Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 12 mai 2011 à 21h30
Limite d'âge de fonctionnaires — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée dans le texte de la commission

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi tend à modifier les conditions d’exercice des fonctionnaires occupant un emploi à la décision du Gouvernement. Plus précisément, il lève la limite d’âge au-delà de laquelle un fonctionnaire ne peut plus exercer dans son corps d’origine, afin de lui permettre de poursuivre auprès du Gouvernement les missions que celui-ci a décidé de lui confier.

Pour justifier cette mesure, le Gouvernement affirme que l’état actuel du droit manque de cohérence puisque les personnes occupant un emploi à la décision du Gouvernement, mais n’étant pas fonctionnaires, ne sont, pour leur part, concernées par aucune limite d’âge.

Cette précision nous amène à poser cette question toute simple : pourquoi, alors, ne pas proposer aux quelques fonctionnaires concernés d’ouvrir leurs droits à retraite au sein de la fonction publique et de poursuivre, sous un contrat de droit privé, les missions qui leur sont confiées par le Gouvernement ? Cette solution, facile à mettre en œuvre, présente l’avantage de ne pas exiger de modifications législatives. Mais elle présente l’inconvénient de ne pas convenir à toutes les situations. Elle aurait pu être opérante pour M. Guéant, qui était secrétaire général de l’Élysée à 65 ans et trois mois, et donc en infraction avec la loi, elle ne peut l’être pour d’autres fonctions, comme celles de préfet, par exemple.

Cette première question nous a d’ailleurs conduits à nous en poser deux autres.

La première a trait à la situation de la fonction publique dans notre pays. Faut-il que celle-ci soit dans une situation dramatique quant au nombre de hauts fonctionnaires, à leur niveau de compétences, à la qualité de leur formation, pour que le départ à la retraite de l’un d’entre eux entraîne une désorganisation telle du service qu’il accomplit que le Gouvernement soit contraint de proposer un tel projet de loi !

Pourtant, l’étude d’impact réalisée précise qu’il ne s’agit que de «quelques unités », ce qui nous donne à penser – mais nous en étions déjà convaincus – que l’excellence de notre fonction publique n’est pas en cause.

Votre politique de réduction drastique des moyens qui lui sont consacrés, l’opposition que vous tentez en permanence de construire entre les fonctionnaires et les salariés de droit privé participent, certes, d’une déstabilisation de la fonction publique, accusée par votre majorité de tous les maux, mais ne peuvent expliquer ce projet de loi.

À moins que le Gouvernement n’ait quelques difficultés à trouver des hauts fonctionnaires acceptant de mener à bien la politique qui est la sienne…

À titre d’exemple, chacun se souvient de la fronde récente d’une partie des ambassadeurs de France qui, dans une tribune publiée par le journal Le Monde, constatait, pour le regretter, que la voix de la France dans le monde diminue d’intensité. Ces ambassadeurs, hauts fonctionnaires, nommés de manière discrétionnaire par le Gouvernement, potentiellement concernés par ce projet de loi, affirmaient : « La manœuvre ne trompe plus personne : quand les événements sont contrariants pour les mises en scène présidentielles, les corps d’État sont alors désignés comme responsables. »

Dans ce contexte, sans doute est-il préférable pour le Gouvernement de conserver en poste des ambassadeurs qui, eux, ne critiquent pas la politique qu’il conduit !

Au final, nous nous sommes posé une dernière question, sans doute la plus pertinente : à qui profite ce projet de loi ?

Et cette réponse, nous l’avons trouvée dans la rubrique « Confidentiels » du journal Le Figaro : l’édition du 26 avril dernier lève toutes nos interrogations en affirmant que c’était parce que le préfet Christian Lambert était indispensable à la politique du Président de la République et parce qu’il sera précisément atteint par la limite d’âge le 5 juin prochain que le Président a eu l’idée de ce projet de loi. Il fallait donc s’empresser de faire voter la loi puisque nous sommes aujourd'hui le 13 mai et qu’il faut encore qu’elle soit adoptée par l’Assemblée nationale.

Les choses sont maintenant plus claires et nous pouvons donc engager le débat sur le sujet qui nous paraît être au centre de ce projet de loi, à savoir le bilan de M. Christian Lambert en sa qualité de préfet de Seine-Saint-Denis, c’est-à-dire à dire, en réalité, le bilan de la politique de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité, puisqu’il appartient à M. Lambert de la mettre en œuvre, comme si ce bilan reposait sur les seules qualités de certaines personnes…

Croyez bien, chers collègues, que nous nous serions dispensés d’un tel exercice ! Or, en précisant que le Gouvernement dépose ce projet de loi afin de conserver en place un haut fonctionnaire qui, je cite l’exposé des motifs, «dispose de qualités, de compétences et d’une expérience faisant qu’il est difficilement remplaçable », le Gouvernement nous oblige à vérifier, à l’épreuve des faits, si ces éléments sont effectivement réunis.

J’ai un profond respect pour M. Lambert et je ne doute pas de ses multiples qualités, dont la première est sans doute celle d’être un homme de dialogue.

Comme sénatrice de la Seine-Saint-Denis, mais aussi comme militante et présidente d’une grande association d’élus, j’ai, je crois pouvoir le dire, une connaissance assez fine de mon département. Or je ne suis pas certaine, à ce jour, que les résultats du préfet Christian Lambert en matière de lutte contre l’insécurité soient vraiment à la hauteur des louanges qui lui sont adressées.

C’est particulièrement vrai en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui est une véritable plaie dont les premières victimes sont les habitants de ce département. En regard des proclamations exagérément volontaristes, les résultats sont bien modestes. Certes, il y a des interpellations, mais elles concernent presque toujours des petits revendeurs. Les chefs, ceux qui dirigent ce marché et en vivent très, très bien, ne sont que rarement inquiétés, et le trafic, malgré quelques baisses épisodiques, continue à progresser. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on mesure, comme le font grand nombre d’élus, combien les moyens humains et matériels mis à la disposition des forces de police sont à la fois inadaptées et insuffisants ?

Les élus de terrain le disent, mais ils ne sont pas les seuls à dresser ce constat. Il y a peu, un brigadier en fonctions en Seine-Saint-Denis l’exprimait clairement : « Dans le 93, il y a 3 300 fonctionnaires : on est 10 à 20 % en dessous des effectifs nécessaires pour faire du bon boulot. »

Ces moyens sont en effet inadaptés, car les défilés successifs de compagnies de CRS venues d’autres départements de France ne permettent pas une présence continue et stable des effectifs, alors que l’on sait pertinemment que c’est cette stabilité qui permet d’accomplir un travail de proximité et de qualité.

Les résultats ne sont donc pas au rendez-vous.

De façon plus générale, sans plus tenir compte du fait que ce projet de loi est destiné à régler un cas individuel, ce texte, contre lequel nous voterons, nous a permis de faire la démonstration que ceux qui prétendent que la qualité du service public à la française dépendrait d’une minorité de personnes se trompent. Ce qui fait la force de celui-ci, c’est l’excellence de la formation de tous ceux qui en sont les acteurs, c’est leur proximité avec les concitoyens et leur mobilisation constante pour mener à bien leurs missions.

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