Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous en arrivons à l’examen d’un article qui a déjà fait couler beaucoup d’encre ; au Sénat, le débat n’est pas nouveau, mais je dois avouer qu’il me choque toujours autant, comme il choque nos concitoyens : il suffit pour s’en convaincre de lire le sondage publié ce matin dans Le Parisien.
Il s’agit, en l’occurrence, de fiscaliser les indemnités journalières perçues par les victimes d’accidents du travail, au nom d’une prétendue équité fiscale. Le gain attendu est de 150 millions d’euros, c’est-à-dire une goutte d’eau.
Cette mesure est d’autant plus choquante que, depuis 2007, notre système fiscal n’a jamais été aussi injuste : le bouclier fiscal remet en cause l’un de ses principes fondamentaux, celui de l’universalité de l’impôt ; il protège les plus riches de nos concitoyens alors que, dans le même temps, les salariés malades ne cessent d’être taxés, au travers notamment des franchises médicales, de la hausse du forfait hospitalier et des déremboursements de médicaments, autant de mesures qui pèsent de plus en plus sur les ménages modestes.
Mais, en fait, le problème n’est pas fiscal, il est juridique. Comme l’a justement écrit notre collègue Gérard Dériot dans son rapport relatif aux accidents du travail et maladies professionnelles, à propos du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, « l’idée de soumettre à l’impôt sur le revenu les indemnités journalières perçues au titre d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle repose sur une analogie que l’on peut qualifier de trompeuse car le régime applicable aux indemnités servies par l’assurance maladie ne peut être de la même nature que celui qui est applicable aux sommes versées par la branche AT-MP ».
En effet, l’assurance maladie indemnise un risque social, sans faute imputable, et a pour but de maintenir un niveau de revenu jusqu’à la guérison et le retour à un emploi rémunéré. La branche AT-MP a été créée, quant à elle, pour rembourser un préjudice dont la responsabilité est présumée imputable à l’employeur. Il est apparemment bon de vous rappeler ce principe, qui est l’un des piliers de notre système de protection sociale depuis la loi de 1898, texte qu’il faudra peut-être moderniser. C’est la garantie d’une indemnisation sans recours à une procédure contentieuse qui justifie son caractère forfaitaire.
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les victimes d’accidents du travail sont bien des victimes ; en conséquence, les indemnités qu’elles perçoivent à ce titre ne doivent pas, même lors d’une interruption temporaire d’activité, relever d’un traitement fiscal différent de celui des autres indemnités obtenues, par exemple, à l’occasion d’un accident de la circulation.
C’est d’ailleurs ce que prévoit explicitement l’article 885 K du code général des impôts, qui dispose : « La valeur de capitalisation des rentes ou indemnités perçues en réparation de dommages corporels liés à un accident ou à une maladie est exclue du patrimoine des personnes bénéficiaires ou, en cas de transmission à titre gratuit par décès, du patrimoine du conjoint survivant ». Il est donc contraire à la nature de ces indemnités versées au titre de la branche AT-MP qu’elles soient soumises à l’impôt sur le revenu, à l’inverse des autres prestations de sécurité sociale.
Je pourrais m’arrêter là, mais puisque vous voulez parler d’équité, mes chers collègues, je souhaite tout de même vous rappeler que les indemnités journalières visées par cet article 45 bis présentent un caractère forfaitaire limité à 60 % du salaire plafonné, et à 80 % à partir du 29e jour, alors que les autres victimes de dommages corporels ont droit à une réparation intégrale.