Intervention de Michel Billout

Réunion du 12 mai 2011 à 21h30
Protocole sur des dispositions transitoires annexé à trois traités européens – élection des représentants au parlement européen — Adoption définitive de deux projets de loi dans les textes de la commission

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Vous avez raison, monsieur le ministre, c’est cohérent, et aussi très pratique !

Vous avez donc opté pour la désignation, au sein de l’Assemblée nationale, des deux députés européens supplémentaires. Ce choix est tout de même choquant, et cela à plusieurs titres.

Comparée aux deux autres scénarios proposés par nos partenaires européens, c'est-à-dire l’élection au suffrage universel direct ou la référence aux résultats des dernières élections européennes, votre solution est la seule qui empêche les citoyens de choisir eux-mêmes directement, c’est-à-dire démocratiquement, leurs représentants au Parlement de Strasbourg. Ce n’est pas un détail !

Il eût été logique, et tout simplement démocratique, de procéder comme le font nos partenaires européens : avoir recours aux résultats des dernières élections européennes pour désigner soit les deux premiers non élus, soit les deux candidats de la liste ayant recueilli le plus grand nombre de voix non productives, ou bien encore avantager les régions les moins bien représentées.

En revanche, refuser de prendre le vote des Français de juin 2009 comme référence, c’est purement et simplement avouer ouvertement que vous voulez effacer ce résultat.

Cette façon de procéder risque de heurter profondément nos concitoyens. Elle accroîtra à coup sûr leur désintérêt, voire leur méfiance à l’égard de tout ce qui touche aux affaires européennes, et je le regrette profondément. S’ils ont le sentiment que leur vote est détourné et inutile, il ne faudra pas déplorer par la suite la progression des abstentions lors de ces élections, qui détiennent déjà le record à cet égard.

Je crains même que cette option ne renforce chez nous, à l’instar de ce qui se passe chez certains de nos voisins, les courants qui doutent de l’utilité de l’Europe et qu’elle ne suscite immanquablement des réflexes étroitement nationaux.

En outre, choisir de désigner les parlementaires européens au sein de l’Assemblée nationale, c’est méconnaître le principe qui fait du Parlement européen une assemblée élue sui generis et non une assemblée composée de parlementaires nationaux. De nombreuses années ont pourtant été nécessaires avant que le Parlement européen ne puisse tirer sa légitimité d’un mode de représentation directe. Or, en désignant des parlementaires nationaux pour siéger au Parlement européen, vous revenez sur l’un des acquis de la construction européenne, qui dotait l’Union d’un Parlement pourvu d’une véritable légitimité démocratique.

Notre collègue Antoine Lefèvre, dans son rapport, a bien relevé cette régression en notant qu’elle nous ramenait à une époque où le Parlement européen était une simple « Assemblée des Communautés européennes », composée de membres délégués par chaque Parlement national.

Enfin, ce mode de désignation entre aussi en contradiction avec l’Acte de 1976, en vertu duquel les représentants au Parlement européen sont élus au suffrage universel direct et à la proportionnelle.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, je crois percevoir chez vous un certain malaise, une certaine difficulté à justifier et à soutenir ce texte, et, même à cette heure avancée de la nuit, ce n’est probablement pas dû à la fatigue…

Notre rapporteur a ainsi laissé apparaître quelques réticences en soulignant combien la solution choisie était peu satisfaisante, la moins mauvaise parmi de mauvaises solutions : un choix par défaut en quelque sorte.

On peut également reprocher au Gouvernement de ne pas avoir anticipé la situation créée par les conséquences du traité de Lisbonne, en réglant cette question avant les élections européennes de 2009. Cela aurait pu se faire, par exemple, en définissant avant le précédent scrutin les régions françaises devant bénéficier des deux députés supplémentaires. C’est d’ailleurs ce à quoi une réunion du Conseil européen avait invité les douze États concernés dès le mois de décembre 2008. Il faut noter que la moitié des États avaient suivi cette recommandation avant le scrutin.

Notre rapporteur a très clairement expliqué les choses à ce sujet, et je le cite avec plaisir : « Cette gestion précoce des conséquences du traité de Lisbonne aurait en effet permis de lever les obstacles juridiques et techniques soulevés par le Gouvernement, puisque les électeurs auraient pu être informés, préalablement au vote, de l’existence de deux futurs sièges à pourvoir – et donc de respecter l’impératif de sincérité du scrutin –, et que la population à prendre en compte pour l’attribution de ces sièges aurait pu être déterminée ex ante et en toute transparence. »

Certes, les situations et les modes de scrutin ne sont pas identiques dans tous les pays. Cependant, la solution originale, et contestable, que vous avez retenue ainsi que le moment choisi pour la mettre en œuvre laissent la désagréable impression d’arrière-pensées politiciennes.

D’autres critiques implicites évoquées dans le rapport sont également tout à fait pertinentes.

Il s’agit, en particulier, des conséquences que ce dispositif, juridiquement incertain, pourrait avoir sur l’Assemblée nationale.

Afin de pouvoir fonctionner correctement, c’est-à-dire d’éviter les désagréments d’élections partielles, il faudrait que le protocole de juin 2010 soit rapidement ratifié par tous les pays, avant nos élections de 2012. Sinon, il faudrait exiger de deux députés élus en 2012 d’accepter d’abandonner leur mandat pour aller siéger deux ans à Strasbourg. À la réaction de leurs électeurs, qui pourraient estimer à juste titre avoir été trompés, s’ajouterait certainement la difficulté de trouver des candidats au changement d’assemblée.

Je ne dirai qu’un mot sur le second volet de votre projet de loi, qui consiste, pour nos compatriotes installés à l’étranger, à rétablir la possibilité de voter lors des élections européennes, ce qui est une très bonne chose.

À vrai dire, je suis sceptique sur l’argumentation technique et symbolique tendant à justifier le regroupement des suffrages dans la circonscription Île-de-France. Pour autant, je ne pense pas que cela soit de nature à fausser sensiblement le sens du scrutin.

Au-delà de toutes ces difficultés et de ces graves défauts, je veux insister sur le fond et sur ce que dénote votre projet de loi.

À mesurer l’enjeu, on comprend mieux que le souci de ne pas mettre en difficulté la majorité présidentielle en proposant un vote conforme à celui de l’Assemblée nationale l’ait emporté sur toutes les autres considérations de notre rapporteur.

En effet, au travers de toutes les mesures législatives qui nous sont proposées en matière européenne et qui sont autant de subterfuges, la majorité présidentielle n’a qu’une idée en tête : faire accepter comme une fatalité la mise sous tutelle financière et budgétaire des États.

Le Marché commun, puis la Communauté européenne, l’Union européenne maintenant ont toujours présenté l’Europe comme un espace de progrès et de démocratie. Or elle devient, dans de nombreux domaines, source de diverses régressions et elle limite les souverainetés populaire et nationale.

C’est dans cet état d’esprit qu’une première fois vous avez nié le vote des Français consultés par référendum.

Avec ce projet de loi, vous voulez maintenant détourner, bien que de façon marginale, j’en conviens – mais elle n’en est que plus symbolique –, le sens de leur vote pour le Parlement européen.

Avant-hier, à l’Assemblée nationale, vous avez fait adopter un texte qui, sous prétexte d’équilibrer nos finances publiques, vise à institutionnaliser l’austérité économique et sociale, à soumettre notre budget au diktat de la Commission européenne et, surtout, à tenter de rendre impossible toute politique alternative à la vôtre.

Tout cela fait partie d’un ensemble cohérent, d’un carcan antidémocratique que vous mettez progressivement en place, avec la bonne conscience que vous confère le débat parlementaire.

Monsieur le ministre, vous aurez compris que, dans ces conditions, le groupe communiste républicain citoyen et des sénateurs du Parti de gauche ne votera pas votre projet de loi.

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