Intervention de Christian Cointat

Réunion du 12 mai 2011 à 9h30
Collectivités régies par l'article 73 de la constitution et collectivités de guyane et de martinique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Christian CointatChristian Cointat, rapporteur :

Une majorité absolue des conseillers est en effet requise par le texte pour assurer la recevabilité de la motion, qui ne peut être adoptée qu’aux trois cinquièmes des voix. De tels seuils, qui n’existent nulle part ailleurs, paraissent excessifs.

Au demeurant, ils permettraient à un conseil exécutif qui aurait perdu sa majorité de se maintenir sans pour autant que ses délibérations ou son budget puissent être adoptés, ce qui engendrerait un état de crise et de blocage.

Aussi la commission a-t-elle retenu des seuils qui lui paraissent plus raisonnables, à savoir un tiers des conseillers requis pour déposer la motion et la majorité absolue des conseillers composant l’Assemblée pour l’adopter. Ce sont d’ailleurs les seuils retenus pour la Corse.

Comme en Corse, la commission n’a pas souhaité prévoir le retour automatique au sein de l’Assemblée des membres du conseil exécutif en cas d’adoption de la motion, car elle considère que cela pourrait détourner le sens de ces dispositions en incitant les élus remplaçant les conseillers exécutifs à ne pas voter la motion pour ne pas perdre leur siège.

Par ailleurs, la commission a souhaité adjoindre au président de l’Assemblée quatre vice-présidents chargés de l’assister dans ses fonctions.

Dans chaque région d’outre-mer, il existe un conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, conseil consultatif rattaché à la région, à côté du conseil économique et social qui existe dans toutes les régions de l’hexagone.

Concernant la Guyane et la Martinique, j’ai pu juger, lors de la mission d’information, de la qualité et de la densité du travail réalisé par le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, ce qui m’a amené à considérer que cette structure consultative propre aux régions d’outre-mer pouvait mériter d’être conservée. Pour autant, une majorité des élus rencontrés a estimé qu’il était pertinent de fusionner les deux conseils consultatifs rattachés à la région, afin de leur donner plus de poids face à la nouvelle collectivité unique.

Souhaitant donner satisfaction aux élus, la commission a accepté la réunion des deux conseils, tout en préservant la prise en compte de la dimension culturelle qui avait justifié la création du conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, et en évitant tout risque de dilution de cette dimension dans les préoccupations d’une autre nature qui sont celles du conseil économique et social. Elle a ainsi créé au sein de chaque conseil deux sections et adapté la dénomination du conseil consultatif, approche à laquelle Mme la ministre vient de montrer, et je m’en félicite, qu’elle était sensible.

La commission a souhaité explicitement prévoir la possibilité de réunir le congrès des élus dits départementaux et régionaux dans les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique. En effet, la mise en place de la collectivité unique ne saurait préjuger une absence ultérieure de toute volonté nouvelle d’évolution institutionnelle, volonté que le congrès des élus a justement vocation à exprimer.

Dans sa formule actuelle, le congrès se compose des conseillers régionaux et généraux, ainsi que des parlementaires avec voix consultative. En Guyane et en Martinique, il comprendrait les conseillers à l’Assemblée avec les parlementaires. Mais, pour donner plus de poids à cette instance, la commission a jugé utile d’y adjoindre l’ensemble des maires, avec voix consultative, ce qui répond en outre à une attente de ces derniers qui, lors de la mission d’information, nous ont fait part de leur désir d’être associés étroitement à l’évolution de cette collectivité unique.

En matière électorale, le rapporteur a pu pleinement prendre conscience, en Guyane, des fortes attentes en matière de représentation équitable de toutes les composantes du territoire, et donc de leurs populations.

Au terme de la mission d’information et de nombreuses discussions, un ajustement du mode de scrutin, accompagné d’un découpage des sections et d’une affectation des sièges dans chaque section, a pu être envisagé à la lumière des multiples consultations tenues. C’est ce nouveau dispositif que la commission a intégré dans le projet de loi, considérant qu’il appartenait au législateur de fixer entièrement le régime électoral de la future Assemblée de Guyane, contrairement au Gouvernement qui estimait, par analogie avec le découpage des cantons, qu’il revenait au pouvoir réglementaire – non au législateur – de fixer le nombre des sections électorales, leur délimitation et le nombre de candidats ou de sièges en tenant compte de la population.

La commission a donc jugé que ces éléments relevaient bien du domaine de la loi. En effet, selon l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant le « régime électoral [...] des assemblées locales ». Or le nombre de sections, leur composition et la répartition des sièges constituent bien des éléments fondamentaux du régime électoral de l’Assemblée de Guyane que le législateur ne pourrait pas ignorer, sauf à méconnaître sa compétence, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L’argument relatif à une analogie avec les cantons n’est pas recevable, car on se situe dans le cadre non pas d’un scrutin majoritaire uninominal, mais d’une élection à la proportionnelle. Il s’agit de délimiter non pas des cantons, mais des sections purement électorales d’une circonscription.

De plus, depuis la Révolution, les cantons sont historiquement des subdivisions administratives, ce qui justifie encore à ce jour la compétence réglementaire pour ce qui concerne leur délimitation. De surcroît, nous le savons, il s’agit d’une dérogation aux principes généraux.

En outre, par comparaison avec l’élection des conseillers régionaux, l’effectif des candidats devant figurer dans chaque section départementale a bien été déterminé par la loi.

Autre comparaison, l’article L.O. 537 du code électoral – il a été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel puisqu’il a été créé par une loi organique – répartit les dix-neuf sièges du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon en deux sections qu’il détermine, pour appliquer un mode de scrutin analogue à celui qu’a retenu le projet de loi pour la Guyane et la Martinique. Le fait qu’il s’agisse d’une collectivité relevant de l’article 74 de la Constitution est indifférent. L’article 34 de la Constitution s’applique en tout domaine. C’est le Parlement qui a fixé lui-même ces éléments du régime électoral. Cela a été validé par le Conseil constitutionnel. Il en est de même pour les différentes lois organiques relatives à la Polynésie française.

Enfin, la décision n° 99-187 du 6 octobre 1999 du Conseil constitutionnel conforte également la position de la commission. Elle dispose que relèvent du domaine de la loi les règles relatives à l’élection du Conseil supérieur des Français de l’étranger – à l’époque, pourtant, l’article 34 ne concernait pas encore cette instance – « au nombre desquelles figurent la délimitation des circonscriptions électorales, le nombre de sièges attribué à chacune d’elles, le mode de scrutin, le droit de suffrage, l’éligibilité, ainsi que le régime contentieux de l’élection ». C’est le fait que ces élus forment un collège électoral sénatorial qui a justifié cette décision. La situation est la même pour ce qui concerne les conseillers de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique.

Par analogie, il faut donc considérer que, pour un scrutin à la représentation proportionnelle – j’insiste sur ce point –, relèvent du domaine de la loi la délimitation des sections électorales et la fixation du nombre de sièges de chaque section d’une circonscription électorale.

Forte de cette analyse constitutionnelle, la commission a donc souhaité intégrer dans le projet de loi un tableau de découpage des sections, au nombre de huit – chiffre retenu dans l’étude d’impact pour la Guyane, afin de permettre une représentation équilibrée du territoire –, et de répartition des sièges dans les sections, sans renvoyer ce soin au pouvoir réglementaire.

En outre, sur la proposition de notre collègue Bernard Frimat, membre de la mission d’information, et de votre rapporteur, elle a modifié le mode de scrutin de type régional retenu par le projet de loi pour tenir compte des spécificités de la Guyane où le nombre d’habitants qui détermine le nombre de candidats peut être sans commune mesure avec le nombre d’électeurs qui détermine le nombre d’élus, et, de ce fait, peut créer une distorsion dans la représentation de territoires, qui, pourtant, en ont besoin.

Compte tenu des grandes disparités démographiques et électorales entre les territoires guyanais, la commission a tenu à ce qu’un nombre de sièges – au minimum trois – soit garanti dans chaque section, de façon que toutes les composantes du territoire, au sens où l’entend le Conseil constitutionnel, soient équitablement représentées au sein de la future Assemblée de Guyane.

Le mode de scrutin retenu par la commission affecte dans chaque section un à deux des onze sièges de prime majoritaire – soit 20 % du total – attribués à la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Guyane puis répartit les autres sièges de chaque section en fonction du résultat de chaque liste dans la section.

Par parallélisme, la commission a également introduit dans le texte que nous examinons les sections pour l’élection à l’Assemblée de Martinique, au nombre de quatre, correspondant aux quatre circonscriptions législatives, comme le souhaitait le Gouvernement.

En revanche, elle a retenu le simple scrutin régional – il était d’ailleurs proposé par le Gouvernement –, considérant que la situation démographique et territoriale de la Martinique avec quatre sections comparables ne justifiait pas un dispositif similaire à celui de la Guyane, qui est spécifique.

Elle a par ailleurs ramené de onze à neuf sièges la prime majoritaire pour s’aligner sur le schéma retenu pour la Corse en 2009 par le Parlement. La situation étant identique, il n’a pas paru nécessaire à la commission de « défaire » le dispositif qui a été adopté voilà peu de temps et semble répondre aux attentes.

Lors de la discussion de la loi n° 82–1171 du 31 décembre 1982 portant organisation des régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion, la commission s’était déjà émue de la volonté du Gouvernement d’anticiper le calendrier électoral de droit commun pour mettre en place plus rapidement dans les départements d’outre-mer qu’en métropole les nouvelles collectivités territoriales que constituaient les régions. L’Histoire se répète… Pour autant, cette loi garantissait ensuite le rattachement des régions d’outre-mer au calendrier électoral régional de droit commun.

La commission a donc pris acte de la volonté du Gouvernement d’organiser rapidement les premières élections à l’Assemblée de Guyane et à l’Assemblée de Martinique, mais a tenu à inscrire ces élections dans le calendrier électoral de droit commun, car elles concernent des collectivités qui relèvent toujours de l’article 73 de la Constitution.

Ainsi, elle a repoussé du mois de décembre 2012 au mois de mars 2014 la date butoir pour ces premières élections, ce qui laisse au Gouvernement une plus grande marge de manœuvre pour les organiser soit de manière anticipée, soit lors du renouvellement normal de 2014.

Mais la commission a prévu que les élections suivantes s’inscriront, en tout état de cause, dans le calendrier de droit commun. Elle souhaite que soit indiqué dans le code électoral que les conseillers à l’Assemblée de Guyane et à l’Assemblée de Martinique étaient par principe élus en même temps que les conseillers régionaux en attendant la mise en place des conseillers territoriaux. Il serait pour le moins curieux que des élections générales soient organisées à des dates différentes selon les départements, sans aucune harmonisation nationale. On assisterait à un délitement de la République française !

Tenant compte de la large hostilité rencontrée chez les élus à l’égard du renforcement des pouvoirs de substitution du préfet, la commission, soucieuse des préoccupations exprimées tout à l’heure par Mme la ministre, a tenté de le rendre plus acceptable sous la forme d’un constat d’état de carence effectué non plus par le préfet, mais par le Gouvernement lui-même, après épuisement de toutes les mises en demeure nécessaires, pour d’abord inciter la collectivité intéressée à assumer ses responsabilités avant d’en arriver à une telle extrémité.

Pour ce qui concerne le projet de loi organique, la commission, rappelant l’intention du constituant, a également estimé qu’il n’appartenait pas au Gouvernement d’exercer un contrôle d’opportunité sur les demandes d’habilitation émanant des départements et régions d’outre-mer. Elle a souhaité confirmer l’appréciation portée à plusieurs reprises par le Sénat sur ce point. Ce contrôle ne doit relever que de l’autorité compétente pour accorder ou non l’habilitation, c’est-à-dire du Gouvernement dans le domaine réglementaire et du seul Parlement dans le domaine législatif. Aussi la commission a-t-elle adopté plusieurs dispositions pour prévenir toute interprétation contraire à la volonté du constituant.

Par ailleurs, afin de satisfaire une demande instante formulée durant la mission d’information, la commission a conçu un mécanisme simplifié de prorogation temporaire de droit, pour une durée maximale de deux ans, de toute habilitation après le renouvellement de l’assemblée qui en a fait la demande, à la seule condition que la loi ou le règlement ayant accordé l’habilitation initiale autorise expressément cette prorogation et que la nouvelle assemblée le décide dans les six mois suivant son élection.

Les quelques points de divergence qui subsistent entre le Gouvernement et la commission des lois sont finalement mineurs eu égard à la finalité, partagée, des projets de loi que nous examinons, à savoir améliorer le développement économique de la Guyane et de la Martinique et leur offrir davantage de moyens pour se tourner vers l’avenir. Par conséquent, la commission des lois, sous réserve de l’adoption des modifications que je viens d’évoquer, vous invite, mes chers collègues, à voter les deux projets de loi qui vous sont présentés.

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