Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 15 juillet 2009 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2009 à 2014 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

La nouvelle stratégie de la « sécurité nationale » définie par le Livre blanc est également intégrée à l’article 5 de ce projet de loi de programmation, au travers de ce qui pourrait apparaître comme un « cavalier » législatif. Elle opère en effet un amalgame entre les deux notions de défense nationale et de sécurité intérieure en les diluant dans un même concept. C’est là une seconde raison de notre opposition à votre projet de loi.

Cette nouvelle stratégie résulte d’une vision du monde qui mélange toutes les menaces et tous les risques. Elle n’établit pas de hiérarchisation et procède d’une vision de la sécurité et de la défense trop unilatérale, strictement occidentale, qui est conforme à la conception du « choc des civilisations » de l’ancienne administration américaine. Elle s’inspire aussi trop directement de la réflexion en cours au sein de l’OTAN sur ses nouveaux concepts stratégiques. Nous sommes d’ailleurs directement concernés car, je le rappelle, un officier général français vient d’être nommé à la tête du commandement de Norfolk pour travailler à la transformation des concepts de l’OTAN.

Les risques et les menaces ne sont pas hiérarchisés puisqu’ils englobent tout à la fois la prolifération nucléaire, les attentats terroristes, les attaques informatiques, les tensions nées de l’accès aux ressources naturelles, ou bien encore les pandémies ou autres catastrophes naturelles. Les solutions proposées pour les prévenir et y répondre sont essentiellement sécuritaires et militaires, et ne s’attaquent pas aux causes profondes des tensions et des crises.

Mais surtout, avec cette vision des choses, les menaces contre le pays et la population deviennent multiformes et diffuses. Elles peuvent être partout, à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur, dans certains quartiers ou en provenance de certaines catégories de la population. C’est ce risque de dérive, en germe dans votre texte, que nous dénonçons.

La nouvelle stratégie de la sécurité nationale induit aussi un changement profond dans l’organisation des pouvoirs publics en matière de défense et de sécurité, en modifiant l’ordonnance de 1959 et en créant un Conseil de défense et de sécurité nationale ; et cela, au détour d’une loi de programmation militaire, alors que de telles modifications touchant à l’équilibre même de nos institutions auraient, à elles seules, nécessité un débat parlementaire. Nous nous opposons fermement à cette extension du champ de la sécurité et du champ des compétences du Président de la République, qui aboutit à une telle concentration de pouvoirs.

L’extension du secret de la défense nationale à des lieux, et non plus seulement à des documents, entraîne également une modification de nos équilibres institutionnels qui n’a pas sa place dans une loi de programmation militaire. Cette nouvelle disposition semble destinée à protéger surtout des secrets d’État dans des affaires politiquement sensibles, plutôt que des informations concernant la défense nationale.

Cette mesure tire à l’évidence les enseignements d’investigations judiciaires trop poussées, au goût du pouvoir, dans des affaires récentes : les rétro-commissions sur les frégates livrées à Taïwan, les perquisitions au siège de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, dans l’affaire des listings falsifiés de Clearstream, ou bien encore la perquisition à l’Élysée dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du juge Borrel. De plus, elle va au-delà des recommandations de la Commission consultative du secret de la défense nationale et de l’avis du Conseil d’État du 5 avril 2007, dont l’objectif était essentiellement de sécuriser juridiquement les perquisitions et de mieux définir le secret-défense.

En créant la nouvelle catégorie juridique des « lieux classifiés », monsieur le ministre, non seulement vous étendez sans raison légitime la notion de secret-défense, mais vous restreignez en outre gravement les pouvoirs d’investigation des magistrats en leur interdisant, de fait, de pénétrer dans ces lieux sans l’habilitation du ministre de tutelle. Tout cela se faisant sur fond de suppression prochaine de la fonction de juge d’instruction, on peut légitimement penser que les magistrats, comme les Français, ont quelques raisons d’être inquiets de cette reprise en main des juges par le gouvernement auquel vous appartenez.

Ce projet de loi de programmation militaire n’est pas simplement la traduction des grandes orientations du Livre blanc. Il contient aussi des mesures qui ont pour but de nous permettre de disposer d’un outil militaire plus efficace, car modernisé et plus mobile.

Je le répète, nous ne remettons pas en cause, exception faite de la place trop importante accordée à l’armement nucléaire, la nécessité des programmes d’équipement de nos forces qui sont proposés. Mais nous critiquons la façon dont cette loi sera financée, car cela se fera au prix d’un plan de suppression d’emplois sans précédent.

Vous voulez en effet réaliser des économies de fonctionnement provenant pour l’essentiel d’une diminution drastique des effectifs pour financer les nouveaux programmes. C’est justement là que le bât blesse ; c’est la raison pour laquelle nous nous opposons à ce que la plus grande part de ce financement repose sur le plus grand plan social du pays et sur des recettes exceptionnelles provenant de cessions immobilières et de ventes de fréquences.

Vous prévoyez ainsi, pour reprendre le terme technique, une « déflation » d’effectifs de 7 000 postes par an, principalement dans le soutien, l’administration et les personnels civils, à laquelle s’ajoutera la perte de 16 000 emplois liés à l’externalisation de certains services.

Outre la dévitalisation des territoires et la perte de savoir-faire que représenteront ces suppressions d’emplois, il me semble que ces objectifs à atteindre sont irréalistes en cette période de crise et qu’ils procèdent d’une stricte application mécanique des principes de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Les recettes dites exceptionnelles qui permettront également de financer votre réforme et l’équipement de nos forces sont incertaines et le montant que vous nous annoncez est surévalué. Comment pouvez-vous réellement escompter la rentrée de 1 milliard d’euros provenant de la vente de certains actifs immobiliers parisiens, quand on connaît les évolutions actuelles du marché ?

Dans le même ordre d’idées, il n’apparaît pas que les opérateurs de télécommunications se précipitent pour acheter à hauteur de 600 millions d’euros les fréquences hertziennes cédées par nos armées.

Le dernier aspect de cette loi de programmation, qui nous heurte tout particulièrement, a trait au processus de privatisation qu’elle enclenche pour deux de nos industries stratégiques du secteur de la défense.

Ainsi, l’article 10 de votre projet de loi veut faire entrer DCNS, fleuron national de la construction navale, dans le droit commun des privatisations. Cela préfigure, à mon sens, le démantèlement d’une entreprise intégrée en permettant la création de filiales dans lesquelles l’État serait minoritaire et en autorisant le détachement d’ouvriers de l’État et de fonctionnaires mis à disposition. L’état actuel de la législation n’empêche pourtant pas DCNS de se développer à l’international.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion