Intervention de Jacques Mahéas

Réunion du 12 mai 2011 à 21h30
Limite d'âge de fonctionnaires — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée dans le texte de la commission

Photo de Jacques MahéasJacques Mahéas :

Je citerai encore Le Monde du 21 avril dernier, pour lequel ce texte de loi a bien vocation à s’appliquer à un seul homme : « Faut-il penser que le métier de préfet souffre d’une crise de vocation ? Ou que les hauts fonctionnaires au service du Président de la République et de sa politique, comme Christian Lambert, ne sont finalement pas aussi nombreux, au point qu’il faut absolument et contre les règles en vigueur prolonger leur affectation ? »

Plus loin, l’auteur de l’article ajoute : « Le 5 juin, Christian Lambert aura 65 ans. » Aussi le conseil des ministres a-t-il tranché : il faut sauver le préfet Lambert de l’obligation de partir à la retraite et le maintenir à son poste.

En clair, M. Lambert rempile au moins jusqu’en 2012 ! Mais, attention ! « le Gouvernement conservera le pouvoir à tout moment de mettre fin aux fonctions de l’intéressé »…

Enfin, cerise sur le gâteau, l’urgence est telle que l’étude d’impact, en douzième et dernière page, justifie la mise en œuvre de la réforme pour une application immédiate. Que de précautions écrites ! Ainsi, « aucun décret d’application n’est nécessaire… Il n’y a pas lieu d’envisager d’adaptation ou de mention d’application outre-mer… et enfin l’objet de la mesure peut conserver, sans qu’il soit besoin de le préciser, les situations en cours ». Il n’est pas besoin de le préciser, mais cela va tout de même mieux en le disant !

Et l’étude de se clore ainsi : « Le maintien au-delà de la limite d’âge ne pouvant en aucun cas être imposée à l’intéressé, il n’y a pas lieu de prévoir des mesures d’accompagnement ou un différé dans l’entrée en vigueur de ces dispositions. »

Tout est bien mis en œuvre, pour ne pas dire ficelé, afin que la loi s’applique au 5 juin prochain.

Se pose, troisièmement, la question de l’inféodation. Les emplois visés par ce texte comportent une large marge d’appréciation du politique. On peut légitimement s’interroger sur la notion d’indépendance de ces hauts fonctionnaires, même s’ils sont évidemment tenus d’appliquer la politique du Gouvernement.

Il n’y a pas si longtemps, on mettait en avant dans la haute fonction publique, la notion de neutralité, le sens du service de l’État, l’indépendance par rapport aux politiques. Ces qualités ne semblent plus reconnues.

Quatrièmement, ces situations sont-elles si imprévisibles qu’il soit nécessaire de généraliser quasiment ce qui, aujourd’hui, est une exception ?

Faut-il croire que, à l’heure où nos administrations centrales sont dotées de secrétaires généraux et de directions des ressources humaines performantes, une anticipation des dates de départ soit à ce point complexe ?

Tout fonctionnaire de l’État est invité à déposer son dossier de demande de retraite, pour instruction, au service des pensions de Nantes six mois au minimum avant sa date de départ. Date qui, dans le cas qui nous préoccupe, ne connaît aucune incertitude puisqu’il s’agit d’une date couperet : le jour anniversaire des 65 ans de la personne. Rien d’imprévisible à cela !

D’une certaine manière, ce projet de loi ne fait-il pas qu’accroître les pouvoirs de nomination à la décision du Gouvernement, déjà discrétionnaire ?

Cinquièmement, des adaptations nombreuses sont déjà possibles ; des situations dérogatoires existent

Les arguments mis en avant pour justifier ce projet de loi ne sont pas convaincants. La dérogation proposée va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour répondre au problème posé, même si l’on peut admettre qu’il peut y avoir dans certains cas une insécurité juridique.

Le journal Le Monde daté du 21 avril dernier, toujours, relève « qu’à un an de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy peut difficilement se passer de hauts fonctionnaires qui mettent en œuvre sa politique avec autant de zèle et, selon son ministre de l’intérieur, d’efficacité ».

Demain, ce sera peut-être le cas de Jean-Jacques Aillagon. La Lettre de l’Expansion du 27 avril 2011 révèle que ce dernier va s’activer pour obtenir de l’Élysée qu’il puisse terminer son mandat de quatre ans à la présidence du château de Versailles au-delà de la limite d’âge de 65 ans, qu’il atteindra en octobre prochain.

L’arsenal législatif et jurisprudentiel couvre donc tous les cas qui pourraient être problématiques, sauf un… à ma connaissance ! Je vous laisse deviner lequel !

Bien sûr, je comprends qu’un recteur puisse finir une année scolaire : c’est une adaptation tout à fait logique et légitime. Mais là, on passe à deux ans, ce qui est quand même beaucoup !

Alors, sixièmement, on met en avant l’inégalité avec les non-fonctionnaires, appelés opportunément à la rescousse.

Notons que, dans l’étude d’impact, il est indiqué que la limite d’âge n’est pas applicable à la cessation de fonctions d’une personne qui n’a pas la qualité d’agent public préalablement à sa nomination sur un emploi à la décision du Gouvernement.

À la page 15 de son rapport, M. Vial apporte des précisions importantes : « Selon les indications fournies par la direction générale de l’administration et de la fonction publique, les non-fonctionnaires seraient peu nombreux. » Effectivement, les cas doivent être si nombreux – et ne devraient donc pas venir au secours de l’argumentation du Gouvernement – qu’ils ne sont pas dénombrés dans l’étude d’impact. C’est particulièrement curieux !

Ainsi, monsieur le secrétaire d'État chargé de la fonction publique, vos services ne seraient pas en mesure de dénombrer, sur les 500 à 600 personnels concernés par ce type de nominations à la décision du Gouvernement, le nombre exact de non-fonctionnaires ?...

Si l’on interprète les graphiques fournis sur l’âge des ambassadeurs en poste, qui représentent le plus gros effectif des emplois à la décision du Gouvernement, on en compte seulement deux – sur 160 – qui ont dépassé la limite d’âge d’un an, grâce aux multiples dérogations possibles. Aucun n’a plus de 66 ans. Donc, les personnels non-fonctionnaires qui se maintiendraient au-delà de la limite imposée aux fonctionnaires relèvent, à mon avis, de la pure fiction !

Était-il nécessaire de légiférer ? Non, et je l’ai bien montré.

L’impossibilité de procéder à un remplacement relève toujours d’une appréciation.

L’étude d’impact souligne en outre dans sa dernière page que « l’option qui sera ouverte et qui a, en principe, vocation à n’être utilisée que dans un contexte particulier, n’est susceptible de concerner que quelques unités tout au plus chaque année. » A-t-on, dans ce cas, besoin d’une loi ?

Plusieurs de mes collègues de l’Assemblée nationale ont interrogé M. Baroin, en tant que porte-parole du Gouvernement, sur ce texte afin de comprendre pourquoi son article unique n’avait pas été étudié au moment de l’examen du projet de réforme des retraites, en novembre dernier, avec l’ensemble des questions portant directement ou indirectement sur les retraites. Cette question est pertinente et je vous la pose à mon tour, monsieur le secrétaire d'Etat.

On légifère pour une, voire deux personnes… À ce rythme, il y aura autant de lois à voter que de cas particuliers à résoudre ! Alors que se multiplient les lois, ce qui est préjudiciable à leur qualité et à leur application, le présent texte vient apporter – et à une heure très avancée de la nuit – sa contribution à l’édification de cette tour de Babel législative.

Pour être crédibles, les hypothèses visées par ce projet de loi devraient être mieux éclairées et précisées, compte tenu du pouvoir discrétionnaire dont dispose déjà le Gouvernement concernant les nominations à ces emplois.

À force de faire des lois pour des cas individuels, ne risque-t-on pas de glisser de l’état de droit à l’état de passe-droits ?

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste du Sénat votera contre ce projet de loi.

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