Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 15 juillet 2009 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

En premier lieu, ce texte, dans les cinq premiers articles, traduit et adapte sur les plans législatif et budgétaire, comme c’est sa fonction, la nouvelle stratégie de défense et de sécurité nationale définie par le Livre Blanc élaboré l’année dernière. Nous avions eu l’occasion, en d’autres temps, de dire toutes les réserves que nous formulions sur cette nouvelle stratégie.

Nous nous opposons très vivement aux nouveaux concepts qui sous-tendent certaines analyses stratégiques et prospectives du Livre Blanc. En effet, celles-ci traduisent une conception d’un ordre mondial fondé sur la domination et impliquent, de fait, des modifications stratégiques et institutionnelles que nous récusons.

J’évoquerai tout d’abord la pleine réintégration de la France dans le commandement militaire de l’OTAN et le concept de sécurité nationale qui modifient considérablement l’approche de la défense nationale, laquelle faisait jusqu’alors consensus dans le pays.

La décision du Président de la République de réintégrer totalement le commandement militaire de l’OTAN est une réorientation stratégique profondément révélatrice de la vision atlantiste de l’ordre mondial qui s’exprime à travers certaines préconisations du Livre Blanc. C’est un gage, une preuve d’alignement donné aux États-Unis pour nous permettre de normaliser nos relations avec ce pays.

Mais les raisons alors invoquées par le Président de la République me paraissent toujours tout aussi injustifiées.

Cela renforcerait l’influence de la France au sein de l’Alliance atlantique, qui, paraît-il, n’était pas à la hauteur de notre contribution humaine et financière. Cet argument ne tient pas, car tout le monde sait bien que le poids de notre pays dépend beaucoup plus de sa volonté politique, de ses capacités et de son savoir-faire militaire que de son statut dans le commandement militaire intégré. Et ce n’est pas la nomination de deux de nos généraux à la tête de commandements de l’OTAN qui changeront fondamentalement les choses. Ils ne pourront faire autrement que d’appliquer des concepts stratégiques toujours définis à Washington !

Le Président de la République voulait aussi rassurer nos partenaires européens, en affirmant que nous ne voulions pas concurrencer l’OTAN, et, dans le même temps, leur faire partager l’idée de la nécessité de faire progresser l’Europe de la défense. Là encore, rien de probant, si j’en juge par les réactions de nos partenaires et par les maigres résultats des six mois de présidence française.

Aucune avancée décisive de la politique européenne de sécurité et de défense n’a eu lieu sur les questions structurantes que sont la création d’un état-major permanent de conduite et de planification des opérations ou bien celle d’une Agence européenne de l’armement dotée d’une réelle autorité.

La décision du Président de la République, qui n’a pas obtenu de véritables contreparties, est en fait un signal négatif à ceux des pays européens qui se satisfont d’une défense à moindre coût sous le parapluie de l’OTAN et qui ne veulent pas d’une politique autonome de sécurité et de défense pour l’Europe.

Le statut spécifique de la France nous permettait d’afficher une réelle autonomie de décision par rapport aux États-Unis et de prouver notre volonté d’élaborer en Europe une politique commune de sécurité et de défense.

Cette future loi de programmation militaire qui entérine cette réorientation stratégique nous fera perdre ces précieux atouts.

De la même façon, la définition par le Livre Blanc d’un arc de crise allant de l’Atlantique à l’océan Indien, avec la décision qui en découle d’implanter une base à Abou Dhabi, est une autre réorientation stratégique majeure, lourde de conséquences.

C’est la première base française créée à l’étranger depuis la fin de la période coloniale dans les années soixante. Avec cette implantation, la France a franchi un cap stratégique, souscrivant ainsi officiellement au rôle de sous-traitant des États-Unis dans la défense occidentale du golfe Arabo-Persique, au prix, sans nul doute, de la perte de son autonomie de décision !

Il est inacceptable que, dans un pays démocratique comme le nôtre, la décision stratégique d’implanter une nouvelle base à l’étranger n’ait pas fait l’objet d’une consultation et d’un débat devant la représentation nationale.

En outre, les accords de défense signés avec les Émirats, dont les parlementaires connaissent l’existence mais aucunement le contenu, nous feraient courir un risque majeur. Si l’on en croit des informations récemment parues dans la presse, nous risquerions en effet d’être entraînés quasi mécaniquement dans un affrontement nucléaire régional que nous n’aurions pas souhaité.

Pour éviter ces ambiguïtés, il est aussi absolument nécessaire, tout en préservant une confidentialité bien compréhensible, que les commissions parlementaires compétentes soient informées du contenu de tous les accords de défense.

Nous sommes également très réservés par rapport à la cinquième fonction stratégique, qui a trait aux interventions extérieures. Dans le rapport annexé, leur cadre devrait être plus nettement précisé et elles devraient, en tout état de cause, être strictement circonscrites aux seules opérations de stabilisation ou de rétablissement de la paix autorisées par une décision du Conseil de sécurité de l’ONU.

Face à la multiplication de nos interventions à l’étranger, qui, je le souligne, concernent 10 000 à 12 000 militaires envoyés chaque année hors de nos frontières, et dont le coût élevé est en augmentation continue – 852 millions d’euros pour la seule année 2008 ! –, il devient impératif que le Parlement se prononce par un vote sur l’opportunité et la durée de ces missions, et pas seulement sur leur prolongation.

S’agissant de la dissuasion nucléaire, nous avons un désaccord fondamental. Elle est présentée dans le rapport annexé comme la clef de voûte de notre sécurité. Nous pensons, au contraire, qu’elle contribue à la dangerosité du monde et qu’elle favorise la prolifération. Les évolutions successives de notre doctrine y concourent aussi.

La modernisation de notre arsenal nucléaire accapare une part considérable de nos moyens budgétaires au détriment de la qualité de l’équipement des forces et de leur maintien en condition opérationnelle. De la sorte, la sécurité des personnels en mission s’en ressent gravement.

À l’heure où la Russie et les États-Unis s’engagent sur la voie d’une réduction non négligeable du nombre de leurs têtes nucléaires, ...

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