Intervention de Josselin de Rohan

Réunion du 15 juillet 2009 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Josselin de RohanJosselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’une nouvelle loi de programmation militaire marque toujours, pour notre politique de défense, une étape majeure. Il s’agit tout autant d’inscrire cette politique dans une indispensable vision à moyen terme que de chercher à assurer la cohérence entre les objectifs et les moyens humains et financiers, même si ces derniers relèvent en dernier ressort des lois de finances annuelles.

Le texte que nous examinons aujourd’hui répond bien à cette exigence, mais il est d’autant plus important à mes yeux que la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 ne sera pas une simple continuation de la loi précédente.

En effet, ce projet de loi fait suite à la réflexion large et extrêmement approfondie menée durant plusieurs mois, dans un cadre allant pour la première fois très au-delà des seules responsabilités de la défense, et dont a découlé le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

À travers ce Livre blanc et les programmations successives qui devront le mettre en œuvre, nous poursuivons au moins trois ambitions.

La première consiste à adapter notre outil de défense aux évolutions rapides du contexte stratégique. Même si notre programmation n’a jamais été figée et si des ajustements ont constamment été opérés dans les dix ou douze dernières années au « modèle d’armée », il est évident que le cadrage stratégique de notre politique méritait d’être entièrement réactualisé.

Depuis le précédent Livre blanc, la réalité du monde multipolaire s’est affirmée, avec les nouveaux rapports entre États qu’elle implique, mais également les tensions et les crises qu’elle sous-tend.

Il importait de tirer tous les enseignements de nos engagements militaires soutenus dans des opérations de nature très diverses, y compris dans des régions du monde qui n’entraient pas dans notre champ d’intervention traditionnel mais apparaissent aujourd’hui essentielles pour notre sécurité.

Le projet de loi traduit aussi la nécessité de mieux prendre en compte les vulnérabilités nouvelles susceptibles d’affecter directement le territoire et les populations, en dehors de tout affrontement militaire classique. C’est pour cela qu’il met en œuvre une vision plus globale, alliant défense et sécurité et prenant en compte tous les phénomènes, risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation, quelle que soit leur nature, militaire ou non militaire, quelle que soit leur origine, intérieure ou extérieure.

Enfin, il était également important de tenir compte du chemin parcouru et des perspectives en matière de défense européenne. C’est ce qui a été fait à la lumière du développement continu des opérations de l’Union européenne, des résultats significatifs obtenus lors de la présidence française et de la réflexion qui a été menée jusqu’au mois de mars sur la nécessaire articulation entre notre ambition européenne et notre position dans l’Alliance atlantique, à laquelle appartiennent aussi vingt de nos partenaires de l’Union européenne. La consolidation des acquis et la préparation de nouveaux progrès sont à la base de la démarche pragmatique et réaliste, mais également résolue, qui inspire la politique française en matière de défense européenne.

La deuxième ambition de ce projet de loi est de permettre à la France de continuer à assumer les responsabilités particulières qui sont les siennes en matière de sécurité internationale.

Ces responsabilités entraînent des exigences lourdes : intervenir, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, dans le règlement de crises hors d’Europe, notamment en Afrique et en Asie ; être capable de manifester la solidarité que nous devons à nos alliés de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique.

En programmant une accentuation de l’effort de défense au cours des prochaines années, le projet de loi traduit un choix clair et courageux : celui de faire face aux charges qu’implique le maintien de la France parmi les nations dotées d’une réelle capacité d’action militaire sur le plan international.

Enfin, c’est la troisième ambition, le projet de loi entend poursuivre la modernisation de notre outil de défense dans un cadre financièrement soutenable.

À ce sujet, je voudrais le souligner, la loi de programmation qui s’est achevée il y a six mois aura été avant tout une loi de redressement.

Les chiffres sont clairs. Les crédits prévus ont été effectivement mis en place et consommés à près de 98 %. Sur les quatre derniers exercices, nous avons consacré 15, 5 milliards d’euros par an aux dépenses d’équipement, soit 30 % de plus qu’au cours de la période 1998-2001.

Parallèlement, la professionnalisation a été consolidée et la capacité opérationnelle des armées a été attestée sur tous les théâtres d’opérations où elles ont été engagées.

Pour autant, nous devons le constater, cette loi de programmation 2003-2008 n’a pas permis de revenir vers l’objectif de réalisation du modèle, dont nous avions sévèrement décroché, et, en dépit d’un effort financier très important, l’écart a continué de se creuser entre ces objectifs et l’avancement des programmes d’équipement.

Nous connaissons les principales causes de cette situation : un surcoût important sur l’entretien des matériels et sur plusieurs programmes, dont certains avaient été sous-évalués ; des difficultés industrielles sur d’autres.

Le glissement des programmes et la réévaluation des coûts d’acquisition et d’entretien rendaient inévitable une remise à plat. C’est l’exercice qui a été mené avec le Livre blanc, en vue de réévaluer nos besoins au regard de l’environnement de sécurité et des hypothèses financières, et en veillant à préserver la cohérence d’ensemble de notre outil de défense.

J’en viens maintenant plus précisément à quelques observations sur le projet de loi.

Signalons tout d’abord que cette loi de programmation s’inscrira dans un cadre plus souple que par le passé, de manière à mieux ajuster les besoins à un environnement réellement très évolutif. L’horizon 2020 fixé par le Livre blanc n’est pas assorti d’un nouveau modèle, qui pourrait se révéler excessivement figé, il est assorti de grands objectifs opérationnels et de capacités susceptibles d’être régulièrement réactualisés. La loi de programmation couvrira six années, mais sera révisée au bout de quatre ans, et entre-temps, en 2010, un point d’étape sera effectué lors de la préparation de la prochaine loi triennale de programmation des finances publiques.

Deuxièmement, le projet de loi de programmation marque très clairement la volonté d’accroître les ressources allouées à la défense.

Il programme une augmentation du budget de la mission « Défense », auquel s’ajoutent en outre les crédits du plan de relance et les recettes exceptionnelles provenant de cessions immobilières et de ventes de fréquences. Au total, c’est une annuité moyenne de 31 milliards d’euros, hors pensions, qui est prévue sur les prochaines années, soit 4, 5 % de plus que l’annuité 2008.

Ce projet traduit donc incontestablement la priorité politique et budgétaire accordée à la défense, alors que la règle générale applicable aux autres politiques publiques est celle de la croissance zéro. C’est un point essentiel et extrêmement positif aux yeux de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Une troisième caractéristique du projet de loi réside dans le profond redéploiement de crédits qui s’opérera au sein de cette enveloppe en progression.

Le ministère de la défense n’a cessé de se réformer depuis la professionnalisation, mais cet effort doit être et sera poursuivi en portant prioritairement sur les structures d’administration générale et de soutien. L’objectif retenu est de concentrer sur ces dernières 75 % des réductions d’effectifs. Au cours de la période de programmation, la part des dépenses de personnel et de fonctionnement devrait passer de 50 à 43 % des ressources hors pensions, la part du budget d’équipement augmentant en conséquence.

Les crédits d’équipement représenteront en moyenne 17 milliards d’euros par an, soit 10 % de plus que le niveau atteint en 2008.

Les gains réalisés en la matière permettront aussi de poursuivre l’amélioration de la condition des personnels, tant militaires que civils, grâce à de nouvelles grilles indiciaires et à des mesures indemnitaires.

Parallèlement, le provisionnement des opérations extérieures, les OPEX, sera porté à 630 millions d’euros en 2011, avec appel à la réserve interministérielle pour financer le complément éventuel. N’oublions pas qu’en 2001 le financement des OPEX en loi de finances initiale n’était que de 24 millions d’euros.

Enfin, il me paraît également important de le souligner, avec cette programmation, de nouveaux équilibres vont s’établir au sein de notre outil de défense.

Les choix effectués permettent à la France de conserver l’éventail de capacités qui en font un acteur militaire majeur, en accord avec ses responsabilités internationales, même si ce sera dans le cadre d’un format resserré et concentré.

Avec le maintien des moyens de la dissuasion et l’accentuation des capacités liées à la fonction « connaissance et anticipation », notamment grâce à la progression du budget spatial militaire qui passera de 500 millions à 800 millions d’euros, ce projet de loi montre que la France entend conserver, et même accentuer, les moyens de son autonomie stratégique, renforçant de ce point de vue sa spécificité en Europe.

C’est sur les moyens d’intervention que les incidences de la contraction du format sont les plus sensibles, particulièrement sur les moyens liés au combat terrestre de haute intensité – artillerie, hélicoptères de combat, blindés lourds – et sur la flotte de surface, avec la diminution du nombre de frégates et le report à 2011-2012 de la décision sur un éventuel second porte-avions, dont le lancement aurait fortement déséquilibré la loi de programmation.

Soulignons toutefois que les matériels de nouvelle génération attendus dans les forces disposeront de capacités opérationnelles considérablement renforcées par rapport à leurs prédécesseurs. Il faut insister sur l’effort très important prévu par le projet de loi sur des programmes sans doute moins emblématiques que ceux qui concernent les grands équipements, mais néanmoins très importants en termes de capacités militaires. Je pense aux nouveaux capteurs optiques ou radars, aux moyens de communication et de transmission de données ainsi qu’aux armements de précision qui doteront les avions de combat, les systèmes terrestres ou les bâtiments de la marine.

En dehors des programmes d’armement, il faut également le noter, les dotations pour l’entretien des matériels, déjà très fortement réévaluées au cours de la précédente loi de programmation, seront majorées.

S’agissant des moyens consacrés à la recherche, ils seront consolidés plus que véritablement augmentés. On peut certes saluer le chemin parcouru depuis le début de la précédente loi de programmation, mais des interrogations subsistent sur le niveau de notre effort de recherche, dans un environnement très concurrentiel où le maintien à moyen terme de notre compétitivité technologique n’est pas garanti. Ce doit être à mes yeux une incitation supplémentaire au développement d’une véritable mutualisation de la recherche européenne, que ce soit dans le cadre de l’Agence européenne de défense ou de projets bilatéraux ou multilatéraux.

Le cadre général de notre politique de défense pour les prochaines années, tel qu’il résulte de ce projet de loi, a recueilli l’approbation de la commission dans sa majorité. Il me paraît néanmoins important d’évoquer un certain nombre de défis auxquels sera confrontée la mise en œuvre de cette loi, et sur lesquels il faudra exercer une vigilance particulière.

Le premier défi est celui de la dégradation du contexte économique et financier et du risque qu’elle fait peser sur l’augmentation programmée des ressources allouées à la défense.

Sur ce point, il faut constater que dans l’immédiat, face à la crise, le Gouvernement a choisi d’accélérer, et non de freiner, la réalisation de la programmation. Les crédits prévus pour 2009 et 2010 ont été majorés par le plan de relance, et les informations dont nous disposons – vous les avez rappelées, monsieur le ministre – montrent qu’aujourd’hui tout est fait pour qu’ils soient effectivement consommés et participent ainsi au soutien d’un secteur très important pour notre économie tout en accélérant un certain nombre de livraisons très utiles pour nos armées.

Nous souhaitons que l’attention particulière portée à la défense soit maintenue lorsque les conditions économiques auront changé, autrement dit que le remboursement des avances obtenues dans le plan de relance s’effectue selon le calendrier prévu, c’est-à-dire de manière échelonnée.

Le deuxième défi est celui des recettes exceptionnelles sur lesquelles repose en partie la majoration de l’effort d’équipement.

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