiment peu propice au débat politique, que plus rien ne presse, que l’on peut attendre tranquillement 2014 pour mettre en place le cadre institutionnel pour lequel ils ont opté ?

Si ce cadre peut permettre à leurs élus d’être plus efficaces dans la conduite des politiques publiques locales, n’y a-t-il pas, au contraire, urgence à le mettre en place alors que la situation économique et sociale se dégrade et que les collectivités territoriales doivent intervenir davantage avec des ressources qui diminuent ?

Oui, mais, disent certains, le processus d’unification des moyens humains et matériels du département et de la région est très compliqué, nécessite des études confiées à des experts et demande donc du temps.

Je veux bien. Mais personne ne me fera croire que l’on est face à un processus plus compliqué que celui qui, au moment de la grande réforme de la décentralisation, a profondément transformé les collectivités départementales auxquelles l’État a transféré, en quelques mois, d’importants blocs de compétences et un très grand nombre d’agents.

On a entendu un autre argument : 2014 permettrait d’obtenir la concomitance entre les élections aux assemblées de Martinique et de Guyane et celles des conseillers territoriaux.

Mais cette concomitance, si l’on y tient, peut être réalisée ultérieurement, comme cela a été le cas pour les élections aux assemblées régionales des départements d’outre-mer, qui ont précédé de trois ans celles de l’Hexagone.

En réalité, rien ne s’oppose vraiment à la mise en place des deux collectivités uniques en 2012, en dehors, évidemment, de ce qui relève de stratégies purement politiciennes.

En revanche, je tiens à le souligner, plus il s’écoulera de temps avant cette mise en place, plus on verra s’exacerber chez les agents des deux collectivités le sentiment d’être confrontés à un avenir incertain et s’installer un climat de sourde inquiétude, forcément préjudiciable à un bon fonctionnement du service public. On risque également de voir se poursuivre des recrutements et même se créer des services concurrents.

J’ajoute, enfin, qu’il est urgent de fournir aux acteurs économiques un cadre institutionnel stabilisé et lisible.

Je suis donc évidemment pour un retour à la rédaction initiale fixant la date de première élection des conseillers à l’Assemblée de Martinique au plus tard au 31 décembre 2012.

J’en viens, en troisième lieu, à un point que je considère également comme particulièrement important, car il va conditionner non seulement le fonctionnement démocratique de l’Assemblée de Martinique, mais, au-delà, croyez-moi, l’avenir même de la démocratie à la Martinique. Je veux parler du niveau de la prime qui est prévue pour la liste arrivée en tête.

Comme une majorité de Martiniquais, je considère qu’une prime majoritaire de 9 sièges est tout à fait excessive. Et je ne comprends pas que les collègues de la commission des lois aient pu considérer qu’elle l’était moins que la prime de 20 % prévue par le projet gouvernemental.

Passer de 11 à 9 sièges n’atténuera pas les conséquences prévisibles. Une formation politique disposera ainsi dans l’assemblée d’une majorité écrasante, à laquelle viendront encore s’ajouter 9 élus d’un exécutif forcément issu de la majorité.

On se trouvera dans une situation analogue à celle qu’offre le conseil régional de la Martinique : dans une assemblée de 41 membres, un groupe majoritaire, avec 48, 32 % des suffrages, détient 26 sièges ; le premier groupe d’opposition n’en détient que 12, avec plus de 41 % des suffrages, et l’autre, que 3, avec 11 % des suffrages.

Eh bien, mes chers collègues, je ne souhaite vraiment pas que les affaires de la Martinique soient, demain, gérées par une assemblée unique conçue sur ce modèle, ni qu’au sein de cette assemblée l’opposition soit réduite à la portion congrue et que même des formations politiques importantes soient marginalisées.

Il est possible qu’ailleurs, dans des régions de France ou des collectivités d’outre-mer, à l’histoire et à la culture différentes, l’on estime devoir rechercher la stabilité au détriment de l’exigence démocratique. En Martinique, je crois pouvoir affirmer qu’il y va tout autrement.

On y a tout particulièrement besoin d’espaces démocratiques de débat. Concentrer des pouvoirs locaux dans une seule main aboutira, à coup sûr, à des catastrophes. Je vous le dis avec beaucoup de gravité, car c’est alors dans la rue que s’exprimeront les courants d’opinion muselés.

Nous devons d’autant plus éviter une telle issue que les exemples ne manquent pas de mandatures d’assemblées martiniquaises parfaitement réussies sans majorité importante, à commencer par celle de la première assemblée régionale, présidée par Aimé Césaire avec une seule voix de majorité.

Cela m’amène à conclure sur ce qui se veut un appel pressant : mes chers collègues, ne nous obstinons pas à vouloir traiter des réalités différentes de manière uniforme ; par ailleurs, n’oublions pas que, sans démocratie véritable, il n’y a jamais de développement réussi.

Pour que les deux collectivités uniques que nous voulons mettre en place puissent contribuer à l’efficacité des politiques publiques de développement local, faisons en sorte qu’elles soient conçues en tenant compte de la situation particulière de chacun des deux territoires concernés et, par-dessus tout, de la soif de démocratie de leurs peuples !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Virapoullé

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour écrire une nouvelle page de l’histoire institutionnelle de l’outre-mer. C’est ici, dans cette assemblée, que se décide son avenir. Puisqu’il s’agit d’histoire, permettez-moi, en quelques minutes, d’en parler en toute sincérité et objectivité.

Si nous avons aujourd’hui cette dualité d’assemblées sur un même territoire, l’histoire nous apprend que cela n’est pas dû à une demande de ceux que l’on appelle « les départementalistes ».

Il faut le savoir, c’est grâce au courage et à la persévérance du sénateur honoraire Roger Lise, présent en tribune aujourd’hui et que je salue, et du regretté sénateur Louis Virapoullé, qui a conduit le recours au Conseil constitutionnel, que la loi qui devait créer une assemblée unique élue à la proportionnelle avec un exécutif différent de l’assemblée a été intégralement censurée par le Conseil constitutionnel. Ce fut une première : pas une virgule n’a résisté à son jugement !

C’est à partir de là que le gouvernement de l’époque, ne voulant pas rester sur un échec, a créé précipitamment un conseil régional, d’ailleurs bien avant les régions métropolitaines.

Certains départements se sont acclimatés à cette dualité. C’est le cas de la Réunion. On ne s’en porte pas plus mal, se félicitant même de l’entente qui s’exprime, toutes opinions politiques confondues, sur les grands sujets, les grands dossiers, les grands travaux, sur la construction européenne. Cela nous vaut de connaître un rythme accéléré d’investissements et un début de réussite économique. Je lisais ainsi hier que les NTIC, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, pèsent 2 milliards d’euros dans notre PIB.

Nous avons choisi le droit commun, à la demande non pas de quelques élus aigris, frileux, mais de l’ensemble des Réunionnais, à une très large majorité.

Je ferai un deuxième constat.

Les trois départements qui ont été consultés – la Guadeloupe, en premier, la Martinique, récemment, et la Guyane – ont refusé de passer du régime de l’article 73 de la Constitution à celui de son article 74.

Autrement dit, mes chers collègues, malgré les critiques et les mauvaises humeurs de certains, les populations d’outre-mer, qui regardent autour d’elles, constatent que le statut départemental n’est finalement pas si mauvais que cela. Dans le domaine de l’éducation, de la santé, des droits, des libertés, il a apporté des avancées qu’aucune des régions qui nous environnent – je pèse mes mots – n’a pu connaître au cours des décennies écoulées.

C’est pour cette raison que nos compatriotes ont répondu par la négative au passage de l’article 73 à l’article 74. Mieux, les Réunionnais nous ont dit : ne venez même pas nous poser la question ! Sinon, à la prochaine élection, on vous destituera de votre mandat ! On ne vous a pas élus pour cela ; on vous a mandatés pour confirmer l’attachement des départements d’outre-mer à la France et pour construire, désormais pour les quatre DOM, dans le cadre de l’article 73 de la Constitution, une République unifiée et prospère !

Cela dit, la démarche engagée pour la Martinique et la Guyane respecte la volonté de la population. En démocrate, je n’ai pas d’autre commentaire à faire que d’approuver la décision prise par le Président de la République et le Gouvernement d’aller dans le sens de la demande issue d’un vote démocratique. Nous sommes là pour respecter la volonté du peuple, mais – et c’est là que je mets un bémol ! – dans le respect de la loi fondamentale, qui donne à toute loi sa véritable légitimité.

Permettez-moi maintenant d’évoquer le respect de la Constitution pour ce qui concerne certaines dispositions de la loi, notamment l’habilitation.

Mes chers collègues, l’habilitation ne concerne pas la Réunion. À l’époque, on m’avait reproché d’être frileux et de bloquer des évolutions, des initiatives considérables. Mon collègue Christian Cointat l’a dit avec beaucoup de talent tout à l'heure à propos du régime électoral, c’est le Parlement qui doit définir la loi. Je dirai même que, d’une manière générale, c’est le Parlement qui vote la loi. Sinon, pourquoi les parlementaires existeraient-ils ? Pourquoi confier à des assemblées locales, qui n’ont pas les moyens humains d’assurer le suivi de la législation, le soin de le faire ? À quoi servent les parlementaires d’outre-mer ?

D’ailleurs, l’habilitation relève de la réforme constitutionnelle de 2003 que nous avons adoptée ici même. Toutefois, depuis cette date, nous avons adopté une réforme constitutionnelle plus importante encore voulue par le chef de l’État, visant à accroître le poids du Parlement.

En effet, en vertu de l’article 48 de la Constitution, nous avons aujourd'hui le pouvoir de voter des propositions de loi, voire des propositions de résolution européenne. Nous sommes-nous privés de cette possibilité ? Non ! En l’espace d’un peu plus de trois mois, nous avons adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution européenne de notre collègue Serge Larcher – une proposition de résolution ô combien importante !–. et, voilà quelques jours, la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer.

Avec cette réforme constitutionnelle, le Gouvernement ne dispose finalement, dans le calendrier parlementaire, que d’un temps restreint, car une fenêtre parlementaire nous est réservée pour soumettre nos propositions de loi, et l’opposition a, elle aussi, cette possibilité.

Selon moi, le nouvel article 48 de la Constitution vide l’habilitation de tout son sens. En effet, nous sommes souvent réunis dans des intergroupes parlementaires qui rassemblent les élus de diverses tendances politiques, car nous devons dépassionner le débat entre nous pour faire prévaloir l’intérêt général.

Notre collègue Georges Patient a évoqué tout à l'heure le fait que la Guyane est, au niveau des finances, le département le plus maltraité. Il suffit de discuter de la question avec lui, d’analyser la situation et de déposer ensemble une proposition de loi ou de poser une question prioritaire de constitutionnalité, auxquelles je souscrirai, pour remédier au problème, car on ne peut laisser un abcès se développer. Ce n’est donc pas la peine de demander l’habilitation. Lorsque l’Assemblée unique de la Guyane aura délibéré, que fera-t-on de cette délibération ?

Concernant la procédure, j’ai fait une comparaison entre l’habilitation et la proposition de loi.

Pour une proposition de loi, la procédure est la suivante : on la rédige, on la dépose, elle est examinée en commission, on l’analyse et elle est votée si les groupes parlementaires l’appuient. Pour une habilitation, la procédure comprend neuf étapes, que je ne vous décrirai pas maintenant, car nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Quoi qu’il en soit, il faut un an et demi pour faire voter une habilitation. Il s’agit d’un véritable parcours du combattant, avec de multiples recours possibles : celui du Conseil d’État s’il s’agit d’un décret ou celui du Conseil constitutionnel, qui peut être saisi. C'est la raison pour laquelle la Réunion n’a pas choisi l’habilitation. D’ailleurs, comme le précise l’étude d’impact du Gouvernement, il n’y a eu que deux demandes d’habilitation : une en 2009 et une en 2010.

Grâce à l’article 48 de la Constitution, nous allons, j’en prends le pari à cette tribune, rédiger de nouvelles propositions de loi ensemble, et il y aura très peu de demandes d’habilitation.

Je n’ai pas d’autres observations à formuler sur la Guyane, sauf pour dire que je partage la préoccupation de M. le rapporteur : faisons très attention à la notion de justice dans la représentation démocratique, à celle de responsabilité et à celle d’équité. S’il revient au Parlement de voter la loi, faisons en sorte de garantir les droits des Guyanais et des Martiniquais !

Permettez-moi maintenant de m’attarder quelques instants sur un point sur lequel je m’interroge beaucoup, à savoir la motion de défiance concernant l’Assemblée unique de Martinique.

À la question « Voulez-vous regrouper les compétences du conseil général et du conseil régional dans une assemblée unique ? » posée par le Président de la République, le peuple martiniquais a répondu oui. Il avait auparavant dit non au passage de l’article 73 à l’article 74.

Une lecture croisée de l’article 73 et de l’article 72–4, qui définit la méthodologie pour appliquer l’article précité, implique que le peuple doit être consulté pour toute question relative à l’organisation, aux compétences ou au régime législatif de la collectivité territoriale. Or, mes chers collègues, relisez la question du Président de la République aux peuples martiniquais et guyanais : la notion d’organisation n’y figure pas !

Permettre à l’Assemblée de Martinique de poser la motion de défiance, un point que je développerai lors de l’examen des amendements, c’est organiser cette dernière différemment des autres assemblées. Aucun conseil général, aucun conseil régional de France n’a le pouvoir de poser une motion de défiance.

Si l’on voulait donner à l’Assemblée de Martinique la possibilité de poser une motion de défiance, le Président de la République aurait dû poser la question suivante : Voulez-vous regrouper les compétences du conseil régional et du conseil général et en modifier le mode d’organisation ? Le terme « peut » que m’a suggéré notre collègue rapporteur Christian Cointat ne saurait exonérer le Président de la République de cette question et de la saisine du peuple souverain.

Tout le monde se frotte les mains en pensant qu’aucun recours ne sera déposé devant le Conseil constitutionnel, mais, à la première décision prise par le conseil exécutif, le citoyen qui se sentira lésé posera, au titre de l’article 61–1 de la Constitution, une question prioritaire de constitutionnalité. Vous verrez, mes chers collègues, l’histoire me donnera raison ! Avec cette motion de défiance, vous aurez installé en Martinique une instabilité institutionnelle, la même instabilité politique que celle qui existe aujourd'hui en Polynésie française ! Je le dis avec sincérité, avec dévouement, avec affection pour tout l’outre-mer, ne faites pas entrer dans le fruit des institutions martiniquaises le ver de la déstabilisation de la Polynésie française, aujourd'hui ruinée, soumise à huit crises politiques en une année, bref, ingouvernable !

Nos assemblées, sises sur des territoires misérables, sont petites, fragiles, soumises à la pression populaire et confrontées à une grande difficulté, avec 400 000 habitants par-ci, 200 000 par-là, voire 1 million à la Réunion, celle de vouloir créer un vrai marché et d’exister grâce à leur prospérité interne.

Si vous mettez les élus sous la pression d’une motion de censure à proximité du peuple, vous allez créer un marchandage politicien, qui fera de ces territoires des territoires de désespérance et de ruine !

Oui, je suis prêt à voter cette réforme parce qu’elle a été voulue par le peuple ! Et, à mes yeux, il n’y a que la volonté du peuple qui compte ! Oui, je suis prêt à voter cette réforme, mais à condition qu’elle respecte la Constitution, car c’est la loi fondamentale qui nous a permis de faire partie des départements français et de bénéficier de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vivons-nous aujourd’hui un moment historique de l’évolution des départements d’outre-mer ? Si oui, quelle est la portée historique de ce que nous allons voter ?

L’examen de ces deux projets de loi devrait être pour tous ceux qui travaillent au développement de la Guyane et de la Martinique un moment de joie, peut-être de fierté, certainement d’espoir, de cet espoir porté par les contributeurs des états généraux de l’outre-mer après la vague de soulèvement populaire indiquant clairement que le statu quo n’était plus possible.

Nos territoires ont connu la fin de l’esclavage en 1848, la départementalisation en 1946, la régionalisation en 1982, comme en métropole, avant l’étape présente, à savoir la collectivité unique. D’aucuns retracent cette évolution en l’intitulant « de la départementalisation à la collectivité unique », ce qui pourrait laisser entendre que les deux événements se situent sur le même plan. Mais gardons-nous de ce leurre.

En effet, nul ne doute qu’un tel moment soit important pour la Martinique et la Guyane. Toutefois, ne confondons pas une réorganisation administrative avec une évolution institutionnelle, et, surtout, n’oublions pas non plus que, partout en France, la réforme des collectivités territoriales est à l’ordre du jour.

En métropole, cette réforme n’a pas donné lieu aux illusions qui ont habité certains élus ultramarins quant à la portée de ce nouveau statut, qu’il s’agisse de responsabilité, de moyens ou de marges de manœuvre pour le développement.

En effet, une telle réorganisation s’effectue au sein du statut départemental. Le cadre donné à l’évolution en cours est celui de l’identité législative, ce qu’on appela à une époque « l’assimilation législative ». La loi organique ne crée pas le dispositif des habilitations, qui date de 2003, elle l’améliore peut-être. Et, surtout, la nouvelle collectivité n’a ni compétences nouvelles ni moyens supplémentaires.

Sur le fond, constitutionnellement parlant, rien ne change, par conséquent. Tout juste devons-nous relever ce paradoxe entre le discours sur la responsabilisation progressive des territoires ou leur différenciation à l’intérieur de « l’univers outre-mer » et, dans les textes, cette identité législative « renforcée », qui prévoit non plus, comme en 1946, des cas d’exception, mais seulement des adaptations du droit commun national.

En même temps, nous pouvons nous étonner du paradoxe inverse, qui consiste à affirmer plus que jamais l’identité législative, tout en prévoyant dans le texte fondateur de ce nouveau statut des pouvoirs renforcés pour le représentant de l’État, ce que l’on ne voit dans aucun département métropolitain.

L’esclavage a duré plus de deux siècles. Ensuite, il a fallu encore un siècle, du moins dans les textes, pour sortir de la colonisation. On aurait pu espérer qu’un demi-siècle supplémentaire aurait permis la maturation nécessaire à l’élaboration de véritables relations de partenariat entre les collectivités ultramarines et l’État, au sein de la République. L’élaboration de ces deux projets de loi révèle plutôt une tension permanente, un double mouvement dialectique, dont la synthèse semble difficile, d’un côté, entre désir d’autonomie et volonté d’égalité et, de l’autre, entre désengagement financier et volonté de dominer, de garder le contrôle, de ne rien perdre, au fond, des acquis de l’histoire, quitte à lâcher un peu de lest par-ci par-là.

C’est ainsi que le régime des habilitations, bien qu’assoupli, reste, sur le fond, étroitement encadré, prévu pour des cas limités, soumis à l’examen soit du législateur, soit du pouvoir réglementaire.

Par ailleurs, en janvier 2010, il est vrai que les populations de Guyane et de Martinique ont choisi leur statut. Mais c’est le Gouvernement qui en a défini, après coup, le contenu.

Certes, les collectivités ont été consultées ; mais, alors que le processus démocratique local n’a pas encore véritablement abouti entre les deux collectivités majeures – du moins est-ce la situation en Guyane –, le niveau national tranche de manière trop hâtive, assurément.

Alors, oui, avec la collectivité unique, nous sommes en train de franchir un pas, un pas nécessaire du simple point de vue du bon sens administratif, un pas que l’on pourrait presque comprendre comme une rectification tardive des choix opérés en 1982, lors de la régionalisation, le Conseil constitutionnel ayant alors rejeté l’idée d’une assemblée unique.

Nous devons le dire sans aucun esprit partisan, mais simplement au nom du réalisme : il s’agit d’un pas qui ne règle rien, absolument rien, s’agissant des véritables enjeux de la Guyane et de la Martinique, en termes de lutte contre la « profitasyon » et de ces marges bénéficiaires exorbitantes, facteurs démontrés des surcoûts imposés à la consommation des ménages. Cela ne règle rien non plus en matière de développement économique, d’emploi, de pouvoir d’achat, de production endogène, de relations internationales au sein de notre environnement géographique, ou encore en termes d’éducation, de santé, de formation professionnelle et de dotation des collectivités territoriales.

Plus encore, alors que les mouvements sociaux de 2008 et 2009 portaient une revendication économique et sociale forte, la réponse d’aujourd’hui reste purement administrative, tandis que les divers autres projets de loi nationaux continuent, dans différents domaines, à ignorer les freins au décollage économique de nos territoires.

Cependant, il y a dans cette réorganisation administrative quelque chose de fondamental qui doit appeler toute notre vigilance : la fusion des deux collectivités change la donne en matière de gouvernance.

En 1982, la régionalisation a dilué la responsabilité des élus ultramarins. Alors que les deux collectivités, région et département, agissent sur un même ressort territorial, les lois qui se sont succédé depuis 1980 ont entremêlé les responsabilités de chacune, rendant sans cesse plus complexe la ventilation des compétences.

Face à ces deux interlocuteurs, l’État a beau jeu de se rendre imperméable aux véritables besoins des populations, en renvoyant dos à dos les uns et les autres.

Eh bien oui, avec la collectivité unique, les futurs conseillers vont porter l’entière responsabilité de l’action locale à l’échelle de la Guyane et de la Martinique. L’État n’aura qu’un seul interlocuteur.

Il deviendra impossible aux acteurs locaux de se réfugier derrière les erreurs supposées d’un alter ego ou le paravent des multiples échelons décentralisés ou déconcentrés. Les responsabilités de chacun seront clairement déterminées.

C’est pourquoi la question de la gouvernance ne doit pas échapper à notre débat ; elle doit au contraire en constituer le cœur.

La responsabilité politique doit se concrétiser dans les institutions. On ne convoque pas les électeurs dans l’exercice de leur pouvoir souverain juste pour un découpage électoral ou une refonte administrative ! On le fait pour fonder une nouvelle gouvernance. La Guadeloupe n’attendrait pas pour se prononcer sur ce statut s’il s’agissait simplement de démêler ou non les compétences d’organes superposés.

Le véritable enjeu, le seul qui vaille la peine ici, si on l’adosse directement à de vraies capacités de résolution des problèmes économiques et sociaux, c’est celui de la gouvernance.

Il ne s’agit pas seulement de rationaliser l’action administrative en remédiant à l’éclatement des compétences ; il devient nécessaire de doter chaque élu des moyens lui permettant d’être pleinement responsable de la politique qu’il va mener, de pouvoir en répondre devant l’assemblée, une assemblée qui, de son côté, ait la capacité de demander des comptes à ceux qui détiennent le pouvoir exécutif.

Si la Corse s’est dotée d’un tel dispositif, si la Martinique a fait le choix d’un système original, avez-vous dit, monsieur le rapporteur, dans le cas de la Guyane, le Gouvernement a choisi de n’écouter qu’une voix, une gouvernance cette fois-ci vraiment pas originale, selon son bon vouloir.

Dans ce contexte, notre responsabilité de législateur est engagée. Nous nous devons de prendre de la hauteur et de considérer l’intérêt général plutôt que nos intérêts partisans, afin de doter la Guyane, comme la Martinique, d’un véritable système de gouvernance locale.

En effet, pour fonder cette nouvelle gouvernance, la Constitution nous laisse, en tant que législateur, une certaine liberté, dans la lignée de ce que le Président Chirac et son Premier ministre Lionel Jospin avaient conçu, dans des discours restés célèbres, comme des institutions à la carte.

Le Président disait : « l’heure des statuts uniformes est passée. [...] Chacune d’entre elles [les collectivités d’outre-mer] doit être libre de définir, au sein de la République, le régime le plus conforme à ses aspirations et à ses besoins, sans se voir opposer un cadre rigide et identique. »

C’est donc un nouveau contrat social que nous devons définir, nous, législateurs de la République française.

Créons des lois justes pour les hommes de nos territoires. Si nous allons au bout de cette démarche, alors oui, mes chers collègues, cette collectivité unique sera bien plus que le produit d’une réorganisation administrative et répondra aux enjeux historiques portés par la naissance de ce nouveau statut territorial.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Paul Virapoullé applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en ce 12 mai 2011, nous débattons du projet de loi visant à créer une collectivité de Guyane et une collectivité de Martinique, ayant vocation à se substituer au conseil général et au conseil régional de chacun de ces territoires. Concomitamment, nous examinons le projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Ces textes font suite aux consultations de la population qui ont eu lieu en Guyane et en Martinique les 10 et 24 janvier 2010. À cette occasion, les citoyens se sont prononcés pour que la région et le département fusionnent dans une collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution.

Un an et demi après ces consultations, je me réjouis que ces textes arrivent enfin devant notre assemblée. Je me réjouis aussi de la capacité d’écoute de nos deux collègues qui se sont rendus en Martinique et en Guyane : Christian Cointat et Bernard Frimat. Je me réjouis enfin de la très grande qualité du travail réalisé par la commission des lois du Sénat. Non seulement les textes que nous examinons sont plus équilibrés et plus lisibles que ne l’étaient les projets du Gouvernement, mais, surtout, ils sont bien plus respectueux des choix de la population et des élus de la Martinique et de la Guyane.

Singulièrement, j’évoquerai aujourd’hui essentiellement la Martinique.

Dans les mois qui ont suivi la consultation a été formée une commission ad hoc composée, à parité, d’élus du conseil général et du conseil régional. Cette commission était chargée de conduire une réflexion quant à l’architecture générale de la future collectivité de Martinique.

Un accord a été trouvé sur de nombreux points : le nom de la collectivité, la gouvernance avec une assemblée et un collège exécutif, le nombre de conseillers, un conseil consultatif unique, le principe du mode de scrutin à la proportionnelle.

Qu’en est-il des divergences ? Le débat restait ouvert sur quelques points, notamment les questions de l’amélioration du dispositif des habilitations et de la date de mise en place de cette nouvelle collectivité.

Or, sur ces deux questions essentielles, force est de constater que, dans son projet, le Gouvernement prenait le contre-pied de la majorité des élus martiniquais. La commission des lois du Sénat a très largement amélioré le dispositif.

Commençons par les habilitations.

Le texte de la commission apporte deux améliorations notables par rapport à celui du Gouvernement.

D’une part, il institue un garde-fou en créant des contraintes de transmission et de délais pour le Premier ministre, alors que, dans sa forme actuelle, l’étude des habilitations relève quasiment d’un pouvoir discrétionnaire de l’État.

D’autre part, non seulement la durée des habilitations est étendue à celle de la mandature de la collectivité, mais elle peut même être prolongée pour deux ans après les renouvellements électoraux.

Examinons maintenant la question de la date de mise en place de cette nouvelle collectivité.

Créer une collectivité nouvelle issue de la fusion des deux grandes collectivités nécessite un travail à la fois colossal et de précision.

S’agissant notamment des ressources humaines, il convient que nul ne soit « laissé sur le carreau », ni affecté à un poste ne correspondant pas à son statut et à ses compétences.

Les créations d’établissements publics nouveaux, tels que les communautés d’agglomération, ont nécessité des années de travail. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’il s’agit de faire du nouveau en intégrant ce qui existe ?

En vérité, pour y parvenir en 2014, il faudra travailler à un rythme soutenu. Tenter 2012, comme le prévoyait le texte initial, c’est, je suis désolé, prendre le risque de l’échec.

Le projet revisité porte désormais la date butoir au mois de mars 2014, ce qui est à la fois réaliste, raisonnable et conforme au souhait de la majorité des élus de la Martinique.

In fine, tout concourt à choisir 2014 : le bon sens, qui est, dit-on, la chose du monde la mieux partagée, le sens des réalités et la volonté de tous mes collègues, je crois, et de bien d’autres de créer les meilleures conditions de succès de ces nouvelles collectivités.

Le texte que nous examinons est donc de qualité. Pour autant, il peut encore être amélioré. À cet égard, je présenterai des amendements et je me suis aussi associé à de nombreux amendements sur lesquels je reviendrai en cours de discussion.

Sans trop entrer dans les détails, je souhaite évoquer ici certains points qui me tiennent particulièrement à cœur.

Le premier est l’organe consultatif de la collectivité.

Le projet de loi relatif à la collectivité unique de Martinique opère un alignement du Conseil économique, social et environnemental de Martinique sur le droit commun. Cet alignement a pour conséquence la suppression du Conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, CCEE. La création du CCEE en tant qu’institution spécifique aux régions d’outre-mer par la loi du 31 décembre 1982 était motivée par la volonté politique de prendre en compte la spécificité culturelle des départements d’outre-mer. Il convient donc de ne pas faire disparaître cette spécificité, d’autant que le conseil consultatif unique a vocation, selon l’article L. 7226–4, à se substituer aux deux conseils actuels pour l’application des dispositions relatives aux régions d’outre-mer, lesquelles comportent des dispositions impliquant des demandes d’avis en matière d’éducation, de culture et d’audiovisuel.

Par ailleurs, quand on connaît la place qu’occupe le sport dans la vie économique et sociale de notre île, il me semble indispensable que cette mission soit également identifiée en tant que telle parmi les champs d’étude de l’organe consultatif.

Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse, madame la ministre, pour ajouter que les récents et scandaleux débordements au sein de la Fédération française de football ne font que consolider ma conviction quant à la nécessité que le sport devienne un objet de débat de la société dans son ensemble, et pas seulement une affaire de sportifs... Je referme la parenthèse.

J’en viens au deuxième point qui, à mes yeux, doit être amélioré : le texte ne confère pas à l’assemblée la possibilité de créer un bureau ; cela nous paraît regrettable à plusieurs titres.

En effet, l’existence d’un conseil exécutif distinct de l’assemblée n’empêche pas d’instaurer au sein même de celle-ci un bureau, un peu à l’instar de ce qui existe pour les communes.

Composé du président de l’assemblée et des quatre vice-présidents, ce bureau, qui n’aurait bien entendu aucun pouvoir exécutif, serait chargé d’aider son président à organiser les travaux non seulement de ladite assemblée, mais également des commissions sectorielles. Ainsi, occasionnellement, certains élus chargés de suivre des dossiers particuliers, assistés éventuellement du directeur général des services, pourraient être conviés à participer aux réunions du bureau, afin d’exposer les donnés des problèmes qu’ils auraient à traiter.

Enfin, doté de crédits budgétaires de fonctionnement, ce bureau, dont la fréquence des réunions pourrait être fixée par le règlement intérieur de l’assemblée, aurait également pour mission d’établir un bilan périodique des séances plénières.

En définitive, il symboliserait la volonté du président de l’assemblée et de son équipe de travailler en profondeur sur tous les sujets sur lesquels cette dernière est appelée à délibérer.

Ce rôle ne peut en aucun cas être rempli par le conseil exécutif, celui-ci étant strictement séparé de l’assemblée et chacun de ces organes ayant son propre président.

Par ailleurs, il me semble indispensable d’évoquer dès maintenant la nécessité de prévoir des mesures d’exécution des délibérations de l’assemblée.

Le choix de la mise en place d’un conseil exécutif distinct de l’assemblée se justifie par l’application du principe de la séparation des pouvoirs. Cette séparation paraît logique dès l’instant où l’assemblée délibérante peut être habilitée à adopter des règles applicables sur le territoire de la collectivité « dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi », comme le prévoit l’alinéa 3 de l’article 73 de la Constitution. Dès lors, des mesures d’exécution des délibérations de l’assemblée sont nécessaires.

Il convient donc de doter le président du conseil exécutif de la possibilité de prendre en conseil exécutif lesdites mesures.

Je me dois en cet instant de soulever la question, évoquée par mon collègue Georges Patient, des moyens à allouer à cette future collectivité.

La création d’une collectivité unique en Martinique doit être une réussite. Cela va sans dire, il faut que l’État lui attribue, de manière exceptionnelle, une dotation spéciale, dont le montant reste à définir, de mise en place ou d’instauration.

En effet, je ne voudrais pas que le financement de l’instauration de cette collectivité unique soit issu des budgets des conseils régional et général de Martinique. Je rappelle que ces deux collectivités n’ont aucune compétence légale en la matière.

Enfin, je souhaiterais que l’État, à l’instar de l’Union européenne, reconnaisse davantage nos contraintes en matière de développement économique, contraintes qui sont notamment liées à notre éloignement par rapport à la métropole, à notre géographie, à notre insularité et à notre exposition particulière aux risques majeurs. À cet égard, il me semble opportun que l’on réfléchisse d’ores et déjà à la création d’une dotation spécifique de développement économique qui prendrait en compte nos spécificités et nos contraintes ; j’y reviendrai en temps utile.

Sur l’ensemble de ces questions, la qualité des travaux qui seront réalisés au sein de la commission tripartite prévue à l’article 10 du titre IV du projet de loi sera déterminante. Aussi, il me semble indispensable que tous les membres de ladite commission y siègent dans un esprit d’efficacité et avec la préoccupation constante de mettre en place les leviers d’un véritable développement.

Singulièrement, et sans faire de procès d’intention à quiconque, j’espère que les représentants de l’État y seront missionnés avec l’ordre de se servir de leur imagination plutôt que de leur calculatrice !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Pour conclure, mes chers collègues, je précise que toute « minoration » du texte actuel constituerait un recul et une dénaturation du choix opéré par nos concitoyens en janvier 2010. En effet, nous ne traitons pas ici uniquement de la Guyane et de la Martinique.

L’avenir des territoires en France et en Europe, voilà ce dont nous traitons !

Comment sortir du millefeuille administratif sans renoncer au niveau de service public offert à nos concitoyens, voilà ce dont nous traitons !

Comment simplifier sans dénaturer, voilà ce dont nous traitons !

En réalité, nous sommes en train d’imaginer l’un des futurs visages possibles de la réforme territoriale de droit commun, les dispositions de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales ne pouvant constituer, chacun le voit bien, qu’une étape transitoire.

Je vous demande donc, mes chers collègues, de mesurer l’enjeu de la discussion que nous débutons aujourd’hui : il s’agit de parachever le travail réalisé en commission, et en aucun cas de faire marche arrière.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis d’être le dernier orateur inscrit, ce qui m’a permis d’écouter, et avec une grande attention, l’ensemble des sénateurs et des sénatrices qui se sont succédé à la tribune.

Comme Odette Terrade et Christian Cointat, je ne suis pas l’élu d’une circonscription ultramarine, mais je m’exprime néanmoins sur le sujet. Au-delà des nombreuses divergences qui, heureusement, nous opposent, M. le rapporteur et moi-même

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. Bernard Frimat. Nous sommes ici pour voter la loi de la République et non pas la loi d’une collectivité. Nous nous devons de rappeler constamment cette vérité.

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Si les débats institutionnels ont leur qualité, ils ont aussi leurs limites. Nous abordons aujourd’hui un texte important, dans la mesure où, s’il est adopté, il donnera naissance à des collectivités uniques. Nous pouvons cependant regretter son élaboration quelque peu chaotique. Nous avons en effet connu des phases de précipitation et des phases de langueur.

La précipitation a en effet été de mise pour l’organisation du referendum. La campagne s’est déroulée durant les fêtes de fin d’année, période peu propice, chacun s’accorde à le reconnaître, à la mobilisation sur un tel sujet : l’ensemble des Guyanais et des Martiniquais pouvaient avoir alors d’autres préoccupations en tête.

Après cette consultation, dont je ne commenterai pas les résultats – les Martiniquais et les Guyanais ont parlé -, s’est ouverte une longue période. Elle débouche aujourd’hui sur ces deux textes, qui ne deviendront opérationnels que l’été prochain, si l’on considère le temps nécessaire à la navette parlementaire.

Ensuite, s’ouvrira une phase d’une durée indéterminée, réservée à la mise en place de ces nouvelles collectivités, avec le télescopage d’échéances que tout le monde connaît. L’année 2012 sera en effet particulièrement riche en scrutins, avec l’élection présidentielle puis les élections législatives.

Pour ma part, je conserve le souvenir du report électoral que nous avions décidé lors du dernier couplage des élections législatives et de l’élection présidentielle. Il faudra donc faire son affaire de tout cela.

Changer les institutions, c’est toujours important, mais la tâche exige d’être abordée avec une très grande modestie, car il n’existe pas, en la matière, de vérité révélée. Je serais tenté de dire que les positions divergentes qui ont été émises sont toutes respectables ; simplement, elles correspondent à des approches et à des réflexions différentes. Mais vient un moment où il faut trancher, et qui le peut, sinon la représentation nationale, dont c’est la fonction ?

Les Martiniquais et les Guyanais se sont exprimés par le vote ; ils s’expriment par les voix, quelquefois identiques, quelquefois différentes, de leurs élus, mais il nous revient de trancher.

Je tiens à saluer le travail du rapporteur de la commission des lois. Ayant eu l’occasion de me déplacer, avec lui, en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier l’ensemble des collègues qui nous ont reçus. Je veux dire à quel point ils nous ont aidés à mieux comprendre leur situation, en nous faisant part de leurs sentiments, de leurs ressentis.

Une approche uniquement intellectuelle est forcément différente d’une connaissance pratique de la réalité du terrain. Nous avons notamment ressenti un choc en prenant conscience des dimensions géographiques respectives de la Martinique et de la Guyane.

La commission des lois a bien fait son travail, en rendant lisible un texte qui ne l’était pas. Elle a mené une analyse minutieuse visant à corriger les erreurs et les à-peu-près d’un texte qui lui arrivait dans un état d’inachèvement assez remarquable, comme nous aurons l’occasion de le constater cet après-midi au cours de nos débats.

Je salue également la position de la commission des lois, qui s’est efforcée – c’est bien le moins ! – de faire respecter les pouvoirs du Parlement et, donc, de rendre à la loi ce qui est à la loi. C’est tout le débat sur l’article 6 du projet de loi. Que de chemin parcouru, madame la ministre, entre la version initiale – « Laissez-nous faire », nous disait-on en substance -, et le présent texte ! Si vous n’êtes pas encore arrivée au terme de votre cheminement, vous en êtes proche, car le but est de rendre ses prérogatives au Parlement, grâce au simple rétablissement d’une certaine transparence.

Il n’y a pas d’institution parfaite ; il n’y a pas plus de découpage parfait. Mais certaines démarches, publiques et transparentes, permettent le débat ; d’autres, plus discrètes, sont la porte ouverte à toutes les suspicions.

Je le sais bien, ceux qui possèdent « les ciseaux du découpage » restent attachés à leur pouvoir ! Toutefois, à partir du moment où les circonscriptions uniques sont mises en place, ce qui déclenche l’attribution d’une prime majoritaire, permettant ainsi de respecter l’unité respective des territoires martiniquais et guyanais, les différentes modalités du découpage n’occupent plus qu’une place secondaire, sur laquelle il convient d’apporter toute la clarté, certes, mais nous devrions y arriver facilement cet après-midi.

Je partage l’analyse constitutionnelle de Christian Cointat. Si elle n’était pas en définitive retenue, il conviendrait d’en rendre juge le Conseil constitutionnel.

Nous avons pu le constater, et Christian Cointat l’a rappelé, la version initiale de l’article 9 a été perçue par l’ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés comme une gifle, comme une humiliation. Je sais que ces termes sont durs, mais ce sont ceux que nous avons entendus. On nous a même dit, avec tout ce que cela implique, que c’était le retour du gouverneur.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Par conséquent, nous nous devons de faire évoluer cet article 9. Christian Cointat, au nom de la commission des lois, a proposé une solution. Pour ma part, j’estime qu’une suppression pure et simple serait préférable. Nous verrons bien où nos débats nous conduiront.

Pour conclure, je souhaite évoquer, au-delà de la vision institutionnelle, qui est très importante, puisqu’elle nous réunit aujourd’hui, le développement économique et social de la Martinique et de la Guyane.

Je redoute en effet, madame la ministre, que le débat qui a été ouvert ne débouche, finalement, sur une gigantesque désillusion. La perspective de la collectivité unique a suscité, dans le cœur des Guyanais et des Martiniquais, l’espoir de pouvoir construire leur avenir.

Or une évolution strictement institutionnelle, sans compétences nouvelles, sans moyens nouveaux, mais au contraire pleine d’économies supposées, c'est-à-dire correspondant à une vision tatillonne et chagrine, serait source de désillusions. Les institutions en tant que telles sont un moyen, et d’importance, mais elles ne sont pas une réponse au problème du développement économique et social.

Nous l’avons écrit, ces textes constituent une occasion opportune ; ils ne peuvent en aucun cas se transformer en solution miracle.

Il appartient au Gouvernement, en créant les conditions du développement économique et social de la Guyane et de la Martinique, aujourd’hui, ainsi que de la Guadeloupe, demain, de ne pas semer des illusions en faisant croire à de fausses solutions.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.

Nous passons à la discussion des articles du projet de loi organique, dans le texte de la commission.

(Texte de la commission)

Aux articles L.O. 3445-1, L.O. 3445-9, L.O. 4435-1 et L.O. 4435-9 du code général des collectivités territoriales, les mots : «, de la Guyane, de la Martinique » sont supprimés.

L'article 1 er A est adopté.

I. – La section 1 du chapitre V du titre IV du livre IV de la troisième partie du même code est ainsi modifiée :

1° L’article L.O. 3445-4 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 3445-4. – La délibération prévue à l’article L.O. 3445-2 est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans le département.

« Lorsqu’elle porte sur une disposition législative, elle est transmise à l’Assemblée nationale et au Sénat par le Premier ministre, assortie le cas échéant de ses observations.

« Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans les deux mois suivant sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication. » ;

2° Au début de la première phrase du second alinéa de l’article L.O. 3445-5, les mots : « Le représentant de l’État dans le département peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans le département peuvent » ;

3° L’article L.O. 3445-6 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 3445-6 . – L’habilitation est accordée par la loi lorsque la demande porte sur une disposition législative. Dans ce cas, elle vaut également habilitation à prendre les dispositions réglementaires nécessaires à son application.

« Elle est accordée par décret en Conseil d’État lorsque la demande ne porte que sur une disposition réglementaire.

« Elle est accordée pour une durée ne pouvant aller au-delà du renouvellement du conseil général. » ;

4° Après l’article L.O. 3445-6, il est inséré un article L.O. 3445-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 3445-6-1 . – Si la loi ou le décret en Conseil d’État mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L.O. 3445-6 le prévoient, lorsque l’habilitation a été accordée jusqu’au renouvellement du conseil général, elle est prorogée de droit, pour une durée maximale de deux ans à compter du renouvellement, si le conseil général adopte dans les six mois suivant son renouvellement une délibération motivée en ce sens.

« La délibération prévue au premier alinéa est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans le département. Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans le mois qui suit sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication.

« L’article L.O. 3445-5 est applicable. Le délai d’un mois prévu au second alinéa de cet article commence à compter de la transmission prévue au deuxième alinéa du présent article. » ;

5° Au début de la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L.O. 3445-7, les mots : « Le représentant de l’État dans le département peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans le département peuvent » ;

II. – La section 1 du chapitre V du titre III du livre IV de la quatrième partie est ainsi modifiée :

1° L’article L.O. 4435-4 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 4435-4. – La délibération prévue à l’article L.O. 4435-2 est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans la région.

« Lorsqu’elle porte sur une disposition législative, elle est transmise à l’Assemblée nationale et au Sénat par le Premier ministre, assortie le cas échéant de ses observations.

« Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans les deux mois suivant sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication. » ;

2° Au début de la première phrase du second alinéa de l’article L.O. 4435-5, les mots : « Le représentant de l’État dans la région peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans la région peuvent » ;

3° L’article L.O. 4435-6 est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 4435-6 . – L’habilitation est accordée par la loi lorsque la demande porte sur une disposition législative. Dans ce cas, elle vaut également habilitation à prendre les dispositions réglementaires nécessaires à son application.

« Elle est accordée par décret en Conseil d’État lorsque la demande ne porte que sur une disposition réglementaire.

« Elle est accordée pour une durée ne pouvant aller au-delà du renouvellement du conseil régional. » ;

4° Après l’article L.O. 4435-6, il est inséré un article L.O. 4435-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 4435-6-1 . – Si la loi ou le décret en Conseil d’État mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L.O. 4435-6 le prévoient, lorsque l’habilitation a été accordée jusqu’au renouvellement du conseil régional, elle est prorogée de droit, pour une durée maximale de deux ans à compter du renouvellement, si le conseil régional adopte dans les six mois suivant son renouvellement une délibération motivée en ce sens.

« La délibération prévue au premier alinéa est transmise au Premier ministre ainsi qu’au représentant de l’État dans la région. Elle est publiée au Journal officiel de la République française dans le mois qui suit sa transmission au Premier ministre. Elle entre en vigueur le lendemain de sa publication.

« L’article L.O. 4435-5 est applicable. Le délai d’un mois prévu au second alinéa de cet article commence à compter de la transmission prévue au deuxième alinéa du présent article. » ;

5° Au début de la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L.O. 4435-7, les mots : « Le représentant de l’État dans la région peut » sont remplacés par les mots : « Le Premier ministre et le représentant de l’État dans la région peuvent ».

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je mets à profit le temps de parole qui m’est accordé pour vous présenter l’orientation générale de la plupart des amendements que je vous propose d’adopter.

Il s’agit, dans l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008, de faciliter l’exercice, par les collectivités d’outre-mer qui le souhaitent, des habilitations prévues par l’article 73.

Il n’est nullement question, sous couvert de ce régime, de transférer de manière quasi-automatique les compétences du Parlement ou du Gouvernement aux collectivités de Guadeloupe, de Guyane ou de Martinique.

Il s’agit en revanche de mettre en place une procédure suffisamment précise pour qu’aucune fin de non-recevoir ne puisse être opposée aux demandes d’habilitation fondées sur l’article 73.

Sans doute est-il possible de contester la légalité des demandes, ou la légalité des mesures prises en application d’une habilitation. Sans doute est-il également possible de refuser, en opportunité, la délégation des compétences demandées. Mais il ne doit pas être possible de traiter par le mépris, en la laissant sans réponse, une demande émanant d’une assemblée ultramarine élue.

Le pouvoir normatif décentralisé confié aux collectivités de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique est certes très large : celles-ci ne se bornent plus à adapter le droit existant, mais édictent un droit d’exception applicable, pour chaque collectivité, dans son ressort.

Les conditions de mise en œuvre sont toutefois extrêmement restrictives quant au domaine concerné ; en aucun cas l’exercice d’une liberté ne peut être mis en cause.

Les habilitations s’exercent de plus dans un domaine limité et ne peuvent être générales. Elles doivent tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières des collectivités qui sont à l’origine de la demande.

Considérer ces conditions permet de prendre la juste mesure de l’exception consentie aux collectivités régies par l’article 73 : il n’y a pas lieu de dramatiser l’usage de la procédure de l’habilitation, ni de chercher à la rendre totalement inutilisable ou à la remettre entièrement entre les mains des autorités centrales.

La Constitution invite à reconnaître une liberté accrue aux territoires d’outre-mer : que la loi organique ne se montre pas timorée en annulant de fait les révisions constitutionnelles de 2003 et de 2008 !

Je crois cette orientation partagée par notre rapporteur, Christian Cointat. Lui-même a défendu en commission des amendements allant dans ce sens ; nous les retrouvons dans le texte qui nous est soumis.

Je pense qu’il est possible de poursuivre ce travail sur d’autres aspects de la procédure de l’habilitation, afin de l’assouplir et d’en faciliter l’usage, conformément à l’esprit de la dernière révision constitutionnelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gillot

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la Guadeloupe n’est pas directement concernée par le projet de loi ordinaire relatif à la Guyane et à la Martinique – à quelques exceptions près, comme celle ayant trait au pouvoir de substitution du préfet –, elle l’est en revanche par le projet de loi organique ; celui-ci concerne en effet l’ensemble des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Tirant les conséquences des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la procédure de l’habilitation, à laquelle la révision de 2003 a autorisé certaines collectivités d’outre-mer à recourir, le projet de loi organique comporte des améliorations destinées à en faciliter l’usage.

La commission des lois nous a apporté des garanties en clarifiant et en précisant les améliorations de cette procédure de l’article 73 introduites par le projet de loi organique.

Celui-ci modifie le régime des habilitations en prévoyant le recours à un décret en Conseil d’État, et non plus à une loi, lorsque l’habilitation demandée relève du domaine réglementaire.

Cette modification proposée va dans le bon sens, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une possibilité nouvelle offerte au Gouvernement d’exercer un éventuel contrôle d’opportunité et d’abuser de son pouvoir en opposant à la demande une fin de non-recevoir, que ce soit par un refus assumé ou par un silence prolongé.

L’obligation faite au Gouvernement de publier au Journal officiel, dans un délai de deux mois, la délibération de la collectivité demandant l’habilitation est une garantie majeure, introduite par la commission, qui prémunit la collectivité contre tout risque d’un contrôle d’opportunité exercé par le Gouvernement. La publication rendant la délibération exécutoire, la solution proposée par la commission permet d’écarter, sur le plan juridique, la possibilité d’une fin de non-recevoir opposée par le pouvoir exécutif.

Avec mes collègues, je m’interroge toutefois : de quel recours disposera la collectivité en cas de non-respect par le Gouvernement de l’obligation de publication ?

La deuxième modification apportée par le projet de loi organique au régime de l’habilitation concerne la possibilité de prolonger la durée de l’habilitation, non plus seulement pendant deux ans – comme il est actuellement prévu –, mais jusqu’au terme du mandat de l’assemblée ayant formulé la demande.

Il s’agit d’une bonne mesure, qui tient compte des difficultés de mise en œuvre rencontrées sur le terrain. Depuis 2003, seule en effet la Guadeloupe a recouru, à deux reprises, à la procédure de l’habilitation : elle est aujourd’hui confrontée au problème de la trop courte durée du délai de deux années. Dans quelques jours, l’habilitation accordée à la Guadeloupe dans le domaine de l’énergie arrivera à son terme, alors même que le travail engagé jusqu’ici doit être poursuivi et approfondi dans l’intérêt de la collectivité et de sa population.

Cette situation justifie l’amendement, que je défendrai tout à l’heure, visant à prolonger cette habilitation ; j’espère d’autant plus le voir adopté qu’il va dans le sens, souhaité par le Gouvernement, d’un assouplissement de la procédure d’habilitation.

Je me félicite en outre que la commission des lois ait prévu de simplifier la procédure de prorogation d’une habilitation dans le cas d’une assemblée locale nouvellement élue, que sa majorité soit identique à la majorité sortante ou qu’elle ne le soit pas.

Si cette simplification est louable, nous estimons toutefois que la durée maximale prévue de deux ans à compter du renouvellement de l’assemblée aurait pu être allongée, en dépit des précautions constitutionnelles prises par la commission et son rapporteur.

Le bénéfice de la procédure simplifiée de prorogation d’une habilitation nous apparaît donc limité, et contraint par la durée trop courte du délai maximal de deux années. L’un des amendements que j’ai déposés avec mes collègues vise précisément à étendre le délai de l’habilitation à la durée complète de la mandature.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de m’apporter des précisions sur les sujets que j’ai abordés – s’agissant en particulier du cas dans lequel le Gouvernement manquerait à son obligation de publication au Journal officiel.

M. le rapporteur acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Larcher

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, que j’ai eu l’honneur de présider en 2009 et dont mon collègue Éric Doligé fut le rapporteur, a émis « cent propositions pour fonder l’avenir ».

La première de ces propositions consiste à favoriser l’utilisation, par les départements d’outre-mer, des facultés d’adaptation offertes par l’article 73 de la Constitution. Le fait que nous l’ayons formulée révèle les difficultés rencontrées par les élus locaux pour faire aboutir leurs demandes d’habilitation.

En effet, malgré les avancées nombreuses réalisées et les mesures d’assouplissement ou de simplification, la mise en œuvre de cette nouvelle liberté reconnue aux départements et aux régions d’outre-mer, et fortement réclamée par les élus, demeure embryonnaire.

Le fait est que, quatre ans après l’adoption de la loi organique du 21 février 2007, le bilan n’est pas flatteur.

Seules les demandes émanant du conseil régional de la Guadeloupe ont donné lieu à deux habilitations dans le cadre de la loi organique pour le développement économique en outre-mer.

Les demandes émanant du conseil général et du conseil régional de la Martinique, en revanche, sont restées lettre morte : faute d’une publication au Journal officiel en application de l’article L.O. 3445-4, elles n’ont pu déboucher sur l’examen d’une disposition législative d’habilitation.

Pour quelles raisons ? Le secrétaire d’État à l’outre-mer n’avait tout simplement pas souhaité donner suite à cette démarche… C’était, paraît-il, après avoir constaté l’absence d’un consensus local sur les enjeux, du fait des demandes concurrentes des deux collectivités – alors même que ces délibérations n’ont fait l’objet d’aucun recours juridictionnel devant le Conseil d’État.

Or la loi organique de 2007 prévoit seulement un contrôle de légalité des délibérations prises en application de l’article 73 ; elle n’autorise aucunement le Gouvernement à exercer, sur ces délibérations, un contrôle d’opportunité. C’est pourtant ce qui s’est produit.

Cette interprétation n’est pas douteuse dès lors que l’on veut bien relire les débats tenus au Sénat lors de l’examen du projet de loi organique : notre assemblée avait refusé, à l’initiative de la commission des lois, que le préfet puisse solliciter une nouvelle délibération, estimant qu’il n’appartenait pas au pouvoir exécutif d’exercer « une sorte de contrôle d’opportunité de la demande d’habilitation. »

C’est la raison pour laquelle je me félicite des améliorations apportées par la commission des lois au texte déposé par le Gouvernement. J’espère qu’en balisant ainsi la procédure elles empêcheront de telles dérives à l’avenir.

Ainsi, la commission a apporté deux améliorations notables au texte du Gouvernement. D’une part, elle a institué une sorte de garde-fou en prévoyant des contraintes de transmission et de délai qui s’imposeront au Premier ministre. D’autre part, elle a allongé la durée des habilitations en l’alignant sur celle de la mandature de la collectivité – celle-ci pouvant même la prolonger de deux ans à l’issue de son renouvellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Papon

Mes chers collègues, je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Philippe Dominati membre du comité de suivi du niveau et de l’évolution des taux d’intérêt des prêts aux particuliers.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.