Intervention de François Pillet

Réunion du 15 juillet 2009 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion d'un projet de loi

Photo de François PilletFrançois Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, la commission des lois a été saisie pour avis des articles 12, 13 et 14 figurant au chapitre VI du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Ces articles, qui modifient les dispositions relatives aux perquisitions judiciaires et au secret de la défense nationale contenues dans le code de procédure pénale, le code pénal et le code de la défense, visent à répondre aux incertitudes de notre droit relevées par le Conseil d’État dans son avis du 5 avril 2007.

Ils s’efforcent d’établir un équilibre entre deux objectifs constitutionnels : la nécessité de protéger le secret de la défense nationale et celle de disposer de moyens efficaces pour rechercher les auteurs d’infractions.

Alors que le droit en vigueur ne mentionne que les documents classifiés, le projet de loi introduit la référence aux lieux dans lesquels se trouveraient de tels documents, ainsi qu’aux lieux qui seraient en eux-mêmes classifiés. Il distingue ainsi les lieux classifiés, les lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale et les lieux neutres où sont incidemment découverts des éléments classifiés.

C’est dans la création des lieux classifiés que le projet de loi est à l’évidence le plus novateur et susceptible de soulever des interrogations tant nous pouvions craindre la création de lieux sanctuarisés interdits à toute visite ou pénétration, soit, en quelque sorte, comme le disent certains, des zones de non-droit.

J’indique tout d’abord que cette nouvelle notion répond très directement à une observation émise par le Conseil d’État, qui fait expressément référence au risque encouru par le juge du seul fait de sa présence dans l’un de ces lieux.

Ainsi, l’article 13 du projet de loi qui les institue les définit clairement comme des lieux « auxquels il ne peut être accédé sans que, à raison des installations et des activités qu’ils abritent, cet accès donne par lui-même connaissance d’un secret de la défense nationale ».

Par ailleurs, le texte tel qu’il a été amendé par l’Assemblée nationale devrait contribuer à apaiser les inquiétudes, voire les malentendus, sur ce point.

La décision de classification résulte d’un arrêté du Premier ministre, lequel sera lui-même soumis à deux conditions.

D’une part, seule la décision de classification fera l’objet d’une publication au Journal officiel, dans laquelle figurera la liste de ces lieux. En revanche, leur délimitation précise ne saurait être rendue publique et devra donc être nécessairement mentionnée à l’annexe, qui constituera elle-même un document classifié.

Cette publication présente un double avantage : elle écarte le soupçon de classification de pure circonstance, liée, par exemple, à l’ouverture d’une information judiciaire, et elle permet de connaître précisément le nombre de lieux classifiés.

D’autre part, la décision de classification devra être prise après avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale, la CCSDN. Cette garantie est très appréciable dans la mesure où l’impartialité de cette commission a été saluée par l’ensemble de ses interlocuteurs, et ses avis ont, jusqu’à présent, dans leur quasi-totalité, été suivis par le Gouvernement.

Enfin, la classification devra être prise pour une durée de cinq ans, afin d’inviter le Premier ministre à vérifier régulièrement le bien-fondé de sa décision. L’éventuelle prolongation fera l’objet d’une nouvelle procédure et sera rendue publique.

Le nombre de lieux classifiés devrait être extrêmement réduit, au nombre de dix-neuf ou de vingt, d’après les précisions que vous nous avez apportées, monsieur le ministre.

En outre, compte tenu des contraintes lourdes qui régissent l’accès aux lieux classifiés, en particulier l’exigence d’une habilitation accordée selon des critères très rigoureux à un nombre restreint de personnes, ces lieux devraient être également, en principe, étroitement circonscrits au sein des espaces protégés.

Voyons désormais ce qu’il en est des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale.

Cette notion, issue des travaux de l’Assemblée nationale, a remplacé la notion imprécise de lieux « susceptibles d’abriter des éléments couverts par le secret de la défense nationale », ce qui interdit une interprétation très extensive.

Les députés ont également souhaité que le choix de ces lieux fasse l’objet d’une procédure précise comportant trois garanties fixées par le législateur.

Premièrement, ceux-ci ont prévu que ces lieux seront mentionnés dans une liste établie de façon précise et limitative par arrêté du Premier ministre.

Deuxièmement, cette liste devra être régulièrement actualisée et communiquée à la Commission consultative du secret de la défense nationale ainsi qu’au ministre de la justice, qui devront la rendre accessible au magistrat de façon sécurisée.

Troisièmement, l’Assemblée nationale a indiqué que les conditions de délimitation des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale seront déterminées par décret en Conseil d’État.

Enfin, restent les lieux neutres, c'est-à-dire tous ceux qui ne relèvent pas des deux catégories précédentes et où, vraisemblablement, les informations classifiées se trouveront de façon tout à fait irrégulières et seront découvertes fortuitement.

Compte tenu des garanties apportées par l’Assemblée nationale au projet de loi, il convient, à notre avis, de maintenir le texte amendé.

Au regard de l’État de droit, il faut souligner – c’est un point essentiel – que la loi interdit désormais juridiquement l’existence de lieux totalement sanctuarisés : la définition des lieux classifiés et des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale conduisant à considérer, par un effet de miroir, tout autre lieu comme un lieu neutre.

J’en viens à la procédure de perquisition.

L’Assemblée nationale s’est attachée à mieux encadrer la procédure de perquisition à seule fin de préserver non seulement les compétences, mais aussi les moyens d’action du magistrat et de garantir la protection du secret de la défense nationale.

La perquisition intervenant dans les lieux classifiés au titre du secret de la défense nationale est soumise à des conditions très strictes, liées à la protection renforcée attachée à ces lieux.

La perquisition ne pourra être réalisée que par le magistrat lui-même et en présence d’un membre de la Commission consultative du secret de la défense nationale.

En outre, le texte précise que, préalablement à la perquisition, le magistrat doit adresser au président de la CCSDN une décision écrite et motivée, indiquant la nature de l’infraction sur laquelle portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de cette dernière.

La perquisition ne sera possible qu’après la déclassification des lieux par l’autorité administrative, cette déclassification ne valant d’ailleurs que pour le temps des opérations.

Dans les lieux abritant un secret de la défense nationale, l’Assemblée nationale a profondément modifié les modalités d’intervention du président de la CCSDN.

Tout d’abord, l’information préalable du juge sera limitée aux seules « informations utiles » à l’accomplissement de sa mission.

Cependant, ces informations doivent être entendues non pas de manière restrictive, mais dans le cadre d’un dialogue constructif entre l’autorité judiciaire et le président de la CCSDN, un dialogue absolument indispensable au succès même de la perquisition. Le président de la commission, ou son représentant, sera tenu de se transporter « sans délai » sur les lieux.

Enfin, les informations relatives à la nature de l’infraction sur laquelle portent les investigations ne seront communiquées au président de la commission qu’au commencement de la perquisition, à l’instant même où ces informations seront également transmises au chef d’établissement, à son délégué, ou à un responsable du lieu.

Concernant les perquisitions conduisant à la découverte fortuite de documents classifiés dans des lieux neutres, le magistrat, s’il ne se trouve pas sur les lieux, est immédiatement averti par l’officier de police judiciaire et doit informer le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale. L’Assemblée nationale a prévu la mise sous scellés des éléments classifiés par le magistrat ou l’officier de police judiciaire, sans que ces derniers puissent en prendre connaissance, et leur remise ou leur transmission au président de la CCSDN chargé d’en assurer la garde.

Le déroulement de la perquisition obéit aux mêmes principes destinés à garantir la protection du secret de la défense nationale.

Le dispositif proposé par le Gouvernement, sous réserve de quelques modifications, a été maintenu par l’Assemblée nationale. Il comporte plusieurs garanties au regard de la sauvegarde de ce secret.

Seul le président de la CCSDN peut prendre connaissance des éléments classifiés découverts sur les lieux. Le magistrat ne peut saisir que les éléments classifiés relatifs aux infractions sur lesquelles portent ses investigations.

Les éléments classifiés saisis sont inventoriés par le président de la CCSDN, puis placés sous scellés par ses soins.

Avant de conclure, je tiens à souligner mon regret de voir des dispositions modifiant le code de procédure pénale et le code pénal incluses dans un projet de loi de programmation militaire.

Pour autant, compte tenu des améliorations apportées par l’Assemblée nationale au texte présenté par le Gouvernement, les dispositions prévues aux articles 12 à 14 permettent d’établir un équilibre satisfaisant entre les deux objectifs constitutionnels, à savoir la protection des intérêts de la nation et la poursuite des infractions.

Par ailleurs, le cadre juridique fixé par le projet de loi exclura à l’avenir l’existence de lieux sanctuarisés et non identifiés, puisque le juge sera autorisé à y accéder.

J’ajoute que les procédures de perquisition s’inscrivent dans une logique assez proche des principes retenus par la procédure applicable aux perquisitions au cabinet ou au domicile d’un avocat.

Enfin, le dispositif proposé accorde une place accrue à la Commission consultative du secret de la défense nationale, dont l’indépendance et l’impartialité n’ont jamais été remises en cause depuis sa création en 1998.

En conséquence, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter sans modification les articles 12, 13 et 14 du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

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