Intervention de Éric Woerth

Réunion du 15 juillet 2009 à 14h30
Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008 — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée

Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour le rendez-vous traditionnel de vérité budgétaire et comptable de l’année avec le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2008.

Il peut sembler vain, en ces temps difficiles, de se pencher sur l’année passée, lorsque tout nous presse de nous préoccuper du présent et de l’avenir. Cela dit, je reste convaincu de l’utilité de ce rendez-vous, tant pour les parlementaires et les gestionnaires que pour l’ensemble de nos concitoyens. C’est l’un des moments forts de la procédure budgétaire, au cours duquel le Gouvernement doit rendre compte de sa gestion et ne pas se contenter d’afficher des intentions. Nos concitoyens ont plus que jamais besoin de la vérité des comptes. Nous nous efforçons donc d’établir des documents de plus en plus transparents. Et, à mes yeux, les ministres comme les élus ne seront crédibles que s’ils restaurent la lisibilité et la transparence en ce domaine si important.

Par ailleurs, ce projet de loi de règlement n’est pas complètement étranger à l’actualité puisque les résultats qu’il présente portent déjà la marque des chocs qui ont secoué notre économie au cours de l’année dernière.

Le déficit budgétaire arrêté dans ce projet de loi est de 56, 3 milliards d’euros, soit une augmentation de 14, 6 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale et, fait plus significatif, de 4, 8 milliards d’euros par rapport à la dernière prévision du collectif voté en décembre dernier.

Cette détérioration du déficit n’est que la traduction des chocs que nous avons connus l’année dernière et, tout d’abord, du choc de l’inflation sur le premier semestre de l’année 2008, qui s’est essentiellement répercuté sur la progression des dépenses.

Les dépenses ont excédé de 4 milliards d’euros l’objectif fixé en loi de finances initiale, sous l’effet, essentiellement, d’une forte augmentation de la charge de la dette et, en particulier, du provisionnement de la charge d’indexation des obligations indexées, ce qui représente un montant de 3, 3 milliards d’euros au total.

Sans surprise, la réserve de précaution constituée en début de gestion n’a pu à elle seule endiguer l’explosion de ce coût. Conçue pour faire face à des aléas de gestion, elle n’a évidemment ni la vocation ni la prétention d’amortir des secousses de l’ampleur de celle que nous avons essuyée en 2008.

L’information essentielle, c’est que ce dépassement de l’objectif de dépenses, essentiellement dû à l’évolution des obligations assimilables du Trésor indexée sur l’inflation, ou OATi, ne témoigne en rien d’un relâchement de nos efforts. Il ne peut en aucun cas être mis sur le compte de la maladie chronique qui touche nos finances publiques depuis trente ans. Il faut resituer ce choc dans le contexte d’une inflation qui a pratiquement doublé par rapport à la prévision sur laquelle a été construite la loi de finances initiales pour 2008.

Rapportée à une inflation observée de 2, 8 % en 2008, l’évolution des dépenses respecte strictement la règle du « zéro volume ». Et cette règle est d’autant plus exigeante en 2008 qu’elle s’apprécie désormais sur un périmètre de dépense que nous avons élargi aux prélèvements sur recettes en faveur des collectivités territoriales et de l’Union européenne ainsi qu’aux affectations de recettes, fiscales et non fiscales, au profit de tiers.

Deuxième motif de satisfaction pour le ministre des comptes publics que je suis : l’année 2008 marque d’incontestables progrès dans l’assainissement des relations financières entre l’État et les régimes de sécurité sociale.

Souvenez-vous : l’exercice 2007 s’était soldé par la reconstitution d’une dette de 1, 7 milliard d’euros envers les régimes, malgré l’apurement de plus de 5 milliards d’euros de dettes constatées au 31 décembre 2006. Un an plus tard, cette dette ne s’est accrue que de 0, 4 milliard d’euros. Nous constatons donc une décroissance de l’accélération de cette dette, même si celle-ci pose toujours problème. Ce résultat est le fruit des efforts que nous avons réalisés, d’abord dans l’amélioration de la budgétisation des crédits, ensuite dans la poursuite de l’apurement des dettes anciennes puisque nous y avons encore consacré 750 millions d’euros l’an dernier. Je souligne également les efforts de redéploiement effectués en fin d’année pour gager l’ouverture de presque 800 millions d’euros de crédits sur les dotations à la sécurité sociale.

J’éprouve cependant une légère déception en vous annonçant que l’objectif de stabilisation de la dette envers la sécurité sociale n’a pas été tout à fait tenu l’an dernier. Nous le devons, notamment, aux effets de la crise, par exemple pour ce qui concerne la forte augmentation du coût des prestations d’aide au logement, soit 200 millions d’euros en fin d’année.

Le deuxième choc, c’est bien celui de la crise économique qui s’est développée à la fin de l’année dernière et dont nous ressentons principalement les effets dans l’évolution des recettes fiscales.

La crise n’a pas attendu 2009 pour transparaître dans les chiffres : la moins-value de recettes fiscales que nous enregistrons frappe par son ampleur. C’est un manque à gagner de 11, 7 milliards d’euros par rapport à la prévision inscrite en loi de finances initiale. Sur ce montant, la crise explique au moins 8, 5 milliards d’euros.

Sans surprise, les moins-values sont concentrées sur les impôts les plus exposés au retournement de la conjoncture. Les recettes d’impôt sur les sociétés sont en retrait de 4, 6 milliards d’euros par rapport aux prévisions initiales, et celles de TVA en recul de 5, 1 milliards d’euros.

Ces chiffres ne sont que les signes avant-coureurs d’une crise qui se prolonge, avec plus d’acuité, en 2009. La baisse des acomptes d’impôt sur les sociétés versés à la fin de l’année dernière préfigure le manque à gagner qu’on observe cette année sur le solde dû au titre de l’exercice 2008 et, plus encore, la forte augmentation des restitutions d’impôt sur les sociétés qui ont eu lieu durant la première partie de 2009.

Même constat pour la TVA : au-delà de l’effet lié à l’accélération des délais de remboursement des crédits de TVA aux entreprises, la baisse de la TVA témoigne surtout du mouvement de déstockage des entreprises. Les ajustements ont été rapides ; il faut espérer un effet favorable en retour, quand les entreprises reconstitueront leurs stocks et reprendront leurs investissements. La consommation des ménages tient plutôt bien pour sa part. Je vous rappelle qu’environ 60 % des recettes de TVA proviennent de la consommation des ménages, les 40 % restant ayant pour origine les investissements. Il peut donc tout à la fois y avoir chute de la TVA et maintien de la consommation des ménages : cela s’est produit en 2008, et c’est toujours le cas en 2009.

La crise n’a eu, en revanche, qu’une incidence limitée sur les comptes de l’exercice 2008.

Le résultat comptable ressort en perte de 73, 1 milliards d’euros en 2008. C’est une dégradation d’un peu plus de 30 milliards d’euros par rapport à 2007, mais dont l’explication relève en réalité de facteurs en partie étrangers à la crise.

Le résultat comptable est tout d’abord affecté par les reprises de dettes pour un montant de 13 milliards d’euros en 2008, dont 8 milliards d’euros au titre du Fonds de financement des prestations sociales agricoles, le FFIPSA.

La lecture du résultat est ensuite brouillée par la progression importante de 9 milliards d’euros des provisions et amortissements. Dans un contexte où l’information comptable se veut toujours plus exhaustive pour répondre à l’exigence du certificateur, c’est-à-dire la Cour des comptes, il serait hasardeux de tirer des enseignements de cette évolution d’une année sur l’autre. Au fond, le passage des provisions ou de l’amortissement est une anticipation de l’avenir.

L’enrichissement de la comptabilisation des éléments d’actif et de passif de l’État affecte également en partie l’interprétation que l’on peut faire de l’évolution du bilan de l’État. Par rapport à 2007, l’amélioration du recensement et de la valorisation des actifs conduit à réévaluer de 555 milliards d’euros en 2007 à 639 milliards d'euros l’actif de l’État dans les comptes de l’exercice 2008.

Depuis l’an dernier, les travaux ont aussi été poursuivis pour mieux identifier les provisions et les dettes non financières de l’État. Le montant du passif ressort ainsi à 1 325 milliards d'euros incluant un peu plus de 1 000 milliards d'euros de dettes financières.

Cette double évolution, à l’actif et au passif, conduit, en définitive, à une dégradation limitée de la situation nette de l’État, compte tenu des volumes en cause très importants : 30 milliards d'euros, pour une perte comptable de 70 milliards d'euros sur l’exercice.

Pour donner une véritable portée à la comparaison des chiffres, je vous invite à prendre date pour l’année prochaine. Nous allons, en effet, mettre sur le métier l’établissement de comptes pro forma, afin de mieux mettre en relation les résultats des exercices successifs, à méthode et périmètre donnés.

À bien des égards, nous sommes encore en période de « rodage ». Les efforts constants que nous réalisons pour améliorer la qualité des comptes nuisent transitoirement à leur exploitation et surtout à leur comparaison. Avec le recul de trois années, nous devrions disposer, en 2010, d’un cadre d’analyse enfin stabilisé, complet et mieux éclairé, auquel je tiens beaucoup.

C’est le rendez-vous que je vous fixe, mesdames, messieurs les sénateurs, pour concrétiser les fruits d’une révolution comptable dans laquelle beaucoup d’entre vous se sont personnellement investis.

La certification des comptes, même assortie de réserves – ce qui est en l’espèce le cas –, est une reconnaissance importante des efforts accomplis depuis plusieurs années par l’ensemble de l’administration. Je ne voudrais pas que ces efforts soient sous-estimés. Il ne tient qu’à nous de faire des comptes davantage un instrument de gestion publique et un outil de son contrôle.

À l’évidence, nous ne partons pas de zéro. Les comptes nous ont déjà obligés à nous pencher, par exemple, sur la gestion des stocks ou de l’immobilier. Il faut poursuivre le mouvement : mieux apprécier, notamment, la réalité des marges de manœuvre budgétaire par la connaissance des dettes et des charges à payer ; mieux développer la démarche d’analyse et de gestion des risques.

À défaut de donner un second souffle à la réforme comptable, nous risquons de la voir s’enfermer dans la recherche, assez vaine et théorique à mes yeux, de la certification pour elle-même. Cette dernière n’a qu’un seul intérêt : améliorer la transparence dont l’unique intérêt est de perfectionner le contrôle de la gestion.

C’est en des termes à peine différents que je formulerais l’enjeu qui nous est soumis relatif à la démarche de performance initiée par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

En effet, la mesure de la performance de l’action publique est plus que jamais une véritable obligation

La LOLF a voulu faire de l’examen du projet de loi de règlement un moment beaucoup plus important du débat parlementaire. Malgré les contraintes de calendrier, ce rendez-vous entre le Parlement et le Gouvernement a gagné en importance et en crédit. Il faut cependant reconnaître que parvenir à un tel résultat prend du temps et que les habitudes sont très ancrées.

La Haute Assemblée s’est impliquée dans cet exercice en renouvelant, cette année, l’audition de ministres en commission élargie. Il faut se référer non seulement aux débats qui vont se dérouler dans l’hémicycle, mais aussi à l’ensemble du travail préparatoire, particulièrement dense, auquel a donné lieu le présent projet de loi.

Les comportements changent, mais j’ai la conviction qu’il est possible d’aller encore plus loin dans l’évaluation des résultats.

Aujourd’hui, la démarche de performance se trouve trop souvent confondue avec les objectifs et les indicateurs de performance qui figurent dans les documents budgétaires.

Nous sommes, d’une certaine façon, prisonniers des choix faits au moment de la mise en œuvre de la LOLF, encore trop attachés à une architecture complexe d’objectifs et d’indicateurs, qui mêlent le contrôle de gestion à la vision politique.

Nous savons tous qu’il y a des limites au-delà desquelles l’excès de complexité d’un outil nuit aux fins qu’il sert. Je suis très soucieux d’éviter cet écueil, car la LOLF est bel et bien un instrument clé de la réforme de l’État.

Pour que les objectifs et les indicateurs retenus soient utiles, tout d’abord, il faut qu’ils soient « renseignés » – à l’heure actuelle, ils ne le sont pas tous –, ensuite, et peut-être surtout, il faut qu’ils aient une pertinence, qu’ils soient proportionnés aux enjeux financiers et qu’ils soient compréhensibles. Nous devons éviter que ne s’instaure, en quelque sorte, une lecture technocratique, bureaucratique de la LOLF. Nous y veillerons.

Des progrès ont été effectués depuis 2006 : le nombre d’indicateurs a été réduit de presque 20 % en trois ans, mais il y en avait encore près de 1 300 en 2008.

Nous avons poursuivi, cette année, les travaux avec les ministères pour passer au crible la liste de ces indicateurs. Nous souhaitons réduire leur nombre, afin qu’ils soient aux environs de 1 000, et les classifier en fonction de leur importance.

Au-delà, il s’agit de mieux identifier la centaine d’indicateurs, par mission ou par ministère, qui revêt une dimension politique propre et implique directement le décideur et celui qui le contrôle.

Tels sont les enjeux de l’évaluation des politiques publiques et de l’exercice auquel invite la loi de règlement. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet.

Est-il possible de rendre un service public de meilleure qualité à un moindre coût ? Cette question majeure est au cœur de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, dont nous allons lancer la deuxième étape.

Nous avons pu respecter les objectifs de réduction d’effectifs et aller même au-delà, l’an dernier, sans rien abandonner de l’ambition de mieux servir nos concitoyens.

Certains ministères ont pris de l’avance sur le calendrier de mise en œuvre des réformes prévues dans la RGPP. En 2008, premier exercice concerné par cette révision, les effectifs ont baissé de 28 000 équivalents temps plein au lieu de 23 000.

Ce résultat conforte la faisabilité du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, que nous nous fixons sur la durée. Il n’exclut pas que certains ministères aillent plus vite ou plus loin, par exemple pour redéployer les économies dégagées sur la revalorisation des salaires des agents ou sur d’autres postes de dépenses.

Telles sont les précisions que je voulais vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction à l’examen du présent projet de loi.

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