Intervention de Jean-Paul Virapoullé

Réunion du 12 mai 2011 à 9h30
Collectivités régies par l'article 73 de la constitution et collectivités de guyane et de martinique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Jean-Paul VirapoulléJean-Paul Virapoullé :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour écrire une nouvelle page de l’histoire institutionnelle de l’outre-mer. C’est ici, dans cette assemblée, que se décide son avenir. Puisqu’il s’agit d’histoire, permettez-moi, en quelques minutes, d’en parler en toute sincérité et objectivité.

Si nous avons aujourd’hui cette dualité d’assemblées sur un même territoire, l’histoire nous apprend que cela n’est pas dû à une demande de ceux que l’on appelle « les départementalistes ».

Il faut le savoir, c’est grâce au courage et à la persévérance du sénateur honoraire Roger Lise, présent en tribune aujourd’hui et que je salue, et du regretté sénateur Louis Virapoullé, qui a conduit le recours au Conseil constitutionnel, que la loi qui devait créer une assemblée unique élue à la proportionnelle avec un exécutif différent de l’assemblée a été intégralement censurée par le Conseil constitutionnel. Ce fut une première : pas une virgule n’a résisté à son jugement !

C’est à partir de là que le gouvernement de l’époque, ne voulant pas rester sur un échec, a créé précipitamment un conseil régional, d’ailleurs bien avant les régions métropolitaines.

Certains départements se sont acclimatés à cette dualité. C’est le cas de la Réunion. On ne s’en porte pas plus mal, se félicitant même de l’entente qui s’exprime, toutes opinions politiques confondues, sur les grands sujets, les grands dossiers, les grands travaux, sur la construction européenne. Cela nous vaut de connaître un rythme accéléré d’investissements et un début de réussite économique. Je lisais ainsi hier que les NTIC, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, pèsent 2 milliards d’euros dans notre PIB.

Nous avons choisi le droit commun, à la demande non pas de quelques élus aigris, frileux, mais de l’ensemble des Réunionnais, à une très large majorité.

Je ferai un deuxième constat.

Les trois départements qui ont été consultés – la Guadeloupe, en premier, la Martinique, récemment, et la Guyane – ont refusé de passer du régime de l’article 73 de la Constitution à celui de son article 74.

Autrement dit, mes chers collègues, malgré les critiques et les mauvaises humeurs de certains, les populations d’outre-mer, qui regardent autour d’elles, constatent que le statut départemental n’est finalement pas si mauvais que cela. Dans le domaine de l’éducation, de la santé, des droits, des libertés, il a apporté des avancées qu’aucune des régions qui nous environnent – je pèse mes mots – n’a pu connaître au cours des décennies écoulées.

C’est pour cette raison que nos compatriotes ont répondu par la négative au passage de l’article 73 à l’article 74. Mieux, les Réunionnais nous ont dit : ne venez même pas nous poser la question ! Sinon, à la prochaine élection, on vous destituera de votre mandat ! On ne vous a pas élus pour cela ; on vous a mandatés pour confirmer l’attachement des départements d’outre-mer à la France et pour construire, désormais pour les quatre DOM, dans le cadre de l’article 73 de la Constitution, une République unifiée et prospère !

Cela dit, la démarche engagée pour la Martinique et la Guyane respecte la volonté de la population. En démocrate, je n’ai pas d’autre commentaire à faire que d’approuver la décision prise par le Président de la République et le Gouvernement d’aller dans le sens de la demande issue d’un vote démocratique. Nous sommes là pour respecter la volonté du peuple, mais – et c’est là que je mets un bémol ! – dans le respect de la loi fondamentale, qui donne à toute loi sa véritable légitimité.

Permettez-moi maintenant d’évoquer le respect de la Constitution pour ce qui concerne certaines dispositions de la loi, notamment l’habilitation.

Mes chers collègues, l’habilitation ne concerne pas la Réunion. À l’époque, on m’avait reproché d’être frileux et de bloquer des évolutions, des initiatives considérables. Mon collègue Christian Cointat l’a dit avec beaucoup de talent tout à l'heure à propos du régime électoral, c’est le Parlement qui doit définir la loi. Je dirai même que, d’une manière générale, c’est le Parlement qui vote la loi. Sinon, pourquoi les parlementaires existeraient-ils ? Pourquoi confier à des assemblées locales, qui n’ont pas les moyens humains d’assurer le suivi de la législation, le soin de le faire ? À quoi servent les parlementaires d’outre-mer ?

D’ailleurs, l’habilitation relève de la réforme constitutionnelle de 2003 que nous avons adoptée ici même. Toutefois, depuis cette date, nous avons adopté une réforme constitutionnelle plus importante encore voulue par le chef de l’État, visant à accroître le poids du Parlement.

En effet, en vertu de l’article 48 de la Constitution, nous avons aujourd'hui le pouvoir de voter des propositions de loi, voire des propositions de résolution européenne. Nous sommes-nous privés de cette possibilité ? Non ! En l’espace d’un peu plus de trois mois, nous avons adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution européenne de notre collègue Serge Larcher – une proposition de résolution ô combien importante !–. et, voilà quelques jours, la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer.

Avec cette réforme constitutionnelle, le Gouvernement ne dispose finalement, dans le calendrier parlementaire, que d’un temps restreint, car une fenêtre parlementaire nous est réservée pour soumettre nos propositions de loi, et l’opposition a, elle aussi, cette possibilité.

Selon moi, le nouvel article 48 de la Constitution vide l’habilitation de tout son sens. En effet, nous sommes souvent réunis dans des intergroupes parlementaires qui rassemblent les élus de diverses tendances politiques, car nous devons dépassionner le débat entre nous pour faire prévaloir l’intérêt général.

Notre collègue Georges Patient a évoqué tout à l'heure le fait que la Guyane est, au niveau des finances, le département le plus maltraité. Il suffit de discuter de la question avec lui, d’analyser la situation et de déposer ensemble une proposition de loi ou de poser une question prioritaire de constitutionnalité, auxquelles je souscrirai, pour remédier au problème, car on ne peut laisser un abcès se développer. Ce n’est donc pas la peine de demander l’habilitation. Lorsque l’Assemblée unique de la Guyane aura délibéré, que fera-t-on de cette délibération ?

Concernant la procédure, j’ai fait une comparaison entre l’habilitation et la proposition de loi.

Pour une proposition de loi, la procédure est la suivante : on la rédige, on la dépose, elle est examinée en commission, on l’analyse et elle est votée si les groupes parlementaires l’appuient. Pour une habilitation, la procédure comprend neuf étapes, que je ne vous décrirai pas maintenant, car nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Quoi qu’il en soit, il faut un an et demi pour faire voter une habilitation. Il s’agit d’un véritable parcours du combattant, avec de multiples recours possibles : celui du Conseil d’État s’il s’agit d’un décret ou celui du Conseil constitutionnel, qui peut être saisi. C'est la raison pour laquelle la Réunion n’a pas choisi l’habilitation. D’ailleurs, comme le précise l’étude d’impact du Gouvernement, il n’y a eu que deux demandes d’habilitation : une en 2009 et une en 2010.

Grâce à l’article 48 de la Constitution, nous allons, j’en prends le pari à cette tribune, rédiger de nouvelles propositions de loi ensemble, et il y aura très peu de demandes d’habilitation.

Je n’ai pas d’autres observations à formuler sur la Guyane, sauf pour dire que je partage la préoccupation de M. le rapporteur : faisons très attention à la notion de justice dans la représentation démocratique, à celle de responsabilité et à celle d’équité. S’il revient au Parlement de voter la loi, faisons en sorte de garantir les droits des Guyanais et des Martiniquais !

Permettez-moi maintenant de m’attarder quelques instants sur un point sur lequel je m’interroge beaucoup, à savoir la motion de défiance concernant l’Assemblée unique de Martinique.

À la question « Voulez-vous regrouper les compétences du conseil général et du conseil régional dans une assemblée unique ? » posée par le Président de la République, le peuple martiniquais a répondu oui. Il avait auparavant dit non au passage de l’article 73 à l’article 74.

Une lecture croisée de l’article 73 et de l’article 72–4, qui définit la méthodologie pour appliquer l’article précité, implique que le peuple doit être consulté pour toute question relative à l’organisation, aux compétences ou au régime législatif de la collectivité territoriale. Or, mes chers collègues, relisez la question du Président de la République aux peuples martiniquais et guyanais : la notion d’organisation n’y figure pas !

Permettre à l’Assemblée de Martinique de poser la motion de défiance, un point que je développerai lors de l’examen des amendements, c’est organiser cette dernière différemment des autres assemblées. Aucun conseil général, aucun conseil régional de France n’a le pouvoir de poser une motion de défiance.

Si l’on voulait donner à l’Assemblée de Martinique la possibilité de poser une motion de défiance, le Président de la République aurait dû poser la question suivante : Voulez-vous regrouper les compétences du conseil régional et du conseil général et en modifier le mode d’organisation ? Le terme « peut » que m’a suggéré notre collègue rapporteur Christian Cointat ne saurait exonérer le Président de la République de cette question et de la saisine du peuple souverain.

Tout le monde se frotte les mains en pensant qu’aucun recours ne sera déposé devant le Conseil constitutionnel, mais, à la première décision prise par le conseil exécutif, le citoyen qui se sentira lésé posera, au titre de l’article 61–1 de la Constitution, une question prioritaire de constitutionnalité. Vous verrez, mes chers collègues, l’histoire me donnera raison ! Avec cette motion de défiance, vous aurez installé en Martinique une instabilité institutionnelle, la même instabilité politique que celle qui existe aujourd'hui en Polynésie française ! Je le dis avec sincérité, avec dévouement, avec affection pour tout l’outre-mer, ne faites pas entrer dans le fruit des institutions martiniquaises le ver de la déstabilisation de la Polynésie française, aujourd'hui ruinée, soumise à huit crises politiques en une année, bref, ingouvernable !

Nos assemblées, sises sur des territoires misérables, sont petites, fragiles, soumises à la pression populaire et confrontées à une grande difficulté, avec 400 000 habitants par-ci, 200 000 par-là, voire 1 million à la Réunion, celle de vouloir créer un vrai marché et d’exister grâce à leur prospérité interne.

Si vous mettez les élus sous la pression d’une motion de censure à proximité du peuple, vous allez créer un marchandage politicien, qui fera de ces territoires des territoires de désespérance et de ruine !

Oui, je suis prêt à voter cette réforme parce qu’elle a été voulue par le peuple ! Et, à mes yeux, il n’y a que la volonté du peuple qui compte ! Oui, je suis prêt à voter cette réforme, mais à condition qu’elle respecte la Constitution, car c’est la loi fondamentale qui nous a permis de faire partie des départements français et de bénéficier de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

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