Intervention de Odette Terrade

Réunion du 12 mai 2011 à 9h30
Collectivités régies par l'article 73 de la constitution et collectivités de guyane et de martinique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, deux ans ou presque après les événements sociaux qui ont marqué l’outre-mer, nous siégeons pour examiner deux projets de loi, l’un organique, l’autre ordinaire, relatifs à la situation institutionnelle de la Martinique et de la Guyane.

Il s’agit, pour la forme en tout cas, de réaliser la fusion des deux assemblées locales actuelles – conseil général et conseil régional – en une seule assemblée qui réunirait leurs pouvoirs et compétences respectifs, et se trouverait sous l’empire de l’article 73 de la Constitution, ce qui permettrait de procéder à des adaptations aux situations locales de la législation et des règlements en vigueur dans notre pays.

Ce choix institutionnel découle, comme cela a été rappelé, de deux consultations organisées en janvier 2010 auprès des populations martiniquaise et guyanaise pour définir le devenir de ces territoires.

La première consultation concernait l’application de l’article 74 de la Constitution, qui confère une plus large autonomie a priori aux assemblées d’outre-mer concernées, par la définition d’un champ de compétences plus étendu.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette consultation a intéressé les électeurs, puisque le taux de participation a été de 48, 2 % en Guyane et de 55, 3 % en Martinique. Notons tout de même – je le rappelle pour ceux qui brocarderaient ces chiffres – que la participation aux élections régionales de 2010 s’était établie à 44, 4 % en Guyane et à 44, 5 % en Martinique, ce qui situe donc à un bon niveau la fréquentation des urnes pour le premier référendum.

L’application de l’article 74 a été rejetée, puisque le « oui » a recueilli 29, 78 % des suffrages en Guyane et 20, 69 % en Martinique. Certains y ont d’ailleurs vu un désaveu des élus en place. Toutefois, les choses nous semblent plus complexes et doivent, à notre sens, être appréhendées en tenant compte des quelques incertitudes et inquiétudes qui pouvaient animer les électrices et les électeurs au moment même de voter sur le devenir de la Guyane et de la Martinique.

Deux semaines plus tard, a été organisé un nouveau double référendum, portant cette fois sur l’application de l’article 73, et singulièrement de la procédure d’habilitation.

Ce second référendum n’a pas rencontré le même écho : le taux de participation a connu une baisse sensible, s’établissant à seulement 27, 4 % en Guyane et 35, 8 % en Martinique. Le « oui » l’a emporté dans les deux cas, avec un pourcentage de 57, 49 % en Guyane et de 68, 30 % en Martinique.

Je constate avec intérêt, mes chers collègues, que le rapport se contente de mentionner les pourcentages, omettant de citer les résultats en valeur absolue. Je rappellerai donc ces derniers.

Le 10 janvier 2010, lors du premier référendum, les résultats ont été les suivants : en Guyane, sur 67 460 électeurs inscrits, on a compté 32 486 votants et 31 729 suffrages exprimés, le « oui » recueillant 9 448 voix et le « non » 22 281, soit 70, 2 % ; en Martinique, sur 296 802 électeurs inscrits, on a dénombré 164 198 votants et 159 252 suffrages exprimés, le « oui » recueillant 32 954 voix et le « non » 126 298 voix, soit 79, 3 %

Le 24 janvier, lors du second référendum, les résultats ont été les suivants : en Guyane, sur 67 258 électeurs inscrits, on a compté 18 519 votants et 17 241 suffrages exprimés, le « oui » l’emportant avec 9 912 voix – soit un nombre guère supérieur à celui des « oui » du premier scrutin –, contre seulement 7 329 « non » ; en Martinique, où le « oui » était largement soutenu par les différentes forces politiques, on a dénombré, sur 296 802 électeurs inscrits, 106 263 votants et 101 256 suffrages exprimés, le « oui » recueillant 69 188 voix et le « non » 32 068.

Si le total des « non » était donc très proche de celui des « oui » du premier référendum, celui des « oui », en revanche, était nettement plus faible que celui des « non » du premier scrutin, et ne représentait in fine que le choix d’un peu moins du quart de l’électorat...

J’ignore si le résultat du premier référendum ferme la porte, à moyen ou long termes, à une plus grande autonomie de la Guyane et de la Martinique, et si celui du second confirme l’attachement profond des Antillo-Guyanais à la France métropolitaine.

En fait, nous sommes même convaincus que cette précipitation à modifier la situation institutionnelle de la Guyane comme de la Martinique, à dépasser le cadre de la départementalisation et à s’inscrire dans le droit fil de la révision constitutionnelle de 2003 ne fait que pointer un peu plus les questions essentielles.

Surtout, cette démarche met en relief toutes les difficultés qui, dès lors que ces textes auront été adoptés et promulgués, continueront de se poser sur place, sur le plan tant économique que social, en termes de développement des potentialités, de réponse aux problèmes d’emploi, de formation, d’éducation, de préservation des espaces naturels, de valorisation des ressources, de mesures adaptées pour réduire les inégalités sociales, les soucis de logement, ou encore pour établir les conditions de nouvelles coopérations avec les États voisins.

En quelque sorte, nous ne sommes même pas au milieu du gué, et la discussion de ces deux textes de loi ne constitue qu’une première étape, au demeurant nécessaire, sur le long chemin qui reste à accomplir pour instituer de nouvelles assemblées locales, mettre en œuvre des compétences nouvelles et répondre aux problèmes révélés au grand jour par les événements du début de l’année 2009.

Bien entendu, l’objet de ces textes n’est pas de poser les bases d’une nouvelle stratégie de développement économique et social de la Guyane et de la Martinique. Toutefois, il nous semblerait bienvenu de faire en sorte que les dispositions qui seront finalement promulguées soient effectivement utilisables, en tant que moyens, pour favoriser ce développement économique et social.

Que l’on nous comprenne bien : si, avec ces textes réalisés en quelque sorte sur mesure, il ne s’agit que de créer les conditions permettant aux tenants actuels du pouvoir métropolitain et à quelques-uns de leurs relais disponibles outre-mer de se trouver confortés, nous serons loin du compte. Si, en revanche, il s’agit de permettre à l’Assemblée de la Guyane comme à l’Assemblée de Martinique d’appréhender les problèmes économiques et sociaux sous un jour nouveau et de définir et mettre en œuvre des solutions plus adaptées, nous pourrons nous féliciter d’avoir favorisé cette démarche.

Autant dire que le nouveau cadre institutionnel dont nous débattons est davantage susceptible de créer des attentes et de se voir éprouvé par les faits – jugé sur pièces, en quelque sorte – que de constituer, d’ores et déjà, la panacée aux maux dont souffrent les peuples martiniquais et guyanais.

Ces propos m’amènent immédiatement à évoquer, de nouveau, la question de la tutelle, qui me semble assez mal abordée par l’article 9 de la loi ordinaire, dans lequel il est question, sous certaines réserves, de donner au préfet, donc à l’État, tout pouvoir de substitution aux collectivités que nous aurons installées.

Une telle démarche, à notre sens peu respectueuse du principe de libre administration des collectivités, doit être repoussée. Ce n’est pas parce que l’article 73 de la Constitution s’applique que son article 72 perd toute sa valeur !

De fait, il nous semble bien plus pertinent de réfléchir en amont au contenu que nous voudrons bien donner aux concours apportés aux collectivités émergentes, notamment aux moyens financiers dont celles-ci seront dotées, que de soumettre ces collectivités à la procédure prévue à cet article 9. C’est d’autant plus vrai que la situation naturelle de la Martinique peut fort bien, dans certaines situations particulières, entraîner de façon tout aussi naturelle la mise en œuvre de la solidarité nationale.

Dans le cadre de cette intervention, je formulerai également quelques observations sur la manière dont seront élues les nouvelles assemblées.

Mon premier constat sera le suivant : partant d’un conseil général élu au scrutin uninominal à deux tours et d’un conseil régional désigné à la proportionnelle avec prime majoritaire, nous arrivons, avec le présent texte, à un système plutôt proportionnel, avec une prime majoritaire et une certaine forme de territorialisation.

Cela signifie que nous procéderons à une sorte de sectionnement électoral de la Guyane comme de la Martinique, qui sera assez proche de celui que nous connaissons aux élections régionales et qui aura tout de même un certain impact sur la répartition des sièges, compte tenu de l’importance de la prime.

Ce mode de scrutin m’inspire quelques remarques.

Tout d'abord, on pourrait fort bien s’en inspirer pour la métropole, puisque, contrairement à ce qui se passera pour les conseillers territoriaux – du moins si j’en crois la lettre du projet de loi qui leur a été consacré –, deux assemblées locales outre-mer seront élues à la proportionnelle, certes dans une version un peu corrigée et pas vraiment intégrale, mais avec ce mode de scrutin tout de même !

Ensuite, s’il fallait absolument assurer une attache territoriale aux membres de ces assemblées, nous aurions pu promouvoir un système proportionnel dans lequel auraient été désignés les premiers élus de chaque parti en vertu d’un vote personnel direct.

Pour ne prendre que l’exemple de la Guyane, l’assemblée unique se substituant sur ce territoire à un conseil général de 19 membres et à un conseil régional de 31 élus, rien n’empêchait de laisser en place les 19 territoires cantonaux actuellement découpés, d’y faire élire des conseillers issus des différentes forces politiques locales et de compléter l’assemblée avec 32 élus qui auraient permis, sur la base des voix obtenues proportionnellement par chaque parti, de compenser les éventuelles inégalités issues du vote local.

Dans certains pays du continent américain, les électeurs votent d’ailleurs parfois à la fois pour des élus au scrutin direct et pour des listes présentées par les partis politiques existants, un certain nombre de sièges étant quelquefois attribués à ces derniers afin de compenser l’écart créé par le scrutin direct.

Bref, nous ne sommes pas encore convaincus de l’absolu bien-fondé du mode de scrutin qui est ici mis en avant et qui risque fort de n’avoir qu’une seule raison d’être : limiter le plus possible le nombre de listes présentes lors des futures élections.

Au demeurant, l’organisation de la première consultation relative à l’élection des deux nouvelles assemblées n’est pas sans poser problème.

En effet, tout laisse penser que le Gouvernement a l’intention de faire en sorte que cette élection coïncide exactement avec l’installation des conseillers territoriaux en 2014, ce qui, sous couvert de laisser du temps au temps, permet surtout de donner à ceux qui disposent pour l’heure de la majorité dans les deux conseils régionaux les moyens de se préparer au mieux à la suite des opérations.

Ce point n’est pas sans importance, notamment lorsqu’on sait que, en Guyane, la majorité au conseil général est différente de celle qui prévaut au conseil régional et qu’elle n’envisage sans doute pas l’avenir du territoire de la même manière.

Nous trouvons trace de cette volonté d’attente dans le libellé de l’article 10 de la loi ordinaire, qui tend, en particulier, à permettre au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnances pour résoudre un certain nombre de questions et, par conséquent, pour repousser assez aisément le moment de prendre certaines décisions. Cet article accorde en effet au Gouvernement dix-huit mois à compter de la publication de la présente loi pour promulguer ces ordonnances.

Mes chers collègues, imaginons que la loi soit promulguée à la fin du mois de juin 2011 : le Gouvernement aura jusqu’à la fin de décembre 2012 pour promulguer les ordonnances et jusqu’à la fin de juin 2013 pour déposer les projets de loi de ratification. En outre, il disposera du début de la session 2013-2014 pour, éventuellement, faire ratifier ces ordonnances, soit au travers d’un texte propre, soit au détour d’une loi de finances, par exemple celle qui vaudra pour l’année 2014. Évidemment, vu la nature des questions posées, la tentation de recourir à ce type de texte sera forte !

De plus, une commission tripartite, dont la composition sera fixée par décret simple, réfléchira à l’ensemble des questions posées par les normes financières et comptables comme par les transferts de biens, de propriété et d’obligations. Pourquoi ne pas installer d’emblée cette instance et lui donner un délai raisonnable pour travailler, d’autant que certaines questions nous semblent déjà clairement identifiées ?

La démarche privilégiée par le Gouvernement vise, en fait, à rendre quasi impossible toute mise en place rapide et effective des nouvelles assemblées, lors même que l’article 12 du projet de loi ordinaire permettrait de ne pas retenir la date de mars 2014.

Grosso modo, ce texte ouvre une fenêtre de tir entre le 1er janvier 2013 et mars 2014, mais pour la refermer aussitôt, semble-t-il ! N’est-ce pas, madame la ministre ?

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